Chapitre 27 : Une fois, pas deux

Par Elly

Nohan saisit rapidement la situation en voyant le serpent mutilé étendu au sol. Un échange de regard suffit à Thalion pour comprendre que son ami pensait aussi que le tueur du Nyctoplasme était également celui qui affaiblissait l’arbre. Il savait qu'il était démasqué. S'il prenait le risque d'être découvert, ce n'était sans doute pas pour rien. À sa place, Thalion veillerait à ce que cette tentative soit la dernière pour ne plus avoir à se mettre en danger. Il craignait que le coupable ait eu la même idée.
Munis de leurs balais, les magériens volaient dans le ciel étoilé. Aucun d’eux n’avait pris le temps de s’habiller chaudement. Ils ne portaient que leur pyjama d’hiver et leur veste qui ne les protégeait pas de la morsure glaciale de l'air. La nuit en novembre était impitoyable. Thalion resserra ses mains rougies autour du manche de Zéphire. Ces oreilles et son nez étaient anesthésiés par le froid. Toutefois, ce n’était pas assez pour réfréner leur volonté de protéger l’arbre d'un nouvel assaut. 


  —  En gros, Eris a un complice qui a affaibli l’Arbre-monde avec une malédiction, raison pour laquelle elle a pu joindre Corvus par ses rêves. Corvus a soigné l’arbre mais le complice récidive et semble très déterminé, résuma Camille. C’est ça ?


Nohan acquiesça. Il avait brièvement expliqué au magérien les principaux éléments de l'affaire pour qu’il ne soit pas perdu. Même dans l’ignorance, il les aurait suivis sans broncher, mais en savoir plus sur le contexte permettait aussi de mieux réagir et de ne pas se laisser surprendre.
Camille siffla, admiratif.


  —  Soigner l’Arbre-monde, rien que ça… J’imagine que je ne saurais pas comment tu fais ça ?
  —  Eh bien... 


Outre leur passé épineux qui ne favorisait pas la confiance, Thalion n’était pas pressé de lui dire la vérité. Camille comprendrait bien des choses, à commencer par son utilisation tardive de la baguette, mais c’était tellement… gros. Ce n'était pas rien, un dieu enfermé en lui. Et puis, cela nécessitait de partager son histoire personnelle, celle de sa famille… et le fait que la mort le guettait, dans tous les sens du terme. Ce n’était pas le genre de chose qu’on expliquait assis sur son balai, sur le point de se confronter à quelqu’un de visiblement dangereux. Cependant, Camille avait évolué. Leur relation. Même en sachant tout, il était probable que rien ne change pour son colocataire, à part sa compréhension de la situation.  
Camille sembla comprendre ses réticences car il n’insista pas. 


  —  Sinon, pour l’araignée qui garde l’entrée…
  —  Si le complice est passé avant nous, on ne devrait pas avoir à s’en faire… supposa Nohan, l’air sombre.


Les trois magériens se précipitèrent à l’académie, se contentant de laisser leurs balais devant la porte. Avec appréhension, ils pénétrèrent dans le hall d’entrée, leur vue ensorcelée pour voir dans le noir, prêts à se battre contre des mandibules géantes. Ils tombèrent sur le corps inerte de l’araignée. Ses huit pattes étaient recroquevillées et ses multiples yeux jaunes étaient ternes. Seule la moitié de son visage était intact. Nohan avait vu juste. 
Thalion s’approcha prudemment de la dépouille, comme s’il craignait que la créature reprenne subitement vie. On aurait dit que la partie disparue avait été arrachée. En observant de plus près, il constata que l’aspect de la peau lui rappelait celui du charbon. La couleur, aussi. Pour en avoir le cœur net, Thalion tâta de ses mains gantées le bord du visage encore présent. La texture était celle du bois brûlé. Il voulut en arracher un morceau mais la surface se désagrégea entre ses doigts. 


  —  Je ne pense pas me tromper en supposant que le complice sait manier le feu…
  —  C’est suffisant pour en venir à bout ? s’étonna Camille. Si j’avais su…
  —  Contrairement à toi, le complice doit maîtriser les sortilèges pyrotechniques à un haut niveau pour y parvenir, le reprit Nohan.


D’ailleurs, Thalion se souvenait avoir aperçu une trace de brûlure sur l’entrée de l’Arbre-monde. 


  —  Un feu capable de vaincre un Nyctoplasme et de marquer l’Arbre-monde… marmonna Apocryphos.


Thalion fronça les sourcils. 


  —  Tu penses qu’il utilise un feu spécial ? 
  —  C’est possible, mais j’espère me tromper.


Thalion et Nohan échangèrent un regard. Quand le dieu de la mort espérait se tromper, c’était mauvais signe. 


  —  Pourquoi est-ce que je me sens exclu d’une conversation ? se plaignit Camille. 
  —  Parce que tu l’es, assura Thalion avant de se mettre en marche.


En silence, ils migrèrent vers l’entrée de l’Arbre-monde, guidés par Thalion. Il avait fait le chemin plusieurs fois, mais dans l’obscurité, les couloirs paraissaient différents. Il craignait de croiser un Nyctoplasme que le complice n’avait pas affronté, ou des surveillants. Il comprit rapidement qu’il n’avait pas à s’en faire en tombant sur le cadavre du crapaud qui les avait poursuivis. Certaines de ses pattes étaient devenues cendre, à l’image de sa langue qui n’était plus qu’un morceau de chair grise trouée. Elle pendait de sa bouche, qui était la seule chose restante de son visage. Plus loin gisait ce qui s’apparentait à une tête noires aux reflets argentés dotés de yeux jaunes. C'était probablement celle d’un Nyctoplasme jamais rencontré. Son crâne mou et allongé ainsi que l’unique tentacule qui y était rattaché les laissa penser qu’il s’agissait d’un poulpe. 
Leur sang se glaça lorsqu’ils découvrirent le corps d’un humain étendu au sol. En prenant son pouls, ils réalisèrent qu’ils n’avaient pas un cadavre à leurs pieds, juste un homme inconscient. Un surveillant. D’autres corps inertes se succédèrent, tous vivants. Le complice semblait rechigner à tuer des humains. 
 Face à cette hécatombe, les magériens ne prirent pas la peine de se rendre invisibles pour plus de discrétion. C’était inutile. Le complice n’avait pas cherché à être discret et avait attiré à lui tous les obstacles qui auraient pu se dresser sur leur passage. 


  —  J’ai l’impression que le complice compte bien tout miser sur ce coup, dit Nohan. 


Thalion devina l'hésitation de Nohan à continuer. Il serait sans doute plus prudent d’aller prévenir Mme Luciphella, mais Thalion craignait de laisser le temps au complice d’agir en allant la chercher. 
Ils arrivèrent devant la porte menant à l’entrée de l’Arbre-monde. Thalion actionna la poignée. Il s’attendait à tout, sauf à découvrir Aglaé, en pyjama, debout devant l’entrée ouverte de l’Arbre-monde. 


  —  Aglaé ? s’étonna-t-il. 


La magérienne se retourna. Ses yeux s’écarquillèrent en les voyant pénétrer dans la pièce. 


  —  Qu’est-ce que vous faites ici ? 
  —  On te retourne la question, riposta Camille avec agressivité. 


Un air ahuri se peignit sur le visage de la jeune fille.


  —  Attendez… Vous n’imaginez tout de même pas que c’est moi qui affaiblis l’arbre ?
  —  On te trouve devant l’entrée après avoir enjambé des corps dans le couloir. T’es quand même vachement suspecte. 
  —  Ils étaient déjà là quand je suis arrivée ! Pareille pour l’entrée. Et puis, quel intérêt j’aurais à affaiblir ce qui ralentit la maladie de ma mère ? 


Thalion fixa la magérienne, pensif. Elle aurait pu jouer la comédie lorsqu’elle l’avait découvert en train de soigner l’arbre, feignant la surprise et la suspicion pour cacher son mécontentement en constatant la malédiction repérée, mais ça n’aurait aucun sens qu’elle nuise à l’arbre en sachant que ça impacterait la santé de sa mère. 


  —  Ça serait effectivement étrange… reconnut Thalion. 


Si Aglaé était innocente, cela signifiait que le coupable était déjà à l’intérieur de l’arbre.


  —  Je te l’ai dit, que je ferai tout pour coincer le coupable, affirma-t-elle, donc me voilà.


Thalion soupira. Heureusement qu'il l'avait avertie de ne pas agir seule...


  —  Comment avez-vous compris en voyant le serpent mort ? les questionna-t-elle.
  —  Oui, acquiesça Nohan. Toi aussi ?


La mine d’Aglaé s’assombrit. 


  —  Non. C’est parce que j’ai découvert qui était la personne qui s’en prenait à l’arbre. 
  —  Quoi ? s’exclamèrent-ils.


Comment avait-elle su ? Qui était le coupable ? Ces questions muettes qui défilaient dans leurs regards stupéfaits ne tardèrent pas à obtenir une réponse. Aglaé baissa les yeux en déglutissant, comme si elle regrettait déjà les mots qui s’apprêtaient à franchir ses lèvres. 


  —  C’est… Cally. La coupable est Cally. 


Thalion avait l’impression qu’un orage venait d’éclater tant le silence lui parut assourdissant. Son regard était braqué sur Aglaé, sans vraiment la voir. Il ne sentait plus son corps engourdi par le choc, à l’image de son cœur. S’était-il éteint ? Les mots d’Aglaé tournaient en boucle dans son cerveau sans que Thalion parvienne à en comprendre le sens. Ou plutôt, il le refusait.
Nohan rigola nerveusement.


  —  Cally ? C’est impossible. Jamais elle ne s’associerait à Eris après ce qu’elle a fait. Qu’est-ce qui te fait dire ça ?


Les tremblements de sa voix trahissaient l’émotion qui le secouait. Les fondations de ses certitudes qui chancelaient. Thalion aussi ne supporterait pas une nouvelle trahison. 
Le visage d’Aglaé était crispé par la déception. 


  —  Et pourtant… Quand je me suis réveillée à cause des ronflements d’Ema, je me suis rendu compte que le lit de Cally, à côté du mien, était vide. J’ai pensé que vous enfreignez le règlement ensemble, une fois de plus, mais j’ai entendu un bruit sourd dehors.  J’ai ouvert les rideaux et je l’ai vue… J’ai vu Cally s’envoler après avoir brûlé la tête du serpent.
Le visage d’Aglaé se durcit, comme pour faire barrage aux larmes qui embuaient ses yeux. Elle était aussi ébranlée qu’eux par cette découverte. Même Camille paraissait désolé. Thalion prit sa tête entre ses mains avec le sentiment d’avoir avalé de l’acide et que son estomac se dissolvait. Cally… une traîtresse ? Il ne pouvait pas le croire. Il refusait d’y croire tant qu’il ne l’avait pas vu de ses propres yeux. 
Aglaé renifla.


  —  Et ce n’est pas tout. Ses flammes… Ses flammes étaient…
  —  Les gars… C’est moi ou ça sent le cramé ? remarqua Camille. 


Thalion renifla l’air, imité par Nohan et Aglaé. En effet, une odeur de bois brûlé était perceptible. D’abord confus, l’effroi les saisit en prenant conscience que cette odeur ne provenait pas de nulle part et qu’une experte en sortilège de feu était présente à l’intérieur de l’arbre.
Aglaé fut la première à s’élancer. Thalion fonça à son tour à l’intérieur, talonné par Nohan et Camille. L’odeur de brûlé devint omniprésente dans l’air au point d’en être étouffante. Thalion toussa, puis se mit à suer. Pas à cause de la peur mais de la chaleur qui s’intensifiait à mesure qu’ils approchaient de l’immense cavité de l’arbre. Lorsqu’ils y parvinrent, un affreux spectacle se présenta à eux.
Des flammes rouge sang qui dansaient devant eux.
Elles étaient partout, rampant aux murs et dévorant chaque millimètre de l’écorce. Le bois craquait comme s’il appelait à l’aide, et les flammes s’agitaient de plus belle, l’air de se moquer. La chaleur était écrasante. Thalion avait l’impression d’être dans une fournaise, mais il ne prit pas la peine d’essuyer ses mains moites. Sa seule pensée était de trouver un moyen d’éteindre l’incendie. Sauf que ce feu n’avait rien d’ordinaire.
La voix étranglée de Nohan le lui confirma.


  —  Leur couleur… Ce n’est pas celle des flammes provenant des démons ? 
  —  C’est ce que je voulais vous dire… gémit Aglaé, épouvantée par cette mer de feu. 


Pas étonnant qu’Apocryphos espérait se tromper et que les Nyctoplasmes avaient succombé. En y réfléchissant, ça faisait sens. L’arbre monde était un arbre né du sang des dieux. Son écorce était d’une solidité exceptionnelle. Si une chose pouvait l’atteindre, c’était bien les flammes des plus grands ennemis des Immortels. 
Thalion jura avant de se remettre à tousser. Ses yeux lui piquaient et sa gorge était sèche. Si l’odeur s’attaquait à son odorat, la fumée s'en prenait à ses poumons.
Aglaé regardait partout autour d’elle, complètement désemparée. 


  —  Il faut faire quelque chose ! L’arbre… Il va…
  —  Ce sont des flammes démoniaques ! Aucun de nos sortilèges aquatiques n’a le niveau pour les éteindre ! s’étrangla Camille. 


Ces flammes donnaient du fil à retordre aux plus grands magériens. Ce n’était pas pour rien qu’elles étaient redoutées. Leur condition d'obtention et leur origine les rendaient particulièrement coriaces et destructrices, réduisant en cendre tout ce qu’elles touchaient, même de bois mythique de l'Arbre-monde.
Désespérée, Aglaé lança malgré tout son plus puissant jet d’eau sur une flamme à proximité. Hélas, le liquide devint vapeur avant même d’avoir pu l’atteindre. Même si ça avait été efficace, se serait insuffisant pour éteindre l'incendie. Ils étaient complètement dépassés. 


  —  Votre magie de mortel ne fait pas le poids, intervint Apocryphos. Mais toi, tu sais que tu peux faire quelque chose. 


Le cœur de Thalion tambourinait dans sa poitrine à une vitesse affolante. Il essuya d’un revers de la main la sueur qui perlait son front. L’urgence de la situation le poussait à agir, mais la peur le freinait. Manipuler la magie divine n’était pas sans danger. Il y avait une différence de taille entre soigner un arbre de manière progressive et contrôlée, et annihiler d’un seul coup un brasier. L’effort n’était pas le même. Il redoutait les effets sur lui en effectuant pour la première fois un sort de cette envergure.


  —  C’est pour ça que j’ai insisté pour que tu t’entraînes. Pour que tu puisses encaisser et utiliser la magie divine en cas de besoin. Tu as les moyens pour réussir un sort. Il faut que tu le fasses, ou l’arbre ne va pas tenir le coup.


Si l’arbre était détruit, ce n’était pas seulement la mère d’Aglaé qui en pâtirait ou lui qui serait à la merci de l'Enfant Sanglant, c’était le monde entier. La porte du royaume des démons se trouvait au cœur de l’arbre. Pour qu’elle reste fermée, Thalion n’avait pas d’autre choix que de passer à l’action.
Il croisa le regard de Nohan. Ce dernier le fixa, l’air grave, avant d’acquiescer. Lui aussi ne voyait pas d’autre solution.
Thalion s’avança, tremblant. Il sentait dans son dos le regard plein d’incompréhension de Camille et Aglaé, ainsi que l’appréhension de Nohan s’ajouter à la sienne. 


  —  Souviens-toi, plus tu fais simple, moins tu prends de risque. Si tu lies ton sort à la mort, ma spécialité, ce sera encore plus rapide et efficace.


Au milieu de ces flammes qui paraissaient immenses au point de l’engloutir, Thalion avait l’impression de fondre. Une impression qui ne lui rappelait pas de bons souvenirs. Contrairement aux entraînements, les conditions étaient loin d’être idéales. Néanmoins, Thalion prit une profonde inspiration – mauvaise idée, il toussa – puis, à défaut d’être prêt physiquement et mentalement, il prononça l’ordre en runes avec autant d’assurance que possible. 


  —  « Flammes, mourrez ! ».


Pendant une fraction, tout se figea autour de lui. Ce fut si court que Thalion crut halluciner. Puis les flammes rugirent tandis que leur couleur rouge sang se teintait d’or. Dans une ultime tentative de repousser la magie divine, elles grossirent, s’agitant sauvagement tel un animal se débattant contre l’emprise de la mort. Devenues aussi lumineuses qu’un soleil, elles poussèrent un dernier cri d’agonie à travers de féroces crépitements avant de s’évanouir dans l’air. Thalion aurait dû se réjouir d’être parvenu à utiliser la magie d’Apocryphos et d’avoir sauvé l’arbre, mais il ne le pouvait pas. Il ne réalisa même pas que l’éclat des flammes avait disparu et que le silence régnait. La seule chose à laquelle il pensait était la douleur qui irradiait de tout son être. Chaque centimètre de peau brûlait comme si on avait renversé de l’eau bouillante dessus. Les pulsations de son crâne étaient insupportables. Il tomba à genoux en se tenant la gorge. Il aurait aimé crier pour signaler sa détresse, mais il était incapable de prendre une inspiration. Son corps était paralysé. Il suffoquait. 
Thalion s’écroula. Le néant l’engloutit. Ses oreilles percevaient la panique de ses amis sans réussir à assimiler leurs paroles. Il n’était rien d’autre qu’un esprit vagabondant dans les ténèbres. Il se serait laissé sombrer si la voix paniquée d’Apocryphos n’avait pas agi comme électrochoc.


  —  Mortel, respire ! RESPIRE ! Par pitié…


Comme si son corps se rappelait soudainement de cette fonction vitale, Thalion sentit la fraîcheur de la vie emplir ses poumons. L’oxygène avait le goût du paradis. 
Sa vue s’éclaircit. Il avait été retourné sur le dos. Aglaé faisait les cent pas près de Camille qui semblait dépassé par les évènements tandis que Nohan prenait son pouls. Le soulagement illumina son visage en le voyant papillonner des yeux.


  —  Thalion ? Les dieux soient loués, tu as repris connaissance ! Tu m’entends bien ? Comment tu te sens ?


Aglaé et Camille se précipitèrent vers lui. Hagard, Thalion dévisagea Nohan au front plissé par l’inquiétude. 


  —  Plus jamais… Plus jamais je ne veux refaire ça… gémit-il d’une voix rauque.
  —  Je conviens que c’est un tantinet traumatisant… reconnut l’Immortel. Je croyais en toi mais tu m’as fait peur, à la fin. J’ai sous-estimé l’impact sur le corps humain. 


Thalion ne pouvait pas en vouloir au dieu. Il était le premier mortel à manipuler la magie divine, il était difficile d’estimer les conséquences en fonction des usages. Malgré tout, il espérait du fond du cœur ne jamais avoir à retenter un enchantement pareil. Les sorts de soin étaient la seule exception car c’était utile et moins dangereux. D’ailleurs, si ses entraînements en soignant l’arbre l’avaient rendu plus résistant à la magie divine, dans quel était aurait-il fini s’il ne s’était jamais exercé ?
Thalion geignit en se redressant. Il déglutit pour humidifier sa gorge desséchée, mais il eut la sensation d’avaler des cailloux. Son regard explora rapidement les alentours illuminés par la lueur des quelques lianes scintillantes qui avait survécu. L’écorce, auparavant chatoyante, avait perdu son éclat et présentait des cicatrices qui le marqueraient sans doute pour toujours. 
Le jeune homme n’osa pas relever ses manches ou retirer ses gants pour constater l’état de sa peau. Le déni lui convenait. Mais Nohan n’était pas du même avis.


  —  Montre tes blessures, il faut te soigner. 
  —  On n’a pas le temps pour ça ! s’exclama Aglaé. Il faut arrêter Cally.


S’il n'avait pas été si mal en point, Thalion se serait étonné du comportement de la magérienne, elle qui était la première à fournir des soins. Mais il comprenait son empressement. Sauver l’arbre, c’était sauver sa mère, donc sa priorité. 
Nohan se releva. De la colère étincelait dans ses yeux bleus. 


  —  Aglaé, je sais qu’il est urgent de l’arrêter, mais là, la situation est plus grave. Il n’était pas prévu que le complice d’Eris maîtrise les flammes démoniaques, et donc, qu’il soit certainement possédé par un démon. On doit aller prévenir Mme Luciphella.


Aglaé ouvrit la bouche pour répliquer, mais Camille la devança. 


  —  Je suis d’accord avec lui. Je ne m’attarderai pas sur ce que Corvus a fait car ce n’est pas le moment, mais je vois bien dans quel état ça l’a mit. Il ne pourra pas recommencer, et nous, nous ne faisons pas le poids. Je suis le premier à foncer sans réfléchir, mais là, c’est foncer vers la mort. Mourir pour rien ne m’intéresse pas.
  —  Mais le temps que les profs interviennent, il sera trop tard ! s’affola-t-elle. Écoutez, Cally n’a pas tué les surveillants, elle ne nous…
  —  On ne pensait pas Eris capable de meurtre, et pourtant, Roxy est morte, cracha-t-il. 


Aglaé ne trouva rien à y répondre. Elle serra des dents, les poings serrés. Thalion crut qu’elle allait se mettre à pleurer. Finalement, elle courut vers le tunnel menant au cœur de l’arbre. 


  —  Aglaé, reviens ! lui intima Nohan.
  —  Pour moi, protéger ma mère, ce n’est pas mourir pour rien !


Thalion chancela en se remettant debout. Il se sentait faible, mais tenir sur ses jambes n’était pas un problème. 


  —  Ça va aller ? demanda Nohan qui ne savait plus ce qui devait l’inquiéter le plus entre lui et Aglaé. 
  —  Oui. Tant pis pour les profs, rattrapons-là. 
  —  Si on m’avait dit un jour qu’Aglaé foncerait tête baissée vers le danger… marmonna Camille.


Thalion n’était pas sûr que ça plairait à Rosalyne d’apprendre que sa fille avait mis sa vie en jeu pour elle. 
Ils se dépêchèrent de rejoindre la magérienne, cavalant à travers la galerie creusée dans le bois. Quand ils arrivèrent au bout, ils furent soulagés de constater qu’Aglaé était saine et sauve.
L’apaisement de Thalion fut de courte durée en apercevant la personne qui se tenait près du cœur de l’arbre, la porte du royaume des démons. Cally avait bel et bien apposé et entretenu la malédiction. Sa présence ici était une preuve accablante, ainsi que sa main sanguinolente dont le sang dégoulinant lui avait servi pour tracer un nouveau sortilège sur le mur. Thalion crut que son cœur venait de se faire arracher tant cette vision lui était insupportable. Il recula en secouant la tête, son cerveau refusant d’accepter cette nouvelle trahison. De voir ses peurs se confirmer, une fois de plus. Puis un élément sur son visage retint l’attention de Thalion, qui chamboula sa perspective de la situation. 
Cally se tenait debout, devant eux, avec des yeux rouges, identiques à ceux des vampires manipulés par Eris. 
Au final, Cally était bien possédée par un démon. Un démon qui avait des cheveux roux et un rire espiègle.
 

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