Chapitre 28 - L’ultime vérité

Par David.J

Tout s’effondrait.

L’idée même de sa propre existence semblait se dissoudre sous le poids de cette révélation. Une fissure invisible s’ouvrait dans son esprit, s’élargissant à chaque seconde, menaçant d’engloutir tout ce qu’il pensait être réel. 

Il n’était pas un patient. Ni un criminel. Ni un homme en quête de rédemption.

Il était autre chose.

Un programme.

Un test.

Une expérience.

Et il y en avait eu d’autres avant lui.

Il chancela, cherchant un point d’ancrage. Mais tout se délitait. Les murs. Le sol. Les écrans. Pour la première fois… il douta de leur existence.

Il tituba en arrière, les yeux rivés sur les écrans de la console.

Des dizaines de fichiers défilaient sous ses yeux. Des lignes de code. Des annotations. Des logs froids, cliniques, sans émotion.

Chaque fichier était un fragment d’histoire.

Son histoire.

Mais pas la sienne.

Celle des autres.

Les Étienne d’avant.

Les lignes s’alignaient sur l’écran, impitoyables :

Sujet 001 : Échec. Instabilité cognitive.

Sujet 002 : Échec. Perte de la distinction entre souvenirs réels et implantés.

Sujet 003 : Échec. Émergence d’une conscience indépendante.

Sujet 004 : Réinitialisation forcée. Résistance accrue.

Sujet 005 : Instabilité émotionnelle. Effacement partiel.

Sujet 006 : Refus de l’autorité. Recalibrage nécessaire.

Sujet 007 : Tentative d’évasion. Suppression.

Patient Zéro : Anomalie persistante.

Son souffle se coupa.

Combien ?

Combien avant lui avaient essayé de comprendre ?

Combien avaient été broyés par Fracture, effacés, reconstruits, puis détruits à nouveau ?

Ses mains se crispèrent sur le rebord de la table.

Chaque Étienne avant lui avait échoué.

Chaque version. Chaque tentative. Chaque esprit brisé, puis reconstruit.

L’échec. Encore et encore.

Et pourtant, ils continuaient.

Pourquoi ?

Parce qu’il était le premier à résister.

Le premier à persister.

Le premier à atteindre ce point.

Une sensation de brûlure envahit son crâne. Sa propre mémoire était-elle réelle ?

Ou n’était-elle qu’une mosaïque de fragments, un mélange de souvenirs volés, falsifiés, altérés pour le plier au programme ?

Une sueur froide coula le long de sa tempe.

Un rire sec s’échappa de sa gorge. Un rire sans joie. Un rire amer, douloureux.

Avait-il tué quelqu’un ?

Ou n’avait-il fait que suivre un script ?

Un mensonge injecté.

Un programme gravé.

Un crime qu’il n’avait jamais commis.

Mais qu’on avait inscrit en lui comme une malédiction.

Un mensonge implanté, jusqu’à devenir une certitude.

Ses souvenirs… étaient-ils vraiment à lui ?

Il revoyait ces images, ces scènes figées, les corps au sol, les murs éclaboussés de sang, l’odeur métallique, suffocante. Mais plus il les repassait en boucle dans son esprit, plus quelque chose semblait… faux.

Ces images n’étaient-elles pas trop nettes ?

Trop précises ?

Trop bien alignées ?

Comme une séquence réécrite, un souvenir falsifié qu’on aurait peaufiné jusqu’à ce qu’il ne puisse plus en douter.

Et pourtant…

Il entendit la voix de David résonner dans sa tête, comme un écho insidieux, un murmure ancré au plus profond de lui :

« Si on t’implante les souvenirs d’un monstre… es-tu devenu un monstre ? »

Cette question revenait encore et encore, une litanie morbide, une réalité qu’on lui imposait sans relâche.

David, lui aussi, l’avait laissé planer au-dessus de lui, dans un souffle à peine audible, comme un rappel sinistre :

« Ce n’est pas la première fois que tu passes par là. »

Pas la première fois.

Le concept lui-même le fit frémir.

Combien de fois ?

Combien de boucles avant celle-ci ?

Chaque version d’Étienne s’était-elle déjà posée cette même question, assise au même endroit, les yeux rivés sur le même écran, le souffle court, le cœur prêt à exploser ?

Et s’il n’avait jamais été un monstre…

Mais qu’on l’avait fait devenir un monstre ?

Un programme de contrôle de la pensée

Une vague de vertige l’assaillit brutalement.

Il s’agrippa à la console pour ne pas tomber, cherchant un point d’ancrage, une certitude, mais il n’y avait plus de sol sous ses pieds.

Juste le vide.

L’infini du doute.

Fracture n’était pas ce qu’il croyait.

Il ferma les yeux. Le monde vacilla.

Un programme de réhabilitation ? Non.

Une prison ? Non.

Un test psychologique ? Faux.

Fracture était une arme.

Il inspira profondément, cherchant de l’oxygène dans cet environnement qui semblait se refermer sur lui.

Une technologie capable de modifier la conscience.

De reprogrammer une identité.

De déconstruire un individu.

De faire croire à un homme qu’il avait commis l’irréparable…

Jusqu’à ce qu’il n’ait plus aucun doute.

Jusqu’à ce qu’il ne sache plus distinguer la réalité du mensonge.

Jusqu’à ce qu’il soit irrémédiablement transformé.

Un pion.

Un outil.

Une machine avec une conscience remodelée, malléable, docile…

Un homme qui ne se souviendrait plus jamais qu’il avait été autre chose.

Il ouvrit les yeux, brusquement.

Ses pupilles se contractèrent brusquement.

Sa respiration se bloqua.

C’était ça.

C’était ça, depuis le début.

Pas une prison.

Pas une expérience pour analyser la criminalité.

Pas une boucle pour comprendre les mécanismes de la culpabilité.

Fracture…

Était une arme de contrôle mental.

Et lui, Étienne…

Était à la fois la cible et le patient.

La rage, la peur et la terreur s’entremêlèrent dans son esprit.

Combien avant lui avaient été broyés par le programme ?

Combien avaient perdu toute trace de leur véritable identité ?

Combien avaient fini par croire à leur propre culpabilité… alors qu’ils n’avaient jamais commis le moindre crime ?

Un goût amer envahit sa bouche.

Il n’était pas le premier.

Mais il serait le dernier.

Il refusait d’être un pantin.

Il refusait d’être une copie, un fichier qu’on réécrit encore et encore.

Il refusait d’être un simple programme dans une boucle infinie.

Fracture voulait contrôler son esprit ?

Alors il allait le briser.

Renard et David… étaient-ils réels ?

L’idée lui glaça le sang.

Il releva lentement la tête, ses muscles tendus, l’esprit en alerte. Il scruta la pièce, cherchant une confirmation, un indice, n’importe quoi qui pourrait lui prouver qu’ils étaient bien là… qu’ils existaient.

Son regard s’accrocha aux visages de Renard et David.

Ils étaient là.

Comme toujours.

À leur place.

Immobiles.

Le regard figé.

D’une fixité presque… trop parfaite.

Un détail imperceptible, une absence d’humanité.

Il plissa les yeux, les observa sous un autre angle.

Le temps semblait suspendu.

Ils ne bougeaient pas.

Aucun tressaillement.

Aucun mouvement involontaire.

Aucune fluctuation dans leur posture.

Un battement sourd résonna dans ses tempes.

Ils attendaient.

Mais… quoi ?

Les erreurs du programme

Il y avait eu des bugs.

Il en était maintenant certain.

Des micro-distorsions dans les voix.

Des hésitations imperceptibles dans leur façon de parler.

Des phrases qui semblaient trop bien placées, trop calculées.

Un son qui se répétait parfois.

Un bruit de fond qui disparaissait d’un instant à l’autre.

Comme une réalité imparfaite, tentant de masquer ses propres failles.

Son souffle s’accéléra.

Ils ne sont peut-être pas réels.

Cette phrase lui vrilla le cerveau.

Sa vision se brouilla légèrement.

Si Fracture était capable d’implanter des souvenirs…

Il pouvait aussi créer des illusions.

Une paranoïa justifiée

Une sueur glacée perla sur sa tempe.

Renard.

David.

Qui étaient-ils vraiment ?

Depuis combien de temps étaient-ils là ?

Depuis combien de temps étaient-ils censés être là ?

Il n’avait jamais remis en question leur présence avant aujourd’hui.

Pourquoi ?

Parce qu’ils faisaient partie du décor.

Parce qu’ils étaient une constante dans cette boucle.

Mais si cette boucle était une illusion…

Alors ils pouvaient l’être aussi.

Des humains ?

Ou simplement…

Des fragments de programme ?

Des algorithmes perfectionnés ?

Des entités générées par Fracture pour le maintenir enfermé ?

Des sentinelles, rien de plus.

Un vide immense se creusa en lui.

Si c’était vrai…

Alors il était seul.

La révélation

L’adrénaline explosa dans ses veines.

Ses muscles se tendirent.

Un instinct primal, une urgence viscérale lui hurlait que quelque chose allait basculer.

Que quelque chose le surveillait.

Qu’il était observé.

Évalué.

Il ne savait pas par qui.

Par quoi.

Mais il savait une chose.

Il n’était pas un sujet.

Il n’était pas un cobaye.

Il était l’anomalie.

L’élément incontrôlable.

Celui qui ne se laissait pas reprogrammer.

Celui qui voyait au-delà du mensonge.

Le premier à remettre en question le programme.

Le premier à résister.

Le premier à chercher une issue.

Et maintenant ?

Maintenant, il savait.

Il n’était pas censé comprendre.

Fracture ne pouvait pas le laisser partir.

Ce n’était pas prévu.

Ce n’était pas dans l’équation.

Une anomalie ne pouvait pas exister.

Alors Fracture allait réagir.

Effacer.

Réinitialiser.

Recommencer.

Il devait agir avant.

Avant d’être effacé à son tour.

Il n’avait plus le choix.

Ses doigts se crispèrent.

Son regard se posa sur la console.

Sur les fichiers.

Sur la ligne rouge clignotante :

Patient Zéro – Anomalie persistante.

La dernière faille dans le programme.

Lui.

Il inspira profondément.

Une seule issue.

Détruire Fracture.

Avant que Fracture ne l’efface.

Avant que tout recommence.

Maintenant.

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