Surielle s’éveilla en hoquetant. La douleur !
— Tu te réveilles enfin ? susurra une voix dans les ténèbres.
Surielle se recroquevilla, chercha à percer l’obscurité. Où était-elle ? Sa tête bourdonnait, l’empêchant de réfléchir correctement.
— N’aie pas peur. D’où te viennent ces plumes si… éclatantes ?
— Je… je suis née ainsi, répondit Surielle avec appréhension.
— Oh. Comme c’est étrange.
La lumière s’alluma d’un coup, vive et éclatante, attaquant ses yeux. Surielle se protégea de ses mains.
— Sensible à la lumière, donc, nota la voix.
Surielle perçut le grattement d’un crayon sur une feuille de papier.
Avec précaution, elle plissa les yeux, chercha à distinguer son interlocuteur. Une blouse blanche, longue, un pantalon d’un vert foncé, des lunettes, des cheveux courts et noirs… et un regard qui la glaça.
Le sourire qu’il lui renvoya la fit frissonner.
Un prédateur.
Surielle déglutit. Où était-elle ? Qu’étaient-ils tous devenus ?
Et la réalité la frappa comme un coup de massue. Le piège qui s’était refermé sur eux. Sa capture. Rayad et Alistair, submergés. Étaient-ils morts ?
Les larmes montèrent à ses paupières. Eraïm, pourquoi n’avait-elle pu rien faire ? Elle se décomposa.
— Émotive, aussi, nota la voix, toujours aussi impersonnelle. Le… décès, de vos… amis, je présume ?
Glacée, Surielle se contenta de hocher la tête. Ils étaient tous morts ? Rayad, Alistair ? Non, elle ne voulait pas y croire. Pas Rayad, pas Alistair, ni même Wakao ou Bothik !
Qu’était-elle devenue ? Un objet ? Un sujet d’expérimentation ? Un frisson parcourut son échine. Elle était prisonnière des Stolisters, il ne pouvait en être autrement.
L’intrus se leva, et à sa surprise, se dirigea vers la porte.
— Ce sera suffisant pour aujourd’hui. De toute façon, nous avons tout notre temps, n’est-ce pas ?
La porte coulissa avec un sifflement derrière l’homme.
Tremblante, Surielle s’obligea à se lever. La pièce était grande, blanche ; froide et impersonnelle. L’éclairage était entièrement artificiel, nulle autre ouverture que la porte ne donnait sur l’extérieur. Le miroir sur l’un des murs était totalement hors contexte. Surielle pressentait que ce n’était pas un simple miroir.
Elle déglutit. Elle avait assez d’espace pour étendre ses ailes, mais aucun ailé n’aimait être enfermé. C’était contre leur nature. Surielle regarda son poignet, mais comme elle le prévoyait, on leur avait ôté tout moyen de communication.
Cela aurait été trop facile de pouvoir contacter les autres.
Enfin, s’il en restait, des autres.
Rayad et Alistair avaient été noyés sous les assaillants. Elle n’avait pas vu Bothik.
Faites qu’ils ne soient pas morts, songea-t-elle. Devait-elle croire celui qui lui avait parlé ? Elle aurait dû être effondrée, elle aurait dû pleurer toutes les larmes de son corps. Pourquoi n’y arrivait-elle pas ? Pourquoi niait-elle les évènements ?
Accepter leur mort serait admettre la terrible réalité de leur échec. Elle ne pouvait pas l’accepter. Pas encore.
L’Éveillé était tout près, elle en avait la certitude.
Une autre peur dominait pourtant toutes les autres. Quand elle avait pensé au dieu, elle n’avait rien senti, même pas un simple tiraillement.
Eraïm, songea-t-elle à nouveau, en y mettant davantage de force.
Rien ne se passa. Pas le moindre petit frémissement, pas l’ombre d’un basculement. Juste une sourde migraine qui alla en s’amplifiant, jusqu’à ce qu’elle gémisse et presse ses doigts contre ses tempes. Les larmes dévalèrent ses joues.
Il n’y aurait pas de miracle pour les sauver, cette fois. Elle était seule, sans aucun espoir.
Si seulement elle avait eu des pouvoirs comme sa mère, ou un talent d’épéiste comme son père. Surielle laissa échapper un rire amer. Sans leurs communicateurs, jamais leurs alliés ne sauraient ce qui était arrivé.
Et une autre question dérangeante se fraya un chemin au milieu de sa tête douloureuse : pourquoi était-elle encore en vie ?
*****
Empire, Druus, Draakam, capitale impériale.
Un vase vola, s’écrasa contre un mur tendu de soie rouge avant d’exploser en mille morceaux. Le Seigneur Mérisol blêmit en réalisant qu’il s’était trouvé tout proche de la trajectoire, savonna ses mains en un réflexe inconscient.
— Je vous avais dit de le capturer vivant !
Hors de lui, Varyl s’approcha d’une autre niche, fit basculer la délicate sculpture d’une grue prenant son envol. Le marbre éclata en percutant le sol d’obsidienne.
— Ils avaient…. les yeux n’étaient pas rouges, votre Majesté Impériale, comment pouvais-je savoir ?
— Imbéciles ! Vous êtes tous des imbéciles ! Je suis entouré d’incapables !
— Je ne comprends pas votre fureur, osa le Seigneur Perellis sy Wan. N’est-ce pas une bonne nouvelle, au contraire ? Assurons-nous de la fille ; épousez-la au besoin, d’ailleurs. L’Empire est à vous, cette fois.
Varyl fit un pas dans la direction de Perellis, menaçant, puis fit demi-tour pour rejoindre son trône. Des soupirs de soulagement discrets s’échappèrent des poitrines, Perellis compris. L’Empereur Varyl était d’humeur versatile, et depuis la mort de l’Impératrice Iris, qui avait conduit à l’annulation d’un mariage prévu dans la précipitation, l’homme était plus que jamais sur les nerfs.
Cependant, depuis que la créature encapuchonnée n’était plus à ses côtés, Perellis comme les autres Seigneurs respiraient plus librement. Varyl avait succinctement expliqué qu’un rituel devait être conduit sur Ciryatan pour accroitre encore son pouvoir – comme s’il en avait besoin ! – et le Seigneur Mérisol comme le Seigneur Perellis avaient acquiescé poliment, même si Mérisol regrettait le départ du Seigneur Wullie sy Daft, déterminé à asseoir son autorité sur Ciryatan.
Ne jamais contrarier un homme capable de vous tuer sur un simple caprice, c’était l’une des règles de base, et tous les Seigneurs présents l’auraient approuvée.
— La gamine ? dit enfin Varyl.
Perellis sy Wan acquiesça.
— Si vous pensez qu’un lien direct avec la descendance du précédent Empereur convaincra les Seigneurs récalcitrants de se joindre à vous… faites donc. Si vous n’avez pas besoin d’elle, éliminez-la avec les Familles qui refusent de vous jurer fidélité.
— Votre suggestion est… fort intéressante, Seigneur Perellis. Artéis !
L’un des serviteurs resté parfaitement immobile contre le mur accourut aussitôt, avant de se prosterner aux pieds du trône.
— Voyons si la diplomatie réussit là où la force brute échoue, dit Varyl avec un sourire. Préparez-moi une lettre de négociation, associée à une demande en mariage.
— Vous songez réellement à épouser la princesse Shaniel ? osa le Seigneur Mérisol.
— Peut-être bien… et dans tous les cas, quelle meilleure opportunité pour attirer ses soutiens dans un piège ? Une telle demande ne peut être refusée impunément, et fera réfléchir leurs soi-disant “alliés”. Négocier une rencontre sera ensuite un jeu d’enfant, surtout une fois le rituel mené à son terme.
Mérisol s’inclina profondément. Vraiment, il avait eu raison de soutenir Varyl, et de convaincre Kolgulir, son pupille, d’en faire autant.
— Qu’allez-vous faire des deux ailés ? demanda le Seigneur Baé.
Mérisol sursauta. Baé était resté silencieux, à l’écart, comme à son habitude. Il avait le don de se faire oublier. Sa cape émeraude était rejetée sur une épaule, dévoilant le symbole de Bereth brodé sur le cœur. Il portait une veste d’un bleu si profond qu’elle en paraissait noire, sur un pantalon plus clair qui arborait deux lignes rouges sur les côtés. Le jeune frère de Dame Anka, la dirigeante du Cinquième Monde.
Mérisol se méfiait du jeune homme, soi-disant présent pour s’assurer de la loyauté de Dame Anka. Certains Seigneurs le considéraient comme un otage, pourtant son épouse Meili et ses jumeaux en bas âge se trouvaient bien en sécurité, au cœur de la Citadelle de Soilimar, sur Bereth.
Contre toute attente, Varyl sourit, puis se pencha en avant et joignit ses doigts.
— Leur sort vous préoccupe-t-il, Seigneur Baé ?
Ce dernier haussa les épaules. Il avait du cran, dut reconnaitre Mérisol.
— Leur sort, non. C’est à leur valeur stratégique que je m’intéresse.
— Les utiliser pour faire plier le Commandeur serait intéressant, répondit Varyl. Mais d’abord, je veux qu’ils réalisent qu’ils n’ont plus aucun espoir de l’emporter.
— Et vous ne craignez pas les représailles de la Fédération des Douze Royaumes ? reprit Baé.
Cette fois, c’est Varyl qui haussa les épaules.
— Vous êtes encore bien jeune, Seigneur Baé, sourit-il, se délectant de le voir frémir. La Fédération sera notre prochain objectif, bien sûr. Ici, nous ne craignons rien, je vous rappelle qu’ils ont incapables de rejoindre nos mondes.
— Ils ont des phénix qui le peuvent, remarqua fort justement Baé.
Une voix qui s’était faite un peu tremblante, nota Mérisol. Bien. Que ce jeunot soit proprement remis à sa place, il ne méritait pas d’avoir l’oreille de l’Empereur Varyl.
Lequel éclata de rire.
— Les phénix ! Leurs pouvoirs sont largement surestimés. Dès qu’Orhim sera pleinement incarné… je leur souhaite presque d’essayer, si vous voulez tout savoir. Oui, j’ai hâte de notre future confrontation…