Alek s’éveilla un après-midi, l’esprit étonnamment clair et alerte. C’était comme sortir d’un long rêve : il se sentit d’abord désorienté, avant de se réancrer doucement dans la réalité.
Il se trouvait dans une caverne pourvue d’une grande entrée, alongé à plat ventre sur un lit de feuille et vêtu en tout et pout tout de son caleçon. Comment avait-il atteri ici ?
Il en était à ce stade des premières reflexion lorsqu’une déflagration retentie dans son esprit.
Il ne souffrait pas.
L’onde de choc ne s’arrêta pas là : son corps avait changé.
Le temps s’arrêta.
Son cerveau incrédule tentait vainement de se raccrocher à quelque chose de rationnel, le gazouillement des oiseaux à l’extérieur, le bruit du vent qui s’engouffrait… Alek avait rêvé toute sa vie d’être soulagé de l’abominable douleur qui l’accablait nuit et jour. Mais au lieu d’un sentiment d’enchantement, il expérimentait un vide immense, un changement trop radical pour ne pas le secouer au plus intime. Il n’était plus lui-même, s’était réveillé dans la peau d’un autre.
Tout cela ne pouvait pas être réel.
Une peur ridicule le retenait d’examiner les deux ailes qui avaient remplacé son hideuse bosse et qu’il sentait, comme deux bras supplémentaires ornés de plumes, s’animer avec le reste de ses membres.
— Alek ?
La silhouette d’Olivia s’encadrait dans l’antre lumineux de la grotte. Elle portait une gourde en peau remplie d’eau. Alek se sentit immédiatement délivré de ses angoisses : rien ne comptait d’autre qu’elle, la prunelle de ses yeux. Il la détailla, saisi par la transformation de son apparence : elle avait perdu du poids et flottait dans ses vêtements sales. Sa figure habituellement éclatante de santé était terne et creusée.
— Combien de temps ais-je été absent ? croassa-t-il avec inquiétude.
Il avait la bouche sèche et sa tête commençait à lui tourner.
— Un mois… je crois.
Olivia le fixait bizarrement, en pleine confusion.
— Je vais bien, se hâta-t-il de dire.
Elle glissa tout à coup sur le sol, hagarde. En voulant se précipiter sur elle, Alek chancela sur le côté, pliant son aile gauche sous son poids. Ce fut comme s’être tordu une cheville. Il attignit Olivia à quatre pattes.
— Qu’est ce qui m’arrive…
La jeune femme se tenait les côtes, le visage crispé. Il tint contre lui, listant dans sa tête les différentes causes de douleurs thoraciques qu’il connaissait.
— Ne bouge pas, je vais chercher de quoi te soulager. Je n’en ai pas pour longtemps.
Alek l’aida à s’allonger par terre. Son pantalon, plié avec soin, l’attendait à côté de son lit de feuille : il l’enfila (le tissu était maculé de vieilles tâches de sang) puis sorti péniblement de la grotte. Il était encore extrêmement faible et puisait au fond de ses ressources pour surmonter sa fatigue. Ses ailes modifiaient la balance naturelle de sa démarche : il les détendit doucement, puis les replia. C’était très étrange.
Le soleil brillait, en parti camouflé par les arbres. Il reconnut immédiatement la végétation propre à la forêt Halda : ils n’étaient donc pas très éloignés du camp de l’Est. Qu’ils n’aient pas été repris tenait du miracle, ou alors Olivia avait bénéficié d’un soutien providentiel. Un pas après l’autre, il se familiarisa avec son nouveau corps ; son allure était naturellement plus fluide, presque aérienne.
Olivia allait déjà mieux : ses émotions s’apaisaient progressivement. Alek fit tout de même un petit repérage des allentours, ramassant une poignée de myrtilles sauvages et un peu de salsepareille sur son chemin. Au bord du ruisseau qui jouxtait la caverne, il se rinça le visage et les jambes. Il n’osait pas encore toucher son dos, couvert par un large pansement.
Lorsqu’il atteignit de nouveau la grotte, Olivia s’affairait : elle était en train d’allumer un feu pour chauffer son eau.
Elle se retourna subitement, comme si elle l’avait senti arriver. Alek perçu aussitôt la panique qui montait en elle, acide comme du jus de citron. Il la somma de lui dire ce qui se passait, trop tard : Olivia était déjà pliée en deux. Sa poitrine se souleva plusieurs fois.
— Je…je vais vomir…
Alek n’eut pas le temps d’intervenir ; elle se vida par terre en quelques soubresauts, atterrée.
— Ce n’est rien ! s’empressa-t-il de dire. Je vais nettoyer ça.
— Non…
Olivia s’assit sur son petit tapis de feuilles, trop mal en point pour protester plus longtemps. Elle ne devait pas s’être nourrie ces derniers temps car elle n’avait vomi qu’une bile verdâtre. Alek lui tendit la gourde d’eau, qu’elle porta à ses lèvres tout en continuait à le regarder d’une façon curieuse. Le mal ne s’estompait pas.
Il ajouta quelques feuilles aux déjections puis forma un tas qu’il porta à l’extérieur. Il alla ensuite laver ses mains au point d’eau, et en profita pour cueillir d’autres plantes qu’ils pourraient consommer en bouillon. C’était un pis-aller : il lui faudrait rapidement chasser pour retrouver de l’énergie.
Lili semblait à nouveau se porter comme un charme. C’était tout bonnement incompréhensible.
Lorsqu’il revint et qu’elle recommença simultanément à haleter comme une mourante, le lien entre sa proximité et le mystérieux mal ne fit plus de doute.
— Il y a comme une présence à l’intérieur de moi, souffla-t-elle en le fixant droit dans les yeux. Cette… chose est inquiète.
L’ylure est réciproque.
Cette certitude résonna dans l’esprit d’Alek comme le chant envoutant d’une sirène. L’ylure était réciproque. Cela pouvait expliquer bien des choses : sa métamorphose, sa survit miraculeuse… ne disait-on pas le couple Pygargue immortel ?
Il comprit, émerveillé, que ce lien était la preuve des sentiments qu’elle lui vouait (l’ylure ne mentait jamais) et chavira dans un bonheur pareil à nul autre.
— Arrête !
Olivia se tortillait lamentablement, ce qui rammena Alek à sa situation de manière brutale. Cela n’aurait pas dû se passer de cette façon : une fois l’ylure réciproque, tout ne devait qu’être qu’amour et félicité. Il n’avait jamais cherché à se renseigner davantage sur la question et ignorait si un tel phénomène s’était déjà produit : peut-être fallait-il seulement un peu de temps à Olivia pour supporter physiquement ce bouleversement ?
La pauvre resta couchée, la respiration saccadée, pendant qu’il préparait un semblant de repas dans l’unique gamelle, s’efforçant de contenir les émotions qu’elle semblait ne pas pouvoir supporter. Son champ de vision s’assombrissait : il allait finir par perdre connaissance s’il ne se nourrissait pas.
— Est-ce que tu vas m’expliquer ? lui demanda-t-elle doucement, les yeux humides.
Le cœur d’Alek se gonfla d’appréhension et il l’entendit à nouveau gémir de douleur.
— Il faut d’abord que tu manges. Ensuite, je te le promets, je te dirais tout. Je dois aussi savoir ce qui s’est passé depuis… depuis la falaise.
La jeune femme avait besoin de focaliser son esprit sur quelque chose et saisi cette occasion pour lui raconter d’une petite voix étouffée les évènements des dernières semaines : comment ils s’étaient tous deux évanouis, avant qu’elle ne se réveille et le retrouve sans sa bosse, baignant dans son sang.
Comment Clovis Medon l’avait sauvé, lui trouvant un endroit où se cacher et les moyens de le soigner. Elle évoqua avec tristesse les circonstances de la mort d’Idylle, la fille de son collègue boucher qu’elle imaginait dévasté à l’heure qu’il était.
— Au bout de quelques jours, le Commandant n’a plus été en mesure de m’aider. Il m’a donné une carte, dit-elle en lui désignant un bout de papier. Je devais suivre un trajet en plusieurs étapes pour atteindre un lieu où nous aurions été en sécurité, d’après lui. Il a fait en sorte que le périmètre où nous nous trouvons ne soit pas surveillé.
Alek fronça les sourcils :
— Où est ton cheval ?
Elle soupira.
— Nous n’en n’avons pas, je t’ai porté sur mes épaules. Il fallait faire plusieurs allers-retours de nuit pour transporter toutes les affaires d’un point à autre… j’ai fini par en abandonner une grande partie. Cela fait un moment que nous n’avons pas bougé maintenant, car je suis trop fatiguée.
Clovis n’avait même pas été fichu de lui procurer un cheval ?! Alek l’imagina en train de crapahuter seule à travers la forêt, terrorisée et épuisée. Il se sentit bouillir. Olivia poussa une longue plainte et se recroquevilla davantage sur elle-même.
— Tu as fait preuve de beaucoup de courage, dit-il tout en essayant de se calmer.
Elle n’avait pas évoqué Tilma mais il n’était pas difficile de deviner à quel point le sort de cette dernière avait dû occuper ses pensées.
— Le Commandant t’a t-il donné des nouvelles d’Oclamel?
Olivia ne put retenir deux larmes, qui roulèrent lentement sur ses joues. Sa peine s’inscruta profondément dans la chair d’Alek.
— Il m’a dit qu’elle avait été capturée, mais c’était il y a quelques semaines. Je n’ose pas imaginer ce qu’ils ont dû lui faire…
Alek se concentra de toutes ses forces sur la cuisson du bouillon pour ne pas trahir ses sentiments à ce propos. Il ne faisait clairement aucun doute que Tilma était morte à l’heure qu’il était. Mais grace à ce sacrifice, eux, étaient vivants.
Il tendit à Olivia un petit bol de bouillon où flottaient quelques feuilles. Elle releva les épaules et bu d’une traite, les yeux fermés : la faim devait lui vriller l’estomac. Alek fit de même, en silence.
Il se sentait bien. Vraiment bien.
Les évènements s’étaient déroulés mieux qu’il n’aurait jamais oser l’espérer. Sa famille, la Résistance, Tilma… n’étaient plus un problème. Alek était proche du but : à présent, il lui restait à mettre sa douce moitié définitivement à l’abris, de construire leur nid et de vivre avec elle isolé du monde, dans la communion la plus parfaite. Il ne désirait rien d’autre.
Mais, pour commencer, des explications s’imposaient. Il fronça les sourcils, cherchant la meilleure façon de lui présenter l’intangible. Une idée lui vint à l’esprit et il retira le bracelet d’où pendait son édate, d’une couleur rouge peu prononcée. Olivia le regarda faire, toujours au plus mal.
Alek tourna la pierre entre ses doigts pour trouver le mécanisme d’ouverture. Il avait fait concevoir ce pendentif spécialement pour cacher son objet le plus précieux. L’édate s’ouvrit avec un petit bruit sec et une autre pierre lisse, au magnifique moiré bleuté tomba au creu de sa main. Olivia l’observa avec attention : elle n’en avait jamais vu de semblable.
— Qu’est-ce que c’est ?
— Le perilinen. La pierre des héritiers Etcho.
— Comment est-ce que tu…
— Je suis né avec.
Il n’eut rien besoin d’ajouter. Lentement, Olivia assembla les pièces du puzzle.
— L’Empereur… c’est ton père ?
Alek acquiesça. Cela ne faisait pour lui aucune différence : cet homme était un parfait inconnu et il n’avait nullement envie de faire sa connaissance. Bien qu’élevé pour le tuer, cet objectif ne faisait plus guère sens depuis que son âme soeur était entrée dans sa vie. Son oncle Martin devait se retourner dans sa tombe à ciel ouvert. Cette idée lui plaisait.
— Sait-il que tu es vivant ? parvint-elle à articuler.
Alek ignorait les circonstances exactes qui avaient entouré son exil à Stronk, alors qu’il n’était qu’un bébé. Martin n’en parlait jamais. Comme tout le monde, il connaissait la version de l’histoire qui voulait que Karza Etcho ait pris le pouvoir par la force puis tué ou emprisonné tout ceux qui s’était opposé à lui. Mais cela lui parraissait trop carricaturale pour être l’entière vérité. Une chose était sûr, il avait survécu miraculeusement, grace à l’ylure, alors que tout le monde le pensait mort.
Olivia n’avait toujours pas compris où il voulait en venir. Elle semblait avoir du mal à respirer, et Alek était de plus en plus concerné par son état. Enfin, il se jeta à l’eau :
— L’ylure a cellé nos destins lors de notre venu au monde. J’ai grandi avec ta présence à l’intérieur de moi. Je veux dire… je ressens ce que tu ressens. Depuis toujours.
Il ne put réprimer son ardeur, qui se déversa sur ell telle une lame de fond, la paralysant totalement. Olivia poussa un râle terrible.
— Excuse-moi ! s’écria Alex, je n’arrive pas à contrôler !
Il se sentait complètement impuissant.
— Je ne comprends pas !
— L’ylure est réciproque à présent… mais tu n’as pas l’air de pouvoir le supporter. Comme si l’intensité de mes émotions était trop forte pour toi.
— Est-ce qu’on peut arrêter le phénomène ?
— Je n’en sais rien, avoua-t-il.
Mais Olivia n’écoutait déjà plus. Elle sombra, inconsciente.
Olivia a fait preuve de beaucoup de courage, on voit la différence avec le début, où elle était plus "molle". Cela ne parait pourtant pas choquant, puisque on a vu son tempérament évoluer petit à petit ^^
Ce phénomène est très étrange ? Est-ce la puissance des sentiments d'Alek ? est-ce qu'elle est enceinte ? Est-ce que, est-ce que... pas mal de questions !!
Donc, je peux maintenant dire que je vais lire le dernier xD T-T :D (oui j'ai remis les mêmes smileys xD)
• "alongé à plat ventre sur un lit de feuille et vêtu en tout et pout tout" → allongé / pour tout
• "Comment avait-il atteri ici ?" → atterri
• "des premières reflexion lorsqu’une déflagration retentie dans son esprit" → réflexions / retentit /
• "Il attignit Olivia à quatre pattes" → atteignit
• "Il tint contre lui, listant dans sa tête les différentes causes" → "il la tint contre lui", non ?
• "puis sorti péniblement de la grotte" → sortit
• "Le soleil brillait, en parti camouflé par les arbres" → en partie
• "focaliser son esprit sur quelque chose et saisi cette occasion" → saisit
• "Elle releva les épaules et bu d’une traite, les yeux fermés" → but
• "il lui restait à mettre sa douce moitié définitivement à l’abris" → abri
• "tomba au creu de sa main. Olivia l’observa avec attention : elle n’en avait jamais vu de semblable." → creux / vue
• "Martin n’en parlait jamais" → là on a l'impression qu'il est toujours vivant ^^ Peut-être "n'en avait jamais parlé", ou "n'en parlait jamais, durant son enfance" ^^
• "puis tué ou emprisonné tout ceux qui s’était opposé à lui" → tous ceux / opposés
• "Mais cela lui parraissait trop carricaturale pour être l’entière vérité" → paraissait / caricatural
• "L’ylure a cellé nos destins lors de notre venu au monde" → scellé / venue
• "qui se déversa sur ell telle une lame de fond, la paralysant" → elle
C'est super si tu trouves qu'olivia a évolué, c'est ce que je souhaitais mettre en avant tout le long de l'histoire.
Merci merci <3
Et oui Olivia évolue au fil du roman, j'espère que ça reste crédible.