Chapitre 27 - Contre-attaque

« Je sais lire » pensa Aube le plus distinctement possible.

Noémie la regardait sans avoir l’air de comprendre.

— Essaie encore, chuchota-t-elle à son amie en prenant soin de ne pas être entendue par leur institutrice.

« Je te dis que je sais lire ! » reformula-t-elle clairement dans son esprit.

— Tu sais lire ? s’exclama sa complice.

— Tu as une question, Noémie ? s’étonna Madame Claire.

« Dans ta tête ! » l’exhorta secrètement Aube.

— Non, madame, s’excusa-t-elle. Tout va bien.

— Alors, reprenez vos exercices en silence.

« Comment est-ce que tu as appris ? » demanda Noémie sans un mot.

« Avec Jeanne. »

« Oh ! Tu as réussi, c’est génial ! »

Aube prit le risque de se tourner vers son amie, le visage illuminé et en lui faisant un clin d’œil.

« Noé, toi aussi tu as réussi ! Tu comprends mes pensées ! Je savais que tu pouvais y arriver ! »

« C’est fabuleux ! » reconnut-elle.

Noémie avait les larmes aux yeux.

« Fais semblant de continuer à travailler » lui conseilla son amie. « Et raconte-moi comment ça s’est passé hier avec mon frère et mon père. »

« Ton frère était déçu, tout le monde n’a pas accepté nos affiches. Il nous en restait. »

« Il y a des gens qui ont refusé ? Mais pourquoi ? »

« Soit ils n’étaient pas intéressés ou ils étaient d’accord avec l’antenne. »

« Mais qu’est-ce que vous avez fait ? » voulut savoir Aube.

« Rien. Ton papa a dit que ce n’était pas grave, qu’on allait arrêter de sonner aux portes et mettre le plus possible d’invitations dans les boîtes aux lettres. À la fin, il était surpris, il ne pensait pas qu’il y avait autant d’habitants dans le quartier. Il a dit qu’il en réimprimerait d’autres et qu’il les distribuerait plus tard. »

« S’il a le temps... » s’inquiéta sa fille.

Pour un observateur non averti, les deux enfants donnaient l’impression d’être très concentrées. Mais intérieurement elles étaient plutôt préoccupées. Noémie se frottait les tempes.

« Oh ! J’entends des bruits dans ma tête. Aube, ça me fait mal. Qu’est-ce qui se passe ? »

« Attends ! » ordonna son amie.

Aube aussi avait senti une modification de ses perceptions, une vibration lointaine qui prenait de l’ampleur.

— Éfflam ! cria-t-elle.

L’enfant-chat essayait d’entrer en communication avec elle, mais son esprit était dispersé, sollicité par trop de soucis à la fois. Elle avait reconnu sa voix comme un écho lointain, un cri perdu dans le vent de l’orage.

— Aube ! s’énerva son institutrice en se levant pour surveiller le travail de ses élèves. Est-ce qu’on peut savoir ce qui se passe ?

— Je dois aller aux toilettes, madame ! répondit-elle en se tortillant. C’est urgent !

— Ah ? Bien, tu peux y aller. Mais fais vite !

« Qu’est-ce qui se passe ? » l’implora Noémie.

« Éfflam a des problèmes et il essaie de me contacter. Je te raconterai. »

Aube referma la porte des toilettes derrière elle.

« Aube, on a besoin de toi ici » dit son ami quand elle parvint enfin à se focaliser sur lui.

« Mais c’est impossible, je suis à l’école. »

« Une camionnette est arrivée dans le quartier ce matin, emplie de matériels qui émettent des ondes puissantes. Tous les animaux sont affolés ! »

« Et qu’est-ce qu’elle fait cette camionnette ? »

« Il y a deux hommes. Ils passent dans les maisons qu’on a visitées et ils rétablissent les téléphones. »

« Éfflam ? » demanda la fillette. « Est-ce qu’il y a quelque chose écrit dessus ? »

« Oui » répondit-il. « Je vois sept grandes lettres rouges : G – I – G – A – C – O – M. »

« Oh, non ! GigaCom ! Ils viennent pour l’antenne. »

 

Sur la colline, la nature était en pleine agitation. Le soulagement ressenti depuis la coupure des quelques émetteurs d’ondes domestiques avait été de courte durée. Déjà, ils étaient presque tous réparés et, cette fois, mieux protégés. Les employés de GigaCom installaient des gaines renforcées, censées les protéger des morsures, et des boîtiers à ultrasons pour chasser les rongeurs à l’ouïe sensible.

Éfflam avait trouvé la fouine survoltée. Elle tournait en rond, tel un ballon qui se vide, sur un territoire qu’elle voyait soudain rétréci. Les ultrasons lui vrillaient les tympans et lui interdisaient l’accès à de nombreux jardins de maisons où elle aimait auparavant fouiller en quête de nourriture ou d’abris chauffés. Les insectes et les arbres s’énervaient. Ils n’avaient pas approuvé les opérations clandestines de Aube et de ses amis animaux. Maintenant ils craignaient que tous ne soient les victimes des représailles des hommes. Ils ressentaient les effets des appareils de mesure installés dans la camionnette. Ceux-ci scrutaient la colline et perturbaient ses vibrations naturelles. Mais les animaux et les plantes percevaient surtout une autre menace dans l’air, un danger pour l’avenir. Certains le savaient : quand l’homme est en marche, des pans entiers de nature peuvent succomber. Et cette fois, leur tour arrivait. Les insectes se terraient. Les arbres tremblaient de toutes leurs feuilles.

Aube retrouva Max et Noémie à la récréation et les mit au courant des informations d’Éfflam. Les événements en cours les bouleversaient. Aube était d’avis que leur aide était requise. Ils devaient trouver un moyen de rejoindre immédiatement la colline. Mais Max n’avait jamais vu les sabotages d’un bon œil. Même Noémie doutait. Que pouvaient-ils encore entreprendre contre des employés de GigaCom. Ceux-ci effectuaient leur travail. Ils avaient sans doute été appelés par des clients qui espéraient voir rapidement rétablir leurs télécommunications.

— On doit attendre, Aube.

— Noémie a raison, enchérit son frère. Tant qu’on est à l’école, qu’est-ce qu’on peut faire ?

— Écoutez ! les coupa-t-elle. Éfflam essaie encore de nous appeler.

— Mais je n’ai pas réussi à l’entendre tout à l’heure, protesta son amie.

— Comment est-ce qu’on peut entendre ses pensées à une si grande distance ? ajouta Max.

Aube les serra contre elle. Ainsi, ils se tenaient tous les trois, front contre front.

« Fermez les yeux et concentrez-vous sur ce que vous ressentez en moi » leur dit-elle. « Éfflam, on t’écoute. Que se passe-t-il sur la colline ? »

L’enfant-chat commença dans sa mystérieuse langue animale.

 

« Le temps presse

L’appel est urgent

Entendez la détresse

Du monde vivant. »

 

— Je ne comprends rien ! s’impatienta Noémie.

« C’est la langue des mages-animaux ! » intervint Aube. « Éfflam, il faut que tu traduises. »

« Les amis, venez vite ! reprit l’enfant-chat. Une deuxième camionnette vient d’arriver ! »

— Je l’entends, s’exclama Noémie en riant.

— Ce n’est pas possible, commenta Max.

— Taisez-vous, ordonna Aube.

« Éfflam ? C’est quoi cette deuxième camionnette ? » reprit-elle.

« Ce sont des ouvriers de la ville, expliqua-t-il. Ils sont entrés dans le terrain derrière chez Jeanne. Ils ont des appareils à moteur pour couper les herbes... »

— Une débroussailleuse, comprit Max.

— Mais qu’est-ce qu’ils veulent ? demanda Noémie.

« Et pour couper les arbres » continua l’enfant-chat.

« Qu’est-ce que tu dis ? » s’inquiéta Aube.

« Ils ont une machine à moteur pour couper les arbres » répéta son ami.

« Une tronçonneuse » conclut son frère.

Tous les trois cessèrent de penser un instant puis les enfants explosèrent en se coupant la parole.

— Il faut qu’on y aille, disait Aube.

— Mais on ne peut pas sortir de l’école comme ça, rappelait Max.

— On ne peut pas rester sans rien faire, plaidait Noémie.

— On va trouver une solution.

— Il faut attendre la fin des cours.

— Mais ce sera trop tard.

— On ne peut pas sortir sans se faire voir.

— C’est trop risqué.

— Si on traîne, ce sont les arbres qui sont en danger.

Max comprit qu’il était seul contre les filles.

« Éfflam ? » demanda-t-il. « Qu’est-ce que tu nous conseilles ? »

« Je ne peux rien faire tout seul. Tous les animaux ont fui. Oh ! Ils commencent à tailler les ronces ! Je suis impuissant face à leurs machines. Elles sont froides. Elles sont déjà mortes. Venez vite ! »

Aube fit un pas en arrière.

— Éfflam est parti, dit-elle. Comme tout à l’heure, je ne le sens plus. Je l’ai perdu.

Max regarda les filles. Elles s’inquiétaient et cherchaient désespérément une solution. La récréation prenait fin.

— OK, dit-il. Vous deux, rentrez en classe avec tout le monde. De mon côté, j’invente une excuse pour sortir un moment et je viens trouver madame Claire en lui disant que monsieur Pierre a besoin de vous. Évidemment ce sera faux, mais vous en profiterez pour quitter l’école et rejoindre Éfflam.

— Mais en journée, la porte est toujours fermée, fit remarquer Noémie.

— Ça, ce n’est pas un souci, répondit Aube.

— Allez-y !

— Max ? Merci !

Les filles, impatientes, rentrèrent en classe avec leurs camarades. Elles peinèrent à s’asseoir calmement jusqu’à l’arrivée de Max. Celui-ci frappa à la porte cinq longues minutes plus tard. Il dut user de son plus beau sourire et de son plus grand sérieux. Il prétexta un projet spécial dont il était responsable et pour lequel son instituteur avait accepté qu’il demande la participation de Aube et de Noémie. Cela concernait une expérience de science qui nécessitait de travailler en équipe. Or, tous ses condisciples étaient déjà occupés. Les enfants durent se retenir de jubiler lorsque madame Claire les autorisa enfin à sortir.

Ils se glissèrent discrètement dans le hall d’entrée. Aube se concentra quelques secondes devant la porte principale. Le mécanisme automatique s’enclencha. Elle avait déverrouillé l’ouverture. Max s’apprêtait à refermer derrière elles.

— Et toi ? lui demanda Noémie.

— Je reste ici au cas où, répondit-il. Tenez-moi au courant. Je vous couvre.

« Mais toi aussi préviens-nous si on doit revenir en vitesse » lui fit savoir sa sœur.

Elle découvrait les capacités de son frère à raconter des histoires. Mais elle préférait que cela ne parvienne pas aux oreilles de ses parents.

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Baladine
Posté le 01/02/2023
Coucou Michael !
Je reviens vers toi avec plaisir ! Ce chapitre est haletant, l'enjeu se resserre et ça nous donne encore plus d'élan pour lire la suite ! L'échange entre les filles au début est amusant, ça permet de reprendre son souffle avant de plonger dans une situation plus sérieuse, et c'est important de faire ça, comme une respiration.
Petites remarques que j'ai notées :
-« Rien. Ton papa a dit que ce n’était pas grave, qu’on allait arrêter de sonner aux portes et mettre le plus possible d’invitations dans les boîtes aux lettres. À la fin, il était surpris, il ne pensait pas qu’il y avait autant d’habitants dans le quartier. Il a dit qu’il en réimprimerait d’autres et qu’il les distribuerait plus tard. »
« S’il a le temps... » s’inquiéta sa fille. => une longue citation pour dire seulement que le "sa fille" gêne un peu. Comme le papa est hors de la situation d'énonciation et qu'il n'est qu'évoqué dans le discours direct, on ne comprends pas trop l'emploi du possessifs (sont pas sur le même plan).
- Ca m'étonne quand même que Efflam connaisse son alphabet, même si je dois reconnaitre que c'est bien pratique ^^
- Elle tournait en rond, tel un ballon qui se vide => j'adore !
- et les mit au courant des informations d’Éfflam. => la structure "être au courant des informations", ça me paraît un peu redondant.
- Les enfants durent se retenir de jubiler lorsque madame Claire les autorisa enfin à sortir. => les filles ? (à la première lecture, j'ai cru que "les enfants" renvoyait à touts les enfants de la classe).
A très vite !
Baladine
Posté le 01/02/2023
* formule magique * Tu ne vois pas les petits -s en trop qui se cachent dans mon commentaire. Tu ne vois rien du tout. Ni le "touts" qui est quand même superbe ^^'
MichaelLambert
Posté le 07/02/2023
Ssssalut Claire !-)

Merci pour ton regard bienveillant et affuté !
(Et je veux bien aussi une * formule magique * pour corriger tout ça dans mon texte directement quand tu me le dis !

Bonne journée à toi et à bientôt !
Elly Rose
Posté le 24/11/2022
Bonsoir Michael,
Encore un chapitre qui sait tenir en haleine. On stresse avec les enfants, on croise les doigts pour que tout finisse par s'arranger. Il faut croire cependant que Gigacom va être un ennemi redoutable pour nos apprentis défenseurs de la nature!
Comme toujours, la suite est très attendue mais l'attente permets d'essayer d'imaginer!
MichaelLambert
Posté le 25/11/2022
Bonjour Elly Rose ! Oh je suis curieux de savoir ce que tu imagines comme suite ! Et oui GigaCom va être un adversaire redoutable ! Croiser les doigts ne suffira pas ! ;-)
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