Juché sur un haut tabouret, Follet humait l'odeur familière de sciure qui émanait de l'établi. Il aimait rendre visite à Solas quand il en avait l'occasion. Il regardait les mains de son ami, qui rognait patiemment de petites pièces de verre, ou faisait goutter l'étain sur le plomb, méticuleusement. Solas étant l'unique vitrailliste de la cité, l'ouvrage ne manquait pas. Il quittait peu l'atelier, où ses journées commençaient bien avant l'aube, et appréciait les monologues interminables de Follet. Le bavard avait pour seule consigne de ne toucher à rien et de ne pas chercher à l'aider en quoi que ce soit. Mais ses histoires l'inspiraient, et il en faisait des tableaux de verre. Les acheteurs raffolaient des scènes colorées de Solas, qui ornaient leurs fenêtres de fées brunes au teint de glace, de chevaliers armés d'or, de guerrières et de femmes-renards.
Ce jour-ci, Solas finissait le panneau central d'un triptyque consacré à la victoire des Tyr et des Lettfeti sur la domination des Fatas, et la création du royaume des Terres-Mêlées. Le marchand qui avait commandé la pièce avait laissé carte blanche à l'artisan sur le motif, et Follet lui avait soufflé cette idée. La cuisson avait fixé la couleur sur les pièces peintes la veille, et l'étape finale de l'assemblage l'attendait. Alors que Follet divaguait, les jambes ballantes, sur les gargouilles de la vieille université que nul ne prenait plus la peine d'admirer selon lui, Solas sertissait les pièces dans le plomb, maniant avec dextérité le petit marteau et les cales de bois tendres. Follet avait hâte d'en voir le résultat. « Tu sculptes la lumière », lui disait-il souvent, admiratif.
« Dis-moi Follet, me rendrais-tu un service ? Le Crieur ne devrait pas tarder, et je n'ai pas le temps d'y aller, là, je dois livrer demain. Pourrais-tu t'y rendre et de me dire si un équipage pour le nord est bientôt prévu ?
– Mm, je ne donne pas cher de mes oreilles avec le brailleur-là ! Enfin, j'en ramènerais peut-être une rumeur succulente, qui sait... Ce n'est pas comme si je pouvais compter sur toi pour me raconter de menus potins !
– Merci Follet. Et bouche-toi les oreilles pendant le poème !
– La Pestelune, oui ! Et je fermerais les yeux, au cas où j'arrive à lire sur ses lèvres ! »
Le jour naissait, l'air était doux. Dernières chaleurs avant que n'arrivent les Vents, et après eux les Glaces. Pourrait-il poursuivre ses histoires alors ? Déjà la veille, il avait dû sautiller sans cesse pour que ses mains puissent encore pincer les cordes de son crincrin. Il avait débuté ses cantos pendant les Chants, au plus chaud de l'année... Assurément, il lui faudrait bientôt une pelisse. Grand-mère pourrait lui en tailler une s'il arrivait à payer quelques peaux de renards. Non, pas du renard, l'idée le dérangeait. De la gloussette, ou du chien des plaines.
Il calculait de tête sa maigre fortune, le pas badin, en remontant l'Allée de la Braconne. Il perdit ses comptes lorsqu'il croisa, groupés comme toujours, des Prieurs du Lac, reconnaissables à leurs tuniques pourpres et leurs mines patibulaires. Leur regard qui ne se fixait que sur les ombres mettaient Follet mal à l'aise. Et le fâchaient complètement les paniers d'offrandes – oranges vertes du sud, miel de fenouillette et liqueur de freyle – jetées sans discernement dans le Lac aux aiguilles, qu'ils refusaient de nommer ainsi. Comment l'appelaient-ils déjà, Bra'han ? Bra'cahn ? Il lui faudrait trouver l'origine de ce nom, par ailleurs... Peut-être qu'une histoire se nichait dans ces eaux stagnantes.
Lorsqu'il arriva Place du Bouge, le Crieur venait tout juste de prendre place sur son seau retourné, droit comme un pendu. Il commença à débiter un poème plus infâme encore qu'à l'accoutumée, devant un public hilare : une grande gamine en tablier s'était glissée à ses côtés, légèrement en retrait, et le mimait de façon grotesque. Le spectacle eut un grand succès, mais le Crieur ne s'en émut guère. J'ai intérêt à faire attention à cette chipie, si peu qu'un jour il lui vienne idée de me faire pareil coup... se dit Follet.
Durant la litanie des naissances et décès, Follet lorgna du côté les filles, paresseusement. Les deux lavandières sous l'arbre étaient bien jolies, mais leurs mains étaient sûrement rugueuses comme la jute, abîmées par l'eau bouillante et le savon noir. Or, Follet ne jurait que par les mains : des doigts blancs et doux comme le vélin le mettaient en émoi plus assurément qu'une jolie gorge.
De toute façon, que ferais-je donc d'une belle amie ? Elle ne voudrait mes chansons rien que pour elle, et jalouserait les belles fées des contes, je n'ai pas de temps pour cela...
Il ne put se consoler plus longtemps, le Crieur s'attaquait aux annonces. L'équipage des Cimes était reparti la veille, dommage, Solas allait devoir patienter. Follet allait s'éclipser, quand le Crieur ajouta :
« Une annonce du château à présent, messieurs et dames ! Affichée aux grilles des Chimères depuis hier au soir ! On y cherche un assistant-guérisseur et homme à tout faire, moyennant un mélior par jour et le couvert ! Les candidats devront avoir la pleine santé, le savoir lire et le savoir écrire. On les attend aux portes de l'enceinte des Chimères demain au lever du jour. »
L'annonce eut sur Follet l'effet d'un parfum capiteux, puissant, légèrement enivrant. Travailler au château des Chimères, voilà l'occasion idéale d'approcher la tour des Écrits et ses merveilleuses archives. Il pourrait y lire tous les secrets des fées et des Sang-mêlés qu'il ignorait encore ! Il en avait bien fait la demande à plusieurs reprises, pendant les Doléances, mais l'Archiviste ne l'avait pas pris au sérieux et sèchement congédié. Cette annonce lui était destinée, pas de doute. De plus, quelques mélior ne seraient pas de trop pour s'offrir la pelisse qui n'allait pas tarder à cruellement lui manquer. Peut-être même pourrait-il offrir une lampe à huile à grand-mère... Ainsi, bien qu'il eut totalement oublié ce dont il était question, il se présenta le lendemain au rendez-vous, avant les premières lueurs.
Cette Annwn me semble toujours aussi suspecte. Cette remarque à propos de la mort de Beth sous-entend-elle qu’Annwn y serait pour quelque chose ? Et Aloysius a vraiment l’air d’être son complice dans les activités liées à ses recherches ; en tout cas rien n’indique qu’elle l’oblige à l’aider.
À la première apparition de la fillette, je me suis demandé si ce n’était pas un fantôme. Si Annwn a peur d’elle, c’est peut-être parce qu’elle a quelque chose à se reprocher. Mais si Aloysius est son complice, quel tort pourrait lui faire sa fille ?
C’est intéressant de voir travailler cet homme qui fabrique des vitraux. Maintenant, on se demande un peu quel rôle il pourra jouer par la suite.
Si Follet va travailler au château, il sera l’assistant d’Olga et ça va regrouper des personnages importants dans l’histoire ; c’est réjouissant. Mais s’il travaille avec Olga, aura-t-il encore du temps pour ses cantos ? C’est quand même pour ça qu’il a besoin d’accéder aux écrits...
Coquilles et remarques :
— Mais elle ne jugea pas bon de lui en fait part [lui en faire part]
— Elle partageait sa couche et ses repas du soir, et s'en satisfaisait, sachant d'instinct qu'il ne pouvait trop en demander. [Pas de virgule avant « et » / et il s’en satisfaisait]
— languir au lit bien après les Fumes, y prendre son déjeuner, et passer des heures [pas de virgule avant « et »]
— de la solitude qui était pourtant sienne [la sienne]
— que je n'avais pas de temps à perdre Aloysius. Et vous non plus je pense [virgule avant « Aloysius » et avant « je pense ».]
— Annwn repris sa fastidieuse lecture [reprit]
— Le rouleau ramené par Aloysius [rapporté ou apporté]
— Certains caractères étaient retouchés, suite à une erreur [à la suite d’une erreur (sans virgule)]
— la création du Royaume des Terres-Mêlées [pas de majuscule à « royaume »]
— Elle abandonna brusquement son étude, redescendit l'escalier de cuivre, et passa une tête dans les petits appartements de l'archiviste. [Pas de virgule avant « et » / passa la tête]
— aux longs cheveux blancs filasses [Si « filasse » concerne la couleur, c’est blanc filasse ; les adjectifs composés de couleur sont invariables. Si tu veux parler de leur consistance, il faudrait plutôt dire « filasseux ».]
— Son visage en réalité n'était pas tant disgracieux [Il faudrait mettre « en réalité » entre deux virgules.]
— « Je n'y arriverai pas Aloysius, il me faut un interprète. [Virgule avant « Aloysius ».]
— Aloysius perdit son regard moqueur un instant, et la regarda avec intensité. [Pas de virgule avant « et ».]
— il devait l'admettre bien qu'il feignit n'être nullement sensible [qu’il feignît (subjonctif imparfait) de n’être ; on dit « feindre de » avec un infinitif]
— Il vous faudra bien deux jours pour vous y rendre, et il n'y aucune auberge [il n’y a]
— Il lui ramena un plan glissé dans un petit tube de cuivre, adapté aux voyages, et un objet petit et lourd [Il lui apporta / ainsi qu’un objet (pour éviter d’avoir deux fois « et »)]
— Personne ne m'a jamais vu en sa possession. [Personne ne l'a jamais vu en ma possession ; ce n’est pas l’objet qui a Aloysius en sa possession.]
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— consacré à la victoire des Tyr et des Lettfeti sur la domination des Fatas, et la création du royaume des Terres-Mêlées [pas de virgule avant « et » / et à la création]
— le petit marteau et les cales de bois tendre [de bois tendre ; elles sont faites dans un bois tendre]
— avec le brailleur-là ! Enfin, j'en ramènerais peut-être / Et je fermerais les yeux [le brailleur, là / ramènerai ; futur simple / fermerai ; idem]
— Il avait débuté ses cantos pendant les Chants [Il avait commencé, entrepris ses cantos, il s’était attelé à ses cantos ; débuter est intransitif.]
— en remontant l'Allée de la Braconne [pas de majuscule à « allée »]
— Leur regard qui ne se fixait que sur les ombres mettaient Follet mal à l'aise [mettait]
— Follet lorgna du côté les filles, paresseusement [du côté des filles]
— rugueuses comme la jute [le jute]
— Elle ne voudrait mes chansons rien que pour elle, et jalouserait les belles fées des contes, je n'ai pas de temps pour cela… [Elle voudrait / pas de virgule avant « et » / point ou point-virgule après « contes »]
— mais l'Archiviste ne l'avait pas pris au sérieux et sèchement congédié [et l’avait sèchement congédié ; tu ne peux pas enchaîner un verbe à la forme affirmative et un verbe à la forme négative sans répéter l’auxiliaire]
— quelques mélior ne seraient pas de trop [méliors]
— Ainsi, bien qu'il eut totalement oublié [qu’il eût ; subjonctif imparfait]
Je me demandais quand le destin de Follet croiserait celui d'Olga et on dirait qu'avec cette annonce, ça se concrétise. Et leurs destins seront liés à celui de l'Archiviste, vu que Follet est intéressé à consulter des documents. Bref, tout cela est très prometteur !
Rhoo moi aussi je commence à l'aimer ce Follet :)
Enfin un lien avec les autres, et surtout avec Olga. Cool ils vont se rencontrer !
Très bon le passage avec la fille qui imite le crieur, et Follet, très pro, qui se méfie pour lui-même :)
Détails :
"Et le fâchaient complètement les paniers d'offrandes – oranges vertes du sud, miel de fenouillette et liqueur de freyle – jetées sans discernement dans le Lac aux aiguilles, qu'ils refusaient de nommer ainsi." : la phrase est jolie mais pas très claire. C'est surtout les paniers d'offrandes, on se demande ce qu'ils viennent faire là. C'est quoi ces offrandes ?
"Durant la litanie des naissances et décès, Follet lorgna du côté les filles, paresseusement." : du côté DES filles
"Elle ne voudrait mes chansons rien que pour elle, et jalouserait les belles fées des contes, je n'ai pas de temps pour cela... " : je dirais qu'il faudrait dire soit "elle ne voudrait mes chansons que pour elle" soit "elle voudrait mes chansons rien que pour elle"
"De plus, quelques mélior ne seraient pas de trop" : ça s'accorde pas mélior ?
Oui, j'aime ce passage avec la gamine qui imite le Crieur aussi... Le genre de scène pas prévue qui surgit de nulle part !
Les vitraux, j'ai fait deux stages, donc en effet je connais assez bien la technique ! Pour combler ma frustration de ne pas en faire, je l'ai casé ici !