Chapitre 27 : Temülün – La mère éternelle

Lorsqu'elle ouvrit les yeux, ce fut pour constater que son corps ne répondait plus. Elle était allongée sur une peau de bête à même le sol. Une femme à la peau mate se tenait à côté d'elle. Ses longs cheveux noirs encadraient un visage doux. Son regard sombre se posait sur elle avec tendresse. Que cette femme fut arabe était une évidence. Temülün tressauta et son cœur accéléra. Sa respiration s’accorda au muscle pulsant le sang dans ses veines. Les arabes étaient leurs ennemis !

Temülün plissa les paupières, cherchant à mieux percer les ombres. Rien à faire : elle ne voyait rien. Cette femme semblait ne pas avoir d’aura. Était-ce possible ? Temülün croisait cela pour la première fois.

- Qui êtes-vous ? demanda-t-elle la langue lourde et la voix rapeuse.

- Je m'appelle Malika, indiqua la femme avec une douceur et une tendresse extraordinaire. Cela va te paraître impossible mais je suis ta mère.

- Ma mère est Hö'elün de la tribu Merkit, cracha Temülün. Que se passe-t-il ? Pourquoi ne puis-je pas bouger ?

- Parce que le shaman Kököeü s'y connaît fort bien en poison et en fléchette. Il vient de te tuer.

- Je… Je suis morte ?

- Pas encore car je suis bien meilleure que lui. Je t'ai administré un produit qui te paralyse, ralentissant ainsi l'avancée du poison. Ceci dit, ça n'empêchera pas l'inéluctable : tu mourras avant la tombée de la nuit.

- Pourquoi avez-vous fait cela ?

- Afin d'avoir la possibilité de te parler. Je veux te faire une proposition.

- Laquelle ? demanda Temülün, perdue et terrorisée.

- Ta vie humaine est finie. Tu es morte. Kököeü t'a tuée alors que tu t'apprêtais à le dénoncer à ton frère. Il a été plus fort que toi. C'est comme ça. Tu ne reverras jamais ton mari, tes enfants ni aucun membre de ta tribu.

Temülün sentit son visage se couvrir de larmes. Elle était partie pour trouver sa voie et elle ne reviendrait jamais. Elle s'en voulait tellement.

- Je peux cependant te proposer de continuer à vivre, ailleurs, dans un monde différent, à part, avec tes sœurs et moi.

- Mes sœurs ? répéta Temülün. Je n'ai que quatre frères.

- Je suis ta mère, répéta Malika, et tu as actuellement six sœurs. Tu peux, si tu le souhaites, nous rejoindre et vivre avec nous une vie différente, plus lointaine, plus éloignée du monde des humains, à part, au-delà.

Temülün eut l'impression d'entendre ses propres mots en échos dans ceux de cette femme. Était-ce vers là que son âme tendait ? Son destin était-il de rejoindre cette femme qui disait être sa mère ? Elle ferma les yeux et sentit son esprit se tourner vers l'étrangère et s'apaiser. Oui, c'était la bonne décision.

- J'accepte de vous rejoindre.

- Je ne t'ai même pas expliqué ce que cela impliquait, répliqua Malika. C'est…

- J'accepte, répéta Temülün. Je veux vivre avec mes sœurs et vous dans cet au-delà. Les explications viendront après. Faites ce que vous avez à faire pour que je vous rejoigne.

Malika ne cacha pas sa surprise mais hocha la tête. Deux aiguilles perçantes dans le cou de Temülün déversèrent des torrents de lave dans son corps. Pourtant, Temülün ne souffrait pas. Son âme s'élevait, criait sa joie et tout son être hurlait de bonheur.

 

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- Voici Mary et Emelyne, dit Malika. Elles te formeront. Obéis-leur comme à moi.

Temülün observait ses deux préceptrices tandis que Malika disparaissait en un claquement de doigts, le visage fermé de peine.

Les deux femmes ne proposaient aucune couleur, ni blanc, ni noir, ni gris. Rien n’entourait leurs corps fins et athlétiques sous la robe noire moulante. Temülün regardait cela d’un air perplexe. Quatre femmes s’approchèrent pour découvrir la nouvelle venue. Contrairement à Mary et Emelyne, elles ne portaient pas de robe noire mais des habits disparates très différents les uns des autres. En revanche, elles aussi masquaient, d’une manière inconnue de Temülün, leur bonté. Toutes restèrent silencieuses.

Mary et Emelyne la jaugeaient en silence. Elles semblaient attendre que Temülün parle la première, ce qu’elle fit.

- Bonjour, dit-elle.

- Bonjour, répondit Mary.

Temülün trouva surprenant que cette femme à la peau blanche et aux yeux bleus parle sa langue. Pourtant, ce fut le cas.

- Bonjour, dit Emelyne.

Elle aussi s’exprimait avec aisance en khitan.

- Je m’appelle Temülün, se présenta-t-elle.

Anaïs, Shaël, Sarah et Émilie se présentèrent à leur tour, toutes dans un khitan impeccable. Pourtant, aucune d’elle n’appartenait au peuple mongol, cela ne faisait aucun doute.

- Qui êtes-vous ? demanda Temülün.

Un rire parcourut l’assemblée. Après tout, ne venaient-elles pas toutes de se présenter ?

- Nous sommes tes sœurs. Sois la bienvenue parmi nous, lança Emelyne.

Temülün grimaça. Impossible de savoir si elle mentait. Son pouvoir se refusait à elle. Temülün se sentit vulnérable. Elle craignait que les sourires ne cachent quelque sournoiserie.

- Mes sœurs ? répéta Temülün.

- De deux manières, précisa Emelyne. Tout d’abord, nous avons le même père, Chris et la même mère, Malika. Ensuite, nous avons été transformées par la même personne, à savoir Malika. Nous sommes donc doublement sœurs.

- Transformées ? répéta Temülün.

- Tu te rends compte de la différence, supposa Mary.

- J’ai perdu mes pouvoirs, maugréa Temülün.

À nouveau, la réponse des femmes fut d’exploser de rire.

- Mais non ! la rassura gentiment Emelyne. Tes pouvoirs sont toujours là, ne t’inquiète pas. Je…

- Qu’en savez-vous ? gronda Temülün.

L’instant d’après, Temülün était au sol, une violente douleur lui cisaillait la poitrine.

- On respecte ses aînées, indiqua Mary qui la maintenait avec force et puissance.

Temülün avait osé couper la parole à Emelyne et lever le ton sur elle. Elle se trouvait dans un lieu inconnu, entourée d’inconnues, dans une situation invraisemblable et pourtant, elle sentait, au plus profond d’elle-même, que le chemin vers son destin passait par ici.

- Excuse-moi, Emelyne, dit-elle humblement.

Mary s’éloigna. Toute douleur disparut mais Temülün commença à avoir faim, une sensation différente de d’habitude car elle venait de son visage et non de son estomac. Étrange… Elle décida de passer outre pour se concentrer sur l’échange en cours. Temülün se releva. Les femmes souriaient toujours.

- Je t’amènerai près des humains pour que tu puisses constater par toi-même que tes pouvoirs sont toujours là, la rassura Emelyne, parlant comme si rien ne venait de se passer. Et je le sais parce que j’ai le même pouvoir que toi, nous l’avons toutes. Vivantes, nous sommes des prêtresses du bien. Mortes, nous devenons des prêtresses du mal. Toi aussi, désormais, tu n’as plus d’aura.

- D’aura ? répéta Temülün.

- Je ne sais pas comment tu appelles ça, indiqua Emelyne. La lumière autour des gens qui s’illumine ou s’assombrit en fonction de leurs actes, tant physiques que parlés ?

Temülün fut alors convaincu de l’honnêteté de ses interlocutrices. Elles étaient vraiment ce qu’elles disaient être : ses sœurs. Temülün n’en revenait pas.

Mary et Emelyne, les deux seules prêtresses du mal à être au contrôle, formaient les plus jeunes. À travers des histoires, des discussions, tout le savoir était transmis.

Temülün apprit ainsi que son véritable père, Chris, était le premier Aar, des êtres presque immortels, surpuissants, se nourrissant du sang des humains. D’une morsure, le don pouvait être transmis et c’était ce que Chris avait fait, offrant à son frère, Baptiste, l’immortalité.

Baptiste avait ensuite transformé deux de ses frères, Paul et David. Paul étant le chef du clan humain de l’époque, il avait conservé ce titre malgré la transformation prévalente de Chris. Temülün ignorait pourquoi Chris avait choisi de laisser faire.

Après de nombreuses générations de vie, David était tombé amoureux, d’un amour si profond et si complet – nommé sine condicione - qu’il ne s’était pas senti capable de vivre sans sa bien-aimée. Paul avait donné son accord et Caly devint une Aar. Bien plus tard, Caly subissait elle aussi le sine condicione et transformait Seth mais ce dernier était aujourd’hui introuvable. Disparu ? Mort ? Nul ne le savait.

Paul tomba amoureux d’Oumou, une magnifique africaine qu’il transforma mais les sentiments du chef des Aars n’étaient pas réciproques et Paul se morfondait tandis qu’Oumou fuyait son créateur.

Baptiste donna naissance à Kol, un guerrier banal. Ni l’un ni l’autre n’acceptaient cette homosexualité non admise si bien que les deux hommes restaient cordiaux, distants et froids l’un envers l’autre, acceptant tout juste des signes d’amitié virile.

Bien plus tard, en Égypte au temps des pharaons, Chris rencontra Malika et complètement fou amoureux, lui donna la vie éternelle. Paul accepta à contrecœur, trouvant bien trop dangereux de garder en vie une prêtresse du bien. Ainsi, Paul considérait Malika et son pouvoir comme une menace. Il ne lui faisait pas confiance – à raison, puisque Temülün et ses sœurs étaient là sans son accord – et la surveillait, raison pour laquelle Malika n’élevait pas elle-même ses filles malgré son immense envie de le faire.

Ainsi, aucun Aar, pas même leur père, n’était au courant de leur existence. Il s’agissait de rester discrètes et de sans cesse faire attention lors des déplacements. Une seule erreur coûterait la vie à la sororité car elles ne feraient pas le poids face aux Aars, en tout cas pas encore. Malika espérait bien qu’un jour, les prêtresses du mal seraient suffisamment nombreuses et puissantes pour faire entendre leur droit de vie.

Pour le moment, les filles restaient recluses dans le sanctuaire où elles apprenaient à contrôler leurs pouvoirs. Temülün vivait mal cette réclusion. Appartenant à un peuple nomade, rester sur place la blessait. Elle obtint le droit d’aller rejoindre un monastère et d’y méditer proche des moines, invisible mais présente.

Anaïs obtint le droit de porter la robe noire. Malika était venue pour l’occasion. La cérémonie fut magnifique. Malika s’enfuit sans attendre dès les derniers mots prononcés. Le risque que Paul la surprenne était bien trop grand.

Malika reparut quelques temps après pour amener Elisa, une nouvelle sœur. Toutes l’accueillirent avec le sourire et beaucoup de bienveillance. La situation était déjà assez difficile comme ça : découvrir que nos parents ne le sont pas, qu’on est immortels, que notre aura a disparu mais que nos pouvoirs ont survécu. C’était assez dur pour ne pas en rajouter.

Au grand désespoir de Shaël, Sarah et Émilie, Temülün fut déclarée apte à porter la robe noire avant ses sœurs. Si ces trois-là se complaisaient dans la vie sans risque du sanctuaire, ce n’était pas le cas de Temülün qui s’y sentait en prison. Elle avait donc tout fait pour être libérée au plus vite.

À minuit sous la lune et les étoiles, à genoux devant Malika, Temülün récita les mots de soumission :

- La mère éternelle est ma source, mon origine, mon commencement. Elle est mon chemin, ma voie, mon objectif. Ses mots sont d'or et mon respect est complet. Je lui suis dévouée et soumise. J'obéis à ses lois. Je m'incline devant sa sagesse. Je lui promets obéissance, loyauté et fidélité.

Malika, ravie, lui remit sa robe noire avant de s’en aller. Temülün l’observa mais resta distante durant la fête qui suivit. « La mère éternelle est ma source, mon origine, mon commencement », se répétait Temülün. « Non », pensa-t-elle. « Ma source, c’est Chris. Sans lui, aucune de nous ne serait là, pas même Malika. » Elle observa ses sœurs toute la soirée. Elle ne pouvait pas leur révéler le fond de ses pensées. Elles la tueraient pour ça. Temülün grimaça et fit le dos rond, enfermant ses idées anarchistes pour suivre le groupe et survivre.

Temülün resta à l’écart. Elle se promenait parfois, sans jamais croiser aucun Aar qu’elle avait appris à reconnaître à leur aura de cendre – Mary l’avait emmenée près de l’un d’eux avec mille précautions dans le cadre d’une leçon. Lorsqu’elle se trouvait au sanctuaire, elle obéissait à Mary, prenant les tâches qui lui étaient confiées, animant des leçons aux petites, transmettant son savoir avec bienveillance et obéissance.

Cependant, elle ne parvenait pas à se sentir ici chez elle. Déjà avec Hö'elün, sa mère – sa mère de cœur puisqu’elle n’était pas sa mère biologique – et son frère Temüjin, elle avait vécu heureuse sans se sentir chez elle. Puis avec son mari Palchuk de la tribu des Olkhun'ut, elle avait connu des années merveilleuses, sans pouvoir pour autant y trouver racine.

Le cycle infernal reprenait. Pourtant, Temülün le sentait : elle touchait au but. Son destin était là, à portée de main. Il lui suffisait de le saisir ! Il lui échappait. Temülün méditait pour calmer son esprit dément, caresser la trame de l’univers pour y dénicher sa voie.

Son esprit se vida, son âme s'éleva. Elle entendit Malika arriver mais ne bougea pas pour aller la saluer. Cela était inutile. La mère éternelle passait toujours en coup de vent. Elle craignait sans cesse d'être observée par Paul et tremblait que ses filles soient découvertes puis exterminées.

Temülün reçut l'illumination. Elle ouvrit les yeux, déplia son corps apaisé et rejoignit le sanctuaire. Malika prenait des nouvelles auprès de Mary. Il s’agissait d’être rapide et concise car la mère éternelle souhaitait son passage aussi court que possible. Elle se trouvait, à sa demande, entourée de toutes ses filles, au contrôle ou non. Ainsi, Emelyne, Anaïs, Shaël, Sarah, Emilie, Elisa, Sophie et Abigaël se trouvaient dans l’atrium central du sanctuaire.

- Temülün ! s’exclama Malika en la voyant arriver. Ta présence me réchauffe le cœur.

Temülün sourit. Savoir sa créatrice heureuse lui faisait du bien. Savoir qu’elle allait la combler de bonheur lui apporta un plaisir proche d’un orgasme. Elle avait trouvé sa voie. Elle en était certaine.

- J'ai trouvé, annonça Temülün.

Un silence accueillit cette phrase, que Malika rompit en premier.

- Tu connais ton destin ! Tu as enfin trouvé ton rôle, ta place, ta mission. Mais c'est extraordinaire ! Explique-nous !

- Je vais devenir toi, indiqua Temülün. Prendre ta place.

Les sœurs se raidirent. Un coup d’état ? Venait-elle vraiment de proposer cela ? Mettait-elle la mère éternelle au défi ?

- Au sein du cercle des Aars, précisa Temülün.

Des regards incrédules s’échangèrent. Personne ne comprenait. Temülün modifia son apparence pour devenir un clone parfait de sa créatrice. Elle imita non seulement son corps, mais également sa posture, ses gestes instinctifs et lorsqu’elle parla, sa voix, ses intonations, ses tics de langage.

- Je te libère, mère éternelle. Paul n’y verra que du feu. Il me suivra, moi et tu pourras enfin rester ici, près de tes filles, comme tu l’as toujours voulu.

L’assemblée s’en figea de stupeur. Malika manquait d’air – dont elle n’avait pourtant pas besoin pour vivre.

- Tu cours un risque énorme. S’ils découvrent la supercherie…

- Je connais ta vie par cœur, assura Temülün. Je l’ai entendue puis répétée. Il s’agit d’une rencontre par siècle. J’assurerai.

- Moi, en tout cas, je suis convaincue, annonça Emelyne. J’ai vraiment l’impression d’avoir deux mères éternelles en face de moi. C’est bluffant.

- C’est brillant, sourit Malika.

Au même instant, Mary gronda :

- C’est débile.

Tout le monde se tourna vers l’aînée des sœurs.

- Tu crois que je n’y ai pas pensé ? grogna Mary. Tu te crois plus maline que tout le monde ?

- Moi, je n’y avais pas pensé, murmura Anaïs et d’autres hochements de tête confirmèrent.

- C’est parce que vous avez un bulot à la place du cerveau, gronda Mary. Bien sûr que ça ne marchera pas.

- À cause de Chris, dit Temülün.

Mary se raidit. Elle avait cru pouvoir moucher la petite impertinente parvenue au contrôle six fois plus vite qu’elle. L’assemblée ouvrit de grands yeux ronds. Nul ne semblait voir le problème que Chris poserait.

- Il est en sine condicione avec toi, mère éternelle, pas avec moi. Il constatera la duperie au premier instant.

Tout le monde grimaça sauf Mary dont le regard lançait des éclairs car il était évident que Temülün avait la solution qui lui échappait à elle.

- Que proposes-tu ? demanda Malika, avide de la solution.

- Chris est notre père. Il est le premier. Il mérite d'être le chef, de gouverner, de commander, de contrôler. Son rang de quatrième Aar ne lui correspond pas. De plus, mère éternelle, autant tu adorerais nous élever, autant je suis persuadée que tu détesterais nous gronder, nous punir si besoin.

Malika grimaça. Temülün sut qu'elle avait touché juste.

- Tous les enfants ont besoin de leurs deux parents et il est injuste d'obliger quiconque à élever seul sa progéniture.

- Tu veux que Chris vienne vivre ici, avec nous ? s'exclama Mary. C'est du suicide ! Lorsque Chris connaîtra notre existence, il nous tuera, voilà ce qui se passera !

- Je veux lui proposer de gouverner et pas n'importe quoi ! Une puissance forte et grandissante !

Sur le visage de ses sœurs, Temülün vit de l'incompréhension.

- Nous sommes onze. Ils sont sept.

- Seules sept d’entre nous sont au contrôle, la contra Mary.

- Si Chris nous rejoint, cela fera huit contre six. Imaginez que Paul donne l’assaut. Oumou le suivra-t-elle ?

Les filles grimacèrent. L’africaine détestait son créateur.

- Les autres agiront-ils contre Chris ?

- Certainement pas Baptiste qui est son petit.

- Donc pas David qui est le petit de Baptiste, et pas non plus Caly. Ils sont puissants mais divisés là où nous sommes soudées, unies. Si Malika nous donne l’ordre de les tuer, nous le ferons sans réfléchir.

Toutes hochèrent la tête. Malika sourit.

- Et si par hasard j’avais tort, il nous suffirait de disparaître, de devenir invisible, de nous fondre dans la masse et ils ne nous retrouveraient jamais. Eux ne disposent pas de cette possibilité, rappela Temülün en désignant ses propres yeux de son index et de son majeur.

Les filles ricanèrent. Il était certain qu’aucun Aar ne pourrait jamais prétendre ne pas en être un devant elles.

- Enfin, nous avons l’effet de surprise. Nous connaissons tout d’eux. Ils ignorent tout de nous. Ils ne le savent pas mais ils ont déjà perdu. Mère éternelle, tu es libre. Prends ton envol !

- Pourquoi ne pas les tuer ? s’exclama Mary.

- Pourquoi les tuer ? répliqua Temülün. Ils n’ont rien fait de mal. Le monde est assez grand pour nous tous, non ?

Malika hocha la tête et ses filles la suivirent.

- Mère éternelle ? Qu’en penses-tu ? Ton créateur acceptera-t-il de trahir les siens pour tes beaux yeux ?

- Pas par amour ! gronda Temülün. Chris a besoin de gouverner, depuis toujours. Malika va lui proposer de contrôler une puissance phénoménale montante. Il ne refusera pas. De plus, si Malika lui propose de transformer lui-même ses filles, comment croyez-vous qu’il va le prendre, lui, le premier créateur ?

- Mon pronostic est d’une chance sur deux, indiqua Malika. Chris est ténébreux. Pas lunatique mais difficile à cerner. Il aime gouverner mais l’appât sera-t-il suffisant pour lui faire admettre une trahison de cette nature ? Il a clairement annoncé qu’il me tuerait ainsi que mes enfants si je venais à en faire.

- Il discutait en privé avec Baptiste. Tu ne le voyais pas à ce moment-là. Impossible de savoir s’il disait la vérité ou mentait à son frère.

Malika ne put que concéder cet argument de choc. Un silence tomba sur l’assemblée. Toutes attendaient la décision de la mère éternelle.

- Ça vaut le coup de tenter notre chance, annonça Malika. Je vais proposer à Chris de nous rejoindre. Il est intelligent. Il acceptera.

Temülün grimaça. Elle ne voulait pas que Chris les rejoigne mais les dirige. Elle se tut cependant, peu encline à reprendre la mère éternelle.

- J'ai besoin de chacune d'entre vous car Chris est très vieux et très puissant. S'il venait à refuser, le combat serait violent et la victoire seulement assurée par le nombre et la surprise.

- S'il refuse, je ne le combattrai pas, annonça Temülün. Je m'agenouillerai devant lui.

Il était le premier. Quelle que soit sa décision, Temülün l’accepterait, quitte à en mourir. Non pas qu’elle ne tenait pas à sa créatrice mais elle ressentait, au plus profond d’elle-même, que Chris était la clé. Il était son destin. De quelle manière exactement ? Elle n’en savait rien mais son âme tendait vers lui. En prenant la place de la mère éternelle, elle offrait à Chris un poste enfin à sa mesure.

- Et tu mourras, répliqua Mary, acerbe. Tu es stupide. S'il refuse, je le tuerai, tout simplement.

- Je comprends ta décision, Temülün, assura Malika. Je te propose d'aller prendre ma place dès maintenant. Ainsi, tu seras absente lors de notre rencontre avec Chris. Cela te convient-il ?

- Si sa main arrache mon cœur, c'est qu'il aura refusé, lança Temülün en souriant.

- Sa main n'arrachera pas ton cœur. S'il refuse, nous le tuerons, c'est tout, c'est simple, cracha Mary totalement hors d'elle.

Temülün n’y croyait pas un seul instant. Chris était le premier. Sa descendance ne pourrait jamais rien contre lui. Il était invulnérable. Elle garda ses réflexions pour elle.

- D'autres parmi vous souhaitent-elles ne pas prendre part à la rencontre avec Chris ? interrogea Malika. Je ne le prendrai pas mal. Je comprendrai.

Aucune sœur ne se fit connaître. Temülün soupira avant de hocher la tête.

- Bon courage à toutes et bonne continuation.

- Bonne vie à toi, dit Malika.

Temülün quitta le sanctuaire. Elle comptait bien ne jamais y remettre les pieds. Elle fit mourir l'identité actuelle de Malika d'une terrible maladie fulgurante et partit découvrir le monde.

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