Chapitre 28 - L'embuscade - Myhrru

Notes de l’auteur : MAJ 26/09/2023

Un grabuge sans précédent la tira de son sommeil sans préavis au milieu de la nuit. Des cris résonnèrent dans les couloirs, montant des étages inférieurs. Elle sauta de son lit, enfila des braies et un veston, prit son arme sacrée et son épée, puis courut hors de sa chambre pieds nus. Elle suivit les sons inquiétants et dévala l’escalier, bientôt rejointe par sa troupe et Dubhan. Lorsqu’ils arrivèrent au palier du premier étage, ils comprirent enfin ce qui se passait : le hall d’entrée était rempli de gardes qui tentaient de faire barrage à Ira, désormais libre, armée, retenant Iwan en otage. Myhrru étouffa un juron mémorable, et brandit son arc. Elle avait une vue imprenable, avec la tête d’Ira en ligne de mire.
-    Lâche-le ! hurla-t-elle, ou je te transperce le crâne !
Ira se retourna rapidement, se servant d’Iwan comme d’un bouclier. Elista, prête à se battre, arriva avec Ostara, qui avait emprunté une hache de combat, puisque délestée de son arme sacrée par Ira quelques semaines auparavant. 
-    Tu ne peux pas t’enfuir, lança Myhrru, renonce à cette folie !
-    Je le saigne si vous vous mettez au travers de ma route !
Myhrru croisa le regard d’Iwan. Pour la première fois depuis des mois, il exprimait une autre émotion que la colère et la souffrance. Pendant un instant, Myhrru eut le sentiment qu’il s’agissait de peur, de regret, mais elle chassa cette idée, ça n’avait aucun sens. Elle ne pouvait consentir à sacrifier son ami, et surtout, un membre de son unité, pour une prisonnière qui ne dirait rien de plus. Le capitaine Eamon, qui avait pris soin de mettre les têtes couronnées à l’abri, débarqua de nulle part, et s’approcha d’Ira.
-    Vous avez signé votre arrêt de mort, déclama-t-il avec une colère palpable. 
-    Je l’ai signé depuis que je suis née, répliqua Ira, comme vous tous. 
-    Laissez-la partir, souffla Iwan, la lame de sa propre épée pressant son cou. 
-    Je m’attendais à tout de vous, excepté de la lâcheté, s’indigna le capitaine.
-    Il a raison, c’est le meilleur compromis, appuya Myhrru.
À ces mots, le capitaine tourna la tête vers elle, et son visage d’ordinaire si impassible, se craquela sous la tension et la déception. En réalité, Myhrru avait une autre idée en tête, mais difficile de l’exprimer à voix haute. Elle fixa le capitaine pour se faire comprendre, en vain. Adelle, qui n’avait pas respecté les ordres, arriva sur le palier et commença à descendre les escaliers dans un silence absolu. Sa présence virginale et son attitude si altière firent taire tout le monde. Dans son déshabillé de soie blanche, dont la transparence subtile dévoilait ses jambes fines et gracieuses, elle semblait flotter sur les marches de marbre. Elle s’arrêta au milieu de l’édifice. Elle jeta un regard entendu à Myhrru, puis leva son épée sacrée. Le temps fut suspendu, sauf pour le capitaine et la chevaleresse. 
-    Quel est ton plan, Myhrru ? 
-    La laisser s’enfuir, pour la suivre. Elle nous mènera tout droit à Kerst. 
-    C’est de la folie ! s’écria Eamon, ça n’a aucune chance d’aboutir ! 
-    Que préférez-vous ? Qu’elle tue Iwan et perpètre un massacre en plein milieu du château ?! s’emporta Myhrru. Elle ne nous dira rien de plus, vous le savez parfaitement ! 
-    Je suis d’accord avec le lieutenant Myhrru. Assez de sang. Le seul qui doit couler désormais, c’est celui du monstre dont elle est le pantin. Je réalise un peu tard que nous aurions dû chercher à nous en faire une alliée, et non une adversaire. Notre entêtement et notre colère nous ont mené dans cette impasse. 
-    Nous avons trois Mystiques ici, sans compter les chevaliers, nous pouvons la neutraliser sans difficulté, même sans votre faculté princesse, s’obstina le capitaine. Nous ne pouvons pas la laisser s’enfuir, que va penser le peuple d’une telle indignité ?!
-    Le peuple n’est pas là pour l’affronter ! rétorqua Adelle. Le peuple s’en fiche, il a d’autres choses auxquelles penser ! Tant que son quotidien n’est pas bouleversé, ce qui se passe entre ses murs lui est bien égal ! Nous devons le protéger, et pour ce faire, nous devons arrêter Kerst. Je suis convaincue qu’Ira seule ne commettra plus aucun crime lorsque lui sera mort.
Le capitaine baissa les yeux. Il réfléchissait à toute vitesse. Le pouvoir d’Adelle n’était pas illimité, le temps leur était compté pour trouver une solution. Il passa la main sur le bas de son visage, comme pour évacuer son emportement qui l’empêchait d’être rationnel. Il releva la tête vers la princesse, et dit d’une voix plus calme :
-    Vous avez raison. Pardonnez-moi princesse, il n’est pas dans mes habitudes de perdre mon sang-froid. 
-    Vous êtes tout excusé. Cette situation est assez inédite pour nous tous, même pour un guerrier aguerri tel que vous. 
-    Je remonte enfiler un semblant d’armure, Adelle, tu peux tenir encore longtemps ? demanda Myhrru.
-    Quelques minutes, cinq tout au plus. Hâte-toi.
Myhrru remonta quatre à quatre l’escalier et s’engouffra dans sa chambre. Elle enfila ses bottes, sa jupe, et sa cotte de mailles avant de redescendre aussi rapidement. Elle arriva essoufflée, mais au bon moment, lorsque le temps reprit son cours. Ira eut un mouvement de tête surpris, regardant tout autour d’elle. Elle semblait avoir de la peine à croire d’être toujours en vie après l’intervention de la princesse. Elle leva les yeux vers Adelle, qui la toisait depuis l’escalier. 
-    Laissez-la partir, ordonna-t-elle.
Un bruissement parcourut le hall. Les Mystiques furent estomaquées par une telle décision, et si elles n’en dirent pas un mot, leurs regards effarés suffirent à transmettre le fond de leur pensée. Ira elle-même n’en crut pas ses oreilles. Elle relâcha légèrement son étreinte. 
-    Je ne veux pas de bain de sang, se justifia la princesse. Et vous semblez suffisamment déterminée pour cela. 
Ira reprit son air fermé, poussa Iwan sur le côté et courut jusqu’à la porte d’entrée. Elle l’ouvrit brusquement et s’échappa dans la nuit. Myhrru se précipita vers Iwan qui semblait étourdi. Elle lui mit la main sur l’épaule et planta son regard dans ses prunelles noisette.
-    Prends une épée, et viens avec nous. Après ça, il faudra qu’on discute, toi et moi, exhorta-t-elle avec sévérité. 
Il ne répondit rien et lui emboîta le pas, suivi de toute son unité, à la poursuite d’Ira. 
Elle courait droit devant eux, traversant la place vide, en direction de la porte sud, que gardaient deux chevaliers. 
-    Laissez-la passer ! hurla Myhrru à plein poumons. 
Les ordres ne furent pas entendus. Les deux chevaliers se mirent en garde, bientôt rejoints par ceux des remparts. Ira fit alors face à une dizaine d’hommes. Elle bifurqua sur la droite, apparemment décidée à les égarer dans le dédale de la capitale. Myhrru et sa troupe continuèrent à la pourchasser, mais très vite, les rues s’entrecroisèrent, et la trace semblait déjà disparaître.
-    Là ! s’écria Dubhan, je l’ai vue !
Ils tournèrent tous dans une ruelle si étroite et si longue qu’on n’en voyait pas la fin dans l’obscurité de la nuit. Myhrru courait avec détermination, concentrée sur son objectif, cherchant à apercevoir la silhouette malingre d’Ira. 
Elle fut stoppée dans son élan lorsqu’elle aperçut au loin, non pas une silhouette, mais une dizaine, de forte carrure, qui bloquait le passage. Elle regarda en arrière, et eut le malheur de constater qu’il en était de même. 
-    Que se passe-t-il ? demanda un des chevaliers.
-    Nous sommes piégés.
Les silhouettes se rapprochèrent, diminuant l’espace autour d’eux. Se battre dans ces conditions allait se révéler extrêmement difficile. Myhrru brandit son arc vers eux, illuminant sa flèche, qui révéla des hommes cagoulés et armés jusqu’aux dents. 
-    Laissez-nous passer, par ordre de la Reine ! enjoignit-elle.
Aucune réponse, si ce n’est quelques gloussements cyniques. Elle tira alors sa flèche dans la poitrine d’un des hommes, engageant le combat avant de ne plus avoir suffisamment de place pour manœuvrer. 
Ce fut un déferlement de violence. Elle et son unité subirent des attaques d’homme entraînés, prêts à tout, qui n’obéissaient à aucune règle de combat. Myhrru ne put se servir de son arc sacré longtemps, car la distance était trop courte. Elle dégaina son épée, et se donna corps et âme pour défendre sa vie et celle de ses hommes. Il faisait très sombre, tous donnaient des coups à l’aveugle, son faible équipement ne la protégea pas des épées tranchantes et des haches qui sifflaient à ses oreilles. Elle reçut un premier coup dans le bras, puis un second à la cuisse, plus profond. Elle était considérablement ralentie. Elle entendait tout autour d’elle ses hommes gémirent de douleur, hurler à la mort, cela lui était insupportable. Dubhan était un des rares encore debout. Iwan était à terre. Elle leva alors les yeux et avisa un balcon au premier étage d’une maison. Elle rassembla le peu de force qui lui restait, sauta sur un tonneau et se hissa non sans douleur sur l’édifice. Un sursaut temporel bienvenu lui permit d’escalader sans être vue. Elle put reprendre son Arc du Soleil, et s’en donna à cœur joie. Avec précision et rapidité, elle neutralisa les assaillants restants, achevant ceux qui cherchaient à s’enfuir. 
Alors qu’elle décochait sa dernière flèche qui illumina toute la ruelle, le temps que la lumière disparaisse, elle aperçut, non loin de là, une silhouette noire encapuchonnée tragiquement familière.


À travers ses paupières fermées, la lumière du jour l’incita à se réveiller. Les yeux encore embrumés, elle observa la pièce où elle se trouvait. Des gens s’affairaient, sinuant entre les lits sommaires sur lesquels étaient couchés d’autres chevaliers. Une odeur de sang et de crasse lui vint aux narines, lui infligeant une violente nausée. Elle se releva d’un coup pour régurgiter sa bile par terre. Une femme se précipita vers elle et lui tendit une bassine. 
-    Capitaine, le lieutenant Solas est réveillé ! s’écria-t-elle.
Myhrru, le visage dans ses régurgitations, entendit le pas félin du Capitaine Eamon s’avancer vers elle. Puis, les autres sons de la pièce lui parvinrent enfin aux oreilles. On parlait de soins, de pansements, de pavot. Des hommes gémissaient, d’autres hurlaient. Le brouhaha ambiant donna rapidement la migraine à Myhrru. Elle releva le nez de sa bassine, un goût acide dans la bouche. Elle prit une gorgée d’eau qu’elle cracha, puis osa enfin regarder dans les yeux son supérieur. Il avait déjà son air impassible, ce qui, pour une fois, contraria grandement la jeune femme.
-    Vous êtes à l’infirmerie de la caserne, commença-t-il. Vous avez été pris dans une embuscade.
-    Où sont les autres ? demanda Myhrru d’une voix faible et enrouée.
Le capitaine marqua un temps d’arrêt. 
-    Ils sont tous là, déplora-t-il.
Myhrru s’efforça alors de distinguer avec plus de précision les autres lits autour d’elle.  Une dizaine, tout au plus. 
-    La moitié de mon unité a été décimée ? s’étrangla-t-elle.
-    Malheureusement, oui. Et ce n’est peut-être pas terminé. Certains ici ne sont pas encore sauvés.
Elle avisa Iwan dans le lit voisin. Elle voulut se lever, mais ses blessures la rappelèrent à l’ordre. Le capitaine lui posa la main sur l’épaule pour l’inviter à rester tranquille.
-    Il va bien. Il dort. Il a été sérieusement blessé, tout comme vous, mais il est hors de danger. Il faut vous reposer maintenant. Le chevalier Dubhan aussi est en vie. C’est d’ailleurs le seul à n’avoir pour ainsi dire aucune injure. Il a été retrouvé inconscient, mais il était seulement assommé, rien de grave.
-    Qu’en est-il d’Ira ?
-    Volatilisée. 
Elle jura sans se soucier de la présence de son capitaine. Son plan avait été un échec total, le bain de sang avait été probablement pire que s’ils s’étaient battus contre Ira dans le château. Si elle restait lieutenant après ce coup d’éclat, cela serait grâce à son rôle de Mystique, rien d’autre.
-    Kerst était là, lâcha-t-elle.
-    Je vous demande pardon ? 
-    Je l’ai vu, j’en suis sûre. Il nous observait, plus loin, dans la ruelle. 
La figure du capitaine blêmit subitement. Il s’avança vers le coffre au pied du lit contenant les affaires de Myhrru et fouilla dedans sans manières. Lorsqu’il eut vidé presque l’intégralité du contenu au sol, il referma doucement le couvercle, les yeux baissés. Myhrru comprit alors ce qui inquiétait le capitaine. Son ventre se tordit douloureusement, son cœur explosa dans sa poitrine. 
-    Où est mon arc ? 
Le capitaine, prostré, ferma les yeux. 
-    Non ! Non ! Non ! hurla Myhrru, désespérée.
-    Comment est-ce possible… Il ne pouvait pas… Il…
-    Il doit connaître le sceau de libération, c’est la seule explication ! Bon sang…
-    Mais il aurait pu vous tuer, pourquoi ne l’a-t-il pas fait ? 
Myhrru resta interdite. Le capitaine avait raison. Pourquoi un homme si cruel l’aurait-il laissée en vie alors qu’elle était sans défense ? Alors qu’elle réfléchissait, la nausée lui reprit. Elle toussa à s’en déchirer les poumons dans sa bassine, ne rejetant plus que du sang bilieux. 
-    Je dois en informer la Reine. Vous, reposez-vous, nous reparlerons des derniers évènements quand vous serez rétablie.
-    Dois-je me préparer à être dégradée ?
-    … C’est une possibilité, admit Eamon. 
Il tourna les talons, sa cape bleu marine effleurant le lit de Myhrru avec grâce. Assise dans les draps blancs, elle se sentait encore plus étourdie qu’à son réveil. Ses hommes avaient donné leur vie pour rien. Elle en était malade. Son meilleur ami était lui aussi gravement blessé. Et elle, elle allait probablement tout perdre. 
Elle se recoucha, face au mur. Elle se recroquevilla, se mit à trembler, puis, malgré ses efforts, à pleurer tout ce qu’elle pouvait. Elle mordait son oreiller pour étouffer le bruit des sanglots violents qui la secouaient tout entière. C’était un cauchemar. Elle ne pouvait s’y résigner. Elle allait perdre son rang de chevalier, ce pour quoi elle s’était battue toute sa vie. Elle perdrait dans le même temps son travail, son lieu de vie, son rang social, ses amis, tout, toute sa vie allait être réduite à néant à cause d’une erreur de jugement stupide. Elle allait devoir retourner à Freya, affronter ses parents, trop heureux de lui balancer qu’ils l’avaient prévenue. Trouver un travail lambda, sans intérêt, juste pour survivre. Qui allaient-ils nommer pour la remplacer ?
Dubhan, probablement. 
Dubhan, qui s’était montré si valeureux au combat.
Dubhan, au double visage, qui sortait en douce la nuit pour se rendre dans des lieux louches.
Dubhan, aux désirs de vengeance évidents.

Dubhan, qui allait tout gagner, alors qu’elle allait tout perdre.

Elle s’arrêta de pleurer d’un coup. Elle rouvrit les yeux, traversée par une émotion brutale. Elle balança sa couverture sur le côté, se saisit d’une paire de béquilles pour se mettre debout, malgré les protestations des infirmières. Elle était à moitié nue, elle s’en fichait. Pieds-nus, elle s’en fichait. Sale, elle s’en fichait. Invalide, elle s’en fichait. 

Une seule chose lui importait désormais : Dubhan.

Elle chaussa une paire de bottes trop grandes pour elle qui traînait là, sous les yeux effarés des chevaliers de la caserne. En chemise de nuit, les jambes nues, elle traversa la place balayée par la bise de décembre jusqu’au château, sans se soucier du regard des passants éberlués par une tel spectacle. Elle se dirigea droit vers la salle de réunion, où le capitaine Eamon devait être en train de rapporter le vol de son arme sacrée. Escaladant les escaliers à grand peine, son corps la rappelait à l’ordre. Elle étouffait un gémissement de douleur à chaque marche. À bout de souffle, elle arriva finalement au palier du premier étage. Une voix familière l’interpella :
-    Si on m’avait dit un jour que je te trouverai plus effrayante encore, je ne l’aurais pas cru. 
Myhrru se retourna vers la silhouette massive de Dubhan, qui, bras croisés, appuyé contre un mur, semblait guetter sa venue. Il la dévisagea de haut en bas d’une manière si insistante que cela agaça passablement la jeune femme. Elle s’approcha néanmoins sans hésiter, bien décidée à le faire parler. En deux sauts de béquille, elle parvint devant lui.
-    C’est toi le responsable de tout ça, n’est-ce pas ? demanda-t-elle, le feu dans les prunelles.
-    Et si c’est le cas ? 
-    Ne joue pas à ça avec moi, Dubhan, je t’ai percé à jour ! C’est toi qui nous as mis sur la direction de cette ruelle ! Toi qui vas être promu alors que je vais être dégradée ! Toi qui t’en sors sans une égratignure ! 
Il l’attrapa par le bras et la poussa dans une chambre vide. Elle se retint de tomber lorsque sa béquille lui échappa. Il saisit ses deux bras et la contraignit contre le mur. 
-    Ça fait quoi, d’être humiliée ainsi ? lui murmura-t-il au creux de l’oreille.
Myhrru en eut le souffle coupé. Tout ça, c’était sa vengeance contre elle. Sa revanche contre la blessure qu’elle avait infligé à son orgueil le jour de son adoubement. Elle ne pouvait y croire. Tout ce sang, ces morts, juste pour ça. 
La rage s’empara d’elle. Elle lui balança un formidable coup de tête qui lui fit lâcher prise. Elle enchaîna, malgré son propre étourdissement, par un coup de poing dans sa mâchoire puissante qui se tordit sous sa main. Il tituba. Myhrru en profita pour le pousser, il s’écrasa contre le mur opposé. 
-    Toi aussi, tu es un complice de Kerst ? demanda-t-elle, à bout de souffle.
Il releva vers elle son regard bleu insondable. Il n’y subsistait que l’éclat de la haine. 
-    Non.
-    Alors explique-moi pourquoi je suis encore en vie alors qu’il a volé mon arme. 
La respiration de Dubhan se fit haletante. Il serra les dents. 
-    Tu ne le sauras pas.
Il tendit la jambe et faucha Myhrru, qui tenait déjà à peine debout. Elle tomba bruyamment sur le plancher. Il se jeta sur elle. Il ne savait plus ce qu’il faisait, il ne disait plus rien, il était là, à tenter de l’empêcher de bouger. Myhrru, qui se débattait comme une furie, croisa son regard. Son cœur bondit lorsqu’elle réalisa qu’il pleurait. Plus que jamais, elle aurait voulu des explications, mais ils n’en étaient plus là. Ils roulaient sur le sol, s’agrippant, se tirant les cheveux, les vêtements, se mordant jusqu’au sang, le tout accompagnés de cris bestiaux qui finirent par donner l’alerte. Des chevaliers entrèrent, et, passé l’effet de surprise, entreprirent de les séparer. 
-    Allez chercher le capitaine.

Eamon arriva sans tarder, s’arrêta sur le seuil. Son visage ovale s’allongea lorsqu’il découvrit la scène de ses deux chevaliers essouflés, qui se toisaient comme des lions en cage. 
-    Que se passe-t-il ici ? tonna-t-il.
-    Je dois vous parler capitaine, s’exclama Myhrru.
-    J’y compte bien ! répondit ce dernier avec colère. Vous autres, sortez. 
Les chevaliers lâchèrent Myhrru et Dubhan, qui reculèrent chacun contre un mur de la chambre.
-    Dubhan est un traître ! s’écria-t-elle avec rage. C’est lui le responsable de cette embuscade !
-    Je vous demande pardon ? s’estomaqua le capitaine. Vous ne pouvez pas porter de telles accusations sans preuve, Lieutenant Solas. 
-    Les preuves sont sous vos yeux ! C’est lui qui nous a emmenés dans cette ruelle en prétextant y apercevoir Ira, il est le seul à s’en être sorti indemne. Si on ajoute ça ses sorties nocturnes dans une auberge mal famée d’Aimsir, c’est une évidence ! Il a fait ça pour se venger de moi, et d’Iwan !
-    Mais pourquoi ferait-il cela ?
-    Il m’en veut de l’avoir humilié, et à Iwan de n’avoir su protéger sa sœur. 
-    Chevalier Grian, qu’avez-vous à répondre ? demanda le capitaine en se tournant vers Dubhan.
Ce dernier releva lentement la tête, les yeux pleins de larmes. 
-    Elle ment. Elle a une dent contre moi depuis le début, elle est prête à tout pour me le faire payer. 
-    Quoi ? s’étrangla Myhrru. 
-    Qu’en est-il de ces sorties nocturnes dont elle vous accuse ?
-    Foutaises. Je ne suis jamais sorti du château, je sais comme elle que c’est interdit.
-    Et la bouche d’égout au fond du jardin ?! Celle qui mène directement dans la rue à l’extérieur ? Comment pourrais-je connaître son existence si je ne t’avais pas suivi ?
-    Je ne sais pas de quoi tu parles.
Myhrru jura comme une charretière, excédée. Le capitaine, perspicace, semblait se douter du mensonge de Dubhan. Pour autant, il n’avait rien pour le prouver. Il soupira avec agacement.
-    Bien, quoi qu’il en soit, votre comportement est intolérable, et contraire au Code des chevaliers. Dubhan, vous êtes consigné dans vos appartements jusqu’à nouvel ordre. 
Il ouvrit une armoire et prit un grand manteau qu’il donna à Myhrru. 
-    Vous, suivez-moi, ordonna-t-il.
Elle ramassa sa béquille et claudiqua derrière lui. Elle jeta un dernier regard furieux à Dubhan, dont les larmes ne se tarissaient pas. Myhrru chassa de son esprit la possibilité qu’il soit sincère, car cela l’embrouillait. Elle se devait de garder l’esprit clair pour affronter la suite. Ils pénétrèrent dans la salle de réunion où les têtes couronnées patientaient. 
Myhrru fut invitée à s’assoir, afin de les écouter débattre de son sort. Elle n’avait même plus la force de les regarder. Elle connaissait d’avance leur décision, qui siffla comme une guillotine à ses oreilles.
-    Lieutenant Solas, vous êtes dégradée au rang de Chevalier, jusqu’à nouvel ordre. Nous communiquerons plus tard le nom de votre remplaçant. Veuillez vous retirer, lança le capitaine Eamon d’une voix ferme. 
Myhrru se releva à grand peine, boita jusqu’à la sortie, les yeux rivés vers le sol de marbre. Lorsqu’elle atteignit sa chambre, Dubhan attendait sur le seuil voisin. Elle craignit qu’il ne l’agressât encore, mais il n’en fit rien. Il la fixa intensément quelques secondes, puis s’enferma à double tour.
 

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Audrey
Posté le 15/04/2022
J'aime beaucoup que la suite (et une partie de l'intrigue) se dévoile au chapitre suivant de façon si fluide.
C'est pas trop rapide dans le sens où ça paraîtrait ridicule, ni trop long au point d'oublier de quoi il s'agit. Bravo !
Mathmana
Posté le 15/04/2022
On arrive à un moment dans l'intrigue où tous les personnages et leurs histoires vont se confronter, c'est plus simple pour suivre en effet ! Et à écrire aussi car ça me demande moins de gymnastique cérébrale ^^"
Merci encore pour tes encouragements !
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