- Dis, Elena.
Face à mon silence, mon interlocutrice insiste une nouvelle fois.
- Dis, Elena.
J’arrache mon regard du plafond que je suis en train de contempler pour le porter vers l’endroit d’où provient la voix. Deux yeux d’un bleu délavé me fixent à travers une petite trappe.
- Qu’est-ce qu’il y a, Rose ? demandé-je d’un ton fatigué.
- Pourrais-tu à nouveau me décrire l’extérieur ?
Je soupire. Elle ne se lassera donc jamais. Depuis deux mois que nous sommes ici, elle s’est mise en tête de m’user jusqu’à la corde sur ce sujet. Si au départ, cela ne me dérangeait pas, je commence à saturer quelque peu et pourtant malgré mon moral qui ne cesse de baisser, je continue à lui raconter comme si inconsciemment moi aussi j’espère par ses mots échapper à ce calvaire qui est le nôtre.
- Pas aujourd’hui, Rose. La séance d’Assic a été éprouvante.
Mon souffle est court et j’ai des difficultés à parler. Rien que d’y penser, mes muscles protestent. Je lève un bras tremblant et pose ma main sur ma poitrine. Dans un geste mécanique, je la masse pour tenter de calmer la douleur qui me tord. Malheureusement, c’est peine perdue. Elle ne disparaitra que dans quelques heures quand la saleté que l’on m’a injectée se dissipera. Après une longue et profonde inspiration, je parviens à poursuivre :
- Tu n’as qu’à parler puisque tu y tiens tant.
- Que veux-tu que je te dise ? rouspète-t-elle. Tu sais déjà tout de moi.
À peine sa phrase finit qu’un sentiment de culpabilité me pince le cœur. Décidément, qu’est-ce que cela me coûte de la faire un peu rêver ? Prenant sur moi, je lui demande :
- De quoi souhaites-tu discuter aujourd’hui ?
J’entends un froissement provenir de la cellule d’en face ainsi qu’un bref cri de joie. Malgré le peu d’envie que j’ai, je souris.
- Parle-moi du ciel ! s’exclame ma voisine.
- Encore ? m’esclaffé-je. Il n’a pourtant rien d’extraordinaire.
- Tu te trompes, j’aime me l’imaginer.
- Si tu y tiens, cédé-je.
Une vision de ciel étoilé m’apparait soudain dans mon esprit. Une pointe de nostalgie nait au fond de moi quand je me souviens avec qui je l’ai contemplé. C’est désormais une certitude, c’est ça que je vais décrire à Rose aujourd’hui. Je m’apprête à me lancer dans mon récit quand des pas se font entendre. Aussitôt, Rose et moi fermons notre trappe et nous nous écartons de la porte. Pourtant alors qu’au début, j’avais la force de retourner dans mon lit, ici, je ne prends même plus la peine de le faire. Je n’ai plus l’envie de jouer la comédie. Loïs ne rate d’ailleurs jamais une occasion pour me rallier en me voyant chaque fois par terre. Toutefois, il aura beau dire cela m’est bien égale. Une clé est introduite dans la serrure de ma cellule et l’instant d’après, une silhouette apparait dans l’embrasure. Je reconnais Vincent qui pénètre dans la pièce une sacoche à la main. Je me détends d’emblée. Depuis que j’ai appris son implication dans le Projet, il a continué à venir me voir après chaque une de mes séances chez Assic. Si au départ, je faisais tout pour mettre de la distance entre nous, j’ai rapidement compris que cela ne servait rien. J’ai toujours été une piètre actrice. Au fond, j’avais beau le nier, malgré ses mensonges, je lui faisais encore confiance. Je suis bien placée pour savoir qu’il est facile de faire ployer quelqu’un par la force et Vincent à bien des égards me rappelle mon ancienne situation. Je croise son regard. En remarquant où je me trouve, il s’abaisse pour me soulever et me déposer sur mon matelas avec beaucoup de délicatesse. Contrairement à moi, il ne supporte pas que je me laisse aller.
- Comment te sens-tu ? s’enquiert-il en prenant mon pouls.
En reconnaissant la voix du médecin, la trappe de Rose s’ouvre et celle-ci s’exclame tout heureuse :
- Salut Vincent ! Tu m’as amené ce que tu m’as promis ?
- Un instant, Rosie. Je m’occupe d’Elena et je suis à toi.
Vincent revient à moi après un dernier sourire à ma voisine.
- Alors ? insiste-t-il de nouveau grave.
- Pas bien, avoué-je.
- Qu’est-ce qu’ils t’ont fait ?
- Injection et incision.
Tout en parlant, je lui montre mes bras où de nombreuses entailles encore fraiches sont visibles. J’ignore à quoi cela peut bien leur servir, mais ils s’abstiennent bien de me tenir au courant de leur plan. Mon médecin ouvre sa sacoche, mais tandis qu’il cherche de quoi me soigner, il se fige et renifle plusieurs fois. Je me retiens de grimacer lorsqu’il me lance un regard furieux. Il s’accroupit à côté de mon lit et s’empare de ma gamelle que j’avais cachée en dessous. Recouverte d’un tissu de mon drap que j’ai déchiré, j’avais espéré que l’odeur serait atténuée. Vincent n’a pas besoin de retirer la protection pour deviner ce que c’est.
- Oh non, Elena ! Ne me dis pas que tu as encore vomis aujourd’hui ! s’exclame-t-il d’une voix blanche.
- Ce matin un peu avant que l’on vienne me chercher, confirmé-je.
- Pourquoi tu ne me dis rien ? me reproche-t-il. Tu m’avais promis de le faire !
Je me contente de hausser les épaules, lasse. Cela s’est déclenché, il y a à un peu près deux semaines et depuis c’est presque devenu quotidien. La plus grande crainte de mon médecin est que ce soit un signe de rejet du traitement qu’Assic m’inflige, toutefois il n’est sûr de rien. D’un geste, il enlève le tissu du récipient pour une rapide analyse, une expression impassible sur le visage.
- Heureusement, toujours aucune trace de sang. Ça m’a tout l’air de la bile. Je vais tout de même faire un examen de cet échantillon.
À mon soulagement, Vincent éloigne le bol de moi pour le ranger ce qui atténue les haut-le-cœur qui s’étaient emparés de moi rien qu’à l’odeur. Il reporte son attention sur sa serviette où il prend des bandages qu’il applique avec grand soin sur mes blessures. Il poursuit sa consultation par une rapide vérification de ma tension et autre test. Au fur et à mesure de son examen, la douleur dans ma poitrine s’estompe quelque peu et je parviens enfin à retrouver un semblant de repos. Mes yeux se posent sur mon médecin qui remet ses instruments dans sa sacoche. Ses prunelles reviennent sur moi.
- J’ai quelque chose pour toi, m’informe-t-il.
Sa main disparait alors au fond de sa poche et il en sort un papier froissé qu’il me tend. Ce n’est que quand je m’en empare que je découvre deux cuisses de poulet à l’intérieur. Pendant un instant, je reste sans voix à contempler ce morceau de viande qui semble m’être tombée du ciel.
- Et Rose ? demandé-je en pensant à ma voisine.
- Ne t’inquiète pas, son état est moins préoccupant que le tien. Essaye de manger, m’invite mon interlocuteur. Tu dois reprendre des forces. Tu perds trop de poids.
Mon palais s’emplit de salive et la douleur de mes tests passe au second plan. Il n’a pas à me le dire deux fois que je m’empresse de mordre avidement dans la chair tendre du volatile. Le goût n’a rien d’extraordinaire, beaucoup trop salé et la texture est un peu caoutchouteuse, pourtant pour moi il s’agit d’un festin de roi. Mes dents se plantent à nouveau dans la cuisse où j’y arrache un gros morceau que j’avale pratiquement sans macher. Si Vincent ne m’avait pas retenue, j’aurais déjà englouti toute ma nourriture.
- Doucement, m’ordonne-t-il en m’attrapant le poignet. T’empiffrer de cette manière ne t’apportera rien.
- Ce n’est pas toi que l’on gave avec cette infâme bouillie, rétorqué-je irrité.
Je prête toute de même attention à sa remarque et malgré la faim, je m’oblige à me contenir et à déguster ce repas. Entre deux bouchées, je demande :
- Et pourquoi tu ne m’en as jamais amené jusqu’à aujourd’hui ?
- Parce que tu crois que je n’ai pas essayé ? ironise-t-il. Il m’est interdit d’apporter de la nourriture ici et chaque fois je me faisais prendre. Je ne te dis pas le nombre de mensonges que j’ai dû inventer et ce que j’ai dû manger devant eux pour éviter tous soupçons.
- Comment as-tu fait cette fois-ci ? m’étonné-je.
- Le garde chargé de la surveillance est un nouveau qui n’a pas le zèle de son prédécesseur. Il n’y a vu que du feu lorsque je lui ai affirmé avoir besoin d’un encas quand je travaille.
- Espérons qu’il ne le devient pas trop vite, grimacé-je. Je ne dis pas non à d’autres repas de ce genre.
Un sourire se dessine sur les lèvres de mon interlocuteur.
- Tu peux compter sur moi.
Un silence s’installe entre nous tandis que je termine d’avaler ce qu’il me reste dans les mains. Une fois fini, je rends les os à Vincent.
- Et sinon, tu as trouvé des idées pour me sortir d’ici, demandé-je à brûle-pourpoint.
Son expression devient plus grave en entendant mes mots et c’est dans un murmure qu’il poursuit :
- Malheureusement non. Depuis ton emprisonnement, ils n’ont cessé de renforcer la sécurité du lieu. Par deux reprises ces derniers mois, les rebelles ont tenté de forcer, mais ils n’ont jamais plus dépassé la grillage qui entoure la base.
La déception m’envahit.
- Je suis désolé, Elena, s’empresse de rajouter mon médecin en remarquant ma mine déconfite. Mais je te promets que je vais trouver une solution.
Mes doigts se referment sur les siens.
- Je sais, dis-je dans un souffle en espérant que mon ton ne soit pas trop sec.
Heureusement, il ne cherche pas à me consoler et resserre simplement son étreinte sur ma main.
- Je vais devoir te laisser. Surtout, tiens-moi au courant sur tes symptômes. Un rien peut faire basculer la balance. Je reviendrais te voir demain.
Pourquoi si rapidement ? Et puis, je saisis ce qu’il sous-entend. Mon moral retombe au plus bas.
- Demain aussi, chuchoté-je.
- J’ai appris qu’Assic t’a prévu de nouveaux tests dans la matinée.
Je ricane. Évidemment qu’il a prévu tout un programme pour moi !
- Oh, je commence à avoir l’habitude, ironisé-je un sourire moqueur plaqué sur mon visage.
Vincent ne fait aucun commentaire, car il sait qu’il n’en a rien. Il lui suffit de sentir les tremblements qui se sont emparés de moi pour comprendre que dans la réalité, je suis terrifiée.
- Sois forte, se contente de me dire à la place.
Si au départ, ses mots m’apportaient le courage de tenir, désormais ils ne sont plus qu’une morne routine. Il pourrait très bien me dire « au revoir » que j’éprouverais la même chose, mais comme tout espoir il préfère le répéter inlassablement. L’instant d’après, il se lève et me quitte pour de bon. Je l’entends dire à Rose :
- Voilà le chocolat que je t’ai promis, Rose.
- Merci Vincent !
Les pas s’éloignent et le silence envahit les lieux. Après de longues minutes, la voix de ma voisine s’élève à nouveau.
- Tu avais raison, Elena. Le chocolat, c’est vraiment bon !
Face à cette remarque, je reste de marbre et ne bouge pas de mon lit pour retrouver ma place derrière la trappe. Comprenant qu’elle ne me reverra pas réapparaitre, Rose finit par se taire et refermer sa trappe. Après deux mois passés ensemble, elle commence à savoir quand je désire être seule. C’est ce que je souhaite pour l’instant. J’ai besoin d’un moment pour atténuer cette amertume quant à l’échec de Vincent pour nous évader de cet endroit. Tandis que je lèche mes doigts pour espérer goûter encore quelque peu cette cuisse de poulet, une douleur remonte soudain en moi. Mon corps réagit de lui-même et je me recroqueville sur moi-même, le souffle court. Mes poings s’enfoncent dans mon matelas. Ça ira, me dis-je. Ce n’est qu’un mauvais moment à passer, rien de plus. Et pourtant, j’ai beau patienter, rien ne change. J’ai mal, si mal. Ma gorge se serre brusquement et je tousse. Un liquide chaud sort de ma bouche. Je me paralyse instantanément et ce sont les yeux écarquillés que je contemple la tâche écarlate s’étalant sur mon oreiller.
J'ai hâte d'avoir les réponses. Remarque, je suis un peu comme toi, j'amène petit à petit les réponses ( qui font parfois naître de nouvelles questions xD ). Un, ça sert à continuer l'intrigue sans que ce ne soit lourd et Deux, ça entraîne le lecteur à lire la suite parce qu'il les veut ces réponses ahah.