Un bruit à la porte attire mon attention. On toque. Mon regard se porte par automatisme sur l’horloge accrochée sur le mur de la cuisine. Je n’attends personne à cette heure et ma mère est de garde à l'hôpital. S’agissant probablement d’un voisin, je décide de ne pas y prêter plus attention que ça.
Toc, toc, toc…
La personne derrière la porte se fait de plus en plus insistante et je grommelle tout en allant l’ouvrir. Celle-ci n’est pas ouverte de moitié, qu’une force la pousse me faisant lâcher la poignée. Une masse se jette alors sur moi et me coupe le souffle. On m’enserre fortement comme si je pouvais m’envoler à chaque instant, son odeur qui me hante me prend, des soubresauts secouent son corps. Je reste pendant quelques instants bloqués, les bras tendus et ne sachant pas quoi faire de mes mains. Je ne sais pas comment réagir en situation de crise.
Son sanglot qui résonne contre ma poitrine est l’élément déclencheur. Mon cerveau se rallume, je recule tant bien que mal, puisque Manon refuse de me lâcher ou même de réduire la pression, ce qui me permet de claquer la porte de l’appartement. Après cela, mon instinct prend le dessus, je l'enserre tout aussi fortement, voulant lui enlever tout son mal-être et l’aider à repousser ses démons. Je ne sais pas combien de temps nous restons là. Les effluves de son parfum me fond perdre toute notion du temps, son corps collé au mien toute notion de l’espace. Je ne suis plus qu’un corps chaud répondant à un besoin. Les soubresauts semblent s’apaiser, tout comme sa respiration. Ma prise se relâche alors.
Mes mains prennent en coupe son visage. Je veux voir si toute la peine qui l’animait l’a quittée. Son regard meurtri ne me dit rien qui vaille et j’ai envie de frapper les personnes l’ayant fait autant souffrir. Ses yeux sont rougis par les larmes, tout comme ses joues qui sont brûlantes après ce passage. Mes mains froides se posent naturellement dessus, elle ferme les yeux et s’appuient plus fortement dessus profitant de leur fraîcheur. Ce n’est pas la première fois que je suis témoin de ses larmes, mais cette fois-ci mon coeur se serre encore plus douloureusement en la voyant dans cet état. Je passe par automatisme mes pouces sur le haut de ses joues, enlevant les résidus des dernières larmes ayant marqué son visage.
- Qu’est-ce qui s’est passé Man-Man ?
Seul un reniflement répond à ma question, tandis qu’elle se recule. Elle s’essuie le nez avec la manche de son t-shirt, tout en inspectant la pièce qui l’entoure. Mon appartement n’a pourtant pas changé d’un iota, c’est exactement le même que la dernière fois où elle venue et aussi depuis les dix dernières années.
- Je…Je…Suis désolée…De te déranger, je ne savais pas où aller…, dit-elle de sa voix tremblante en posant les yeux partout sauf sur moi.
Et les sanglots repartent de plus belle, elle se dirige par automatisme sur mon canapé. Je la suis tandis qu’elle s'assoit et passe ses bras autour de ses genoux. Ses épaules sont voutées sous le poids de son chagrin, comme si elle porte tous les fardeaux du monde sur elles. Chaque sanglot secoue son corps, puis se déplace dans son être tout entier. Je m’assois à ses côtés, je me doute qu’elle a besoin d’espace pour exprimer ses émotions mais elle doit savoir que je suis présent pour elle. Je reste donc assis. A ses côtés. Sans dire un mot. Et prenant mon mal en patience.
Au bout de quelques minutes qui m’ont semblé une éternité. Manon relève enfin la tête. Diverses émotions passent sur son visage. Bien entendu, la tristesse domine mais elle est accompagnée de la colère et de la frustration.
Je ne dis toujours rien tandis que son regard hagard tombe une nouvelle fois sur moi. Je lui tends doucement un mouchoir en papier que j’ai récupéré en passant, sachant qu’elle en aurait besoin. Suite au frisson parcourant son corps, je retire mon sweat et lui tends. Elle les prend tous les deux en esquissant un léger sourire avant de sécher ses larmes et de l’enfiler par-dessus son haut.
- Ma mère, me murmure-t-elle avec sa voix brisée.
Elle se recroqueville encore plus sur elle-même, serrant dans ses poings les manches trop longues de mon sweat, elle semble si fragile à cet instant. Je l’attire contre moi, elle se laisse faire et pose sa tête au niveau de mon coeur. Je ressens sa proximité dans toute mon échine et je me force à penser à sa tristesse et non son enivrante odeur. Mon cœur pourrait exploser à cet instant et je sais qu’elle va entendre ses battements erratiques. Je sais qu’elle ne s’entend pas avec sa mère, elle se braque dès qu’on en parle. Je n’ai pas énormément de souvenirs de sa mère, mis à part des cris que l’on entendait parfois dû à l’ancienne proximité de nos maisons. Manon a toujours refusé de m’en parler, ce qui se passait dans cette maison restait dans cette maison. Ce n’est que grâce à nos nombreuses années d’amitié que j’ai réussi à accumuler quelques informations se regroupant en une seule affirmation : cette femme est la cause principale des souffrances de Manon. Une autre larme coule sur sa joue. Encore une fois, je l’essuie avec mon pouce.
- Tu sais une fois une personne très importante m’a dit, des beaux yeux comme ça, ça ne devrait jamais pleurer, lui dis-je doucement.
Un léger sourire se dessine sur son visage.
- Tu veux me raconter ce qui s’est passé ?
Ma position ne change presque pas, j’incline seulement mon buste pour mieux la regarder. Mon bras est toujours posé sur le haut des coussins, en le bougeant seulement un peu je pourrais de nouveau l’attirer près de moi. Elle se redresse, met ses cheveux derrière son oreille et souffle.
- Est-ce que tu penses…
Elle se racle la gorge, tout en levant les yeux au ciel pour refouler les larmes qui menacent de couler une nouvelle fois.
- Elle est venue manger à la maison et elle est horrible, Owen. Je la déteste tellement et je me déteste de la détester parce que ça rend mon père triste. Mais avec elle, je me sens tellement… Est-ce que tu crois que je vais finir vieille fille et que personne n’aurait envie d’être avec moi parce que je suis la plus grande des causes perdues ?
- Pardon ?, dis-je en haussant la voix, la faisant se recroqueviller sur elle-même.
- C’est ce qu’elle a sous-entendu pendant ce dîner de l’horreur.
Comment une mère peut dire quelque chose comme ça à sa propre fille ? Automatiquement, je ferme mon poing puis l’ouvre à plusieurs reprises. Je ne peux m’empêcher de poser des centaines de questions. Combien de temps Manon a dû supporter son comportement alors qu’elle n’était qu’une enfant ? A quel point, ces mots ont influencé et grandi dans son cerveau ? Gênée par sa précédente confession, elle concentre toute son attention sur la manche de mon sweat et la tourne dans tous les sens. Je pose ma main dessus pour lui faire lâcher sa prise. Reniflant encore une fois, elle me regarde avec tout le malheur du monde dans ses prunelles.
- Man-Man ?
- Mmmh.
- Il faut que tu m’écoutes c’est important. Premièrement, tu n’es pas une cause perdue.
Elle penche la tête sur le côté montrant qu’elle n’est pas convaincue de ce que j’avance. Elle réfléchit en silence, fouillant dans tous les tiroirs de son cerveau pour chercher l’information dont elle a besoin.
- Est-ce que tu pensais vraiment ce que tu m’as dis la dernière fois ?
A mon tour, je cherche dans ma mémoire ce que j’ai pu lui dire. Ne me laissant pas le temps de terminer ma réflexion, elle se décale et commence à se relever.
- Laisse tomber, c’était bête de te demander ça.
Pour l’empêcher de s’éloigner plus, je la retiens par le poignet. Ne s’étant pas aperçue de mon geste, Manon se retrouve stoppée net et recule sous l’impulsion. Elle tombe alors à la renverse et je la rattrape in extremis. Mon coeur loupe un battement lorsque je me rends compte de notre nouvelle position. Comment est-elle arrivée sur mes genoux ? Je ne sais pas comment on en est arrivé là. La seule explication qui me vient à l’esprit est que j’ai dû faire des choses horribles dans une autre vie et que l’on veut me punir en me mettant Manon sur mes genoux. Et je ne respire plus tandis qu’elle change de position pour se mettre à califourchon.
Nos regards se croisent, se mêlent, marron contre océan. J’ai l’impression que je pourrais couler, m’y noyer, rien qu’en les regardant. Elle se rapproche doucement. Nos cuisses se touchent et je crois voir son pouls battre sur sa gorge.
Je reste immobile et m’évertue à contrôler mes mains qui me démangent. Elle ne semble pas avoir le même contrôle puisqu’elle pose sa main sur mon coeur et détaille mon visage. Analysant la moindre de mes réactions. Elle se redresse sur moi, frottant par la même occasion mon entrejambe. C’est la fin pour moi. Mes mains restent ancrées sur les côtés de nos jambes, j’ai les mains moites mais je me retiens de les essuyer sur le tissu du canapé. Elle s’éclaircit la gorge, tout en plongeant ses yeux dans les miens.
- Recommence à zéro, lui dis-je.
- J’ai une question me souffle-t-elle.
- Mmh-mmh…
C’est le maximum que je peux formuler comme réponse, tellement mon cerveau est embué. Mon Dieu, est-ce qu’elle peut arrêter de fixer mes lèvres ?
- Est-ce que c’était vrai ce que tu m’as dis la dernière fois ?
Sa main se déplace toujours entre mes pectoraux, je me demande si elle se rend compte de la tension qui commence à monter dans mon appartement. Mon coeur bat encore plus vite, comme si c’était possible. J’avale difficilement ma salive, tentant de mettre mes idées au clair. Plus aucune connexion neuronale ne se fait, j’ai des courts-circuits partout m’empêchant de comprendre ce qu’elle veut dire. Il n’y a que le singe jouant des cymbales qui est présent en boucle.
- Tu peux être un peu plus précise ?
- A propos du baiser, que tu l’as fait parce que tu sais… Tu en avais envie.
Sa nervosité est palpable, sa respiration est de plus en plus forte.
- Oui, c’était vrai.
Elle expire et je sens l’air chaud toucher ma joue. Sa respiration se fait sifflante tandis qu’elle lèche sa lèvre inférieure, en baissant les yeux. Elle va me tuer, putain.
- Donc hypothétiquement, si j’en avais aussi envie à un instant T.
Elle se racle encore une fois la gorge :
- Par exemple maintenant, je serais dans mon droit de le faire ?
Son regard s’assombrit puis devient brûlant, tout comme le sang qui coule dans mes veines. Je retiens mon souffle tandis qu’elle effleure ma joue. Je me force pour ne pas réagir tandis qu’elle approche sa bouche de la mienne. Tout comme la dernière fois, une chaleur naît et se répartit partout dans mon corps alors que nos lèvres se touchent. Trop rapidement, elle rompt notre contact.
- On va dire que j’en avais le droit, dit-elle avec sa voix vacillante.
Et c’est là, que je perds tout contrôle. Parce que c’est elle et que le baiser que l’on vient d’échanger n’est pas assez. Je lui saute dessus, passant ma main dans ses cheveux pour intensifier notre baiser. Sa bouche s’ouvre et je ne perds pas de temps pour la goûter d’une nouvelle manière, nous entrainant dans une danse que nous n’avons encore jamais effectuée. Un grognement m’échappe, faisant vibrer tout son corps. Ce baiser est incroyable, encore plus que celui que nous avons échangé au bar et juste avant. J’en veux plus, bon sang. Mes mains sont partout, dans ses cheveux, sur son bassin pour l’empêcher de reculer et de rompre notre lien. Contrairement à ce que je pensais, elle ne panique pas et ne rompt pas notre baiser. Au contraire, elle gémit et penche la tête pour approfondir notre baiser, tout en froissant mon t-shirt comme si j’allais m’échapper.
Elle hoquète de surprise lorsqu’elle se retrouve sur le dos. Enfoncée dans mon canapé, elle soupire lorsque mes lèvres quittent sa bouche pour s’attaquer à sa mâchoire et plonger dans son cou. Elle frissonne tout en gémissant et tourne sa tête pour me faciliter l’accès. Même si je suis au-dessus d’elle, c’est elle qui mène la danse. Me forçant à remonter la tête en m’agrippant les cheveux et l’embrasser encore une fois. Mes lèvres sont de nouveau sur les siennes, sa main se glisse sous mon t-shirt, griffant doucement mes abdos, mon dos et tout ce qui se trouve sur son passage.
Plus aucune distance n’est présente entre nous, je me doute qu’elle sent mon érection cogner contre son intimité. J’ai envie de plus. De tout. D’enlever nos satanés vêtements. Je me laisse emporter, mon contrôle est proche de zéro avec elle. J’ai envie de l’explorer, ma paume remonte jusqu’à son ventre qui se contracte.
A cet instant, nous ne nous embrassons plus, notre respiration est erratique. J’ai besoin de plus. Je la regarde, m’assurant qu’elle est toujours en phase avec ce que nous faisons. Mes doigts glissent sur la lisière de son soutien-gorge, elle ne m’arrête toujours pas. Sa respiration accélère à chacun de mes mouvements. Elle halète sous moi, ses pupilles sont dilatées, rivées sur mes lèvres. Nos respirations sont lourdes, je n’entends que les battements de nos coeurs.
Je fonds de nouveau sur elle, la découvrant une nouvelle fois. Ses lèvres, bordel. C’est un appel à délit. Une nouvelle frénésie nous prend, on se réclame, oubliant de reprendre nos souffles. Je me perds dans elle et elle en moi. Entre deux baisers, je souffle :
- Man-Man…
Sa respiration est toujours aussi lourde.
- Si tu ne me dis pas de stopper maintenant, je ne pense pas que je pourrais m’arrêter.
Malgré mon discours, mes mains s’enfoncent dans ses hanches et je dessine une ligne de baisers allant de son cou à la limite de son haut. Je suis le même chemin avec mon nez tout en mordillant chaque parcelle de son cou jusqu’à remonter l’arrière son oreille pour agripper son lobe.
- Ow…Owen. Je…
Elle gémit tout en se tortillant sous moi.
- Je crois que l’on devrait arrêter pour aujourd’hui, dit-elle en ayant du mal à articuler chaque syllabe.
Après quelques instants, je romps notre contact. Mon front se pose sur le sien tandis que nous sommes tous les deux haletants.