Chapitre 28

Notes de l’auteur : Alice est bien décidée à tenir sa promesse à Garen, le géant : l'emmener auprès de son ami druide Eilix. Ensuite elle compte bien retrouver la trace de son amie Léa.

MAJ : 22 Juin.

Grotte de Garen – Brocéliande

 

Alice se réveilla en sursaut et se prépara en quatrième vitesse, flanquée de Gwen, la korrigane, qui la suivait comme son ombre. Sa colère de la veille s’estompa quand elle aperçut Garen, l’ombre de lui-même, les yeux caverneux, signes d’une nuit sans sommeil.

Il se comportait étrangement, fuyant presque son regard mais la fixait dès qu'elle avait le dos tourné. Elle aurait presque eu pitié de lui si elle ne s'inquiétait pas autant pour Léa. C'est l'adrénaline et sa volonté qui la maintenaient debout et elle n'avait qu'une hâte : balancer la grande carcasse de Garen sur l'équorix pour honorer sa promesse et en finir avec cette histoire.

Gwen revint un peu plus tard en faisant un raffut d'enfer. La petite Korrigane volait littéralement sur le dos de l'équorix qui courait à une vitesse folle dans leur direction, seules les touffes de poils qu'elle tenait fermement l'empêchaient de tomber. Alice était hilare, sa bonne humeur revenue. 

— Eh, Gwen ! Tu fais du rodéo ? 

— Waha.ha.ha.ha ! C'est quoaaaa ? 

— Essayer de tenir sur le dos d'une bête en colère ! 

L'équorix s'arrêta net devant elle, émettant une sorte de grognement. 

— Oh pardon, je ne voulais pas te vexer ! 

Il se tourna sur le côté, lui présentant son flanc écailleux qu'elle caressa, prenant ce geste pour un signe. Il réagissait comme un cheval vexé, c'était amusant. Garen se déplaça en gestes saccadés jusqu'à l'équorix et ce dernier plia ses quatre pattes arrière pour qu'il puisse s'installer sans effort. Alice trouvait la scène vraiment cocasse. Le géant avait l'air extrêmement mal à l'aise, presque allongé sur la créature qui s'ébrouait, mais un regard à son abdomen bandé lui rappela le sérieux de la situation.

Alors qu'Alice comptait marcher à côté de la monture, l'équorix avança son museau reptilien et attrapa son vêtement du bout de la gueule. 

— Heee ! Ne déchire pas mon t-shirt ! 

— Mooonnte ! répliqua-t-il de son étrange voix caverneuse

Gwen ne se fit pas prier et sauta de nouveau sur la tête de la bête avant que tout le monde ne se tourne vers Alice qui était la dernière encore au sol. Elle poussa un grand soupir résigné. 

— Ook !

S’installant à califourchon juste derrière la nuque puissante de la créature, elle s'accrocha au tapis de poils longs comme à la crinière d'un cheval. Gwen, qui était sur le dessus de la tête face à elle, se tourna pour lui faire un sourire ravi, dévoilant toutes ses dents pointues. Dans son dos, elle sentait la présence de Garen, immobile et stoïque.

— C'est parti ! Direction Eilix ! cria Gwen à l'équorix de sa voix aiguë.

Les mouvements étaient étranges, comme le basculement d'un dromadaire, mais elle sentait les muscles de la créature rouler sous ses cuisses. Gwen poussa de petits cris pour encourager l'équorix à aller plus vite, et Alice se prit au jeu une fois qu'elle s'habitua aux mouvements de la créature. 

— Allez, Georges ! Plus vite ! cria-t-elle entousiaste alors que Garen ronchonnait dans son dos. 

— Il ne s'appelle pas Georges ! 

— Rohh ! Quel rabat-joie, dit-elle en se tournant vers lui, le sourire aux lèvres. Alors c'est quoi ? Hector ? Sebastian ? 

— Juste équorix...

Alice leva les yeux au ciel et lui tira la langue. 

— Équorix, est-ce que je peux t'appeler Georges ? 

— Ouuuuiii !

— He! Tu vois ! Il est d'accord ! répliqua Alice triomphalement en regardant Garen par dessus son épaule.

Elle le vit faire une sorte d'haussement d'épaules et éclata d'un rire clair, ravis de sa petite victoire.

Georges était à son rythme de croisière et courait presque, ondulant avec ses nombreuses pattes.

— C'est bizarre de n'avoir croisé personne ! s'étonna Alice.

La petite Korrigane répondit, un peu essoufflée :

— C'est normal ! C'est la période de récolte, les Brocéliandins sont allés aider au grand jardin.

— Qu'est-ce que c'est ?

— Quand le jour le plus long arrive, on doit aller chez Emrys. Dara et Cadoc sont là-bas !

Garen bougea un peu pour se redresser et parla d'une voix rauque.

— Il y a quatre périodes de récolte chaque année. Les druides du secteur se sont divisé le travail et s'occupent chacun d'approvisionner en plantes les autres. Mon ami Eilix lui s'occupe des plantes de la période froide.

— C'est malin de faire ça. Vous êtes payés pour récolter ?

Gwen parut surprise par sa question.

— Les druides ne font jamais payer leurs soins, répondit garen. Les Brocéliandins aident pour le service rendu.

— J'adore ce système ! Mais comment vivent-ils sans argent ?

— Le royaume de Brocéliande fonctionne principalement au troc et au service rendu. Nous avons une monnaie, mais elle sert surtout aux rares échanges en dehors du royaume. Être druide est une profession très respectée et ils ne manquent de rien, les Brocéliandins sont ravis de leur donner ce qu'ils veulent.

— Ça n'attire pas les convoitises ou la jalousie ?

— Ici, nous n'avons pas besoin de travailler, mais nous participons pour que tout fonctionne. Chacun à son niveau.

— Et à quoi sert votre Reine alors ?

— La Reine Dahut est là pour veiller à ce que l'équilibre soit respecté et que notre peuple ne manque de rien.

— C'est très idéaliste. Je ne pense pas que ça fonctionnerait sur Terre. Il y a trop d'humains qui aiment le pouvoir, l'argent ou dominer les autres.

— Il n'y a pas que de bons Aldariens... Mais la puissance de la Reine Dahut équilibre les choses ici dans notre royaume.

Alice le regarda avec suspicion.

— Elle se débarrasse de ceux qui perturbent cette harmonie, c'est ça ?

— Parfois.

Alice ne dit plus rien du reste du trajet et se demanda si elle ou Léa étaient considérées comme des éléments perturbateurs à éliminer.

— Alice !

— Hum ?

Elle sentit Garen se rapprocher d'elle et se crispa un peu, sentant la chaleur irradier dans son dos.

— Je suis désolé pour ton amie. Je regrette, je m'en veux.

Alice, surprise par cet aveu, se tourna, posant une de ses mains sur l'épaule de Garen, le regardant dans les yeux.

— Merci.

Puis elle se remit en place, calme. Elle se doutait qu'il avait bon fond, ses tripes le lui disaient et c'est en partie pour cela que la discussion d'hier l'avait marquée. Elle s'était sentie trahie par son sixième sens et aussi par un homme, un géant à qui elle commençait à faire confiance. Ces quelques mots la rassurèrent.

— On y est ! Georges, approche-toi de la porte, piailla la petite korrigane, coupant les pensées d'Alice.

 

À peine Alice fut-elle descendue de sa monture, que la grande porte de la grange claqua et une créature bipède à la peau rugueuse et brune, semblable à de l'écorce, arriva pour embarquer Garen. La rouquine se pencha vers Gwen pour lui chuchoter quelques mots. 

— Qu'est-ce que c'est, cette créature ? 

— Un troll des bois ! Celui-ci travaille avec le druide. C'est rare que les trolls vivent à l'intérieur. 

— Est-ce qu'il faut qu'on le suive ? 

— Hum, je ne crois pas, Eilix va s'en occuper. Il est gentil, mais bizarre, ce druide. Je ne viens pas souvent ici, c'est loin de notre arbre. 

— Bon, on ne va pas rester dehors quand même ! On est ici pour chercher des infos sur Léa et ce Donnon.

Sur ces paroles, elle toqua à la porte de la maison en bois tarabiscotée qui semblait entretenue mais très vieillotte. Mais personne ne répondit. Elle décida alors d'en faire le tour par le jardin, où de grandes plantes poussaient de manière anarchique.

— Excusez-moi ? Il y a quelqu'un ?

Alice entendit un bruit sourd et tomba nez à nez avec trois petits trolls à la peau d'écorce, lui arrivant au buste, qui entassaient de gros sacs et qui s'enfuirent en la voyant. Elle les suivit en courant à travers une allée traversée par des arches formées naturellement par des plantes grimpantes, formant presque un tunnel où le soleil filtrait à peine.

— Attendez ! Je cherche Eilix !

Elle vit les petites créatures rire et continuer leur course.

— Ah ! C'est comme ça que vous le prenez ! J'arrive ! cria-t-elle en les poursuivant, affublée d'un énorme sourire.

Elle sprinta à la suite des créatures qui slalomaient à la manière d'enfants jouant à chat, suivie de Gwen qui s'amusait follement en criant « Gnome, gnome ! » à tout va.

Elle déboucha en pleine lumière et fut momentanément éblouie. C'était l'arrière de la maison, dans un espace ouvert, où des plantes montaient comme des bambous çà et là, formant des colonnes vertes. Un chemin de pierre mousseuse les mena jusqu'à une sorte de terrasse où trônait une gigantesque table en bois qui semblait taillée à même un tronc monumental. Les trois trolls ou gnomes, comme le disait Gwen, s'installèrent à la table où de la nourriture était disposée à foison, et de gros pots fumants en son centre dégageaient des volutes de fumée.

Alors qu'elle s'approchait de la table, absorbée par la scène de repas en plein air, un « Bonjour humaine» grave résonna juste derrière elle. Elle sursauta et lâcha un juron.

Une créature imposante mais toute en longueur et en élégance passa à côté d'elle. Sa peau ou son poil, couleur caramel, faisait ressortir ses cheveux ou plutôt son crin blanc noué sobrement, cascadant librement dans son dos et des bois magnifiquement torsadés pointaient fièrement vers le ciel. Alors qu'elle suivait la créature en direction de la table, elle observa des pattes dotées d'ergots crochus, se demandant s'il s'agissait plutôt de pieds, de sabots ou de pattes de coq. Il se tourna vers elle pour la guider vers une place et elle put voir son visage aux traits de cerf singuliers ; ses yeux vairons jaunes et verts étaient magnifiquement bordés de cils blancs épais et Alice ne put s'empêcher de faire une remarque. 

— Ouah ! Vos yeux sont vairons ! Ils sont super beaux, c'est la première fois que j'en vois !

— Parce que tu as déjà vu un Draob ? Rit la créature, étirant ses lèvres dans un sourire très humain.

— N..Non, répondit Alice en rougissant.

Il semblait amusé par sa réaction, et elle vit ses oreilles de cerf bouger au-dessus de sa tête. Elle avait tellement envie de les toucher... ce qui décrocha un autre sourire au Draob, comme s'il avait deviné ses pensées. 

— Installe-toi, Alice. 

— Comment connais... Oh ! Vous êtes Eilix ! Est-ce-que Garen va s'en sortir ? 

— Il se repose, mange avec nous en attendant ! 

— Merci ! Mais avant ça, est-ce-que vous auriez vu le gardien Donnon en compagnie d'une humaine ? C'est mon amie Léa que je cherche, je suis ici pour la ramener sur Terre.

— Nous avons croisé Donnon il y a une semaine, quand il allait en direction de la Lande, près du territoire de Garen et cela fait bien longtemps que je n'ai pas vu d'humains.

— Ah... Nous en venons, mais aucune trace d'elle, répondit Alice dépitée. Je ne sais pas comment je pourrais la retrouver.

— Si elle n'a pas rencontré un sort funeste, elle cherchera surement à rejoindre la capitale.

Alice sentit son coeur se serrer, elle avait une piste sans en avoir une. Bien qu'elle sache que Léa avait fait les scouts, savait se défendre et était une experte en débrouillardise, elle s'inquiétait pour elle. Si elle n'était pas avec le gardin Donnon, cela voulait dire qu'elle se retrouvait seule, sans équipement et peut-être dans un état critique. Le druide, voyant la mine déconfite de la jeune humaine, lui tendit une tasse de ce qu'il semblait du jus, le regard rassurant.

— Ne vous en faites pas Alice, votre amie réaparaitra à point nomé, buvez, cela va vous revigorer.

Alice obéis et pris une gorgée du breuvage avant de tousser, les larmes aux yeux.

— Qu'est-ce-que cest que ça ? C'est vachement amer !!!

— C'est bon pour votre immunité, répliqua Eilix en riant.

Un rire général éclata autour de la table occupée par une bande de créatures éclectiques : trolls, gnomes, korrigan, fées et autres qu'elle ne savait pas identifier et tous mangeaient joyeusement. Gwen était en discussion animée avec des amis à elle, perdus de vue depuis longtemps. L'ambiance était chaleureuse et elle pouvait presque imaginer son grand-père rire, son visage se ridant comme un papier froissé alors qu'il siroterait son thé extra fort.

Alice souriait aussi et se rendit compte que malgré sa déception de ne pas avoir croisé Donnon ou Alice et son inquiétude première, elle sentait au fond d'elle qu'elle allait bien quelquepart, se laissant aller à l'ambiance chaleureuse de la tablée.

— Vous savez, j'ai l'impression d'être un peu comme Alice au pays des merveilles dans ce monde. Tout est si étrange et incroyable ici !

— Qu'est-ce que ch'est ?? demanda un des amis de Gwen, la bouche remplie de biscuits.

— Sur Terre, il y a une histoire appelée « Alice au pays des merveilles » . C'est l'histoire d'une jeune fille qui tombe dans un terrier de lapin et se retrouve dans un monde fantastique et complètement fou !

— Un terrier de lapin ? Fascinant ! Et ce monde fou, à quoi ressemble-t-il ? demanda le druide, ses yeux de biche écarquilllés de surprise.

— Oh, il est rempli de créatures étranges et magiques ! Il y a un chat qui sourit tout le temps et disparaît quand on ne s'y attend pas, un Chapelier Fou qui organise des tea-parties complètement loufoques et une Reine de Cœur qui adore couper la tête de tout le monde ! 

Quelques miettes tombaient de la bouche d'un korrigan effrayé. 

— Couper des têtes ?! Ça n'a pas l'air très joyeux, cette histoire... 

— Hehe ! Mais c'est ce qui rend l'histoire si folle et amusante ! C'est un monde de rêve où tout peut arriver, où les règles de la réalité n'ont plus aucun sens !

Eilix prit une gorgée de son jus infâme avant de lui sourire. 

— Cela ressemble à notre domaine alors ! Vous êtes notre Alice, tombée du ciel pour nous apporter des aventures incroyables. 

— Eh bien, j'espère que vous ne voudrez pas me couper la tête si je fais quelque chose de travers ! 

Alice, avec son habituel sourire de pirate, croqua un biscuit, faisant quelques miettes sur la tête de Gwen qui s'était approprié ses genoux. Cette dernière releva la tête pour la fixer, les yeux pleins de larmes. 

— Bien sûr que non ! C'est horrible !! La Reine Dahut ne ferait jamais ça.

Alice pouffa en essuyant les miettes dans les cheveux de la petite korrigane qui ne comprenait pas le second degré.

— Bon ! s'exclama Alice en léchant le sucre sur ses doigts. Je vais voir Garen. J'entends ses soupirs impatients jusqu'ici ! 

— Je n'entends rien ! Tu as l'ouïe fine !!! 

Alice éclata de rire en caressant la tête de Gwen. 

— Non, je ne l'entends pas réellement, c'est une manière de dire que je suis certaine qu'il boude dans son coin.

Alice et Gwen rejoignirent la maison, guidées par le Troll taciturne.

 

***

 

En fin d'après-midi, Garen était debout, torse nu afin de ne pas irriter sa peau nouvellement régénérée. Alice eut l'occasion d'admirer copieusement ses abdominaux avant qu'il ne se tourne en grognant, pour une raison inconnue, et elle en profita pour contempler ses muscles dorsaux qui étaient également agréables à voir. Son mauvais caractère ne pouvait lui enlever ça et Alice n'avait pas l'intention de se bander les yeux.

La jeune femme avait décidé de repartir au plus vite pour chercher d'autres pistes et opta pour dormir à la belle étoile, étant donné le temps chaud et le ciel dégagé. Gwen préféra rester chez Eilix avec ses amis pour papoter toute la nuit, ce qui les laissa seuls.

— On aurait pu rester chez Eilix ! Il nous aurait prêté une chambre, ronchonna le géant. 

— C'est pour ça que tu es de mauvaise humeur ? Moi, j'ai envie de camper, ça fait une éternité que je n'ai pas fait ça. J'ai les affaires que Noémie m'a passées et je ne verrai jamais aussi bien les étoiles de retour sur Terre. Tu n'es pas obligé de rester avec moi.

Un voile de tristesse passa devant les yeux de Garen, qui se referma comme une huître. Pendant qu'elle préparait le « camp» à quelques pas de la maison du druide, Garen l'aida en silence, allant puiser de l'eau, cherchant du bois ou allant pêcher un gros poisson dans la rivière. 

Il revint avec une sorte de bogue enroulée qu'il lança dans le tas de bois. Quatre pattes sortirent de la bogue qui se déroula et après un craquement sonore, les brindilles s'enflammèrent sous le regard émerveillé d'Alice.

— Ohhh ! C'est la même bestiole que chez toi ! C'est trop mignon. 

— C'est un Tincarff, on en trouve dans la forêt. Ils aiment bien qu'on les nourrisse et ils allument du feu. 

— Et ça ne les dérange pas que du jus de poisson leur coule dessus pendant la cuisson ?

Alice entendit simultanément un « Non» de Garen et un « Si»  du Tincarff qui se grattait avec sa patte arrière. Alice fit un grand sourire à Garen, qui se raidit légèrement. 

— On peut cuire le poisson avec de la braise, ça serait plus sympa pour lui ! Proposa Alice en dégageant la pauvre créature.

Après cet ajustement et un géant plus calme que jamais, il prit enfin la parole. 

— Alice, je vais venir avec toi pour t'aider à retrouver ton amie. 

— C'est gentil, mais tu n'es pas obligé, les Brocéliandins sont avenants et je suis débrouillarde ! 

— Tu pourrais avoir besoin de protection. 

Alice, la main sur la hanche, leva les yeux au ciel. 

— Tu sais mon grand, ce n'est pas parce que tu fais deux têtes de plus que moi que je ne saurais pas me défendre. Garen s'approcha brusquement d'elle, la coinçant contre l'arbre qui lui servait de dossier. 

— Et comment comptes-tu te défendre dans ce genre de situation ? 

Le cœur d'Alice battait la chamade, surprise par la réaction de Garen et sa proximité, mais en aucun cas effrayée. Elle posa sa main sur son ventre et leva la tête vers lui. 

— Si tu tiens vraiment à m'accompagner, donne-moi des arguments valables, plutôt que d'essayer de m'intimider ! Je sais que tu ne vas pas me faire de mal.

— Tu n'as pas spécialement le droit de te balader dans tout le pays, il n'y a pas que des Brocéliandins avenants.

— Gwen peut m'accompagner et m'aider à me cacher.

— La faune peut être dangereuse. Comment une petite korrigane pourrait-elle te libérer d'une liane carnivore ? 

— Je ferai attention. 

— Je... Je m'en voudrais s'il t'arrivait quelque chose. 

Alice sourit à pleines dents en le fixant, les yeux pétillants.

— Tu t'es habitué à moi et je vais te manquer, c'est ça ? Hehe ! On devrait tous avoir une Alice à la maison.

— Oui. 

La rouquine, qui pensait le taquiner, se retrouva soudain gênée par son honnêteté. 

— Garen, je veux bien que tu m'accompagnes, mais j'aimerais en savoir plus sur toi, pourquoi tu détestes les humains... Et tu veux bien t'écarter, tu me donnes chaud... (il fit un petit rire masculin) Enfin, tu dégages beaucoup de chaleur, je veux dire, torse nu comme ça. (Le géant commença à rire, fier de lui) Rahh ! Vas-y, moque-toi, tu feras moins le malin si quelqu'un te saute dessus parce que tu te trimballes à moitié à poil, géant exhibitionniste ! 

— Personne ne me sautera dessus ! Je suis fort. 

— Oui oui, macho man ! Allez, du vent.

Il s'écarta d'elle visiblement satisfait et s'installa au sol près d'elle, face au feu.

Alice se sentait minuscule assise au même niveau et elle se rendit compte que Garen avait toujours fait en sorte que leur différence de taille ne soit pas flagrante, se mettant un peu plus bas ou en s'asseyant alors qu'elle était debout

Là, il paraissait loin, physiquement et mentalement, plongé dans quelques pensées qui occultaient le reste.

Il n'avait pas grogné, ne s'était pas plaint de sa demande, mais son sourire s'était effacé au profit de cette distance. Seule la chaleur qu'il dégageait indiquait qu'il était encore présent.

Alice prit une grande respiration et souffla sur le feu pour que les braises se ravivent et les étincelles s'envolent, faisant frissonner le Tincarff. Elle n'avait pas froid, ne cherchait pas à attiser le feu, mais voulait juste laisser le temps et la place à Garen pour qu'il s'exprime. Elle avait réclamé quelque chose de personnel, il fallait qu'elle patiente. C'était difficile pour Alice de ne pas remplir l'air, mais il fallait qu'elle prenne exemple sur Noémie qui était douée pour faire parler les gens sans jamais rien leur réclamer.

Les minutes défilaient et, l'estomac plein, Alice commença à voir les étoiles apparaître alors que les braises rougeoyaient imperceptiblement.

— Quand j'étais enfant, une dryade m'a recueilli, entama Garen d’une voix calme.

Alice se tourna vers lui, fixant son profil au maxillaire prononcé, encore visible malgré la faible lumière.

— C'était une très vieille dryade, presque fossilisée par les années. Elle  était sévère, mais juste et elle parlait souvent de l'ancien temps où les humains célébraient les dieux de la nature, où ils suivaient les mêmes préceptes que nous, respectaient ce qu'elle offrait sans en abuser, continua Garen, avec douceur.

— Elle s'est bien occupée de toi, ça se sent que tu as beaucoup d'affection pour elle.

— Oui, mais ce bonheur n'a pas duré. Quand je suis devenu adulte aux yeux des Brocéliandins, elle m'a raconté ce qui lui pesait sur le coeur. La cruautée qu'elle avait subit des Hommes. Des centaines et des milliers de ses soeurs brûlées.

Alice se couvrit la bouche des mains, choquée, alors que Garen continuait à raconter, comme incapable de s'arrêter, les méfaits des humains.

— Ils réduisaient en cendre des forêts pour le simple fait de gagner une guerre et ont traqués le petit peuple comme des animaux. Toute cette rancœur et cette tristesse qu'elle avait accumulée au fil des siècles s'est déversée sur moi. Après ça, elle n'a plus voulu parler et a fini par tomber en cendre quelques années plus tard. Depuis, j'ai toujours cru que les Hommes finiraient par nous détruire, sinon pourquoi la Reine Dahut aurait-elle fermé nos frontières ? C'est ce que je pensais jusqu'à ce que je te rencontre, termina-t-il, prennant sa tête entre ses mains.

— Je ne ferais jamais de mal aux Brocéliandins ! dit Alice à voix base.

— Je sais... Je n'arrive plus à me dire que tous les humains sont mauvais. Et cette pensée me ronge, car j'ai l'impression de bafouer le souvenir de celle qui m'a élevé.

Alice resta sans voix quand elle aperçut comme des soubresauts agitant le corps de Garen. Elle se plaça face au géant vouté et enlaça sa grande carcasse, posant délicatement ses poignets croisés dans sa nuque. Ses deux grands bras à lui se rabattirent sur elle dans une étreinte désespérée, entourant tout son dos, lui broyant presque les côtes alors qu'il pleurait silencieusement contre sa poitrine.

Ils restèrent ainsi jusqu'à ce que le feu meure totalement et la nuit soit totale. Puis, toujours en silence, Alice et Garen s'allongèrent l'un contre l'autre à même le sol, sur l'herbe moelleuse et regardèrent le ciel.

Alice sentait son coeur se serrer car elle avait conscience de l'importance de leur discution. Elle sentit à peine la main de Garen qui caressait doucement ses longs cheveux roux dans un geste tendre alors qu'elle s'endormait, collée à son flanc, en recherche de chaleur.

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Bleumer
Posté le 25/04/2024
On retrouve une structure similaire à celle du chapitre précédent: un pan de vie quotidienne, un background de l'homme et un câlin pour se remettre des émotions.
Avec le récit de Garen qui s'étend sur plusieurs paragraphes, on a un peu de mal à déterminer quand s'arrête son récit et quand reprend la narration, par contre.
Papayebong
Posté le 22/06/2024
J'ai retravaillé le récit de Garen, pour que ce soit plus fluide et intégré des éléments différents dans la rencontre avec le Draob Eilix pour mettre d'avantage l'accent sur sa recherche de Léa et son inquiétude. Mais ce chapitre est avant tout là pour évoquer le passé du géant et qu'Alice s'attache à lui.
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