Chapitre 27

Notes de l’auteur : Un nouvelle disparition, un mystère qui peine à s'éclaircir. Morgane, notre journaliste intrépide, cherche à poursuivre son enquête tout en jouant au chat et la souris avec son oncle Hans.

MAJ : 18 juin, j'hésite à modifier le passage au commissariat pour le synthétiser et aborder l'ensemble des disparitions de 1983 et les récentes.

Hôtel de Police, Vannes - Bretagne

 

Morgane venait d'arriver en ville. Après son départ précipité de son studio près de Paimpont, elle avait reçu un appel de l'officier Lefebvre. Une jeune femme avait disparu suite à une agression dans le Morbihan et ce n'était pas dans la zone dont il s'occupait, donc il l'envoyait en « prospection» . 

Par chance, le jeune officier qui s'occupait de cette enquête appréciait énormément la journaliste de choc Morgane Meyer grâce à son implication dans « l'affaire Kazener»  et avait réussi à lui obtenir un entretien avec un contact sur place. Morgane avait passé près d'une heure avec l'officier Bonvoisin pour lui donner des détails sur son enquête et certains collègues présents appréciaient de rencontrer une « célébrité»  du petit écran, surtout que cette affaire avait redoré le blason de la police française. Rien de tel qu'une grosse affaire de corruption, une multinationale associée à des activités criminelles où la France avait coupé la tête du dragon, tout cela grâce à l'implication d'une petite journaliste hypermédiatisée qui avait fouillé et enquêté sur le terrain.

La personne disparue était une étudiante italienne, arrivée en France, à Paris, depuis un an et sa disparition était aussi mystérieuse qu'inquiétante. Un ex-petit ami harceleur l'aurait suivie jusqu'en Bretagne et, il y a quelques jours, elle avait littéralement disparu lors de leur confrontation alors qu'elle venait de contacter la police. Le témoin proférait des propos irrationnels et un psychiatre était même intervenu.

Morgane avait un laissez-passer pour l'interviewer et une recommandation de l'officier Lefebvre qui avait signalé qu'elle faisait un sujet sur des disparitions en ce moment. C'était une grosse opportunité de pouvoir parler à un témoin, surtout si ses propos semblaient étranges, c'est tout à fait ce qu'elle recherchait.

Elle entra dans la salle d'interrogatoire, au sous-sol, où un beau jeune homme au visage hagard était installé, menotté à la table. Sa tête recommençait à la lancer et elle respira profondément, ignorant la douleur qui irradiait à l'arrière de son crâne.

— Vous êtes bien Damien Royer ? 

— Oui, ça fait dix fois que vous me posez les mêmes questions... Je n'ai rien fait à Valentina, je vous répète qu'elle a disparu. Vous pensez que j'ai changé d'avis et qu'en m'interrogeant sans cesse je vais dire autre chose ?

 — Aucunement, j'aimerais vous poser quelques questions un peu différentes. 

— Vous êtes psy ? 

— Journaliste, votre nom ne sera pas cité dans la presse. 

— Qu'est-ce que vous voulez savoir ? 

Le blondinet avait l'air d'un flambeur qui en avait les moyens. Il se cala profondément dans son siège comme si tout ça ne le concernait pas. 

— Avez-vous remarqué des événements météorologiques particuliers lors de la disparition de Valentina Ricci ? 

— Heu... oui, il y avait une sorte de brume en pleine nuit, qui s'est épaissie super vite. 

— D'accord et j'ai vu dans le rapport que vous parliez d'un homme déguisé en loup-garou. 

— Je sais que vous me prenez pour un taré, mais je sais ce que j'ai vu. Il y avait un mec gigantesque, j'ai cru que c'était un garde du corps tellement il était baraqué et je ne sais pas comment, mais il a enfilé un masque de loup hyper réaliste, c'était totalement flippant, un grand malade. Il a pris Valentina avec lui et je ne pouvais plus bouger, comme si quelque chose me retenait et il y avait des cris ou plutôt des rires flippants. La psy me dit que j'ai consommé une drogue à action rapide, mais je n'ai rien pris. 

— Et elle a simplement disparu dans la brume ? Dans les bras de cet homme, c'est ce que vous dites ? 

— Oui... 

— Et le couteau que vous aviez,  comptiez-vous menacer Valentina ? 

— Non, bien sûr que non, je l'aime, c'est l'amour de ma vie. Je voulais rattraper le coup avec elle, on s'est séparés pour de mauvaises raisons et ce type voulait la kidnapper, je voulais la libérer. 

— Très bien. (Morgane mit fin à ses diatribes d'un geste de la main sec, la douleur à la tête l'agaçait) Vous vous souvenez exactement ce que cet homme déguisé a dit ? 

— Il a parlé d'un sort et qu'il allait la sauver, c'est un psychopathe ce mec. J'ai peur de ne jamais revoir Valentina…

— Vous la suiviez sur des lieux de shooting photo, j'ai une liste des lieux, est-ce que vous avez remarqué quelque chose ? 

— Rien de spécial. 

— Merci pour vos réponses. 

Morgane se releva, sa tête la brûlait, il fallait qu'elle s'éloigne au plus vite. 

— Vous partez déjà ? Je ne suis pas dingue. Je ne lui ai rien fait, je vous jure... Je l'aime.

Morgane sortit presque en courant de la salle, et un jeune policier ferma la porte derrière elle.

— Vous avez vu ? C'est un grand malade. Il l'a harcelée pendant des mois quand ils étaient ensemble, et là, il balance des propos incohérents. On pense qu'il a un complice quelque part qui l'a kidnappée, ou il l’a lui-même enfermée quelque part. Il refuse de changer de discours et a même refusé l'avocat qu'on lui a proposé.

— Vous voulez dire qu'il préférerait la laisser mourir dans une planque plutôt que de négocier avec un avocat ? Et s'il y avait vraiment une tierce personne qui avait jeté son dévolu sur Mademoiselle Ricci. C'est une très belle femme.

— Nous avons pensé à ça, mais nous n'avons trouvé aucune trace sur le lieu présumé de disparition.

— Merci... Je vous rejoins. Est-ce que je peux l'observer au calme un peu avant de remonter ?

— Bien sûr. Je vous attends en haut de l'escalier. La fenêtre sans teint est juste là.

Morgane ressentait toujours une douleur, mais celle-ci s'était grandement atténuée depuis qu'elle était sortie de la salle d'interrogatoire.

Damien se tenait la tête entre les mains alors qu'elle le regardait. Elle se demanda ce qu'il se passerait si elle ne portait plus le sachet qu'Isolde lui avait confié. Est-ce qu'elle verrait de la brume comme avec les autres lieux ? Est-ce qu'il était lié à un événement paranormal ? Est-ce que la douleur qui la lançait était en rapport ?

Elle retira le sachet odorant de sa poche et le posa sur une table dans le couloir avant de se retourner pour fixer le jeune homme. Morgane faillit pousser un cri d'horreur en voyant la silhouette de l'homme presque totalement recouverte d'une aura sombre qui émanait de sa main gauche. Des volutes de fumée l'entouraient, dans une sombre étreinte, et elle sentit une nausée monter. Elle saisit son talisman et remonta les escaliers à toute allure pour s'éloigner de cette vision.

On aurait dit un être corrompu par une brume qui le rongeait. Une sueur froide coula dans son dos, et elle s'appuya sur la porte en haut de l'escalier pour se calmer avant de rejoindre l'ambiance chaleureuse du poste de police.

Il fallait qu'elle se rende sur le lieu de disparition pour voir si elle trouvait une trace de Valentina, mais d'abord, elle devait supprimer ce dossier qui permettait à son oncle d'être prévenu en cas d'hospitalisation.

En sortant du commissariat, elle reçut un message de son oncle : 

 

«  Bien joué,

Je t'aime aussi.

Hans.» 

 

Elle ricana en imaginant sa tête désabusée lorsqu'il avait trouvé son message sur la porte de son studio.

Elle savait que ce n'était que partie remise et qu'il n'arrêterait pas sa traque. Il était très obstiné et elle aimait presque autant le faire enrager que trouver des moyens de lui échapper pour travailler. 

La mère de Morgane avait depuis longtemps abandonné l'idée de stopper leur petit jeu à tous les deux. Hans aimait trop se mêler de sa vie, la couver et jouer à cherche et trouve. Morgane avait pris goût à ce passe-temps et se fichait qu'on les trouve bizarres tous les deux, mais elle avait pleinement conscience qu’il faudrait que ça cesse un jour.

Au volant de sa voiture, elle repensa aux paroles d'Isolde, la vieille taromancienne. Son sachet, ou plutôt son talisman, arrêtait bien la brume, mais ne réglait pas son problème de tête. Il faudrait peut-être qu'elle écoute ce qu'elle prenait pour des divagations. Selon elle, ses racines étaient un indice, et elle devait apparemment se rapprocher d'une source d'eau tumultueuse, et vu l'analogie, c'était de la mer dont elle parlait.

Elle détestait devoir se fier à des prédictions, mais si elle ne trouvait rien sur le lieu d'enlèvement de Valentina, elle envisagerait ça.

 

En arrivant face à l'immense villa dans la campagne à l'écart de Vannes, elle sentit de nouveau ce bourdonnement familier, signe qu'elle se trouvait au bon endroit. Cette fois-ci, elle garda le sachet dans sa poche, d'une manière ou d'une autre, il atténuait les effets néfastes du mal qui l'affligeait. Filmant la campagne près de l'enceinte de la propriété, elle vit des traces de lutte. Alors qu'elle cherchait au sol un quelconque indice, elle trouva une boucle d'oreille. Très fine, pendante, se terminant par une pierre brillante comme un petit diamant en forme de goutte. Elle rangea sa trouvaille dans un sachet. Rien ne prouvait que cela appartenait à Valentina, et elle n'était pas plus avancée. C'était surprenant que la police ne l'ait pas ramassée...

Son téléphone sonna : c'était Hans. Elle eut subitement envie d'entendre sa voix. 

— Salut ! 

— Bonjour, ma tempête. Je ne pensais pas que tu décrocherais. 

— Je suppose que tu es dans le coin. Tu veux qu'on mange un bout à Vannes ? 

— Je te rejoins. Dis-moi où. 

— Je t'envoie l'adresse. À tout à l'heure.

Elle avait une furieuse envie de kouign amann et elle avait des choses à lui dire sur son passé.

 

***




 

Restaurant « Boulc'h ar Ruz» , Vannes - Bretagne

 

Hans fixait Morgane avec un sourire, la voyant engloutir une sole meunière et des frites.

Elle posa ses couverts après qu'ils eurent échangé des banalités.

— Donc, pourquoi me suivais-tu cette fois ?

— Tu le sais bien, l'hôpital m'a contacté et je suppose que tu as fait le nécessaire pour que ça ne se reproduise plus.

Elle cacha son sourire en prenant une gorgée d'eau.

— Effectivement. Et tu n'as pas besoin de contacter Juliette pour me traquer.

— Il faut ce qu'il faut pour protéger ma tempête.

— Oncle Hans...

— J'aimerais que tu arrêtes cette enquête. La dernière était déjà très dangereuse, et là tu te fais assommer dans les bois. Tu t'es fait des ennemis avec la dernière affaire, il faudrait être plus discrete.

— C'est mon travail. Je ne vais pas me cacher dès que ça se corse un peu, je dois bien gagner ma croûte.

— Tu pourrais venir chez moi un moment. Ton cousin serait ravi de te voir, et je sais que tu gagnes déjà assez bien ta vie.

— Mon travail, c'est mon oxygène, sans ça, je suffoque.

— Jusqu'au jour où tu finiras comme ces reporters de terrain qui se font canarder en zone de guerre...

— Toujours les grands mots. On ne m'a pas envoyée sur le front ukrainien que je sache. Je n'ai pas une bombe au-dessus de ma tête, arrête de dramatiser.

— Je veux juste te protéger.

— Je ne suis pas comme Maman.

— Oui, tu es une mer agitée, alors qu'elle est un lac tranquille qui abrite quelques poissons peu farouches.

Morgane prit une grande inspiration. Si elle voulait parler de ses racines, c'était maintenant.

— Maman avait besoin de protection parce qu'elle s'est retrouvée seule et enceinte de moi à dix-sept ans. J'ai presque huit ans de plus qu'elle à cette époque, et je peux m'assumer seule. J'ai retrouvé Karl Lindström, mon père biologique.

Un grand silence s'installa et elle lut de la douleur dans les yeux verts de son oncle, marquant les fines rides aux coins de ses yeux.

— Quand ?

— Il y a cinq ans.

— Pourquoi ne m'en as-tu pas parlé ? Je comprends pour Isabel, mais tu aurais pu me le dire.

— C'était quelque chose que je devais faire seule. Je suis allée le voir en Suède, il est maître de conférences là-bas. On a discuté.

— Est-ce qu'il sait que tu es sa fille ? Tu l'as confronté, ce salopard ?

— Je ne l'ai pas retrouvé parce que j'avais besoin d'un père. Paul, Chris et toi, vous êtes assez pour m'apporter une figure paternelle. Je voulais juste savoir quel genre de personne il était.

— Un abruti qui n'a pas assumé son rôle, qui a abandonné ta mère.

— Je comprends que tu le détestes. Mais quand j'ai discuté avec lui, j'ai trouvé qu'il ressemblait à Maman, sa version fantasque. Quand elle est plongée dans son art, quand elle regarde au loin sans rien dire, je comprends pourquoi elle l'aimait. Et tu sais quoi ? Quand j'ai regardé dans son bureau, il y avait une peinture de Maman accrochée juste derrière lui. Il n'avait pas d'alliance et aucune photo sur son bureau. Je pense qu'il n'a jamais cessé de l'aimer. Je pense qu'il s'est douté de qui j'étais, sinon il ne m'aurait pas autant parlé.

— Pourquoi aurait-il abandonné Isabel alors ? Pour sa carrière ?

— Je lui ai posé la question. Pourquoi il était revenu en Suède après ses années en France. Il aurait pu poursuivre une brillante carrière en étant moins isolé, la France est un peu la plaque tournante de plein de mouvements artistiques.

— Qu'a-t-il dit ?

— Que son pays natal l'appelait, qu'il n'arrivait jamais à s'en séparer longtemps. Tu pourras dire ce que tu veux, oncle Hans, mais ce n'étaient ni les paroles ni l'attitude d'un homme manipulateur, juste bourré de regrets.

— Je ne lui pardonnerai jamais, tu comprends.

— Eh bien, moi, je lui pardonne. J'ai été suffisamment heureuse entourée de vous tous. Si j'ai réussi à traverser ça à vingt ans, tu dois admettre que je ne suis plus la petite fille que tu crois devoir protéger. Je suis une femme, une journaliste, et je mérite qu'on me respecte. 

— Je te respecte, ma tempête. 

— Quand tu me laisseras assumer mes choix et que tu ne seras pas toujours derrière moi à chaque instant avec un filet de sécurité, on pourra parler de respect, voire même de confiance. 

— Isabel mène une vie beaucoup plus calme, je me fais moins de soucis pour elle. 

Morgane éclata de rire. 

— Maman adore qu'on la chouchoute et qu'on s'occupe à sa place des choses ennuyeuses, alors que moi, j'aime bien mettre les pieds dans la boue et les mains dans le cambouis. Qu'est-ce que ça va être le jour où je te présenterai un garçon ! 

— Vu comme tu es exigeante, je ne me fais pas trop de soucis... Il n'est pas encore né celui qui arrivera à te suivre sans que tu le rendes chèvre. 

— Roh, tu exagères ! Je pensais être ta nièce chérie. Pour la peine, commande-moi un dessert. Je vais aux toilettes en attendant. Un kouign amann, il paraît qu'ils sont délicieux ici. 

Morgane se pencha pour embrasser son oncle sur la joue et s'éloigna avec un petit sourire.

Puis, elle sortit par la porte arrière du restaurant et s'installa dans sa voiture. Jetant un coup d'œil à Hans, qui était au comptoir et ne se doutait de rien alors qu'il retournait à sa place.

Au Boulc'h ar Ruz, le restaurant au bouclier rouge, le kouign amann était préparé sur commande et nécessitait 20 minutes pour être servi.

Après avoir roulé sans s'arrêter pendant presque deux heures, elle gara sa voiture près de la plage de Beg Meil. Sortant un sachet gras rigide à l'effigie d'un bouclier rouge de sa boîte à gants, elle s'installa sur le sable, admirant les vagues.

Elle dégusta son kouign amann coulant et refroidi, sentant un goût de sel alors qu'elle se léchait les doigts beurrés. Ses larmes coulaient sans retenue, un sanglot lui échappa. Parler de son père l'avait plus secouée qu'elle ne l'avait pensé, et son oncle n'était pas encore prêt à la voir telle qu'elle était.

Elle contempla la mer en repensant à l'histoire du petit Pierre, ce conte triste et magnifique qui se déroulait au large de ces côtes. Cependant, ce n'était pas cette côte où elle devait se rendre, mais plutôt à la pointe de Raz. Là où la mer violente finirait de briser ses barrières, la tour en flamme dans laquelle elle s'était enfermée. Elle devait s'y rendre.

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Bleumer
Posté le 25/04/2024
Morgane plonge de plus en plus dans le surnaturel.
Je comprends mieux quand tu disais que l'oncle Hans n'était pas juste un détail insignifiant au détour d'un background qu'on veut trop développé. J'aime voir les nuances que donne Morgane sur sa surprotection, pour une fois que quelqu'un essaie de comprendre les autres à notre époque. ^^
On sent qu'elle est à deux doigts de plonger elle aussi, peut-être, dans l'autre monde, mais sera-ce vraiment nécessaire? On le verra plus tard.
Papayebong
Posté le 17/06/2024
Bonjour Bleumer,
J'ai beaucoup aimée écrire sur Morgane et Hans. Dans ce chapitre, j'hésite à modifier le passage du commissariat. Puisque Valentina n'est plus dans l'histoire, j'imaginais réduire l'interrogatoire et réaborder ce que sont devenu les disparus de 1983.
Plus tard, tu te posais la question de ce qu'ils étaient devenu, mais ils ne sont pas restés en stase, d'ailleurs Morgane a même interrogée une de ces personne qui avait été traitée comme folle à son retour.
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