Un poignard fond sur moi. D’un geste, je bloque l’attaque et assène un vigoureux coup de coude de mon bras libre au visage de mon opposant. Il titube légèrement sous le choc. Avant qu’il ne puisse réagir, je me glisse derrière lui pour agripper ses cheveux et lui passer ma propre lame sous la gorge. À la dernière seconde, il parvient à repousser mon arme avec la sienne et l’instant d’après, je suis à terre un couteau à quelques centimètres de ma poitrine. Je retiens un juron et c’est à contrecœur que je tape du poing deux fois d’affiler le sol pour signifier mon abandon. Je croise le regard de mon adversaire. Andy, me dominant de toute sa taille, me sourit avec suffisance.
- Dommage pour toi, Isis, mais c’est de nouveau une victoire écrasante de l’incroyable Andy ! fanfaronne-t-il.
Face à son cirque, je me contente de le fixer en silence. Je me passerai de commentaire. Je me redresse et frappe mon pantalon pour retirer la poussière. Un bras s’enroule autour de mes épaules.
- Ne me dis pas que tu vas encore bouder, raille Andy.
- Je ne boude pas ! le rabroué-je en le repoussant sans ménagement. C’est juste que j’y étais presque cette fois-ci.
- Presque. Allez, Isis, souris un peu. Tu peux déjà être fière du chemin parcouru depuis tes débuts ici. Tu deviens vraiment dangereuse avec un poignard.
Je rougis légèrement en entendant ce compliment de sa part. Ce n’est pas si souvent que j’y ai droit.
- Mais, rajoute Andy. Il ne fait aucun doute que de nous deux je resterai toujours le meilleur.
À peine eut-il fini sa phrase que je lui fais un croche-pied. Une certaine satisfaction me gagne quand il s’écrase à plat ventre sur le sol. Il me décoche un regard furieux.
- Anna détient vraiment trop sur toi.
Je serre mes mains derrière mon dos et me balance d’un pied sur l’autre.
- Je ne vois pas de quoi tu parles, fais-je innocemment. Ce n’est pas ma faute si l’incroyable Andy est incapable de marcher correctement.
En m’entendant, l’infortuné éclate de rire, toute contrariété balayée d’un coup.
- C’est bien ce que je dis. Tu es aussi mauvaise perdante qu’elle.
Je l’aide à se relever et nous quittons le terrain d’entrainement pour laisser la place à d’autres combattants. Tout en essuyant son visage, Andy reprend :
- Bref, où en étais-je avant de me faire sauvagement attaquer ? Ah oui, blague à part, je suis vraiment épaté par tes progrès. On sent que tu as travaillé dur pour atteindre ce niveau.
- Il n’empêche que tu m’as encore battue, grommelé-je.
Il me sourit.
- Crois-moi, Isis, même si mon égo a dû mal à l’accepter, je pense qu’un jour tu me surpasseras. Anna ne tarit pas d’éloges sur ton acharnement à t’améliorer et Hans assure que tu es plutôt douée pour les armes à feu.
- Parfois, j’en doute en ce qui concerne Hans, soupiré-je.
- Pourquoi ? s’enquiert mon interlocuteur surpris. Il ne cesse pourtant de l’affirmer à sa sœur.
- Il trouve toujours quelque chose à redire. Jamais connu quelqu’un d’aussi perfectionniste.
- C’est vrai, j’oubliai que notre ami était particulièrement exigeant avec ses élèves, s’esclaffe Andy. Tu te souviens quand Tim a dû réfréner son enthousiasme à enseigner, car il avait forcé Millie à recommencer plus d’une vingtaine de fois un exercice. La pauvre, elle ne peut désormais plus le voir en peinture.
Je ris à mon tour avant de me rembrunir quelque peu.
- Comment le lui reprocher ? murmuré-je. Il fait tout son possible pour que nous puissions rivaliser avec les soldats de la base. Et puis, il n’y a que ça qui lui permet un peu d’oublier le Projet et...
Je ne termine pas ma phrase et serre mes lèvres lui contre l’autre. Mon ami complète pour moi.
- Et la Fauch… Elena, rectifie-t-il après un regard noir de ma part quant à l’emploi de ce surnom. C’est vrai qu’elle est toujours là-bas.
J’opine du chef mécaniquement. Deux mois qu’Elena est prisonnière de cet endroit. Cela pourrait paraitre peu, mais pour moi c’est déjà trop.
- J’espère sincèrement que le raid de demain sera le bon, déclaré-je après un court silence. Mais je suis inquiète pour toi. Et si cela tourne à nouveau mal ?
J’ignore ce qui s’est réellement passé lors de leur dernière mission, mais il m’a suffi de voir le groupe divisé de moitié au retour pour comprendre qu’il avait subi une cruelle déroute. Après l’échec précédent, ce nouveau revers fut particulièrement douloureux pour les rebelles qui depuis ils n’ont plus osé tenter d’entrer au sein de la base.
- Ce sont les risques à prendre, me répond mon voisin. Mais peu importe les pertes, nous devons continuer. Je suis certain que cette fois-ci sera la bonne. Luna et Hans nous ont concoctés un plan du tonnerre.
- Ils ont intérêt à ce qu’il le soit, soupiré-je.
Toutefois, j’ai beau dire, je fais tout de même plutôt confiance à l’ancien colonel dans ce domaine. Elena ne cessait de l’encenser en tant que stratège. Alors que nous déambulons dans les allées du camp, quelqu’un me percute soudain de plein fouet. Si Andy ne m’avait pas retenu, je serais tombée.
- Mollo, Maddy ! s’exclame-t-il. Regarde un peu où tu…
Il marque une pause avant de s’enquérir soucieux :
- Mais, qu’est-ce qui t’arrive ?
Il ne termine pas sa phrase. Mes yeux se posent sur ma colocataire et je réalise directement que quelque chose cloche en voyant son expression terrifiée sur son visage.
- C’est…c’est Anna, hoqueté-t-elle. Elle s’est subitement effondrée. Louis m’a… demandée de chercher Ti…phaine.
Madeleine étouffe un sanglot incapable de maitriser ses nerfs plus longtemps. L’inquiétude s’empare de moi. C’est bien la première fois depuis que je suis ici que la sœur de Hans fait un malaise. Andy empoigne les épaules de notre interlocutrice et bien que livide, il parvient à articuler d’une voix posée :
- Calme-toi, Madeleine. Ça va aller. On va t’accompagner à l’infirmerie.
Cette dernière semble retrouver ses esprits et secoue imperceptiblement la tête. L’instant d’après, nous gagnons le centre de soin au pas de course. Je laisse entrer mes amis à l’intérieur et patiente avec le plus grand mal à l’extérieur. Ils ressortent la minute qui suit avec Tiphaine dans leur sillage. Je leur emboite le pas. Nous arrivons relativement vite à notre destination où une série de personnes s’est attroupée. Pourtant malgré la rumeur ambiante, seuls les cris de Louis appelant vainement Anna m’interpellent. Sans douceur, Tiphaine et Andy écartent les curieux qui se laissent faire. J’ignore comment j’ai réussi, mais je me retrouve en première ligne. Mon estomac se contracte violemment au moment où mon regard se pose sur la scène devant moi. Louis les traits crispés par l’angoisse tente de ranimer Anna, le teint cireux, qui git au sol. Un éclair de soulagement apparait sur le visage de Louis quand il remarque Tiphaine qui s’accroupit à ses côtés.
- Rapport ! lui ordonne-t-elle.
Celui-ci ouvre la bouche et s’empresse de l’informer de la situation. Tandis qu’il parle Andy fait volteface vers les personnes qui observent la scène et s’exclame furieux :
- Vous n’avez rien d’autre à faire ! Déguerpissez !
Les rebelles qui m’entourent ne se le font pas dire deux fois et se hâtent de s’éloigner. Ne souhaitant pas essuyer la colère de mon ami, je m’apprête à obéir, toutefois je suis stoppée dans mon élan avec l’arrivée de Tim, tout aussi inquiet que nous. Ses yeux survolent rapidement le lieu avant de se poser sur moi.
- Toi, Isis ! me dit-il en me désignant. Va chercher Luna et je veux qu’elle me rejoigne immédiatement dans ma tente. Si jamais tu croises Hans, surtout ne lui cache rien. Il a le droit d’être informé, mais pour les autres tu te tais.
- Très bien, lui assuré-je.
Après un dernier coup d’œil à Anna, toujours aussi mal en point, je tourne les talons et m’élance dans le camp pour accomplir ma mission. Ignorant où la sœur d’Elena se trouve, je me rends directement dans sa tente. Malheureusement pour moi, celle-ci est vide. Lorsque je sors, j’interpelle un rebelle qui entretient un feu un peu plus long. Il pointe les bâtiments de pierre du doigt et m’informe qu’il avait vu partir Luna pour l’intendance. C’est avec gratitude que je le remercie et que je gagne sans plus attendre mon but. Ce n’est qu’à l’intérieur de l’édifice qui nous sert de réserve que je ralentis quelque peu le pas. J’inspecte l’endroit et ne peux que constater que je n’aperçois Luna nulle part. J’ouvre la bouche pour appeler l’ancienne soldate, toutefois je me tais en percevant des éclats de voix qui proviennent de la pièce du fond. Je me rapproche, mais alors que je m’apprête à pénétrer dans la salle, je suis coupée net dans mon élan par une exclamation de fureur.
- Comment as-tu osé me cacher ça, Luna ? À moi, sa mère !
N’ayant pas pour l’habitude d’entendre Magda haussée le ton de cette manière, je ne la reconnais pas directement. Un silence de plomb s’empare du lieu avant que Magda poursuive dans un cri de rage :
- Et maintenant, tu m’annonces qu’elle a peut-être été exécutée par l’armée il y a deux mois ?
Mon corps se paralyse instantanément. Qui a été exécuté par l’armée ? Pas Elena tout de même.
- George affirme que ce jour-là, personne n’a assisté à la moindre exécution, déclare Luna d’une voix calme qui me surprend. D’ailleurs, après ce que nous a appris Anna sur elle, il y a de fortes chances pour que tout ça ne soit qu’une mascara…
- Là n’est pas le problème, Luna. Elle était sous ta responsabilité. C’était ton devoir d’ainée de veiller sur elle !
- Je t’interdis de m’accuser de la sorte ! lui rétorque Luna avec hargne. Dès l’instant où Elena est arrivée à la base, je me suis toujours jurée de la protéger !
L’horreur me frappe soudain en plein visage. Elena serait… morte ? Exécuté par son père ? Ce n’est pas possible. Pas Elena ! Pas elle ! Sous le coup de l’émotion comme pour mettre une distance avec cette atroce vérité, je recule brusquement et mon corps heurte une caisse. Un bocal se trouvant au sommet se brise en mille morceaux au sol. L’instant d’après, Luna et Magda débarquent dans la pièce et me dévisagent incrédules. Les traits de Luna s’assombrissent subitement.
- Qu’est-ce que tu fais là, Isis ? s’enquiert-elle d’une voix rauque.
Je me rappelle aussitôt la raison de ma présence.
- An… Anna a fait un malaise, bafouillé-je. Tim m’a demandée de te chercher.
Les couleurs disparaissent du visage de Luna.
- Anna, un malaise ? répète-t-elle dans un souffle.
- Oui, elle s’est subitement effondrée. Tiphaine s’occupe d’elle.
Cette phrase semble la tirer de la torpeur où elle était engluée. En deux enjambées, elle est devant moi et m’empoigne les épaules.
- Où est Anna ?
Je déglutis.
- Près du terrain d’entrainement.
Elle me lâche et s’empresse de gagner la sortie, toutefois avant de disparaitre, elle s’arrête d’un coup et reporte son attention sur moi.
- J’ignore ce que tu as entendu de notre conversation, Isis, mais je t’interdis d’aller en parler à Hans.
Une soudaine irritation s’empare de moi.
- Tu ne peux pas lui faire ça. Il a le droit de savoir !
L’éclat dans les yeux de mon interlocutrice se fait glacial.
- Crois-moi, il vaut mieux qu’il reste dans l’ignorance tant que nous n’avons aucune certitude.
Elle ne me laisse rien répliquer et nous quitte pour de bon. Magda qui était légèrement en retrait se place à mes côtés. Ses prunelles sont rougies par les larmes et pourtant c’est d’une voix forte qu’elle déclare :
- Même si je n’approuve pas la conduite de ma fille, je pense qu’elle a raison en ce qui concerne Hans.
- Et pourquoi ça ? Toi-même, tu as reproché à Luna de ne t’avoir rien dit.
- La maladie le rend instable émotionnellement. C’est pour Elena qu’il se bat contre le Projet. Lui annoncer qu’elle est peut-être morte pourrait l’achever. Il ne fait aucun doute que si Tim s’est tu jusqu’à maintenant c’était pour cette raison.
Quand bien même, ils font ça pour lui, je persiste à penser que c’est la dernière chose à faire avec lui.
- Il ne vous le pardonnera pas.
- Fais confiance à Tim, je suis certaine qu’il sait ce qu’il fait. Toi non plus, tu ne veux pas qu’il souffre inutilement.
Je croise son regard et je comprends que cette décision lui est aussi pénible à elle qu’à moi.
- Non bien sûr, dis-je dans un souffle.
- Alors tu sais comme moi que c’est la meilleure chose à faire.
- Sois franche avec moi, Magda, est-ce que tu penses qu’Elena est encore en vie ? demandé-je en ignorant sa dernière remarque.
Une grimace fugace étire ses lèvres avant d’être balayée par une expression déterminée.
- Oui, Isis. Ma fille est vivante.
Je soupire.
- Dans ce cas, je ne dirais rien à Hans.
Les traits de mon interlocutrice se détendent aussitôt.
- Merci, Isis.
J’ai beau affirmer que je garderai le silence, ce choix me laisse un goût amer en bouche. Au fond ici comme à la base, les non-dits persistent et je reste persuadée que dans la situation actuelle, c’est la dernière chose à faire. Intérieurement, je me fais une promesse. Je me tairai, mais si jamais j’estime que tout ça va trop loin, je n’hésiterai pas à aller trouver Hans pour lui avouer la vérité. Je n’ai plus qu’à espérer que jamais je n’aurais à aller jusque-là et qu’Elena sera de retour demain parmi nous. Après un dernier salut à Magda, je tourne les talons et m’empresse de rejoindre Andy pour avoir des nouvelles d’Anna.
Isis à sacrément progresser ! Je me demande quel sera son rôle dans la suite è-è Du coup, je me demande si elle ne va pas être obligée de révéler à Hans ce qu'elle viens d'apprendre, même si c'est faux... Je comprends sa position vis a vis des non-dits et je pense que j'aurais fait le même choix qu'elle. Je déteste les mensonges blancs ( les choses qu'on ne dit pas sciemment pour "protéger" la personne ) c'est presque pire que les vrais mensonges. Mais bon, Magda n'a pas tord non plus quand on sait dans quel situation Hans se trouve. Ah... que c'est compliqué tout ça >.<
Le problème de cette information sur Elena, c'est que les rebelles ne savent pas ou du moins ont des doutes sur la véracité de cette information. Toutefois, ils ne peuvent pas l'ignorer. Isis décide de se taire, mais c'est à contrecœur.
Quoi qu'il en soit, j'espère que l'évolution de ce personnage continuera à te plaire ! :-D