Chapitre 26 : Sous l'œil du serpent

Par Elly
Notes de l’auteur : Bonjour ! Une nouvelle fois, je m'excuse pour ces deux semaines d'absence, les partiels ont pris tout mon temps... Mais puisque c'est fini je devrais pouvoir être plus régulière !
Merci à ce qui sont toujours là, à lire et parfois à commenter !
Bonne lecture <3

  —  Camille, grouille-toi ! le pressa Thalion.
  —  J’ai presque fini !
  —  Bon sang, grommela-t-il, t’avais toute la soirée pour faire ça !


Couché dans son lit, Thalion se frotta les yeux, aussi bien fatigué par sa journée que par son colocataire. Ce dernier avait deux talents : la provocation et la procrastination. Des compétences qui avaient le don de mettre Thalion sur les nerfs. En l’occurrence, c’était la deuxième qui avait raison de lui. Camille n’était pas le genre d’élève à prendre de l’avance sur ses devoirs, au contraire. Il remettait tout à plus tard, jugeant avoir le temps de s’y mettre, jusqu’à se retrouver la veille de la date butoir. Il prétextait mieux travailler sous stress, mais la vérité était qu’il avait la flemme et préférait s’adonner à des activités plus intéressantes. La preuve : ce soir, il avait lu le tome deux de Il était une reine plutôt que de faire son devoir d’option à rendre pour demain. 


  —  Ce livre m’a pris en otage, je ne suis qu’une victime, se plaignit-il. 
  —  C’est nous qui sommes des victimes de ta faignantise, rétorqua Thalion. 


Il tourna la tête vers Nohan, également couché dans son lit. Ses petits yeux voilés par le sommeil n’attendaient qu’une chose : que la lumière s’éteigne. Il mit sa main devant sa bouche pour bâiller avant de violemment sursauter lorsque son regard s’attarda sur la fenêtre.


  —  Oh, par les dieux ! s’exclama-t-il en se redressant brusquement. 


Thalion comprit l’origine de sa frayeur en apercevant un œil jaune safran qui ressortait parfaitement dans la nuit noire. Aussi gros que la fenêtre, l’œil les fixait avec insistance, une fente noire reptilienne se figeant tour à tour sur les deux magériens. Un sifflement strident retentit. Leur « punition » pour avoir enfreint le couvre-feu et pénétré dans les sous-sols appréciait peu de les voir encore debout à cette heure-là.


  —  Camille, le serpent s’impatiente, le pressa Thalion.


Plutôt que de simplement les coller, Mme Luciphella avait eu la bonne idée de placer un de ses Nyctoplasmes sur Sombrécorce, probablement celui qui les avait filés à leur insu en se fondant dans la pénombre. Un serpent haut de pratiquement dix-huit mètres. Si Thalion n’en subissait pas les inconvénients, il aurait salué son génie. Le serpent surveillait leurs faits et gestes, mais également l’ensemble des arbres-maisons, veillant à ce qu’aucun élève n’ait un pied dehors après du couvre-feu. Tous les occupants des dortoirs avaient halluciné en découvrant, aux alentours de vingt-et-une heures, un gigantesque reptile noir aux reflets argentés entortillé autour de Sombrécorce. S’ils furent d’abord effrayés, ils se détendirent en apprenant que ce n’était rien de plus que la punition qui leur était infligée. Un message clair qui dissuadait toute désobéissance.
Nohan laissa tomber sa tête sur l’oreiller. 


  —  À ce rythme, il va réveiller les voisins. J’ai pas envie d’être une nouvelle fois victime de la colère d’Ayden. 
  —  Ne t’inquiète pas, le rassura Camille. Il a compris que s’il faisait de la merde, ça allait lui retomber dessus. 


Nohan soupira, le coin de ses lèvres retroussé malgré lui, et Thalion ne put réprimer un éclat de rire. 
Si Thalion, Nohan et Camille étaient les principaux destinataires de cette surveillance accrue, Sombrécorce accueillait deux autres élèves : Ayden et Maximilius qui subissaient malgré eux la punition. Thalion aurait donné cher pour voir l’expression d’Ayden en remarquant le serpent. Il avait seulement eu le plaisir d’entendre son hurlement. Restait à savoir si c’était de rage ou de peur. Quoi qu’il en soit, eux aussi profitaient des coups d’œil intempestifs de la créature à travers leur fenêtre et de ses sifflements lorsqu’ils tardaient à se coucher. Forcément, Ayden était furieux. Pour manifester sa rage, il avait déposé un tas de fumier sur le pas de leur porte. Rien de très original, il avait déjà fait le coup l’année dernière. Sauf que cette fois-ci, Camille n’était pas de son côté. Désireux de renvoyer le colis au propriétaire, il fit léviter les excréments, déboula dans la chambre d’Ayden qui achevait d’enfiler son uniforme et relâcha l’étron au-dessus de lui. Thalion était hilare à s’en rouler par terre. Nohan, choqué, et Camille ricanait, fier de lui. Ce fut accompagnés par les jurons de leur voisin qu’ils quittèrent Sombrécorce et entamèrent leur journée.  


  —  N’empêche, ce n’était pas malin de votre part. Ça ne fait que nourrir sa haine pour Thalion, remarqua Nohan.


Le maudit haussa les épaules. 


  —  Déjà, Camille a agi seul. Ensuite, Ayden ne s’est pas gêné pour me harceler et m’humilier en première année, ce n’est qu’un juste retour de flammes. 
  —  Et puis, s’il n’est pas content, qu’il vienne se plaindre en face de nous au lieu de nous faire son caca nerveux à distance, ajouta Camille. 


Thalion acquiesça, à la différence de Nohan qui se contenta de lâcher l’affaire. 


  —  Si vous le dites… Bon, Camille, tu utiliseras Nyctoculo pour travailler dans le noir…
  —  Attendez, mon analyse picturale…
  —  Bonne nuit, déclara fermement Thalion. 


Sur ces mots, il frappa des mains, et les plantes luminescentes perdirent leur éclat… qui se raviva lorsque Camille reproduisit le geste. Thalion râla.


  —  Tu veux vraiment jouer à ça, Camille ?
  —  Je peux applaudir toute la nuit s’il le faut. 
  —  C’est vrai que tu mérites d’être applaudi pour ta paresse. 


Thalion fut étonné du court silence qui suivit, s’attendant à une réplique cinglante, jusqu’à ce qu’un oreiller passe par-dessus la mezzanine et fonce sur lui. Par réflexe, il lança Prostia. L’oreiller rebondit contre le bouclier bleu et s’écrasa sur sa table de chevet, renversant tout ce qui se trouvait dessus. Un fracas retentit, achevé par un bruit de verre brisé. Thalion jura. 


  —  Camille, je vais te…


L’air devint soudainement plus pesant, comme si une énorme pression s’abattait sur Sombrécorce. Thalion se souvenait avoir expérimenté cette sensation étouffante près du Nyctoplasme-batracien. 
Le serpent perdait patience. 


  —  C’est bon, c’est bon, je finirai mon devoir demain matin, céda Camille. Laissez-moi juste aller aux toilettes. 


Il descendit l’échelle et entra dans les WC. Thalion profita de ce laps de temps pour ramasser ses affaires par terre. Son réveil, un paquet de mouchoir, un livre et… son cadre photo. Cassé.


  —  Mince, se désola Nohan en voyant les dégâts. Ne t’inquiète pas, ça devrait facilement se réparer avec la magie. 
  —  Je songe plutôt à récupérer les bouts de verres pour les faire manger à Camille.


Alors que Nohan essaya de deviner son degré de sérieux, Thalion ramassa parmi les bouts de verres éparpillés l’unique photo prise de ses parents et lui, peu de temps avant leur mort. Son regard s’éternisa sur le cliché. Thalion ressentit la saveur de l’amertume se diffuser dans sa bouche en observant l’insouciance qui se lisait sur son visage. À cet instant, ses parents devaient peaufiner le sort permettant à un humain d’utiliser la magie divine. Avaient-ils déjà prévu de faire de lui un réceptacle ? À quel point ce morceau de temps figé entre ces mains était une illusion ? 


  —  Thalion… il y a quelque chose d’écrit au dos de la photo, remarqua Nohan. 


Le maudit retourna l’image, et découvrit avec étonnement les mots inscrits sur la surface blanche. Le tracé était clair, sans le moindre tremblement trahissant une hésitation, ce qui permettait de décrypter aisément son sens. 


  —  « Magipellès Jumalion », lut Thalion.
  —  Cette configuration… ce n’est pas celle du sortilège-signature ? élucida Nohan. 


Thalion et lui échangèrent un regard, pris dans une discussion silencieuse. Le cœur de Thalion cognait dans sa cage thoracique. Il n’avait pas écrit ces mots et n’avait jamais sorti le cliché de son cadre. Quelqu’un d’autre l’avait fait. Son père, ou sa mère. Mais cette incantation lui était destinée puisque Thalion gardait précieusement la photo dans sa chambre depuis sa création. Sa mère étant la seule artiste. Quels souvenirs ses œuvres pouvaient  renfermer ? Était-ce en lien avec ce sortilège qui retenait Apocryphos ? Thalion tenait-il entre ces mains le moyen de mettre fin à son calvaire ?


  —  Ne nous emballons pas, tempéra Nohan avec prudence. Ne tirons pas de conclusions hâtives et attendons de voir ce qu’il en est. 


Thalion hocha la tête, prenant une grande inspiration. C’est vrai, rien n’assurait que ce soit lié à sa situation. Plusieurs raisons, autres qu’une menace, pouvaient expliquer que l’incantation soit dissimulée de la sorte. Peut-être que ses parents avaient simplement désiré qu’il soit le seul à avoir accès aux souvenirs des tableaux, des souvenirs sentimentaux et familiaux, ou bien voulaient-ils en faire une surprise, un héritage à découvrir ? Son père avait de drôles d’idées, parfois…


  —  Au moins, on sait quels sont nos plans pour les vacances de Yule, dit Thalion. 


Il reposa la photo sur sa table de nuit. Quelque peu secoué, il décida d’ouvrir la fenêtre pour aérer rapidement la chambre et respirer l’air frais avant de se coucher. Il eut à peine le temps de sentir une brise fraîche lui caresser les joues qu’une tête de serpent géante s’imposa à sa vue. Ses yeux jaunes le fixaient intensément, tel un prédateur guettant sa proie, et sa langue fourchue s’agitait. Un sifflement aigu perça le silence de la nuit, son attitude devenant de plus en plus menaçante. Il ouvrit sa gueule, dévoilant deux crochets pareils à des lames. Craignant que le serpent ne lui saute dessus, Thalion se dépêcha de fermer les fenêtres et de replonger dans son lit.


  —  Bon sang, il m’a fait peur ! rouspéta-t-il. Il a cru quoi ? Que j’allais fuguer ? 
  — Ce n’est pas ton genre de filer en pleine nuit, ironisa Nohan. 


Il étouffa son rire dans la couette devant la mine renfrognée de Thalion. Camille finit par sortir des toilettes. 


  —  Pas trop tôt, maugréa Thalion. 
  —  Désolé, le serpent m’a mis la pression, j’arrivais pas à pisser. 


L’épuisement eut raison de Nohan dont le rire redoubla. Thalion se contenta de soupirer avant de frapper dans ses mains pour éteindre la lumière. 

Plus tard dans la nuit, Thalion émergea des ténèbres du sommeil. Une brève satisfaction l’enveloppa. Une nuit sans cauchemar était une nuit de rêve. La chambre était envahie par un profond silence. À côté de lui, Nohan dormait à poings fermés, sa couette accompagnant le soulèvement de sa cage thoracique, rythmée par sa respiration calme et régulière. Thalion savourait ces quelques minutes qui étaient comme suspendues dans le temps au milieu de la nuit. Il appréciait la paix qui régnait dans cette obscurité éclaircie par la clarté des étoiles. Le serpent n’aimait pas que les rideaux soient fermés, obstruant sa surveillance, et cognait sa tête contre la fenêtre pour exprimer son mécontentement. Dormir dans cette pénombre clairsemée ne les dérangeait pas, mais une berceuse aussi pénible, si.
En pensant à la créature, Thalion jeta un coup d’œil à la vitre en s’attendant à croiser son œil jaune, mais il ne vit qu’un ciel étoilé englouti par quelques nuages. Il fronça les sourcils en se redressant. Le serpent ne dormait jamais et était à l’affut du moindre trouble de la nuit. Lors de ses insomnies, il n’était pas rare que Thalion sente son regard peser sur lui.
Malgré les picotements dans ses yeux qui l’appelaient à se rendormir, Thalion s’arracha de la chaleur de son lit pour en avoir le cœur net. Il ouvrit la fenêtre et… rien. Pas de serpent ni le moindre sifflement. Il n’y avait aucune trace du reptile autour de l’arbre. Loin de se réjouir de cette liberté retrouvée, l’incompréhension se mua en stress. Où était passé le Nyctoplasme ? Avait-il été appelé en renfort pour lutter contre un danger ? Ou avait-il disparu parce qu’il était arrivé quelque chose à sa créatrice, Mme Luciphella ?
Il observa les arbres-maisons assombris par la nuit. Toutes les chambres étaient éteintes, tout semblait figé. Thalion n’entendait pas une feuille frémir. C’était presque trop calme, mais rien d’anormal n’était à relever. 
Thalion baissa les yeux, pensif, puis repéra une masse sombre aux pieds de Sombrécorce. Était-ce le serpent ? Un mauvais pressentiment envahi Thalion. 


  —  Brillonui, murmura-t-il. 


Une sphère lumineuse naquit du creux de sa main. Elle lévita dans l’air jusqu’à ce que Thalion la fit descendre. Lorsque sa lumière s’approcha de la masse, il reconnut le corps longiligne du serpent. Il était étendu au sol, inerte. L’estomac noué par l’appréhension, Thalion fit longer la sphère le long du Nyctoplasme jusqu’à atteindre sa tête. Ou plutôt, l’absence de tête. Celle-ci avait disparu, comme si elle avait été arrachée.


  —  Mille milliards de gargouilles puantes, marmonna Thalion.
  —  Qu’est-ce que tu fiches…


Thalion sursauta en entendant la voix endormie de Camille. En se retournant, il l’aperçut debout, les cheveux en bataille, en train de se frotter les yeux. Horrifié par sa découverte, Thalion ne l’avait pas entendu se lever. 


  —  Camille, viens voir ! 


Le magérien fronça les sourcils devant son ton urgent et s’approcha de la fenêtre. 


  —  Oh, bon sang… Qu’est-ce qui s’est passé ?
  —  J’en sais rien… mais quelqu’un capable de venir à bout d’un Nyctoplasme se balade dans le coin.


Ce qui n’était pas bon signe du tout. D’autant qu’il était probable que ce soit un élève. Le serpent avait pour périmètre les dortoirs. Il était difficile de l’imaginer s’éloigner de Sombrécorce, son poste de contrôle. Il s’était donc confronté à une personne qui se trouvait dans sa zone. 


  — Aucun apprenti de l’académie n’a le niveau pour battre un Nyctoplasme, affirma Apocryphos, catégorique. Ces créatures sont capables de se régénérer tant que la nuit dure, et il faut détruire leur noyau pour les vaincre.  


Autrement dit, il fallait être particulièrement puissant. Ce serait donc un adulte, le responsable ? Un surveillant ou un professeur. Mais pourquoi serait-il passé près des dortoirs en sachant qu’un Nyctoplasme était présent, dans ce cas ?


  —  On fait quoi ? le questionna Camille. Moi, je suis incapable de me rendormir en sachant qu’un magérien potentiellement dangereux trafique quelque chose. Et si on ne fait rien, à tous les coups, on va nous accuser d’être les coupables. Surtout toi. 


Thalion partageait son avis, surtout qu’il devinait le but de l’individu. Après tout, il n’en était pas à son premier coup d’essai. Il avait déjà traversé la nuit et la surveillance des Nyctoplasme pour accomplir cet objectif qui nécessitait une certaine puissance magique. 


  —  Je sais ce que vise le magérien. Réveillons Nohan, il va m’en vouloir si on part sans lui. 
  —  Où va-t-on ? 
  —  À l’académie coincer le complice d’Eris. 
 

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