Chapitre 26 - Une goutte de sang suffit

Notes de l’auteur : Il s'agit ici de la seconde version de chuchotement que je souhaite vous présenter ! Se voulant plus dynamique et poignant (je l'espère) dés le début du récit, anciens ou nouveaux lecteurs, je compte sur vos commentaires :)

 

Mes oreilles bourdonnaient comme si un essaim d’abeilles venait de se glisser dans ma tête. Ouvrant péniblement les yeux, je n’aurais su dire combien de temps j’étais restée inconsciente. Les muscles meurtris, j’étais allongée sur le dos, dans le noir, et mes sens semblaient incapables de fonctionner. La panique me gagnait petit à petit, quand un souffle chaud sur ma joue effaça toutes mes craintes. L’odeur des écuries m’enivra. Les bruits feutrés de la paille chamaillée chantaient à mes oreilles. Je me redressai de mon lit de fourrage, qui chatouillait mon dos, et ne pus retenir un petit cri de douleur quand mon corps fut saisi par une lente sensation de brûlure. C’était comme si un troupeau de bœufs venait de me piétiner…

L’esprit tourmenté, je me remémorai la journée de la veille, et songeai à la pauvre Adélaïde que je n’avais pas su sauver, au conseiller Melchior pressé contre mon dos, ainsi qu’à Alaric qui avait fui lorsqu’il m’avait aperçue. Mes souvenirs de la Salle du Conseil étaient quant à eux très flous, et je n’avais aucune idée de la manière dont je m’étais retrouvée dans les écuries. La main posée contre ma poitrine, mes doigts rencontrèrent l’épaisseur du portrait roulé en parchemin. Soulagée, je réalisai avoir au moins réussi à tenir cette promesse-ci.

Shangaï, dans mon dos, vint emmêler mes cheveux de sa lèvre supérieure, et adoucit mon humeur, pourtant non loin de la crise de larmes. D’une main levée, je caressai avec affection sa joue massive.

— Il n’y a plus rien à faire…

Mon animal totem ne semblait cependant pas de cet avis. Faisant vibrer notre lien, il se glissa dans mes pensées, et exhuma certains de mes souvenirs. « Boum boum, boum, boum boum ». Rosalie m’observait et ce sentiment qu’elle ne me disait pas toute la vérité m’envahit à nouveau, quand une voix résonna dans mon esprit : « La généalogie ne saurait se tromper. Lui n’a pas hérité de la faveur, mais tous ses pères avant lui la possédaient. Regardez ici, cela s’est déjà produit… Elle a disparu pour finalement réapparaître. ». Shangaï me remémora alors les paroles de la princesse Oupset : « La faveur vous a donc choisie vous, et non votre Roi ».

Les souvenirs défilaient en moi pour former un dessin, que jamais je n’aurais pu esquisser seule. Le craquement sonore de la bague de la Reine contre ma pommette envahit mon crâne, quand la voix de Rosalie monta en moi : « Vous fussiez gardée secrète jusqu’à la mise au monde d’Adélaïde » ; « C’est un homme controversé, qui a cependant toujours eu une grande affection pour vous. ».

Ne voulant pas y croire, je tentai de repousser Shangaï qui continua pourtant de fouiller en ma mémoire. L’oiseau au plumage coloré des visions d’Iris brillait dans mon esprit, et je réalisai l’avoir déjà croisé dans la Cité Rocheuse, derrière la vitre de cet étrange commerce, alors que la voix d’Alphonse m’éclaira : « C’est le commerce de mon ami, monsieur Velamille! ». « Monsieur Velamille, dont l’oiseau possède le don singulier de créer des objets fort particuliers! » continua de se rappeler à moi la voix du chuchoteur, tandis que sous mes yeux la poignée ronde gravée de la Montagne apparut. Ce furent les paroles d’Éloi qui vinrent mettre un terme aux explorations mentales de mon animal totem : « Vous qui êtes une chuchoteuse, vous devriez pourtant reconnaître la finesse du travail du vieux Velamille! ».

Toujours assise dans la paille, ma main retomba de la joue de Shangaï. Il m’était impossible de croire que ma vie tout entière n’était qu’un tissu de mensonges. Le regard brillant, je scrutai mon étalon, et lus dans ses yeux une certitude qui me terrifia.

— Je dois parler à monsieur Velamille… Je dois comprendre.

Sans même l’y avoir invité, Shangaï quitta son box à ma suite, et fit résonner de ses pas les écuries, alors que le soleil matinal inondait l’esplanade. Mon cœur cognait à tout rompre dans ma poitrine, et je crus qu’il allait transpercer ma peau, quand au bout de l’allée la silhouette d’Alaric se dessina.

— Sybil…

Avec de la paille dans ma stupide robe, ainsi que dans mes cheveux, ma respiration saccadée et les traits de mon visage tirés par la peur, je n’osais penser à l’image que je renvoyais. Mais quand le regard d’Alaric se posa sur moi, je n’y trouvai aucune trace de mépris ou de dégoût. Un océan de compassion m’engloba, m’attirant dans ses bras avant d’attiser les larmes qui ne cherchaient qu’à poindre depuis mon réveil.

— Alaric, articulai-je en un souffle, je suis désolée. J’aurais dû avoir confiance en toi et tout te dire. Je… Je ne serais jamais partie sans te faire mes adieux, je veux que tu le saches.

Enlacée par la chaleur de ses bras, je m’apprêtais à lui parler de ce que Shangaï avait interprété et de l’homme que je me préparais à rencontrer quand l’écuyer prit les devants :

— J’voulais te voir.

Surprise par le timbre de sa voix, je m’écartais soudain gênée par notre proximité. Alaric saisit l’une de mes mains avec délicatesse.

— J’ai réfléchi à notre précédente conversation. Tu m’as dit que pour Shangaï et toi… Ce lien qui vous unit… Tu m’as décrit l’avoir toujours senti au fond d’toi, sans jamais le saisir. Ce lien, il a fallu qu’il te soit défini.

— En quelque sorte, acquiesçai-je, sans comprendre ce qu’il essayait de me dire.

— Je crois que… Notre situation est identique.

— Quelle situa…

Avant même que je ne puisse finir ma phrase, Alaric saisit mes hanches d’une main et ma nuque de l’autre. Serré contre mon corps, il déposa délicatement ses lèvres sur les miennes, et m’offrit mon premier baiser. À cet instant ma confusion ne me donna pas la force de le repousser. Je m’abandonnai quelques secondes, profitant de la douceur de ce moment. Ses bras se firent plus fermes contre moi et son baiser plus pressant. Ce qui avait pu me sembler réconfortant au départ se mua rapidement en erreur.

J’aimais beaucoup Alaric, mais son contact, aussi agréable soit-il, me procurait un sentiment incomplet. Alors que ses lèvres embrassaient les miennes toujours plus intensément, j’aurais souhaité que ce baiser ne soit jamais donné. Je n’osais cependant pas y mettre un terme, je restai paralysée, inquiétée par ce qu’il se passerait ensuite. Pas de retour en arrière possible cette fois. Il ne me pardonnerait pas.

Comme pour donner raison à mes craintes, Alaric détacha ses lèvres des miennes très doucement, appuya son front contre le mien et souffla :

— Ne pars pas.

Comment lui dire que je n’avais jamais, de toute ma vie, autant souhaité quitter cette Montagne ? M’écartant de lui, je me rapprochai de Shangaï qui vint se placer en avant.

— Les choses sont tellement… Compliquées.

Il fit quelques pas dans ma direction, puis s’arrêta net et se frotta le visage nerveusement. Shangaï ne bougea pas d’une oreille, mais je pouvais sentir la tension qui montait en lui.

— Parce que t’es une chuchoteuse, c’est ça ? Quand vas-tu comprendre que tout ceci n’est qu’une erreur ?

— Pardon ?

— Mais enfin Sybil ! Ouvre les yeux ! haussa-t-il le ton. Tu fais partie des domestiques et t’es une femme qui plus est…

— Comment peux-tu dire une tel…

— Sybil, tu fais simplement pas partie de leur monde, continua-t-il l’air désespéré. Tous les chuchoteurs viennent d’une famille noble et ce sont TOUS des hommes. Comment tu peux croire déroger à cette règle ?

Tandis qu’Alaric crachait sa vérité, mon étalon s’imposa à nouveau dans mon esprit. Dans le souvenir dont il me rendit soudain témoin, le conseiller Melchior et Alaric semblaient avoir une conversation animée à quelques pas de mon box : « Faites-lui comprendre que cet homme se moque d’elle. Elle n’aura jamais sa place parmi les chuchoteurs… C’est à vos côtés qu’elle devrait être. », lui affirmait le conseiller.

— Le conseiller Melchior t’utilise contre moi !

— Tu t’trompes, c’est ce monsieur Arcane qui te manipule ! cria-t-il.

L’entendre énoncer à haute voix ce que je redoutais à propos de mon précepteur me mit en colère, et l’attitude de mon étalon changea à la même allure que mon humeur. Ses muscles se gonflèrent tandis que ses naseaux se pincèrent. Alaric voulut se rapprocher, mais un sentiment de révulsion s’empara de moi et s’exprima dans la gestuelle de Shangaï qui s’interposa, oreilles plaquées en arrière, mâchoire menaçante. L’écuyer recula le teint blême, sa colère était passée.

— Quand vas-tu comprendre que tu m’aimes ?

— Je ne t’aime pas, chuchotai-je, comme si le fait de les dire à voix basse atténuerait la portée de ces mots.

Les bras d’Alaric retombèrent mollement le long de son corps élancé. Sa chevelure cuivrée aux reflets habituellement si intenses, sembla se faner et ses yeux verts perdirent de leur pétillant. Son expression de douleur ouvrit en moi une plaie de plus. Je voulais aller le réconforter, mais une force m’en empêcha vissant mes pieds au sol et m’intimait de ne pas bouger. L’influence de Shangaï devenait de plus en plus intense à mesure que mes émotions étaient vives.

— Tu es mon ami Alaric, pus-je simplement dire.

— Je veux pas d’une amie, répondit-il, les yeux désolés. Adieu, Sybil.

Il sortit de mon champ de vison d’un pas lent et traînant, qui m’avait paru tellement inhabituel quelques semaines plus tôt, et depuis peu si familier. Le joyeux et sautillant Alaric qui m’avait accompagnée toute mon enfance avait disparu pour de bon.

 

~

 

Les galeries qui menaient à la Cité Rocheuse étaient vides. Seuls quelques travailleurs de nuit croisaient notre route, et tous semblaient bien trop fatigués pour nous remarquer, Shangaï et moi. La Place Kentró était dénuée de toute vie, nous permettant d’observer combien elle était rendue vaste, une fois privée de sa foule habituelle. Les sabots de Shangaï claquaient la roche, et faisaient résonner leur chant à l’infini sous ce dôme immense.

Nous retrouvâmes sans mal la boutique à la devanture verte et sale… Tandis que nous approchions, je pus deviner l’inscription, autrefois dorée et presque effacée, qui ornait la façade : « Une Goutte de Sang Suffit ». Mon visage collé contre le carreau crasseux de la porte, je ne discernais pas grand-chose tant l’endroit était lugubre et encombré. Après avoir inspiré une grande bouffée d’air, j’abattis à trois reprises mon poing sur la porte vitrée. Aucune réponse ne se fit entendre. Réitérant mon geste à plusieurs reprises, je finis par tambouriner à la porte lorsque finalement un pépiement retentit.

Une masse sombre et voûtée s’approcha alors avec lenteur. D’un geste de la main, de haut en bas, la silhouette actionna les nombreux verrous de l’entrée, qui cliquetèrent tous de concert. Entrebâillée, l’ouverture laissa apparaître un homme âgé courbé en deux, et au crâne dégarni. Sur son nez imposant, d’épaisses lunettes faisaient ressortir ses yeux comme ceux d’un crapaud. Son châle mité, qui cachait son pyjama à carreaux, me fit comprendre que je venais de le réveiller. L’air surpris, le vieil homme nous observa à tour de rôle, mon totem et moi.

— Qui êtes-vous ? Pourquoi me dérangez-vous à cette heure ?

— Bonjour, monsieur Velamille. Je suis Sybil et voilà Shangaï, mon animal totem. Je suis navrée de vous déranger, mais tout ceci est très urgent. J’ai des questions à vous poser…

— Oh, vous êtes la dernière recrue d’Alphonse, devina-t-il. Cela ne peut-il pas attendre ?

— C’est urgent… S’il vous plaît, l’implorai-je avec impatience en plaquant une main inquisitrice sur sa porte.

L’homme continua de me scruter au travers ses grosses loupes, et cligna des yeux à plusieurs reprises. L’oiseau que j’avais observé la première fois derrière la vitrine se fit encore entendre, et apparut finalement en sautant de tables en objets biscornus.

— Bizarre, coassa-t-il tout à coup. Tôt… Pour une commande !

— Chut, s’agaça le vieil homme. Entrez.

Je m’engouffrai dans l’entrebâillement, quand à ma suite mon étalon força le passage et bouscula la porte, qui fit tinter une petite cloche. L’homme, resté derrière le carreau, fut plaqué contre une armoire remplie d’horloges, et poussa un cri de stupeur avant de pester :

— Mais enfin, il va tout renverser !

À peine avait-il fini sa phrase, que déjà Shangaï fit tomber une poussiéreuse théière de sa servante, qu’avec chance le vieil homme rattrapa in extremis.

— Navré, madame Samovar, s’adressa-t-il à la rescapée. Tous ces objets ont une très grande valeur jeune fille ! Ils ont une âme et je ne permettrai pas que votre grossier… Grossier… Poney, ne leur fasse du mal ! s’agaça-t-il, en fermant comme il le put la porte derrière la croupe du grand gris, qui ne semblait pas le moins du monde gêné.

— Il fera attention, j’en suis certaine, balayai-je d’une phrase ses inquiétudes. Vous êtes un chuchoteur, n’est-ce pas ?

— Évidemment, répondit-il comme vexé. L’un des plus vieux de la Montagne !

— J’aurais besoin de savoir en quoi consiste votre don, et quel est le lien avec tous ces… Bibelots ?

Tout autour de nous, des tables ou de grands buffets croulaient sous des objets, tous plus variés les uns que les autres : fer à repasser, montre à gousset, éventail, cloche de service... Shangaï ressemblait à un taureau piégé chez un vitrier, la tête haut perchée qui frôlait un vieux lustre éteint. La croupe serrée contre une étagère remplie de statuettes, il risquait de tout briser au moindre de ses mouvements.

— Ces bibelots, comme vous les nommez, sont le fruit du don de mon oiseau de paradis, Philibert.

— Moiiiiii, chantonna l’oiseau au plumage flamboyant, en allant se placer à côté de Shangaï pour l’observer de plus près.

— Ces objets ont le pouvoir de s’actionner d’une façon ou d’une autre lorsque son propriétaire ou une personne de son sang le touche.

Pour illustrer ses propos, le chuchoteur effleura un piano qui se mit à jouer tout seul une mélodie douce.

— C’est incroyable… Comment faites-vous cela ?

— Une goutte de sang suffit, affirma-t-il avec un sourire triomphant. Philibert doit tout d’abord morde l’extrémité de votre doigt, pour y faire perler cette fameuse goutte. Après l’avoir ingérée, trois jours plus tard, il pondra un œuf, semblables à ceux-ci, voyez…

L’homme désigna une armoire de la main. Derrière sa vitrine étaient exposés de très nombreux œufs, de la taille d’un petit pois à celle d’une pastèque, tous d’une couleur rouge sang et à la coque fantastiquement lisse et brillante.

— L’objet arrive à maturation au bout de quelques jours, tout dépend de la taille souhaitée. Ce piano a éclos après un mois ! ajouta le vieil homme.

— C’est époustouflant… Vous pouvez alors créer n’importe quel objet et lui faire réaliser tout ce que vous voulez ? demandai-je, en regardant d’un œil anxieux mon étalon renifler un service de verres en cristal.

— Tout ce qu’un objet est capable de réaliser en effet. Faire jouer un instrument de musique, faire s’ouvrir ou se fermer une boîte à bijoux ou encore faire qu’une boussole indique une direction souhaitée. À condition d’en avoir les moyens… Cela n’est pas à portée de la bourse du premier venu !

— Bien sûr… Lorsque vous dites que l’objet peut être actionné par une personne du même sang que son propriétaire, cela signifie…

— Par un lien de sang direct ! Comme un parent, un frère, une sœur, ou bien entendu un enfant, me coupa-t-il excédé, sans même se rendre compte que mon visage avait perdu toute couleur.

— Avez-vous déjà travaillé pour les Rois de la Montagne ?

— Bien entendu à de très nombreuses reprises. Bien, il est temps de nous laisser maintenant, déclara avec fermeté le vieux chuchoteur.

— Un Roi vous a-t-il un jour commandé une poignée… Une poignée de porte ? demandai-je avec empressement.

— Connaissez-vous le secret professionnel ? Je n’ai pas à vous répondre davantage, tonna-t-il tandis que le piano continuait de jouer. Veuillez sortir, je vous prie !

— Vous ne comprenez pas. Je dois savoir ! Cette poignée s’est actionnée lorsque je l’ai touchée.

— Mon petit, si vous deviez être de la famille royale je pense que vous le sauriez, se moqua-t-il de moi.

Plissant ses gros yeux, il essayait de rouvrir d’une main la porte d’entrée, tandis que je pouvais sentir l’unique preuve de la vérité me glisser entre les doigts.

— Il vous suffit de me répondre, je serai alors certaine et…

— Je ne vous dirai plus rien !

— RIEN DU TOUT, hurla l’oiseau de paradis.

Surpris par ce cri, Shangaï sursauta et fit tomber une série de chandeliers.

— Attention ! s’égosilla le vieux chuchoteur aux allures d’antiquaire. Sortez de chez moi !

Un fourmillement désagréable vint s’insinuer dans les extrémités de mes doigts, alors que j’observais le visage devenu rouge de colère de monsieur Velamille. Tout comme le Généalogiste et le Seigneur de la Tour aux Oiseaux, il ne semblait ressentir que peu d’égard pour ma détresse. Effaçant le mien pour sa personne…

— NON ! criai-je à mon tour. Il me faut une réponse et je l’obtiendrai que vous le vouliez ou non…

Emportée par ma colère, je fis vibrer notre lien avec plus de force que d’ordinaire. « Boum boum, boum, boum boum ». Shangaï émit un ronflement puissant, quand tout à coup le calme revient tout autour de nous.

Je n’étais encore qu’un oisillon, lorsque tombé de mon nid, je fus secouru par ce jeune garçon aux lunettes imposantes. De deux personnalités nous fusionnâmes en une, partageant les mêmes souvenirs. Le goût du sang changeait d’un individu à l’autre. La joie nous saisit quand éclôt notre premier objet. Ce fut l’un des premiers… Un œuf de la taille d’une orange, qui se mit à remuer et rouler dans l’armoire, pour finalement se fissurer et laisser apparaître une petite poignée dorée sur laquelle la Montagne se dessinait. L’homme à la couronne caressa nos plumes, avant de serrer nos mains et de repartir avec ladite poignée.

À côté de moi, le grand gris respirait avec force, sa robe d’argent moite de sueur, tandis que je me rattrapai à un portemanteau pour ne pas tomber à la renverse.

— Qu’avez-vous fait ? chevrota l’homme, qui s’était appuyé de tout son poids sur la porte.

— Ma tête… Ma tête, s’était mis à geindre Philibert.

— Nous… Nous devons partir.

Me faufilant entre Shangaï et le mobilier, après que le vieillard se soit poussé, je réussis à ouvrir la porte et à rejoindre la place qui commençait à reprendre vie. Évitant de justesse un jeune distributeur de journaux, je pris la fuite sans attendre de savoir si le grand gris allait détruire la moitié de la boutique pour en ressortir. Dans mon esprit, le souvenir d’Adélaïde en train d’agiter la petite poignée, sans que jamais celle-ci ne pivote, tournait en boucle.

La culpabilité et la surprise d’avoir ainsi violé la mémoire d’un chuchoteur et de son totem furent bien vite oubliées face à l’urgence. Je devais voir le Roi et cette fois personne ne m’en empêcherait !

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