Chapitre 27 - L'offre - Till

Notes de l’auteur : MAJ 26/09/2023

Il se terrait depuis des mois dans son trou, de fait, le temps commençait sérieusement à lui paraître long. Recherché dans tout le royaume, il ne pouvait plus mettre un pied dehors. Il était même surpris de ne pas déjà avoir été dénoncé par le peu de personnes qui savaient où il se cachait. Il avait certes bien œuvré pour conserver leur loyauté, mais tout de même.
Les rares visites qu’il avait de ses espions le distrayaient, au milieu de la gestion de toutes ses affaires en cours. Il y en avait une, en particulier, qui réclamait toute son attention, car sa mise à exécution était imminente. Elle ne faisait pas vraiment partie de son domaine d’activité habituel, mais il avait gagné un précieux indicateur en contrepartie. Même dans le crime, tout était une question de compromis.
On frappa sur le tonneau qui dissimulait l’entrée. Till releva le nez de ses papiers, surpris. Il n’attendait personne aussi tôt dans la nuit.
-    Entrez !
Il fixa l’entrée de sa cachette avec attention, puis s’arrêta de respirer lorsqu’il comprit qui s’avançait vers lui. Il n’était pourtant pas impressionnable. Il resta assis, immobile, l’air sérieux mais pas inquiet. Ici, et partout ailleurs, il était chez lui, c’était lui qui commandait. Il devait absolument le faire sentir à l’homme en noir, au visage dissimulé, qui se planta avec raideur devant sa table, sous peine de perdre un avantage certain. Il avait eu vent de sa force. Il savait qu’il possédait l’arme sacrée de la Terre. Et l’homme en face de lui était forcément informé qu’il était devenu le Mystique du Feu, sinon, pour quelle autre raison serait-il venu à sa rencontre ?
-    Que puis-je pour vous ? demanda Till avec politesse.
-    Je crois que tu le sais, répondit la voix profonde.
-    Vous savez, cela m’a été difficile de l’obtenir. Je n’ai pas envisagé de m’en séparer. 
-    Évidemment.
Till observait la bouche de l’homme, tantôt se tordre, tantôt sourire avec nervosité. Il espérait ne pas devoir en venir aux mains avec lui, car il n’était pas encore très à l’aise avec son pouvoir, il n’avait pas beaucoup d’espoir d’en sortir victorieux, donc, vivant.
-    Écoutez, reprit Till, j’ai un contact au château. Dans le château. Une âme perdue qui va bientôt me devoir beaucoup. Si ce sont les armes que vous cherchez, je pourrais vous les fournir d’ici peu, sans que vous n’ayez à lever le petit doigt.
Plus aucune expression ne traversait la bouche de l’homme en noir. Il écoutait avec la plus grande attention.
-    Je pourrais peut-être même faire libérer votre protégée.
À ces mots, un rictus écœurant déforma le visage sévère.
-    Libérer ? articula-t-il dans un effort de contenance.
-    Oh, vous n’êtes pas au courant ? Remarquez, c’est assez récent. Votre Ira a tenté de voler l’arme sacrée de la princesse, mais elle s’est fait prendre. Elle est en ce moment même dans les geôles du château. Qui sait ce qu’elle va leur raconter…
La terre se mit à trembler sous les pieds de Till. L’homme s’avança et s’agrippa à la table. Il serra si fort que le bois se fissura sous ses doigts maigres. Till devait calmer la situation avant qu’il ne fasse tomber l’auberge sur leurs têtes.
-    Calmez-vous, d’après ce que j’en sais, elle n’a rien avoué pour l’instant. Elle a la tête dure. Raison de plus pour que vous m’écoutiez, non ?
-    Oui, continuez, répondit simplement l’homme en desserrant sa poigne. 
-    Bien. Je pourrais vous fournir l’arme de la Lumière, de l’Eau, et du Temps, et libérer Ira en plus. Tout ce que je vous demande, c’est le temps nécessaire, je garde le Fouet du Feu, ainsi que la vie sauve, évidemment. La Lance du Vent devrait être largement à votre portée une fois que vous aurez toutes les autres, je suppose. 
-    Tu es un de ces voleurs minables, un criminel de bas étage, je n’ai aucune confiance en des gens tels que toi, persifla l’homme en noir.
Till baissa la tête en souriant. Il faillit éclater de rire, mais il s’abstint. Nul doute que son interlocuteur ne possédait pas vraiment le sens de l’humour. Il releva ses yeux bleus, vibrants d’orgueil.
-    Avant, j’étais une de ces personnes que vous me décrivez, je le reconnais. Il faut bien commencer quelque part. Seulement, il y a quelque chose que vous ne savez pas sur moi. Aujourd’hui, tous ces gens sont sous mes ordres. Tous. Je sais ce qu’ils font, quand ils le font, et tant que je ne leur donne pas l’ordre de bouger, ils restent immobiles. Si je leur demandais de sauter des remparts, ils le feraient. Voilà qui je suis. Je suis le seul dans tout le royaume qui pourra vous faire une telle proposition, et s’y tenir. Vous êtes venu avec l’intention de me dérober l’arme sacrée du Feu, vous repartez avec l’opportunité d’obtenir toutes les autres, plus votre complice. Je pense que n’importe qui, même peu habitué aux affaires, constaterait l’avantage évident que vous en retirez.
L’homme en face de lui le considéra longuement. Il resta stoïque, les mains sur la table, le souffle imperceptible. Till s’étonna, en le voyant de plus près, qu’il fut si maigre. Il semblait être squelettique sous ses vêtements amples et informes. Ses épaules pointaient sous le tissu, son cou ressemblait à un tronc séché, crevassé, tortueux. Il lui sembla distinguer des joues échancrées, qui ne recouvraient plus sa mâchoire carrée qui paraissait constamment contractée. Comment pouvait-il posséder une telle force ?
-    D’accord, finit-il par lâcher. Dans combien de temps ?
-    Je ne m’engage sur aucun délai. 
-    N’en exige pas trop, prévint l’homme en noir.
-    De nous deux, il me semble que c’est vous qui avez la plus grande exigence. Une telle opération ne peut s’organiser du jour au lendemain, étant donné les implications et les conséquences. Mon contact au château doit me rendre visite dans quelques heures, nous pourrons commencer à en discuter. 
-    Très bien. Ne t’avise pas de te jouer de moi.
-    J’ai bien compris.
L’homme à capuche sortit, en refermant derrière lui. Till s’avança discrètement. Il avait placé un judas minuscule sur l’entrée, à travers lequel il l’observa. Depuis qu’il était arrivé, Till s’interrogeait sur la façon dont il était parvenu à pénétrer dans Aimsir et dans l’auberge sans encombre. Il vit l’homme sortir une fiole contenant un liquide sombre et fumant. Il déposa une goutte sur sa langue pointue et pâle, puis, peu à peu, il s’effaça. Till étouffa sa surprise. La porte de la réserve s’ouvrit, puis se referma en silence. Il retourna s’assoir, décontenancé. Il venait de faire une promesse risquée qu’il ne pourrait certainement pas tenir, mais cela lui permettait de gagner autant de temps que possible.

Plus tard, au plus profond de la nuit, le tonneau de l’entrée résonna encore sous les coups discrets de son visiteur, attendu, cette fois. Lui aussi était vêtu d’une capuche qui lui dissimulait la tête, mais il l’enleva lorsqu’il entra. 
-    Du nouveau ? 
-    Pas vraiment. La prisonnière n’a pas lâché grand-chose, hormis que le meurtrier d’Aurore s’appelle Kerst. Les autres Mystiques sont toujours au château, elles s’entraînent, étudient le bouquin d’Elista, et le fiancé de la princesse est presque invisible depuis l’agression. 
-    À ton avis, que faisait-il devant la chambre d’Adelle ?
-    Quelque chose qui relève de mauvaises intentions, sans doute. La princesse était furieuse, elle lui a passé un sacré savon. Depuis, il se fait oublier. 
-    La date du mariage a été fixée ?
-    Il se tiendra dans quelques semaines.
-    La Reine tient à se débarrasser de sa sœur rapidement on dirait, ironisa Till.
-    Je ne sais pas. Je ne suis pas dans leurs petits papiers. Je reconnais que je ne comprends pas bien le comportement de la Reine. Cette couronne semble l’avoir changée, et pas pour le mieux. 
-    Le poids des responsabilités, philosopha Till.
-    Revenons à ce qui m’intéresse. Tout est en place ?
-    Oui. Mais je peux encore tout arrêter, es-tu sûr que c’est ce que tu veux ?
-    Je viens ici depuis bientôt un an, risquant ma peau à chaque sortie, et tu oses me demander si je suis déterminé ? s’emporta son interlocuteur.
-    Bon. Tu me feras signe quand tu auras lancé les choses. 
-    Ça ne devrait plus tarder. J’attends la bonne opportunité, donc tiens-toi prêt.
Till hocha la tête. Son visiteur prit la direction de la sortie, le laissant seul avec ses réflexions. 
Il venait de s’engager à tuer toutes les Mystiques, dont la princesse du royaume, et de libérer l’ennemi public numéro deux.
Il n’y parviendrait certainement pas.
Il n’était d’ailleurs pas convaincu de le vouloir, au fond.

Il avait menti à Kerst, il savait que désormais, son temps était compté.

 

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Audrey
Posté le 15/04/2022
Mais il est tellement bien ce bon vieux Till que je lui souhaite de réussir.

D'ailleurs tu es allée plus loin dans la description du bourreau d'Ira. Effectivement, comment fait-il pour tenir alors qu'il est si frêle... Est-ce que ce sont ces potions qu'il ingère ? Ou bien est-ce qu'il fait tout ça parce qu'il est en train de mourir.
J'adore connaître les raisons des méchants.
Est-ce qu'on va avoir son point de vue ?
Mathmana
Posté le 15/04/2022
Haha Till a encore d'autres tours dans sa manche et il va s'en servir !!
Kerst est l'un de mes personnages préféré malgré tout, son histoire va bientôt être révélée et elle permettra de le comprendre (un peu). Je prévois en effet un chapitre pour lequel il sera le narrateur. Je l'avais déjà écrit dans ma première version et je m'étais éclatée à le faire... À bientôt pour la suite !
Audrey
Posté le 15/04/2022
Hâte de lire ça !
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