Chapitre 27 : Freijat - Aveu

- Suis-moi, sarracénie, ordonna Chris.

Sortir de la geôle ? C’était nouveau. Près d’un siècle après son entrée dans la prison, voilà qu’il lui proposait de la quitter, sans avoir pour autant obtenu sa réponse. Qu’est-ce que cela cachait ?

- Reste près de moi, sarracénie, indiqua Chris.

Freijat se savait incapable de vaincre son adversaire. Elle choisit prudemment de lui obéir, tout en observant son environnement. Ils sortirent du bâtiment – dont elle ne vit que des murs ocres sur un sol en bois et plafonds blancs - pour se retrouver sous des arbres.

Vu les espèces d’arbres, elle se trouvait loin du Canada. Il faisait bon et les chants d’oiseaux l’entouraient. Les insectes bourdonnaient. Des grenouilles coassaient. Les feuilles bruissaient sous un vent léger.

Partout autour d’elle, des gens, beaucoup de gens, humains et Vampires, à la peau claire ou foncée, petits ou grands, aux cheveux courts ou longs, s’attelaient à porter des malles, des sacs ou des valises. Quelqu’un interpela le roi et une discussion s’engagea, à laquelle Freijat ne prêta aucune attention.

Elle observa le ciel. Quelque chose n’allait pas. La position du soleil était incorrecte, oh pas de beaucoup, mais quand même. Freijat comprit que le ciel était artificiel. Pourquoi se donner ce mal ?

Elle regarda autour d’elle. Lors de son arrivée un siècle plus tôt, elle marchait dans de la neige. La forêt autour d’elle semblait plutôt tempérée or elle se savait en hiver. Elle comprit que la météo était contrôlée. Son adversaire gagnait en puissance.

Il reprit son chemin et elle le suivit. Il fut rejoint par un autre homme, un européen à la courte barbe bien taillée. Il proposait de charmants yeux bleus sur un visage ovale. Il se tenait bien droit et ne s’inclina que pour saluer le roi.

- Pandore ! Je suis ravi de vous voir, lança Chris.

- À votre service, Majesté, répondit le dénommé Pandore.

Le nouveau venu détailla Freijat de la tête aux pieds puis se plaça sur sa droite. Nul doute qu’elle venait de rencontrer son escorte. Elle l’ignora. Sa présence n’était pas nécessaire. Elle ne comptait pas tenter de fuir. Elle savait cela totalement stupide. De plus, elle désirait passer du temps auprès de Chris. Elle le dévorait des yeux, s’enivrant du chant de sa voix, s’abrutissant de son odeur fine à peine présente.

Ils arrivèrent devant ce que Freijat identifia comme une navette spatiale. Les livres fournis par Chris avaient permis à la Vampire d’apprendre énormément de choses et donc, de posséder cette référence. Chris dut encore répondre à des questions avant de pouvoir enfin monter à l’intérieur.

- Sarracénie, tu vas t’installer le long du mur le plus éloigné de la porte, lui ordonna-t-il.

Freijat traversa la pièce meublée de sièges confortables et de tables. Elle s’assit par terre, le dos contre le mur demandé. Pandore se mit dans le siège le plus proche d’elle. Il ne la quittait pas des yeux tandis que Freijat elle, n’avait d’yeux que pour le roi.

Une femme et un homme entrèrent dans la navette et la porte se ferma dans un souffle.

La femme européenne, les cheveux gris maintenus dans un chignon stricte, arborait de petites lunettes en croissant de lune. Freijat leva les yeux au ciel. Ce Vampire devait beaucoup s’aimer pour ainsi se mettre en scène. À quoi bon porter des lunettes lorsqu’on possède une vue parfaite ?

Elle dut reconnaître cependant qu’il avait le mérite de posséder un style très personnel. Maintenant qu’elle savait que les Vampires pouvaient contrôler leur apparence, elle avait supposé qu’ils prenaient tous l’apparence d’un homme jeune, beau et fort. Celui-là avait fait le choix inverse.

Malgré ses années de détention, Freijat n’avait jamais essayé de modifier son apparence. Pourquoi faire ? Son corps lui convenait. Certes, son visage se striait de rides et alors ? Elle les avait gagnées en riant avec Sahale et en hurlant de terreur devant l’Ancêtre. Elle ne comptait pas effacer son passé.

L’autre Vampire arborait un visage légèrement ridé aux cheveux poivre et sel, sans aucun doute pour se donner du poids, indiquer son expérience, ce dont Chris n’avait pas besoin.

Le roi avait en effet fait le pari inverse, affichant la beauté insolente de la jeunesse.

- Imhotep, où en est l’évacuation ? demanda Chris à la femme.

- Terminée, Majesté, répondit-elle.

« Imhotep ? » répéta Freijat en pensées tout en plissant les paupières. D’après les livres qu’elle avait lu, il s’agissait d’un des petits de Chris. N’était-il pas censé être un homme ? Freijat frissonna. Elle n’avait songé à changer de sexe. Pourquoi faire cela ? Elle dut s’admettre troublée.

- Parfait. Baptiste ? continua Chris.

Freijat déshabilla des yeux l’homme aux pieds nus dans ses mocassins qu’elle savait être le frère et le petit de Chris. Voilà pourquoi il tenait à montrer son expérience. Il était l’ombre du roi, sa main droite. Elle le détesta au premier regard. Il la mettait très mal à l’aise, sans qu’elle ne puisse bien expliquer pourquoi.

- Les techniciens et les ingénieurs peaufinent les derniers détails, répondit Baptiste.

- Je préfère qu’ils prennent leur temps, confirma Chris.

- Je dirais qu’ils en ont encore pour une paire d’heures.

- Installons-nous en attendant, proposa Imhotep.

Les trois Vampires prirent place.

- Qui est l’invitée surprise ? demanda Imhotep en pointant ses petites lunettes vers Freijat.

- Ma prisonnière, indiqua Chris.

- Ta prisonnière, répéta Imhotep en souriant. Tu enfermes souvent les femmes que tu aimes ?

- Ça m’arrive, répondit Chris.

Freijat ne put s’empêcher de sourire à cette réponse.

- Elle l’aime aussi, intervint Pandore.

- Sans aucun doute, rit Imhotep.

Ils sortirent des alcools et des biscuits apéritifs.

- Sarracénie, tu veux un verre ? proposa Chris.

Freijat accepta d’un mouvement de tête.

- Sarracénie ? Elle s’appelle réellement comme ça ? demanda Imhotep alors que Chris portait son verre à sa prisonnière.

Il déposa l’objet au sol et s’éloigna. Freijat s’en saisit et le dégusta tranquillement. Alcool d’érable, décidément, il savait comment lui plaire.

- Probablement pas, répondit Chris une fois de retour à sa place. Elle n’a jamais daigné me dire son nom alors j’ai improvisé. Vu qu’elle est canadienne, j’ai choisi la fleur typique de là-bas.

- Tu ne sais pas comment s’appelle ta prisonnière ? ricana Imhotep. Tu n’as même pas réussi à lui arracher son nom ?

- J’ignorais qu’un Vampire canadien avait survécu à la première extermination. Pourquoi l’avoir gardée enfermée ? interrogea Baptiste, visiblement interloqué.

- Je veux qu’elle me réponde, indiqua Chris.

- Tu tiens tant que ça à connaître son nom ? s’amusa Imhotep.

- Non, je veux savoir pourquoi elle a fait ça, dit Chris en sortant une tablette.

Il pianota dessus pendant un instant puis passa l’objet technologique à son frère. Tandis que Baptiste observait l’écran, le tapotant de temps en temps, Imhotep lança :

- Je croyais les Vampires canadiens pas au contrôle.

Freijat se sentit insultée. Ce Vampire se permettait de la juger. En quoi être capable de changer d’apparence le rendait-il supérieur à elle ? Né homme, il pouvait devenir femme à volonté et alors ? Freijat le gratifia d’un regard assassin.

- Elle ne l’est pas, je confirme, dit Chris.

Son ton neutre ne contenait pas la moindre once de mépris. Il énonçait un fait là où son petit se moquait, Freijat en était certaine.

- Elle boit de l’alcool, répliqua Imhotep.

- Ce qui nous permet d’agréables déjeuners ensemble, sourit Chris.

- Ben t’es pas qu’un peu amoureux, s’amusa Imhotep. Tu sais que si tu veux qu’elle parle, tu es censé la torturer, pas la draguer.

Chris lança un regard agacé à son petit puis soupira.

- Elle est enfermée depuis près d’un siècle. Je croyais que cela suffirait mais non ! Cette tête de mule refuse de m’adresser la parole.

- Elle ne t’a jamais parlé ? s’étonna Imhotep.

- J’ai eu l’honneur de l’entendre prononcer cinq mots : « Je ne sais pas lire ». C’est tout.

- Super. Du coup, tu as fait quoi ?

- Je lui ai appris à lire.

- Logique, répondit Imhotep. Donc, tu l’enfermes mais tu lui donnes de la lecture et partage des déjeuners avec elle. Et tu t’étonnes qu’elle ne craque pas ?

Imhotep explosa de rire. Freijat constata que Pandore souriait. Chris fronça les sourcils. Baptiste, concentré sur la tablette, ne semblait pas avoir entendu l’échange.

- Tu la libères si elle te dit pourquoi elle a tué tous ces gens ou bien juste si tu obtiens cette information ? demanda Baptiste en levant le nez de sa tablette.

- Quoi ? gronda Chris.

- Je sais pourquoi elle a tué tous ces gens, assura Baptiste.

Freijat secoua la tête en soupirant. Prétentieux ! Elle détestait ce genre de personne si sûres d’elles-même et de leur intelligence. Baptiste, le maître des laboratoires, allait parler. « Sonnez trompettes ! Battez tambours ! Ouvrez grandes vos oreilles, le savant va répandre son savoir. » Freijat ricana. Mieux valait en rire qu’en pleurer.

- Honnêtement, j’aurais fait comme elle à sa place, continua Baptiste.

Freijat leva les yeux au ciel.

- Explique-toi, ordonna Chris.

- Ta prisonnière est une Vampire canadienne. Elle appartenait à une des grandes familles vivant là-bas.

- En effet, confirma Chris.

- Tout le monde connaissait leur existence, les chasseurs de Vampires y compris, poursuivit Baptiste.

- Même moi j’en ai entendu parler, indiqua Imhotep.

- C’est ce que je veux dire, confirma Baptiste. Si tout le monde connaissait leur existence, pourquoi les chasseurs de Vampires n’ont-ils jamais tenté de s’en débarrasser ?

- Bonne question, admit Chris.

- Nul doute qu’ils étaient en lien, continua Baptiste.

- Elle confirme, dit Pandore.

Chris remercia d’un geste l’escorte de Freijat pour son intervention. Freijat, elle, lui lança un regard noir. Elle confirmait ? Elle ne confirmait rien du tout ! Elle n’avait pas dit un mot ! Elle reporta son attention vers le roi et son frère en grimaçant.

- Sous quelles conditions des chasseurs de Vampires pourraient-ils accepter de passer un marché avec leurs pires ennemis ? poursuivit Baptiste.

La question étant rhétorique, nul ne tenta d’y répondre.

- Il suffit qu’aucun mal ne soit fait à la population locale. Je suppose que le contrat comprenait deux volets. Le premier : les familles canadiennes s’attaquaient aux nomades.

- Elle confirme, annonça Pandore et Freijat lui aurait volontiers arraché les yeux.

Elle ne disait rien. Lisait-il ses pensées ?

- Le second : les familles canadiennes ne se nourrissaient pas de la population locale.

- Elle confirme.

- Cela explique pourquoi, bien que n’étant pas au contrôle, elle consomme de la nourriture humaine, supposa Chris. En réalité, ils ne buvaient jamais de sang.

- Elle s’oppose totalement à vos propos, indiqua Pandore.

- Bien sûr, confirma Baptiste et Freijat eut du mal à déterminer en cet instant qui elle détestait le plus : son escorte qui lisait en elle comme dans un livre ouvert ou le frère du roi qui pensait tout savoir sur tout. Les photos et les dessins sont clairs !

Imhotep demanda à Baptiste de lui passer la tablette. Il observa l’image proposée puis la rendit au frère en roi en haussant les épaules. Il ne semblait pas y voir quoi que ce soit de particulier.

- Mais enfin ces gens vivent dans des tentes en peau de bête ! Ils utilisent des outils rudimentaires. Ce ne sont certainement pas les canadiens de 1914. Or c’est bien à ce moment-là que ces clichés ont été réalisés, non ?

- En effet, dit Chris en regardant de nouveau l’écran de la tablette.

- Ces gens ne sont donc pas la population locale du Canada de 1914. Si des Vampires boivent leur sang, les chasseurs s’en fichent.

- Tu sous-entends que ces gens étaient du bétail pour les familles canadiennes ? s’exclama Chris, abasourdi.

« Bétail ? » pensa Freijat. Elle ne l’avait jamais vu ainsi mais en effet, le terme convenait.

- Elle confirme, lança Pandore et Freijat lui lança un regard noir.

- Si un clan de Vampires ennemis venaient à exterminer le tien et que tu sois le seul survivant, laisserais-tu notre bétail entre leurs mains ? interrogea Baptiste.

Chris plissa les yeux comme si enfin, tout prenait sens. Freijat en eut la nausée.

- Vous êtes tellement prétentieux ! cracha-t-elle et tous les Vampires tournèrent les yeux vers elle, incrédules. Le monde tourne autour de votre nombril, n’est-ce pas ? Vous n’imaginez pas que les gens aient pu prendre une décision sans qu’elle n’ait quoi que ce soit avoir avec vous, hein ? Vous me dégoûtez !

Freijat se renfrogna. Le silence dura quelques instants puis Imhotep lança :

- Je préférais quand elle se taisait.

Les quatre Vampires ricanèrent puis Baptiste redevint sérieux. Chris interrogea :

- Pandore ? Son intervention était feinte, une façon de nous détourner de la réalité ou bien est-elle vraiment en colère ?

- Elle pense ce qu’elle dit, indiqua Pandore.

Chris fronça les sourcils.

- Je suis désolé mon frère, dit Baptiste. J’ai eu tort quant à la raison pour laquelle elle a décimé le bétail.

- Au moins, je sais qu’elle n’a pas agi par pure envie meurtrière de tuer de pauvres gens. Elle a massacré son bétail, ses bêtes. Pourquoi ?

Baptiste zooma sur l’écran puis sortit sa propre tablette et commença à pianoter dessus. Il passa d’un outil technologique à l’autre et tout le monde le laissa faire en silence. Au bout d’un moment, Baptiste se figea.

- Je connais cette expression, murmura Chris. Mon frère, que viens-tu de découvrir ?

Baptiste se tourna vers Freijat.

- Qu’est-ce que tu veux ? demanda-t-il.

Freijat leva sur lui un regard d’incompréhension.

- Chris te tient prisonnière, enfermée depuis presque un siècle après avoir ordonné le massacre de tous les tiens. Ta colère est compréhensible. Cependant et malgré ces actes, je ne présume de rien. J’ai vécu assez longtemps pour savoir que les désirs des gens peuvent être bien loin de ce que l’on peut imaginer alors dis-moi, que veux-tu ?

Freijat le fixa sans ciller.

- En échange de ça, dit-il en montrant la tablette de Chris, le roi te donnera tout ce que tu veux.

- Baptiste ? lança Chris d’un ton glacial.

- C’est tout ce que tu as toujours voulu, indiqua Baptiste à son frère. Je comprends qu’elle se taise. Ses connaissances pourraient révolutionner notre monde. Sarracénie…

- Ne m’appelle pas comme ça, cingla Freijat, glaciale.

- Oh ! Chris peut mais pas nous, lança Imhotep. Son amour pour toi est sincère.

- Sans aucun doute, confirma Pandore.

Freijat observa son escorte. Elle en avait assez qu’il lise en elle. Il l’observait attentivement et Freijat comprit : non, il ne lisait pas dans ses pensées. Il s’intéressait à ses mouvements, ses gestes réflexes, souvenirs d’une vie humaine, instincts non détruits.

Freijat ferma les yeux, inspira et se concentra puis fit disparaître tout mouvement, devenant statue, ce qu’elle avait fait pour échapper aux prêtresses du mal venues exterminer les siens.

- Ouah ! s’exclama Pandore. Joli ! Notre prisonnière est beaucoup plus au contrôle que ce que les rapports laissaient sous-entendre. Désolé, Majesté, je suis aveugle désormais.

- Merci, Pandore, annonça Chris.

- Prisonnière, existe-t-il un moyen, n’importe lequel, pour retrouver ça ? demanda Baptiste en montrant la tablette.

Freijat resta plongée dans son mutisme.

- Sarracénie, commença Chris, je t’ai fait lire tout ce que j’ai pu pour que tu comprennes la situation, que tu ne restes pas dans le flou. Rien n’est pire que l’incertitude et l’incompréhension. Maintenant que tu sais pourquoi les tiens ont été tués, ne pourrais-tu pas…

- Ils sont morts à cause de ton incompétence, siffla Freijat et le roi se crispa.

Les autre Vampires dans la navette affichèrent une gêne intense.

- Tu voulais anéantir la menace de petits Vampires incontrôlables qui permettaient aux chasseurs de Vampires de s’entraîner. Faisions-nous partie de cette catégorie ?

Chris serra les dents d’embarras.

- Nous ne nous attaquions jamais à la population locale et ne nous reproduisions presque jamais, toujours avec parcimonie et formions tous nos petits. Tu avais trop à faire pour chercher à le savoir. Les avertis de Gilles d’Helmer ont eu droit à ta clémence. Ils ont reçu l’amnistie. Ils ont eu le droit d’être prévenus, le droit de se cacher et d’échapper à la tornade. Pas nous. Pourquoi ? Parce que tu étais trop pris pour donner de ton temps. Parce que tu as choisi de rester cacher derrière ton mur protecteur. Tout le monde connaissait notre existence et tu n’as pas cherché à nous rencontrer. Nous aurions été ravis d’échanger avec toi, de commercer, de te prêter ou de te vendre certaines de nos bêtes. Tu as choisi la guerre et tu demandes mon pardon ?

Chris baissa les yeux de honte devant ce réquisitoire. Qu’il s’en veuille était évident.

- D’où ma question, insista Baptiste. Que veux-tu ?

- Tu n’es pas en position de négocier, gronda Freijat.

Baptiste soupira.

- Baptiste, quelle est cette connaissance qu’elle possède pour laquelle tu es prêt à lui offrir la lune en mon nom ? demanda Chris.

Baptiste souffla, résigné, puis montra de nouveau la tablette.

- Parmi les morts, certains ont été éventrés.

- C’était une véritable boucherie, confirma Chris. Si je devais exterminer mon bétail, je ne m’y prendrais pas de cette façon mais après tout, elle n’était probablement pas un chef de famille. Elle aura profité de l’absence de supérieur pour s’amuser un peu.

Freijat leva les yeux au ciel en secouant la tête.

- Ai-je vraiment besoin de traduire ça en mots ? lança Pandore.

- Non, merci, Pandore, dit Chris. Son mépris pour mes paroles est évident. Je suis loin de la plaque.

- Vous voyez ça ? Des vêtements sans corps.

- Des Vampires tués par mes filles, proposa Chris.

- Admettons, dit Baptiste. Comment expliques-tu en ce cas que tes filles annoncent dans le rapport un total de 217 Vampires canadiens tués pour un total de 483 vêtements sans corps dans les différentes images ?

Chris fit mine de prendre la tablette.

- J’ai compté, précisa Baptiste. Mais tu peux le refaire toi-même si tu n’as pas confiance.

Chris recula ses mains pour reprendre une pause plus neutre, preuve qu’il croyait son frère.

- Je ne comprends pas, admit-il tandis que Freijat se tendait.

Baptiste allait dans la bonne direction. Freijat se força à rester neutre pour ne rien offrir à son escorte. La difficulté était maximale. Elle ignorait si elle tiendrait longtemps à ce rythme.

- Ta prisonnière n’est pas au contrôle, rappela Baptiste. Tuer ces gens aussi rapidement a dû lui prendre énormément d’énergie. Elle s’est simplement nourrie au passage et a évidemment pris la peine de tuer son engeance.

- Cela explique la différence. Mes filles sont retournées sur les lieux une semaine après leur premier passage. Pour une Vampire pas au contrôle, elle a en effet été plutôt rapide.

- D’autant qu’elle a probablement attendu avant de sortir de son trou, intervint Imhotep et Baptiste acquiesça.

- Quel rapport avec la boucherie ? demanda Chris.

- Tous les tués de manière sauvage l’ont été selon le même mode opératoire : ces bêtes ont eu le cœur arraché.

Chris hocha la tête.

- Et alors ?

- Comment détruis-tu une engeance non désirée ? demanda Baptiste.

- Je lui arrache le cœur.

- Ta prisonnière n’avait pas le temps de faire le tri des patates. Elle s’est nourrie et a arraché le cœur de toutes ses victimes, sans savoir si elle deviendrait ou non des Vampires.

- Comment ça ? Elle n’est pas au contrôle. Ils deviendront tous des Vampires, le contra Chris.

Freijat se retint de tout mouvement trahissant ses pensées.

- J’ai compté 3648 têtes de bétail. Pour 217… enfin 218 Vampires, se corrigea Baptiste en désignant Freijat, c’est peu. Ils n’étaient pas au contrôle. En supposant qu’ils rentabilisaient au maximum et drainaient à chaque fois la victime de son sang, ils devaient se nourrir en moyenne toutes les semaines.

- On peut tabler là-dessus en effet.

- Cela fait plus de dix mille humains nécessaires par an, compta Imhotep. Le compte n’y est pas.

- Même en comptant une fois par mois, cela fait six cents humains nécessaires par an. Quatre mille humains ne peuvent pas créer six cents bébés par an.

Freijat serra les dents de rage. Baptiste avait compris. Elle était dégoûtée.

- Cela ne peut signifier qu’une seule chose : les humains ne mourraient pas après la morsure, en conclut correctement Baptiste.

- Je ne comprends toujours pas, admit Chris.

- Parmi le bétail, certains étaient immunisés contre le vampirisme, annonça Baptiste très fier de lui. Lui, par exemple, proposa-t-il en désignant la tablette.

Chris se figea un instant, éberlué.

- Ils possédaient des humains naturellement vaccinés ? souffla-t-il abasourdi.

- Qu’es-tu prêt à lui donner en échange de ça, mon frère ?

- La lune, confirma-t-il. Sarracénie, tu as tué toutes les bêtes mais y a-t-il un moyen, n’importe lequel, de retrouver ce qui a été perdu ? Je te donnerai tout ce que tu veux en échange, vraiment tout.

Freijat observa le roi. Rester stoïque était tellement difficile. Elle crevait d’envie de répondre « Toi ! C’est toi que je veux ». Elle se retint. Il s’agissait de rester objective, de ne pas se laisser submerger par ses émotions. Diplomate, elle l’avait été toute sa vie. Les négociations, elle connaissait. Surtout, ne pas laisser les sentiments s’en mêler.

- Toute ma vie, humaine ou Vampire, on m’a dit où aller, quoi manger, ce que je devais faire, avec qui je devais être. Je veux être libre, dit-elle.

- Tu auras ta liberté, promit Chris, en échange de cette merveille.

- Hors de question ! gronda Freijat.

- Quoi ? s’exclama Chris tandis que les autres Vampires sursautaient.

- Je ne suis pas capable de te donner ce que tu demandes. Lui, en revanche, pourrait peut-être y parvenir, dit Freijat en désignant Baptiste du doigt, façon fort impolie d’agir, insulte voulue par la diplomate. Sauf qu’il est hors de question que ma liberté soit conditionnée par ses compétences. Je veux ma liberté en échange de ma coopération.

- Obligation de moyens pas de résultats, résuma scientifiquement Baptiste. C’est entendable.

- J’accepte, dit Chris. Ta liberté contre ta coopération entière et totale dans le travail de Baptiste qui sera de retrouver comment un humain pouvait être immunisé contre le Vampirisme. Sarracénie, dis-nous comment on peut s’y prendre !

- Les humains porteurs de cette particularité étaient appelés des sources, annonça Freijat. Ils pouvaient supporter des morsures sans se transformer, en moyenne pendant trois ans avant de devenir poreux.

- Poreux ? répéta Baptiste.

- Un jour, une morsure les transformait. Au début, bien avant ma naissance, les humains n’en supportaient qu’une dizaine. Les reproductions ont été contrôlées. Les meilleures sources forcées de se reproduire entre elles.

- La particularité était héréditaire, comprit Baptiste en souriant, les yeux brillants.

- Probablement génétique, en effet, d’où le fait que tu pourras le faire et pas moi, indiqua Freijat. Il faut un expert en génétique pour réaliser le miracle de faire renaître un gène disparu.

- Où dois-je le chercher ? demanda Baptiste, avide et impatient.

- Une source a dépassé toutes les autres, raconta Freijat. Elle a supporté vingt années de morsures, des milliers et des milliers de doses de venin.

- Quelle souffrance ! s’exclama Chris.

Freijat le remercia silencieusement de sa compassion.

- Finalement, elle est devenue poreuse, continua Freijat. Les circonstances ont fait qu’elle nourrissait un Ancêtre, un chef de famille qui, contre toute attente, a décidé de la garder.

Freijat resta silencieuse, laissant chacun comprendre ce qu’elle venait de dire et de faire les bons liens.

- Tu es… cette source ? bafouilla Baptiste.

Il la déshabilla de la tête aux pieds puis serra les dents avant de gronder :

- Et merde ! Putain je déteste travailler sur les Vampires !

- Est-ce possible, mon frère ? Peux-tu retrouver ses gènes humains malgré sa transformation ?

- Elle n’est pas au contrôle. Elle n’a donc jamais changé d’apparence. Son code génétique a été conservé, mais depuis le temps, il se sera altéré. C’est possible mais très difficile.

- Si quelqu’un peut le faire, c’est bien toi. Nous allons bientôt emménager dans le nouveau palais. Tu auras des laboratoires dernier cri à ta disposition. Trouve la solution, mon frère. Trouve-la !

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