Chapitre 27

Par Notsil

Ils étaient découverts. Surielle jura entre ses dents. L’alarme résonnait dans le village, et de nombreuses silhouettes encapuchonnées se dirigeaient vers la place centrale. Devait-elle s’y rendre ? Ils s’étaient séparés le matin même, pour ne pas attirer l’attention. Leur but était de s’infiltrer dans le campement pour vérifier si l’Éveillé s’y trouvait réellement.

Surielle hésitait. Les Stolisters ne s’intéressaient pas encore à elle. Elle pouvait profiter de l’opportunité, mais refusait de risquer la vie de l’un de ses camarades. Sa main se crispa sur la dague dissimulée dans sa veste.

Hors de question d’abandonner l’un des leurs. Même Wakao.

Surielle s’élança à son tour, se laissa guider par les cris, le cœur tambourinant dans sa poitrine. En cet instant, elle détestait courir. Elle détestait cette cape qui restreignait ses mouvements. Pourtant, utiliser ses ailes serait dévoiler qu’elle n’était pas des leurs.

C’était tellement frustrant.

La situation lui apparut enfin. Surielle ralentit, glacée. Bothik était à terre, encerclé par des Prêtres Stolisters qui le rouaient de coup. Rayad et Alistair combattaient encore, même si l’étau se resserrait autour d’eux. Des corps jonchaient le sol, sans qu’elle ne sache s’il s’agissait de Stolisters ou des soldats censés assurer leur sécurité. Un frisson courut le long de son échine. Sans plus réfléchir, elle arracha la cape qui la gênait et bondit vers eux. Enfin, elle essaya. Incrédule, elle retomba au sol sous les mailles du filet qui l’enveloppait.

Sa dague jaillit au bout de ses doigts, Surielle entreprit de lacérer les mailles. Le filet fut resserré ; paniquée, Surielle se débattit ; ne réussit à agripper que de la corde. Eraïm, non, pas maintenant, pas alors qu’ils n’avaient même pas trouvé l’Éveillé !

— Emmenez-la ! claqua une voix sèche près d’elle.

Surielle n’eut que le temps de voir Rayad et Alistair être submergés par le nombre avant qu’un coup ne la plonge dans l’inconscience.

*****

Alistair resserra sa prise sur la poignée de son épée. La sueur ruisselait sur son front et il ne voyait Wakao nulle part. Il jeta un coup d’oeil à Rayad près de lui. La respiration hachée, le prince avait épuisé son stock d’armes de jet et empoigné ses dagues. Des armes à la portée limitée.

Mais si les Stolisters les voulaient morts, pourquoi n’utilisaient-ils pas d’armes à énergie ?

Ne pas réfléchir. Frapper, tuer, recommencer. Par Orssanc, comment allaient-ils s’en sortir ?

Rayad se plia en deux. Alistair jura, décapita sèchement son adversaire avant de bondir à ses côtés, dérapa dans une flaque de sang et s’étala au sol. Un genou à terre, le prince respirait difficilement.

— Alistair…

Une vague d’effroi submergea le jeune ailé alors qu’il considérait la tâche écarlate qui s’épanouissait sur la poitrine de son ami. Autour d’eux, les combats avaient cessé, comme si les Stolisters avaient compris que tout était fini. Rayad s’effondra.

Incrédule, Alistair n’arrivait pas à en croire ses yeux. Rayad… non, c’était impossible. Ils ne s’étaient même pas réconciliés. Il était le futur empereur !

Il ne pouvait tout simplement pas mourir ainsi.

Pas alors qu’Alistair était censé le protéger.

Un long hurlement s’échappa de sa gorge.

C’était impossible.

Il ne pouvait y croire.

La réalité ne pouvait être si cruelle.

Il réalisa à peine qu’il glissait au sol, qu’on le bousculait.

Lutter ? Il n’y pensait même pas. Pour quelle raison ? Plus rien n’avait d’importance. Il avait totalement échoué sur toute la ligne.

Il n’avait eu qu’une simple mission et il n’avait même pas réussi à la mener à bien.

Résiste, mon frère.

Quelque chose de froid toucha sa joue. Une lame d’acier ? Très bien.

Tu n’es pas seul.

Non, ce n’était pas de l’acier. Qu’à cela ne tienne. Alistair tira sa dague, les larmes aux yeux. Rayad la lui avait offerte en remerciement pour avoir sauvé sa vie, quatre ans plus tôt. S’il avait su…

Lentement, comme un automate, il appuya la pointe contre sa poitrine. Il n’avait plus d’honneur.

Non ! Ouvre-toi à moi, Alistair.

Son esprit fut soudain submergé par un flot de sensations, d’émotions. Le jeune ailé paniqua. C’était trop ! Qu’est-ce que c’était que ça ? Il se débattit mentalement, chercha à écarter cette présence qui menaçait de l’étouffer.

Ne lutte pas. Ne rends pas les choses plus difficiles.

Il ne voulait pas, il ne voulait pas !

Donne-moi ta haine. Montre-moi ta rage. Libère-toi. Ensemble, nous le vengerons.

Ses barrières cédèrent les unes après les autres. Seule une dernière le préservait encore. Alistair devinait que l’intrus ne la forcerait pas.

Comme si le choix lui revenait.

Avec lenteur, il écarta l’arme de sa poitrine, considéra son reflet dans la lame d’acier polie comme un miroir.

La mort ou la vengeance ?

Il accepta.

Une vague de sensations le submergea de nouveau ; l’impression d’être un tout en étant deux ; sa vision se dédoubla, comme s’il pouvait se voir.

Toutes les peines, toutes les douleurs qu’il avait refoulées au fond de lui remontèrent.

Les tourments qui l’avaient assailli après la mort de ses frères. Sa détresse. Son désespoir. Sa solitude.

Il ne s’en était jamais vraiment débarrassé.

Tu n’es pas seul, Alistair. Tu ne seras plus jamais seul.

Il ne savait pas quelle était cette chaleur qui l’enveloppait, il ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Il était déphasé, déconnecté, comme détaché de tout.

La vigueur nouvelle qui coulait en lui le remit sur ses jambes ; l’épée en cristal Kloris dans une main, sa dague dans l’autre, l’uniforme trempé de sang, il se releva de la masse des corps pour massacrer les Stolisters les plus proches.

Alistair avait l’impression d’évoluer dans un rêve. Esquiver, plonger, tuer. Chaque Stolister n’était qu’une répétition des mêmes gestes, à peu de choses près.

Des estafilades couvraient peu à peu son corps, sans qu’il ne s’en préoccupe. Ses gestes étaient automatiques.

Surtout ne pas réfléchir.

Surtout ne pas penser à Rayad.

Les Stolisters étaient de plus en plus nombreux. Il n’arrivait plus à les tuer assez vite. Sa respiration se fit  hachée, son corps malmené le trahit.

Un coup à la tête le fit sombrer dans les ténèbres et il accueillit la noirceur de l’oubli avec soulagement.

*****

Alistair reprit conscience dans l’obscurité. N’était-il pas mort ? Il cligna des yeux plusieurs fois, s’assit avec une grimace de douleur, réalisa qu’il se trouvait dans une cellule de détention.

La perte de Rayad lui revint en mémoire comme une gifle.

Par Orssanc, pourquoi était-il encore vivant ?

Il tâta ses poches par réflexe, mais ses armes lui avaient été enlevées. Les larmes coulèrent sur ses joues.

Il n’avait plus rien.

Plus que des souvenirs qui finiraient par s’estomper.

Il n’eut aucune conscience du temps qui passait alors qu’il ruminait sa douleur.

La clé qui tourna dans la serrure ne lui fit même pas lever la tête. La lumière s’annonça avec un clic qui ne le fit pas réagir. Ses geôliers l’empoignèrent sans qu’il ne résiste.

À quoi bon ?

La lumière crue de la salle blanche lui fit plisser les yeux. Un blanc agressif, associé à une odeur d’antiseptique. On l’installa sur une table étroite, des liens entourèrent ses bras et ses jambes.

Torture, fit une part de son esprit restée attentive aux évènements.

Le claquement des gants en latex résonna dans la grande pièce presque vide. Ses geôliers le lâchèrent après s’être assuré qu’il était bien attaché, se postèrent près de l’unique porte.

Alistair considérait tout cela d’un œil étrangement détaché.

Il aurait dû avoir peur. Pourquoi n’avait-il pas peur ?

— Bien, fit la voix masquée de son bourreau. Tu dois être le fils du Commandeur, avec des ailes pareilles. Tu étais avec eux. Tu dois donc savoir où ils se terrent. Tu vas tout nous dire.

Alistair eut envie de rire. Sa gorge desséchée lui refusa ce plaisir.

Ils ne savaient rien.

La première plume qu’on lui arracha était comme une piqûre. La brûlure de la deuxième fut pire. Bientôt, son dos tout entier lui parut s’embraser.

Aucune douleur n’était pourtant à la hauteur du désespoir qui broyait son âme.

Chaque plume arrachée lui renvoyait l’écho de son échec ; sa souffrance n’était rien face à la mort de son ami.

Elle n’était qu’un rappel de son échec. Il méritait cette punition pour avoir échoué.

Alistair eut vaguement conscience de l’énervement croissant de son bourreau. Un sourire étira ses lèvres craquelées, un gloussement lui échappa face à l’absurdité de la situation.

— Par Orhim ! Ramenez-le dans sa cellule. Je ne tirerai rien de celui-là. Pas comme ça.

Les geôliers se précipitèrent sur lui, détachèrent les liens qui nouaient ses membres. Alistair fléchit ses doigts. Ses jambes, encore engourdies, flageolèrent. Sans les hommes qui le soutenaient, il se serait effondré.

Sa tête bourdonnait.

Il avait soif.

Une part de lui songeait qu’il aurait dû souffrir bien davantage. Il ne voyait pas dans quel état étaient ses ailes, mais s’il en croyait le tas de plumes au sol, il devait être en piteux état.

Un oiseau déplumé, incapable de voler.

Incapable de quoi que ce soit, d’ailleurs.

Alistair fut projeté sur le sol bétonné de sa cellule. Il resta là un moment, goûtant le sang de sa lèvre fendue, avant de rassembler l’énergie pour se redresser à tâtons. De nouveau dans l’obscurité, comme s’il était incapable de se rendre compte de l’étendu des dégâts sur ses ailes.

Le moindre mouvement le faisait souffrir. Son dos lui paraissait à vif.

Orssanc qu’ils en finissent, songea-t-il en enfouissant sa tête dans ses bras.

Il souhaitait désespérément que tout s’arrête.

Tu dois te reprendre, Alistair !

Laisse-moi tranquille, rétorqua-t-il sèchement à sa conscience.

Hors de question.

Pourquoi ? J’ai tout perdu. Nous avons échoué.

Rayad ne doit pas être mort en vain. Nous allons nous venger. Nous allons leur faire payer.

Qu’est-ce que ça changera ? rétorqua Alistair, amer. Crois-tu que cela a ramené mes frères à la vie ? J’ai déjà goûté à la vengeance. Cette voie n’est qu’une impasse dont il ne peut rien sortir de bon.

Je ne te laisserai pas t’autodétruire.

Tu n’as pas le pouvoir de m’imposer tes choix.

Oh si. Tu vas vivre.

Je ne le veux pas.

Tu vas vivre. Parce que si tu meurs, je meurs également.

Tu n’es qu’une voix dans ma tête, fit Alistair. Une manifestation de mon inconscient.

C’est ce que tu penses ?

Que pourrais-tu être d’autre ? rétorqua Alistair.

Alors tu ne te souviens vraiment de rien ?

De quoi devrais-je me souvenir ? s’irrita Alistair.

Je suis Zéphyr.

Comme

Le griffon, oui.

Depuis quand êtes-vous télépathes ? demanda Alistair, intrigué.

Depuis que tu as accepté d’être Lié à moi.

Alistair accusa le coup.

Impossible

La preuve que non.

Mais… je…

 Seul, je ne peux rien faire. Avec ton aide… nous pourrons déplacer des montagnes.

Je ne m’en sens pas la force. Tu aurais dû choisir quelqu’un d’autre.

C’est toi que j’ai choisi. Je te côtoie depuis longtemps. Je te connais plus que tu ne le penses. Ensemble, nous serons invincibles.

La détermination de Zéphyr était si intense qu’Alistair pouvait en sentir l’énergie.

Nous sommes en guerre, Alistair, reprit Zéphyr. Je comprends ta douleur. T’y noyer ne changera rien. Utilise-la comme le moteur de ta détermination.

Ébranlé, Alistair explora doucement les possibilités qui s’offraient à lui.

Rayad était mort, c’était un fait. Douloureux, mais il devait l’accepter.

Les autres… il ne savait même pas ce qu’il en était pour eux. Surielle ? Avait-elle réussi ou avait-elle été capturée aussi ?

Capturée, confirma Zéphyr.

Alistair ravala sa salive.

Les autres ?

Morts. Ils n’ont pas été jugés assez intéressants pour retenir l’attention des Stolisters.

La douleur pulsa dans son dos quand il s’assit, mais Alistair l’ignora. Il souffla doucement, remisa ses questionnements au fond de son esprit.

Il serait toujours temps de revenir sur sa culpabilité… plus tard.

S’il y avait un plus tard.

Qu’aurait dit son père ?

Seuls les morts se reposent. La mission avant tout.

Je te préfère dans cet état d’esprit.

Nous allons avoir besoin d’aide pour sortir de là.

Oui.

As-tu prévenu… mon père ?

J’attendais ton réveil.

Dis-lui tout. Je pensais tenter une évasion si une éventualité se profile.

Crois-tu avoir une chance ?

Plutôt mourir en essayant que mourir à rien faire, rétorqua Alistair.

 

 

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Nathalie
Posté le 10/09/2023
Bonjour Notsil

Ses geôliers le lâchèrent après s’être assuré qu’il était bien attaché, se postèrent près de l’unique porte.
→ assurés

J’espère qu’il y aura une vraie bonne raison pour qu’un griffon risque sa vie pour les aider parce que bon, cet animal n’a aucune raison a priori de préférer les uns aux autres…
Notsil
Posté le 11/09/2023
Coucou,

C'est une réflexion très pertinente... à laquelle je n'avais pas du tout songé ^^ Parce que le lien est censé être un bonus pour les 2 donc chacun doit y trouver son compte.... rah ^^

Eh bien merci, je vais y réfléchir du coup ^^ et peut-être devrais-je rajouter des petits indices précurseurs de l'attachement du griffon avant....
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