Chapitre 27 - Marina

   Il est arrivé de nulle part.

   Assise à côté de Diego, je n’arrivais pas à dormir et je regardais Sacha debout dans l’embrasure de la porte. Est-ce qu’elle s’était levée pour monter la garde ou simplement pour laisser libre cours à ses pensées ? En tout cas, elle ne s’attendait pas à ce qui a suivi. Yi est apparu d’un seul coup juste devant elle et maintenant il la serre dans ses bras. Elle n’a pas émis un seul son et reste les bras ballants le long du corps. On dirait qu’il a réussi à la surprendre ! Et pas qu’elle d’ailleurs !

   Il ne lui faut que quelques secondes pour reprendre ses esprits : elle repousse Yi assez brutalement et le maintient à distance par les épaules. Il se tourne vers Diego et moi, puis son regard fait le tour de la grange et son sourire se dissipe.

   - Où sont les autres ?

   - Tu n’étais pas avec eux ?

   Il ne sourit plus du tout lorsqu’il regarde Sacha après ce qu’elle vient de lui demander.

   - Non. Je pensais qu’il n’y avait que moi qui m’étais égaré. Apparemment pas. Où sommes-nous ?

   - Quelque part en Australie, mais je ne sais pas à quelle distance de notre destination originale. Comment tu nous as retrouvés ?

   En disant cela, Sacha se rend compte qu’elle a toujours les mains sur les épaules de Yi et elle les retire brusquement en regardant partout sauf en face d’elle. Je suis impressionnée, il a vraiment réussi à la déstabiliser. Mais revenons-en aux choses sérieuses. Nous n’avons retrouvé que Yi, il faut maintenant que nous cherchions les autres. Au moins cette fois-ci, il semblerait que nous ayons tous les mêmes priorités.

   - J’ai toujours en tête la description de Paul pour essayer de rejoindre notre destination de base. Il y a peu de chance qu’ils soient ailleurs.

   - Je ne pense pas que nous puissions nous téléporter maintenant, dis-je en désignant Diego du menton.

   Il est toujours endormi et même l’arrivée de Yi ne l’a pas réveillé. Il doit vraiment être mal en point. Yi et Sacha s’approchent. Avant de s’accroupir près de Diego, Yi se débarrasse des deux sacs qu’il porte. Il tend le sien à Sacha.

   - Merci.

   Elle continue à le regarder d’un air insistant. Yi n’a pas l’air de comprendre et moi non plus d’ailleurs. Qu’est-ce qu’elle veut de plus ? Une courbette ? Il baisse les yeux vers son bras, change soudain d’expression et s’explique dans un soupir.

   - Je n’avais plus de tee-shirt…

   Maintenant je comprends. Il a utilisé un pull à Sacha pour maintenir son bras en écharpe. Elle ne va quand même pas lui demander de le lui rendre tout de suite ! Son visage est inébranlable, il se passe une multitude de choses dans ses yeux et je n’arrive pas à suivre. On dirait qu’elle ne sait pas quoi faire. Je décide de mettre un terme à ce moment très étrange en reportant l’attention sur notre problème principal.

   - Diego n’est pas en état de se téléporter. Il faut soit qu’on s’occupe de sa jambe je ne sais pas comment, soit qu’on trouve un autre moyen de transport pour se déplacer.

   Yi et Sacha reviennent sur la terre ferme.

   - Je me suis procuré de quoi faire du nettoyage, précise Sacha en montrant le sac de provisions qu’elle a ramené de son escapade cet après-midi.

   - Impossible d’enlever la balle, mais nous pouvons au moins nettoyer la plaie et lui faire un bandage correct.

   Je les coupe.

   - Et trouver un hôpital ?

   - Hors de question, me répond Sacha. C’est beaucoup trop risqué.

   - Vous avez déjà bien ralenti le saignement. En protégeant bien la blessure et en évitant toute pression sur sa jambe, il devrait tenir jusqu’à ce qu’on retrouve Paul et les autres.

   - Mais…

   - Marina. On ne peut pas penser avec des « mais ». On n’a pas le choix.

   Je me tais. Je sais pertinemment qu’il a raison. On doit agir comme si tout ne pouvait que finir bien. 

   - Il faut qu’on s’occupe de Diego, ajoute Yi pour mettre entièrement fin à mes protestations.

   - Et de ton bras aussi, renchérit Sacha.

   - J’ai déjà nettoyé le plus gros.

   - Comment ?

   Il fixe Sacha et prend encore cet air complètement gêné, comme s’il avait fait quelque chose de mal et qu’elle allait lui taper dessus. Il baisse ensuite son regard vers son sac qu’elle a posé pas très loin.

   - Avec une pince à épiler.

   - Tu as fait quoi ??

   C’est sorti tout seul. Et j’ai parlé plus fort que je ne le pensais, j’ai réveillé Diego. Il se frotte les yeux en fixant Yi. Voilà une diversion plus que bienvenue.

   - Yi ?!

   - Je viens d’arriver. Je vous ai retrouvés en me téléportant.

   - D’ailleurs, on ne sait toujours pas comment tu nous as localisés ? Comment savais-tu où on était ?

   Il a de nouveau cette expression gênée et Sacha fronce les sourcils d’un air interrogateur. Le silence commence à durer et Diego renchérit.

   - J’aimerais bien savoir aussi, c’est un peu inattendu.

   Yi se mord la lèvre inférieure et répond en regardant ses pieds.

   - J’ai découvert qu’on pouvait non seulement se téléporter vers des lieux, mais aussi vers des personnes en s’imaginant près d’elles. Ce que j’ai fait.

   - Ah.

   Réponse parfaitement inutile, mais c’est la seule que j’ai réussi à formuler. Sacha et Diego n’en avaient visiblement pas du tout. Sacha a toujours les yeux fixés sur Yi et maintenant c’est Diego dont le visage est recouvert d’un point d’interrogation. Une fois de plus, j’interromps ce moment qui me semble ne pas en finir.

   - Bon, alors, qu’est-ce qu’on fait ?

   - Je propose qu’on s’occupe d’abord de la jambe de Diego, dit Yi en redressant soudain la tête.

   Au moins, face à la douleur et à des problèmes concrets, il sait comment réagir. Penché au-dessus du genou de Diego, il retire lentement le tee-shirt pour examiner la blessure. Pendant qu’il lui pose toutes sortes de questions, je vais chercher les bandages et le désinfectant que Sacha a ramenés. Yi annonce le verdict.

   - On ne peut pas laisser le garrot, donc il faut qu’on fasse un bandage bien serré pour bloquer le saignement et faire en sorte que sa jambe reste droite. On a ce qui faut pour ça ?

   - Oui, répond Sacha.

   - Parfait. Alors allons-y. On a du nettoyage à faire, il y a du sable et de la terre partout.

   - Qu’est-ce qu’il nous faut comme matériel ? Les bandages et le désinfectant sont là. Quoi d’autre ?

   Yi jette simplement un regard sur le sac de Sacha.

   - Ah oui. C’est vrai.

   L’espace d’un instant, j’ai cru qu’ils allaient nous replonger dans cette atmosphère absolument inconfortable, mais l’urgence de la situation a visiblement fini par prendre le dessus. Sacha se contente de sortir la pince à épiler de sa trousse de toilette sans rien dire. Elle attrape la bouteille de désinfectant et entreprend de la nettoyer. Je retire le garrot au-dessus du genou de Diego pendant que Yi se frotte la main droite de désinfectant avec un énième tee-shirt. Diego n’a pas l’air franchement réjoui à l’idée de ce qui va suivre. Moi non plus d’ailleurs.

  - Je ne peux pas faire ça.

   Yi me regarde et il doit lire immédiatement mon expression terrorisée, car il n’insiste pas.

   - Garde un œil sur sa respiration et sur son pouls. Et fais simplement en sorte qu’il reste éveillé.  

   Ça, je peux le faire. Diego m’attrape la main et me fait un signe de tête qui se veut optimiste. Je ne sais pas lequel de nous deux est le plus effrayé, mais tant que nos yeux restent l’un sur l’autre et pas sur son genou, on devrait s’en sortir. Personnellement, regarder les yeux de Diego ne me pose aucun problème, je pourrais me perdre dans cet océan d’émeraude pendant des heures… Sacha et Yi se mettent au travail. Diego sert les dents mais reste conscient.

   Je n’ose pas regarder ce qui se passe et le temps me paraît interminable jusqu’à ce que Yi dise simplement « c’est bon ». Diego et moi tournons les yeux vers son genou, entièrement enrubanné de bandage et d’un tee-shirt par-dessus, le tout recouvert de sparadrap comme un cadeau de Noël empaqueté par un enfant de cinq ans. J’imagine qu’emballer des cadeaux n’a jamais été une activité très commune chez Sacha comme chez Yi.

   Sacha se lève et s’adresse à Yi en désignant son bras.

   - À ton tour maintenant.

   En posant mes yeux sur son coude, je ne peux m’empêcher de culpabiliser un peu. C’est en me poussant au sol pour me protéger qu’il s’est pris cette balle, et ça vaut bien plus qu’un joli paquet cadeau.

   Je me lève pour aller chercher de quoi nourrir et hydrater Diego et je garde discrètement un œil sur Yi et Sacha. Ces deux-là sont un spectacle qui vaut franchement le détour. Ils ne manquent jamais de sang froid, dans aucune situation, ils posent un regard objectif sur tout et sur tout le monde, ils prennent des décisions sans se poser quinze mille questions, ils anéantiraient vingt démons chacun en un temps record… Mais quand ils sont l’un en face de l’autre, on dirait deux enfants perdus à la fête foraine. Je dois avouer que la situation m’amuse plutôt beaucoup. Et me rassure en même temps. Il y a quelque chose sous leur carapace.

   Sacha retire délicatement le pull et le tee-shirt qui ont servi de bandage improvisé à Yi. Il ne la quitte pas des yeux mais il se laisse faire sans rien dire. Lorsque ses doigts retirent la dernière couche qui recouvre la blessure, Yi sursaute légèrement. Sacha le regarde d’un air sévère et continue sur sa lancée. Une fois son bras désinfecté, elle lui met un bandage digne de ce nom et hésite quelques secondes avant de réutiliser son pull comme bandoulière. Yi sourit légèrement. Sacha ne lui laisse pas le temps de savourer ce moment.

   - Quoi ?

   - Rien ! Merci.

   Leur difficulté à communiquer me fait sourire. Bon, maintenant que nous avons deux blessés à moitié réparés, il faut qu’on planifie notre départ.

   - Je propose qu’on prenne le temps de se reposer un peu avant de partir. Nous en avons tous besoin et ça ne fera qu’augmenter nos chances de nous téléporter au bon endroit.

   Yi réfléchit un instant et finit par acquiescer, Sacha aussi. Diego se contente de lever le pouce, déjà à moitié reparti dans les bras de Morphée après avoir avalé deux barres céréalières.

 

   Nous ne dormons que quelques heures, mais d’un sommeil réparateur qui a redonné suffisamment d’énergie à Diego pour qu’il tienne sur une jambe. Avec quelqu’un pour lui servir de béquille, il tient debout et il avance. Pendant que nous grignotons quelques biscuits en guise de petit-déjeuner, Yi nous décrit aussi précisément que possible le lieu vers lequel nous allons essayer de nous téléporter. Une fois prêts, nous sortons de la grange en laissant derrière nous un cadenas cassé. Les moutons émettent des bêlements désapprobateurs, mais je ne pense pas que nous ayons trop de risques qu’ils nous dénoncent. Nous nous plaçons en cercle au milieu du champ. Je suis à droite de Yi et à gauche de Diego, Sacha en face de moi. Pour éviter de toucher sa blessure, elle est attachée à Yi d’une drôle de manière, son bras à elle passé sous le sien et sa main fermement agrippée à son épaule. Diego se tient sur un pied, un bras autour de ma taille et l’autre autour de celle de Sacha. L’essentiel est que nous ne nous lâchions pas.

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Eryn
Posté le 26/06/2020
Bon je retire ce que j'ai dit au chapitre précédent, du coup niveau secourisme, ils ont paré au plus urgent et maintenant, ils prennent le temps de faire les choses proprement...
Sans ça, pas de critique à faire, les dialogues et l'action s'enchaînent bien et tout sonne juste, je trouve. Cool !
Schumiorange
Posté le 26/06/2020
Voilà, tu as eu toutes les réponses à tes questions : )

Ravie que ça te plaise toujours autant ! Bonne lecture pour la suite !
Renarde
Posté le 01/06/2020
Coucou Schumiorange,

Rooohhhh... Yi et Sacha sont vraiment trop mignons. Et j'adore l'analyse de Marina, c'est tellement ça !

Il est temps que toute la petite troupe retrouve Kari, ils auraient grandement besoin de quelqu'un doté de ses compétences en ce moment !
Schumiorange
Posté le 01/06/2020
Un peu de mignonitude (ce mot n'existe pas, il devrait pourtant), ça fait du bien de temps en temps !!

Merci pour tes commentaires ! C'est un plaisir de te lire !
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