Chapitre 28

Notes de l’auteur : Bonjour à tous !

Les plus avisés d'entre vous constateront que le titre a été agrémenté d'un "Le Feu du Renouveau". Il s'agit du titre de la duologie.

"Flammes en Sommeil" correspond au tome 1 (qui contient 57 chapitres) et "Héritage en Eveil" sera le tome 2 (en cours d'écriture).

Certains avaient lu les chapitres 28 à 39. Ils ont été supprimés pour pouvoir être corrigés et pour pouvoir sortir en même temps que les illustrations.

Bonne lecture !

— A-Xi…

     Le Cultivateur battit rapidement des paupières pour chasser les larmes qui menaçaient de couler sur son visage, tout en ayant conscience qu’il ne les ferait pas disparaitre par magie. La main chaude de Zhen YuJin se posa sur sa joue et il se laissa aller contre sa paume. Du coin de l’œil, il observa le Jian Lin et Chan YinMai en train de s’éloigner.

     — Ils vont informer Maître YiShi. Le Capitaine nous a suggéré d’attendre demain pour la dernière salle. On a quartier libre d’ici là, le prévint le Musivateur qui avait suivi son regard.

     Zhang JingXi acquiesça, puis appuya l’arrière de sa tête contre le mur en murmurant d’une voix légèrement enrouée :

     — Désolé d’être parti ainsi. Ce n’était pas très correct de ma part.

     Bien que soucieux, le Maître du Feu lui adressa un sourire rassurant :

     — Je ne crois pas que quiconque t’en veuille.

     Il hésita un instant, ne sachant pas réellement quels mots il pouvait employer pour réconforter son amant. Il n’était pas sûr de savoir pourquoi ce dernier se montrait à ce point chamboulé. Certes, ces meurtres étaient atroces et horribles, mais son bien-aimé paraissait particulièrement impacté alors qu’il ne semblait pas spécialement connaître l’une des victimes.

Avec précaution, usant de gestes aussi tendres que possible, Zhen YuJin saisit l’une de ses mains entre la sienne, de l’autre il replaça délicatement une mèche de ses cheveux, avant de s’attarder sur sa joue :

     — Parle-moi, A-Xi. Je ne te reproche rien, je suis simplement inquiet. Jusqu’ici, tu semblais tenir le coup sans difficulté, pourquoi aujourd’hui tu parais si tourmenté ? C’est la première fois que je te vois dans cet état et je dois t’avouer que ça me surprend.

     À son grand étonnement, sa phrase fit rire son amant. Un rire qui n’était pas joyeux, mais plutôt amer et profondément triste. Néanmoins, le Cultivateur attrapa ses deux mains dans les siennes, avant de le dévisager, ses yeux verts toujours humides :

     — La première fois, tu dis… A-Jin, tu ne me connais que depuis quelques jours en réalité, que sais-tu de ce qui est normal ou non dans mon attitude ?

     Le Maître du Feu l’observa en retour, puis resserra l’étreinte de ses doigts autour des siens :

     — J’en sais suffisamment. Je sais que tu t’évertues à faire le bien autour de toi, que tu aides tout le monde. Tu interviens partout où tu peux dans la région et lorsque tu vois Lu Lei une fois par an, vous vous échangez les nouvelles. Ensuite, elle nous parle de toi régulièrement en nous vantant tes interventions pour qu’on prenne exemple sur toi.

     L’ombre d’un sourire amusé parut brièvement sur les lèvres du Cultivateur, mais ne dura que quelques instants.

     — Je sais également que tu portes des blessures en toi et tu m’as fait suffisamment confiance pour que je t’aide à réparer ton feu. Je sais que tu as de la volonté et de la force, que nos leçons t’ont déjà aidé à aller mieux. Je n’ai pas besoin de te connaître depuis des années pour cerner ce qui est essentiel. Tu es quelqu’un de bien. Le simple fait de te voir dans cet état me prouve que tu as un cœur et que tu penses aux autres. Je sais aussi que je peux te faire aveuglément confiance, Chan YinMai n’a pas cessé de me le répéter, ajouta-t-il à mi-voix.

     Cet aveu attira l’attention du Cultivateur qui demanda dans un murmure :

     — Dois-je comprendre que tu t’es méfié de moi ?

     — Je me méfie de tout le monde, en dehors de Lu Lei et de Chan YinMai, rétorqua Zhen YuJin en portant l’une de ses mains à sa bouche.

     Sans le quitter des yeux, il embrassa la cicatrice, puis continua :

     — Aujourd’hui, tu sais pourquoi je ne laissais pas les gens m’approcher. Mais tu as réussi à le faire, toi. Et je ne le regrette pas.

     Il fronça légèrement les sourcils, comme si ses paroles venaient de lui faire songer à quelque chose en particulier et regarda son bien-aimé, avant d’oser formuler sa question :

     — Est-ce ma faute… ? Mon secret est-il responsable de… ?

     — Non !

     Zhang JingXi se décolla soudain du mur pour se jeter à son cou et se blottir contre lui. Surpris, Zhen YuJin tituba d’un pas en arrière, mais parvint à consolider ses appuis et resserra instinctivement ses bras autour de la taille de son amant qui débita à toute vitesse :

     — Ce n’est pas du tout de ta faute ! Oui, ton secret ce n’est pas rien, évidemment, mais il n’est pas responsable de…. De…

     Il soupira, désemparé et laissa soudain retomber ses bras, avant de baisser la tête. Ses yeux se fermèrent et il appuya son front contre le torse de son compagnon :

     — … de mon échec… J’ai échoué, A-Jin. J’ai échoué dans la mission que je m’étais donnée…

     — De quoi parles-tu ? l’encouragea le Maître du Feu en lui caressant le dos. Quelle mission ?

     Il vit nettement les gouttes diamantées qui tombèrent sur sa botte et son cœur se tordit. Les doigts de Zhang JingXi s’accrochèrent soudain à ses épaules, agrippant ses vêtements de façon désespérée.

     — …. Je me suis juré de protéger les gens, confia ce dernier. Juré de veiller sur tout le monde, peu importe les classes sociales. Les nôtres ont trop tendance à trier selon ce qu’ils ont envie de faire ou non et certaines affaires trainent simplement parce que les gens n’ont pas forcément l’argent pour nous payer. Je veux être le Cultivateur du peuple, je veux être son protecteur. Je sillonne sans cesse le coin pour pouvoir intervenir dès les premières alertes et faire en sorte que personne n’ait à souffrir trop longtemps à cause des problèmes divers surgissant ici et là. Mais où est-ce que j’étais pour ces défunts ? Pourquoi je n’ai rien su ? J’ai forcément manqué de vigilance quelque part ! Le fait que nous soyons à la Capitale n’excuse rien ! Au contraire, j’aurais dû être encore plus attentif ! Pourtant, on a au moins déjà vingt morts en bas, on en trouvera certainement davantage lors de l’ouverture de la troisième salle. Ajoute également les corps de Jinhar…

     Zhang JingXi releva un visage noyé de larmes en direction de son amant :

     — J’ai échoué, tu comprends ? Tu l’as dit toi-même, ces morts sont là depuis plus longtemps que ceux de Jinhar, ça veut donc dire que ça fait…. des mois… des années peut-être, qu’il y a eu des problèmes sous mon nez. Je n’ai rien vu du tout ! Je n’ai pas pu protéger toutes ces femmes, toutes ces personnes… Si j’avais fait attention, si j’avais remarqué tout ça, j’aurais pu réagir bien plus tôt ! J’aurais pu… J’aurais pu régler le souci avant qu’il atteigne Jinhar. Avant… Avant que HengXing YeWan ne se fasse tuer. Avant que Ping Yu ne soit assassiné. Je n’ai réussi à protéger personne… Et vous avez perdu des proches. Je suis tellement désolé, A-Jin…. tellement… tellement désolé…

     Bouleversé par les pleurs de son bien-aimé, Zhen YuJin lui saisit le visage à deux mains et planta son regard franc dans les siens :

     — Calme-toi, souffla-t-il. A-Xi… Tu n’as pas à t’en vouloir, personne ne t’a accusé de quoi que ce soit.

     Il lui essuya délicatement les yeux et les joues avec ses grandes manches, trouvant son front un peu trop chaud à son goût au passage. Sans être fiévreux, il estima que si son bel amour continuait à se mettre autant de pression sur les épaules, il allait finir par réellement tomber malade.

     Balayant les alentours d’un bref regard, il glissa soudain un bras dans le dos de son homme, un autre sous ses jambes et le souleva de terre sans prévenir.

     Avec un glapissement de surprise, Zhang JingXi attrapa le col du Maître du Feu pour se retenir tandis que celui-ci retournait près du pavillon abandonné. Il le fit asseoir sous le porche, puis prit place à côté de lui.

     — Écoute-moi bien, je vais le redire encore une fois : tu n’as pas à t’en vouloir pour ces meurtres.

     Peu convaincu, le Cultivateur baissa le visage pour fixer le sol. Les sourcils froncés, refusant de le laisser se molester tout seul, Zhen YuJin posa deux doigts sous son menton et le força, en douceur, à redresser la tête :

     — A-Xi, tu n’as pas à porter le poids du monde sur tes épaules. Tu focalises sur ces meurtres, mais combien d’autres personnes as-tu sauvées au cours de ces dernières années ?

     — … Pas assez… murmura son compagnon.

     — … Pas assez ? répéta le Musivateur interloqué. Mais aux yeux de qui ? Qu’est-ce que tu essayes de faire au juste ? Qu’est-ce que tu essayes de prouver ? Mon Amour, tu dis toi-même que tu sillonnes toute cette région sans cesse pour secourir les gens, tu es toujours en intervention quelque part ! Je sais à quel point c’est vrai, parce que mère me raconte tes exploits. Des fois, elle les tient de ta bouche, des fois ce sont des rumeurs qui parlent de toi. À chaque fois, elle est terriblement fière de savoir qu’elle te connaît.

     L’attention de son amant s’était soudain focalisée sur lui, une teinte rosée s’épanouissait sur ses joues. Zhen YuJin réalisa à cet instant qu’il avait laissé passer un surnom particulièrement affectueux. Rougissant à son tour, il lui caressa le visage, avant de reprendre ses mains dans les siennes.

     — Je ne t’ai peut-être pas rencontré avant le dernier Nouvel An, mais ça fait des années que j’entends parler de toi dès qu’on approche du secteur. J’ai vu ta bonne volonté, je sais que tu es véritablement toujours sur le terrain. Tu es le seul, entends bien, le seul en dehors de Lu Lei, à avoir réellement tenté quelque chose pour sortir les prisonniers des tunnels, à l’époque où vous vous êtes rencontrés. Dis-moi combien as-tu sauvé de vies, ce soir-là ? Et depuis ? Combien de fermiers comme Monsieur Wang ont eu la chance de pouvoir bénéficier de ton aide ?

     Zhang JingXi garda le silence, les yeux fixés sur leurs doigts entrelacés. Il écoutait attentivement les paroles de son homme. Encouragé, celui-ci continua en se penchant un peu davantage vers lui :

     — Si tu tiens vraiment à parler des souterrains, réalises-tu que si nous dévoilons ces corps, c’est grâce à toi ? Que si nous avons pu trouver Ping Yu, que nous pourrons lui rendre les derniers hommages nécessaires, c’est aussi grâce à toi ?

     Le Cultivateur redressa légèrement la tête, intrigué :

     — Je ne comprends pas ce que tu veux dire par là, avoua-t-il d’une voix faible.

     — Rappelle-toi au début, Chan YinMai était au courant d’une seule disparition, par Ping Yu. Sans toi, juste lui et moi, nous serions partis vers Jinhar. Peut-être que nous aurions entendu parler des autres cas, mais rien n’est moins sûr parce que nous ne savions pas qu’il y en avait bien plus. Arrivés sur place, nous aurions certainement fini par avoir la piste de la Maison Close, malheureusement sans toi nous n’aurions pas pu avoir la moindre information supplémentaire de la part des gens qui travaillent là-bas. Peut-être même que je me serai fait capturer, avec Chan YinMai, qui sait ? Nous partagions la chambre, nous aurions pu boire tous les deux l’eau empoisonnée et…

     — … Tais-toi ! Je n’ai pas envie d’imaginer ça ! l’interrompit Zhang JingXi d’une voix blanche.

     Avec un sourire empreint de tendresse, Zhen YuJin revint essuyer ses yeux, tout en continuant dans un murmure :

     — Tu vois, nous n’avions pas beaucoup d’indications. Toi, tu es arrivé avec ta liste de noms, tu avais plus d’éléments que nous. Alors oui, c’est paradoxal d’avoir été mis au courant des disparitions de Jinhar au lieu de celles d’ici, néanmoins tu as eu des informations bien concrètes en main. Et tu es parti tout de suite avec nous pour mener l’enquête ! Tu n’as pas attendu pour ce faire, A-Xi ! Dès que tu as eu les renseignements, tu as voulu en savoir plus ! Tu ne peux pas prétendre le contraire. C’est même toi qui as posé toutes les questions aux endroits où nous avons fait escale, tu as fait ton maximum. Lorsque nous aurions pu nous retrouver dans une impasse, c’est toi et toi seul qui a eu l’idée d’aller fouiller les souterrains. Je n’y avais pas songé du tout de mon côté, mais toi oui ! Puis, tu as immédiatement couru jusqu’au Clan HengXing pour avoir leur aide.

     Il comprit que ses paroles faisaient mouche lorsqu’il vit son compagnon tressaillir et son regard devenir plus pensif.

     — Alors, ne te jette pas la pierre, mon Amour.

     Cette fois-ci, il avait volontairement employé le surnom et fut ravi de voir les couleurs revenir sur le visage de son amant.

     — Tu fais déjà de ton mieux au quotidien. Sans compter que, tu n’es pas le seul Cultivateur en activité, ici, tu n’as pas à porter et à découvrir tous les problèmes de tout le monde. Tu es un être humain, pas un Immortel. De toute façon, même un Immortel ne pourrait pas réussir à sauver toute la population de ZhenShen. Tu ne peux pas être littéralement partout, tout le temps, à chaque minute de chaque jour. Tu n’as rien à prouver à personne et tu en fais déjà tellement… N’endosse pas des fautes qui ne sont pas les tiennes, je t’en prie.

     Zhang JingXi plissa les yeux, l’air plus apaisé et laissa passer un souffle fatigué lorsque le front de Zhen YuJin vint s’appuyer contre le sien.

     — Une dernière question. Pendant que tu t’évertues à sauver toutes les personnes qui croisent ton chemin, qui s’occupe de prendre soin de toi ? Quand est-ce que tu te reposes et que tu penses à toi ? À tes propres problèmes ?

     Cette phrase fit échos aux réflexions que le Cultivateur avait eues quelques soirs auparavant. Il soupira intérieurement, songeant que son compagnon était le premier à se poser autant de questions quant à son bien-être. Il ne doutait pas une seconde que ses autres amis devaient également s’inquiéter pour lui, de temps à autre. Cependant, dans la mesure où il faisait toujours de son mieux pour paraitre au meilleur de sa forme afin de ne pas les tracasser, ils ne pouvaient décemment pas deviner quoi que ce soit à son sujet. S’il se montrait honnête avec lui-même, il devait bien avouer que s’il se sentait à bout, il mettait alors les bouchées doubles pour compenser et encore plus dissimuler ce qu’il ressentait. Il ne désirait pas fléchir ni faillir dans son rôle. Tout en ayant conscience qu’il n’adoptait pas du tout la bonne attitude en agissant de cette manière. Le Maître du Feu était le premier à s’aventurer aussi loin dans sa vie. Même s’il s’en voulait de lui dévoiler ainsi ce qu’il estimait être une faiblesse, il avait l’impression de se délester d’un poids.

     — Tu as posé trois questions, pas une, releva-t-il en essayant de prendre un ton un peu plus léger.

     Il se redressa et parvint à adresser un sourire forcé à son compagnon qui le contemplait toujours avec une inquiétude teintée de douceur. Le Cultivateur prit conscience que si son amant était le seul à le voir déprimé à ce point, lui était certainement le seul à le voir aussi tendre et aimant. Son cœur se réchauffa lorsque la bouche de son bien-aimé vint déposer un baiser léger sur la sienne.

     — Et tu n’as répondu à aucune d’entre elles, répliqua Zhen YuJin après leur échange.

     Un sourire un peu plus franc perça son visage, il s’assit sur les genoux du Musivateur et l’enlaça en se blottissant contre lui :

     — De la même manière que tu ne laisses pas les gens te côtoyer de trop près pour préserver ton passé, j’évite de les laisser entrevoir mes soucis, se résigna-t-il à répondre. Mais quand je suis avec toi, j’ai l’impression que je peux me reposer pour de bon, même si ça ne dure que quelques minutes.

     Le Maître du Feu joua négligemment avec la tresse de son partenaire, tout en pressant ses lèvres sur son front :

     — Comme je t’ai dit, nous n’avons rien à faire jusqu’à demain. Souhaites-tu que je te raccompagne chez ton oncle ? Tu pourrais faire une bonne sieste aujourd’hui, au lieu de profiter de ce temps pour encore courir partout. Tu en as bien besoin, j’ai l’impression.

     — Quitte à faire une sieste, j’aime autant la faire à l’auberge, si tu veux bien me prêter votre chambre et rester pour me tenir compagnie, marmonna son compagnon.

     Haussant les sourcils, Zhen YuJin acquiesça néanmoins :

     — Aucun problème.

     Il s’était attendu à ce que le Cultivateur préfère se reposer chez lui, puis songea qu’il n’était pas tout à fait sûr de pouvoir être présenté au fameux oncle. Peut-être ce dernier n’apprécierait-il pas qu’un homme reste en compagnie de son neveu en train de dormir. De plus, Zhang JingXi avait bien précisé qu’il se décompressait apparemment mieux en sa présence, s’il pouvait l’aider en veillant sur lui, il n’allait pas s’en priver. Au moins, il pourrait s’assurer que son amant ne partirait pas au secours de la veuve et de l’orphelin dès son réveil.

     Zhang JingXi quitta ses genoux à contrecœur et ils rebroussèrent chemin jusqu’au Palais. Chan YinMai et le Capitaine avaient laissé la porte près du genévrier entrouverte pour qu’ils puissent sortir. Tandis qu’ils parcouraient les jardins et cours du Domaine Impérial en sens inverse, Zhen YuJin craignit qu’ils ne se fassent interpeller d’une façon ou d’une autre et qu’on vienne quémander leur présence. À son grand soulagement, ils purent quitter l’enceinte des bâtiments sans croiser personne, à l’exception des quelques Gardes qui patrouillaient et qui les saluèrent en passant.

     Tout en retournant à l’Âne Fringant, le Musivateur jetait de temps à autre des coups d’œil à Zhang JingXi, s’interrogeant sur ce qu’il avait pu comprendre de son moment de détresse. Il se demanda depuis combien d’années son bien-aimé se mettait une telle pression sur les épaules et surtout pourquoi il se l’imposait. Il avait la nette impression que son amant voulait se prouver quelque chose, ou prouver quelque chose à quelqu’un en lui donnant des résultats optimaux. Si « quelqu’un » lui réclamait des comptes et lui reprochait la moindre erreur qui n’était pas de son fait, il se devait de trouver la personne et de lui tordre le cou. Si Zhang JingXi s’infligeait tout seul cette pression, il allait devoir creuser pour comprendre pourquoi il désirait à ce point secourir tout le monde. Est-ce qu’il y avait un lien avec cet incendie d’autrefois ? La culpabilité de ne pas avoir pu sauver son ami et sa famille l’avait-elle traumatisé au point qu’il n’acceptait pas le moindre échec ? Le Musivateur se promit de le garder à l’œil et de faire en sorte de le calmer et de l’apaiser. Et puis, s’il mettait en place son idée de rester en ville, il pourrait au moins le seconder et le déchargerait ainsi d’une partie du poids qui semblait peser lourd sur ses épaules.

     Zhang JingXi avançait, perdu dans ses pensées. Il devinait les regards soucieux que lui adressait de temps à autre son amant et s’en voulu de lui causer de l’inquiétude. En même temps, il n’avait vraiment pas la force de lui faire croire qu’il se sentait beaucoup mieux. Néanmoins, toutes les paroles prononcées par Zhen YuJin s’étaient frayées un chemin dans son esprit et il les repassait dans sa tête. Il savait, au plus profond de lui, que son compagnon avait raison. Il savait aussi que si ce dernier n’avait pas été là à cet instant précis, il serait effectivement déjà en train de faire autre chose et non en train de songer sérieusement à siester. Le Cultivateur dissimula un sourire en pensant à son Lao Da Ye qui ne cessait de lui répéter de se calmer sans qu’il tienne compte de son conseil. Il avait suffi d’une tirade de Zhen YuJin pour le persuader de réellement lever le pied, au moins pour aujourd’hui. Son amant pouvait être son point d’ancrage et la seule personne certainement capable de le convaincre de prendre du repos.

     En arrivant à l’auberge, il parvint à adresser un grand sourire à l’aubergiste qui le salua chaleureusement en retour. Il ne s’attarda cependant pas, préférant suivre le Maître du Feu dans l’escalier.

     — Tu sais, déclara celui-ci lorsqu’il referma la porte dans leur dos. Si demain, tu ne te sens pas d’aller dans la troisième salle, tu n’es pas obligé de nous accompagner. Tu pourrais te reposer encore.

     Il n’eut pas le temps de lui indiquer quel lit était le sien. Bien qu’il soit absolument identique à celui de Chan YinMai et qu’aucune de leurs affaires ne trainait, son bien-aimé se laissa choir directement sur le bon en lui adressant une grimace :

     — Aie pitié, A-Jin. Me reposer cet après-midi c’est une chose, mais ne me demande pas d’enchaîner directement plusieurs jours de calme absolu.

     — C’est si terrible que ça, de prendre du repos ? s’amusa le Musivateur en s’agenouillant au sol pour lui retirer ses bottes.

     Zhang JingXi rosit en le voyant ainsi devant lui en train de le déchausser. Il détourna légèrement la tête pour regarder machinalement par la fenêtre :

     — Disons que c’est un peu angoissant de ne rien faire, surtout si je vous sais en train d’agir de votre côté. Je veux retourner dans les souterrains avec vous et continuer à gérer toute cette affaire en votre compagnie. Ce qu’il s’est passé aujourd’hui n’est qu’un moment d’égarement.

     Zhen YuJin n’insista pas et alla ranger les bottes près de la porte, tandis que son amant s’allongeait sur le lit avec un soupir. Il scruta le plafond alors que le Musivateur s’installait à la table basse :

     — Tu sais que je n’ai jamais fait ça ? Faire une sieste en pleine journée. Je ne suis pas sûr d’y arriver.

     Un rire lui répondit, il tourna la tête sur l’oreiller pour voir le Maître du Feu le contempler, le menton calé dans une main, l’air un peu amusé :

     — Ce n’est pas difficile, A-Xi. Tu fermes les yeux pour commencer, ce sera un bon début.

     L’intéressé le regarda sortir de quoi écrire de ses manches, puis obéit et ferma les paupières. La voix de son amant résonna avec douceur tout près de son oreille, comme le soir à l’auberge où il l’avait entendu distinctement lui parler, alors qu’ils n’étaient pas dans la même chambre :

     — Je reste avec toi de toute façon. Si par hasard tu n’arrives pas à trouver le sommeil, on discutera simplement. L’essentiel, c’est que tu ne sois pas en train de t’épuiser je ne sais où en pensant à je ne sais quoi.

     Tout en l’écoutant, il eut la quasi-certitude de sentir son Qi l’envelopper comme une couverture chaude et se détendit légèrement.

     Zhen YuJin avait sorti du papier et de l’encre, estimant le moment propice pour écrire à Lu Lei. Il vérifia l’état de son pinceau, puis leva les yeux en direction du lit pour constater que Zhang JingXi dormait déjà à poings fermés.

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Illustration accompagnant ce chapitre, réalisée par Druide Lunaire (vous pouvez accéder à l'illustration, même sans avoir de compte Instagram) :

https://www.instagram.com/p/C3KWQgitFSz/?img_index=1

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