La voix continua. Implacable. Insidieuse. Chaque mot s’enfonçait comme une lame glacée, écorchant ses certitudes, sectionnant méthodiquement la réalité. Il la sentait ronger son esprit, démanteler, pièce après pièce, tout ce qu’il croyait être. Chaque phrase résonnait comme un écho froid. Une vérité étrangère s’infiltrait, rampait dans son cerveau, creusait des brèches, dévorait ses repères.
“Il n’y a pas de réhabilitation.”
Une onde de choc traversa son corps.
“Il n’y a pas de justice.”
Ses doigts tremblèrent. Son souffle s’emballa.
“Il n’y a que Fracture.”
L’air se contracta autour de lui.
Il n’écoutait pas seulement un message. Ce message l’écoutait lui. Il le disséquait, le scrutait, se glissait dans chaque interstice de sa conscience, déployant ses ramifications jusqu’au plus profond de son être.
“Tu crois que tu es un patient ici ? Un cobaye ? Un prisonnier ? Faux.”
Un silence.
Mais ce silence hurlait.
Puis le coup de grâce.
“Tu es le premier. Tu es le patient Zéro.”
Un gouffre. Béant. Sans fin. L’ombre l’engloutit.
Sa gorge se serra. Il lutta pour respirer, mais l’air lui-même semblait fuir.
Un vertige, plus violent que tout ce qu’il avait connu. Ses jambes vacillèrent. Il recula, heurta le mur. Sa colonne vertébrale claqua contre la surface glacée. Chercher un appui, une prise, quelque chose de réel.
Son regard fouilla la pièce.
Rien.
Rien d’autre que ce vide pesant.
Trop blanche.
Trop lisse.
Sans âme.
Une cage.
Où était l’interphone ? Où était la caméra ? Où était l’œil qui l’observait ?
Il devait voir.
Il ne pouvait pas…
Il ne voulait pas croire à ça.
Non.
C’était une plaisanterie.
Une manipulation.
Un piège.
Renard. David. Ils étaient derrière ça. Ils avaient orchestré chaque instant, chaque illusion, chaque infime parcelle de ce cauchemar. Une tentative pour le briser, pour le pousser à la limite, pour le forcer à accepter leur réalité, pour lui voler son identité.
Mais… il savait. Quelque chose en lui bougeait. S’éveillait.
Un frisson de terreur pure.
L’enregistrement continua, implacable, imperturbable.
“Fracture n’a jamais été une prison.”
Sa poitrine se contracta.
“Ce n’est pas un centre de réhabilitation pour criminels.”
Un battement de cœur manqua.
“C’est une expérience sur la conscience humaine.”
Un souffle.
Une vérité impossible.
Comme un mur invisible qui s’effondre sous son poids.
Une pression, insupportable, explosa dans son crâne. Son propre esprit refusait de l’entendre. Il la rejetait, tentait de l’expulser avant qu’elle ne l’atteigne, avant qu’elle ne prenne racine en lui.
Une vérité trop lourde.
Une vérité qu’il avait peut-être toujours pressentie…
Un battement.
Une faille.
Un souvenir.
“On t’a fait croire que tu étais un monstre.”
Son souffle se brisa.
“On t’a implanté des souvenirs étrangers.”
Un spasme secoua ses doigts. Il ne les reconnaissait plus.
“Mais la vérité…”
Silence.
Un silence atroce.
Puis une phrase qui déchira la réalité.
“… c’est que tu n’as pas été enfermé.”
Ses jambes faiblirent.
“Tu t’es enfermé toi-même.”
Une sentence.
Un choc.
Un gouffre.
Un effondrement.
Le sol sous lui n’existait plus.
Le silence l’écrasa.
L’air se rétracta. L’atmosphère devint dense, irrespirable, chaque inspiration était un combat contre une pression invisible.
Il était piégé.
Pas dans une pièce.
Pas dans un centre de détention.
Dans son propre esprit.
Un flash. Une sensation de déjà-vu écrasante.
Son corps frissonna.
Fracture…
Une malédiction.
Un piège.
Une boucle infinie.
Son cœur cogna.
L’air trembla.
Battements déphasés.
Respiration hachée.
Les murs ondulèrent.
Il était en train de se souvenir.
Des flashs.
Des morceaux de vérité éclatés.
Une salle de conférence vide.
Des écrans clignotant.
Des schémas neuronaux projetés sur un mur blanc.
Des silhouettes dans l’ombre.
Il validait des analyses.
Il enregistrait des expériences.
Son nom apparaissait dans les fichiers.
Son nom.
Noir sur blanc.
Sans équivoque.
Pas comme patient.
Pas comme sujet d’observation.
Comme chercheur.
Comme architecte.
Un silence glacé tomba. Une seconde. Deux. Puis…
Le choc.
Ce n’était pas Renard qui dirigeait Fracture.
Ce n’était pas David qui contrôlait cette prison.
C’était lui.
Lui.
Le créateur.
Le cobaye.
L’architecte et le prisonnier.
Une brûlure sourde dans sa poitrine, un vertige absolu.
Il sentit son cœur ralentir.
Son cerveau répugnait à comprendre.
Il refusait d’admettre.
C’était impossible.
Ça n’avait aucun sens.
Mais il savait.
Il avait toujours su.
La voix dans l’enregistrement reprit.
Implacable.
Dénuée d’émotion.
Chaque mot était une condamnation, une frappe chirurgicale contre son esprit.
Chaque syllabe déshabillait la réalité, la tordait jusqu’à ce qu’il ne reste qu’un seul et unique fait :
Tout ce qu’il croyait savoir était faux.
“Tu cherches une échappatoire.”
“Tu cherches à comprendre.”
“Mais il n’y a pas d’issue, Étienne.”
Un murmure.
Puis la sentence.
“Parce que c’est toi qui as bâti cette prison.”
Un électrochoc.
Il tomba à genoux.
Ses jambes tremblaient.
Son propre corps rejetait la vérité.
Un étau invisible lui écrasait la poitrine.
Chaque inspiration était un supplice.
Chaque battement de cœur une agonie.
Le monde tanguait.
L’air était trop dense.
Son souffle trop court.
Impossible.
IMPOSSIBLE.
Ces mots résonnaient dans son crâne.
Comme une incantation désespérée.
Un mantra hurlé par un homme qui savait qu’il était déjà trop tard.
Ses doigts s’agrippèrent au sol.
Cherchant une prise.
Un repère.
Un point fixe.
Mais il n’y avait rien.
Juste du vide.
Juste une boucle.
Fracture…
Ce n’était pas un centre de détention.
Ce n’était pas une prison.
Ce n’était pas un test psychologique.
C’était autre chose.
Un programme expérimental.
Un monstre froid nourri de ses propres pensées.
Une boucle qui dépassait tout ce qu’il pouvait imaginer.
Et lui…
Étienne…
Il n’était pas un simple cobaye.
Il était le PREMIER.
Le patient ZÉRO.
Son cœur s’arrêta un instant.
Ou du moins, il en eut l’impression.
Son propre souffle lui parut assourdissant.
Amplifié.
Répercuté par le silence.
Un silence parfait.
Lisse.
Faux.
Les murs semblaient respirer.
Un souffle ténu.
Un battement sourd.
Comme si l’espace lui-même était en train de l’observer.
Des images explosèrent dans sa mémoire.
Floues.
Incohérentes.
Incontrôlables.
Des fragments de souvenirs qu’il ne reconnaissait pas.
Des écrans défilant à toute vitesse.
Des dossiers remplis de chiffres.
Des documents officiels avec son nom inscrit.
Il n’était pas enfermé ici.
Il avait toujours été ici.
Depuis le début.
Un écran s’anima devant ses yeux.
Des lignes de code.
Des simulations.
Des silhouettes observant en silence.
Une signature.
La sienne.
Sa gorge s’assécha brutalement.
Un spasme contracta son estomac.
Il vit ses propres mains taper sur un clavier.
Le claquement des touches résonna.
Une cadence implacable.
Il écrivait des rapports.
Il enregistrait des analyses.
Il validait des tests.
Il INTERAGISSAIT avec Fracture.
PAS comme patient.
PAS comme sujet d’expérience.
COMME LE PROGRAMMEUR.
Un hurlement intérieur.
Son crâne pulsait sous l’impact de la révélation.
Sa propre voix résonna alors.
Mais elle était distante.
Déformée.
Comme un écho enregistré.
“Tu ne peux pas t’échapper, Étienne…”
Un frisson absolu.
“Parce que c’est toi qui as créé cette prison.”
Un vide.
Un gouffre sans fond.
Il ferma les yeux.
Mais cela n’arrêta rien.
Les images revinrent.
Les fragments de vérité hurlaient.
Les calculs.
Les simulations.
Les tests qu’il avait LUI-MÊME validés.
Les comptes-rendus qu’il avait rédigés.
Le poids de chaque décision.
Le bruit d’un moniteur cardiaque, trop lent maintenant.
Le silence étouffant.
Les lumières clignotantes semblaient vaciller en même temps que son esprit.
Il était piégé dans ses propres souvenirs.
Il avait cherché des réponses.
Il avait voulu comprendre.
Il avait voulu enquêter.
Mais il n’avait fait que suivre un scénario déjà écrit.
Toute sa vie.
Toute cette enquête.
TOUS CES MEURTRES.
Rien de tout cela n’avait été réel.
Tout n’était qu’un programme tournant en boucle.
Encore.
Encore.
Un puzzle dont il était la pièce centrale.
Et le concepteur.
Il croyait être la victime.
Il était le bourreau.
Le créateur.
L’architecte.
Le geôlier.
Ses mains tremblaient.
Il les observa.
Comme s’il ne les reconnaissait plus.
Combien de temps était-il enfermé ici ?
Depuis combien de fois avait-il tenté de comprendre ?
Combien de fois avait-il oublié ?
Tout tournait en boucle.
Encore.
Encore.
Un vertige.
Atroce.
Un cauchemar qu’il avait lui-même écrit.
Une peur viscérale insinua son poison en lui.
Fracture…
Ce n’était pas un simple programme.
C’était un piège mental.
Un enfer auto-généré.
Une boucle qui se nourrissait de lui-même.
Et maintenant ?
Maintenant, il devait faire un choix.
Accepter la vérité.
Ou…
Plonger encore plus loin.
Encore une fois.
Ou peut-être…
Une fois de plus.
Dans une boucle infinie.
Encore.