Chapitre 29

Notes de l’auteur : Chapitre contenant une relation intime entre deux adultes consentants / ! \

     Plusieurs feuilles roulées en boule jonchaient le sol aux pieds de la table basse. Zhen YuJin avait mis plus d’une heure à écrire sa correspondance à sa mère adoptive, insatisfait par les phrases qu’il écrivait. En un courrier, il devait trouver le moyen de lui annoncer la triste nouvelle concernant Ping Yu, tout en lui faisant comprendre qu’elle ne devait absolument pas se précipiter pour les rejoindre et qu’il comptait sur elle pour mettre à l’abri tous les autres membres de la Troupe. Tantôt il trouvait sa lettre trop sèche, tantôt trop sentimentale, tantôt trop détachée. Dans l’une, il avait quand même glissé l’information que pour la première fois depuis sa fuite, plus de deux décennies auparavant, il avait remis les pieds dans une partie du Palais et avait retrouvé son ancien Précepteur, avant de rayer toutes les lignes concernant cette partie de la journée. Son intuition lui avait suggéré qu’il valait mieux ne pas parler tout de suite de ces retrouvailles. En effet, même si cette réunion s’était bien passée, il savait parfaitement que Lu Lei s’inquiéterait malgré tout pour lui et il ne voulait pas lui rajouter ce sentiment par-dessus le reste. Elle allait déjà devoir faire son deuil, tout en restant forte pour préserver les autres Musivateurs. Sans donner de détails, il avait tout de même annoncé qu’il s’était rendu dans les souterrains de ZhenShen et qu’ils avaient fait des découvertes bien tragiques. Afin d’alléger légèrement la missive, il avait donné quelques brèves nouvelles de Zhang JingXi, lui annonçant que le Cultivateur était toujours en leur compagnie et qu’ils s’entendaient très bien. Il ne mentionna cependant pas le spectacle de feu où son amant avait assuré, ni sa relation avec lui.

     Après avoir relu son courrier, sa dixième tentative à vue de nez, il l’estima suffisamment correct pour être envoyé. Il n’en était pas satisfait, mais ne savait pas non plus comment il pourrait faire mieux. Avec soin, le Musivateur plia la feuille et l’envoya rejoindre sa destinataire.

     Les yeux mi-clos, Zhang JingXi resta silencieux tout en observant son bien-aimé en train de ramasser les boulettes de papier par terre. Couché à plat ventre, il était réveillé depuis plusieurs minutes, mais n’avait pas osé le faire savoir en constatant que Zhen YuJin paraissait on ne peut plus concentré. Il se contentait de l’observer paisiblement. Il s’était endormi sur les couvertures du lit, mais un long manteau chaud portant l’odeur de son compagnon le recouvrait avec soin pour le maintenir au chaud. Il était presque sûr de ne jamais l’avoir vu porter le manteau en question, certain que son compagnon savait très bien utiliser son Qi pour pouvoir réguler sa température corporelle, durant les températures les plus basse. Toutefois il trouva extrêmement réconfortant le fait qu’il ait pensé à le sortir pour lui. Tout comme il trouvait fort appréciable de se réveiller et de le voir non loin de lui. Le Cultivateur s’était habitué à ces quelques jours de voyage où il se réveillait non loin de l’autre homme. Si ce dernier était souvent le premier à quitter la tente, il savait qu’il n’avait qu’à sortir la tête à l’extérieur pour le voir dehors, en train de méditer ou de pratiquer des exercices d’arts martiaux.

     Lorsqu’il s’était réveillé dans le Clan HengXing, il avait ressenti un certain vide à ne pas pouvoir voir rapidement son camarade de voyage, mais s’était consolé en songeant qu’il le retrouverait quelques heures plus tard. Et ce matin, la sensation avait été semblable et pire à la fois. Zhang JingXi baissa le regard sur le vêtement sur lui, à deux doigts de demander à son amant s’il pourrait le lui prêter pour la prochaine nuit, pour se sentir moins seul dans son lit. Certes, à son réveil ce matin, il savait qu’il allait encore une fois retrouver son amoureux dans les prochaines heures, mais il avait surtout eu conscience de la place terriblement vide de sa couche. Ils s’étaient tous les deux rapprochés de façon on ne peut plus intime et depuis qu’ils avaient fait l’amour ensemble, Zhang JingXi avait eu la sensation qu’un lien encore plus solide s’était noué entre eux. À présent, il redoutait par-dessus tout que ce lien casse à un moment ou à un autre. Si une telle chose devait arriver, il savait qu’il aurait alors un trou béant dans son corps et dans son âme, une plaie qu’il n’arriverait pas à soigner. Une blessure profonde qu’il lui faudrait cacher, comme il l’avait déjà fait par le passé, pour que personne ne s’inquiète pour lui. Le Cultivateur avait déjà eu un très léger avant-goût de ce sentiment de vide lors de ces quelques heures nocturnes loin de l’homme qu’il aimait. Pour rien au monde il ne souhaitait le sentir devenir plus grave, plus profond et s’installer pendant des jours et des semaines.

     Il savait déjà qu’il voulait rester aux côtés du Maître du Feu, une certitude qui se renforçait un peu plus chaque jour. Mais qui lui rappelait également que s’il voulait pouvoir savourer le luxe d’une telle relation, il allait devoir…

     Il secoua aussitôt la tête pour chasser ses pensées, conscient qu’il ne faisait que retarder l’inévitable. Le mouvement interpella Zhen YuJin qui se tourna aussitôt vers lui, les yeux pétillants :

     — Eh bien, pour quelqu’un qui ne sait pas comment faire la sieste, tu as sacrément sombré, tu sais ?

     Avec un léger sourire en réponse, Zhang JingXi sortit un bras de sous la couverture improvisée et le tendit vers lui. Le Musivateur le rejoignit aussitôt et s’agenouilla sur le sol en lui prenant la main.

     — Comment te sens-tu ?

     — Est-ce que tu comptes partir, A-Jin ?

     La question prit Zhen YuJin au dépourvu et un franc étonnement se peignit sur ses traits. Zhang JingXi grimaça en réalisant qu’il aurait dû réfléchir avant de laisser l’interrogation fuser hors de ses lèvres et bafouilla :

     — Ex… Excuse-moi, je dors encore à moitié et je délire…

     Il fit mine de vouloir récupérer sa main, mais les doigts de son amant se resserrèrent autour d’elle, tandis que la voix chaude de son compagnon lâchait un simple, mais direct :

     — Non.

     Le Cultivateur cessa net tout mouvement. Le Maître du Feu le contempla tout en lui caressant le dos de main avec son pouce, de l’autre il recula les quelques mèches de cheveux qui tombaient sur le visage de son bien-aimé.

     — Si tu me demandes si je compte partir là, dans les prochaines minutes, pour faire une course ou quelque chose du genre, la réponse est non. Mais ce n’est pas ça que tu me demandais, n’est-ce pas ?

     Il contempla le Cultivateur dont la joue restait pressée sur son oreiller. Même si Zhang JingXi tâchait de se composer un visage détaché, il avait vu l’inquiétude briller dans son regard au moment où la question avait franchi le seuil de ses lèvres. Tout en repoussant ses cheveux en arrière, il vérifia discrètement si son compagnon n’avait pas un peu de fièvre, dans la mesure où il l’avait trouvé un peu chaud tantôt. Il fut rassuré sur ce point et lui adressa un sourire rassurant :

     — Je ne compte pas te laisser, A-Xi. Ni aujourd’hui, ni dans les prochains jours. Et lorsque nous en aurons terminés avec cette histoire de meurtres, je compte bien rester près de toi, si tu veux de moi à tes côtés.

     Les prunelles de son bien-aimé brillèrent d’un éclat de joie, avant de se ternir soudain. Il libéra les doigts de Zhang JingXi et laissa ce dernier se redresser sur les coudes sans le quitter du regard :

     — Et la Troupe ? chuchota-t-il. Tu vas les laisser ? Je ne suis pas sûr d’avoir le droit de te demander ça…

     Vaguement amusé, le Musivateur haussa légèrement les épaules :

     — Je ne serais ni le premier membre, ni le dernier, à la quitter pour vivre aux côtés de la personne que j’aime.

     Aussitôt, le visage du Cultivateur se parsema de délicates rougeurs que Zhen YuJin commençait à trouver très à son goût. Il se retint pour ne pas dévorer ses joues de baisers et s’obligea à rester sagement à sa place. Il eut cependant l’impression que si ses paroles faisaient très plaisir à son compagnon, celui-ci semblait pourtant encore bien soucieux :

     — Quelque chose te tracasse ? demanda-t-il à voix basse.

     Sans mentir, son bien-aimé hocha très légèrement la tête, même s’il avait hésité avant d’amorcer le mouvement. Avant que le Maître du Feu n’ait le temps de poser de questions, il ajouta :

     — Mais je n’ai pas envie d’en parler maintenant.

     Zhen YuJin acquiesça, préférant pour l’instant ne pas insister, mais se jura de garder dans un coin de son esprit qu’il y avait quelque chose d’important, de grave peut être, qui planait dans la tête de son compagnon. Ce dernier s’assit en lotus sur le lit, son regard fut attiré par la fenêtre. Il faisait encore grand jour, l’après-midi battait son plein.

     Fasciné, le Maître du Feu vit le visage encore fatigué et soucieux de son amant disparaitre au profit d’une expression pleine de malice et de deux yeux pétillants.

     — A-Jin, je t’ai écouté, je me suis reposé. La nuit est encore loin, donc je suggère de sortir pour aller voir si quelqu’un a besoin de notre aide.

     Comme il s’y attendait, les sourcils du Musivateur se froncèrent aussitôt :

     — A-Xi, ce n’est pas parce que tu viens de prendre un tout petit peu de repos que tu dois repartir dans la foulée…

     Un air purement innocent s’afficha sur les traits du Cultivateur :

     — Ah bon ? Dans ce cas, que proposes-tu, Prince Héritier ? Je ne vais quand même pas dormir encore…

     L’appellation fit sursauter Zhen YuJin. Entendre ces deux mots dans la bouche de son Amour avait quelque chose de différent, surtout dans la mesure où il discernait pleinement les sous-entendus qu’il lui lançait au passage.

     — … Je ne suis le Prince de personne, marmonna-t-il.

     Face à lui, Zhang JingXi afficha un large sourire et se pencha légèrement en avant, dans sa direction :

     — Oh si, susurra-t-il. Tu es le mien. Et cet humble et loyal sujet que je suis espère que Son Altesse va bien vouloir m’accorder toutes ses faveurs et toute son attention…

     Ses lèvres vinrent chercher celles de Zhen YuJin qui s’était inconsciemment incliné vers l’avant pour se rapprocher de lui. Les doigts du Cultivateur vinrent se poser sur sa nuque et il se laissa glisser du lit pour réduire la distance entre eux.

     Zhang JingXi avait eu l’occasion de voir de ses propres yeux que les mains de son amant avaient la force nécessaire pour fracasser un solide mur de pierres. Il devinait leur vigueur lorsque l’autre homme le souleva du sol pour le reposer immédiatement sur la couche, leur précision alors qu’il commençait à le déshabiller. Il sentait à quel point elles pouvaient également se montrer douces sur sa peau lorsqu’il le caressait amoureusement. Le Cultivateur sentit également leur cruel manque lorsque les doigts qui le touchaient le délaissèrent quelques instants. Cependant, il se mit à rire en voyant Zhen YuJin sortir deux talismans de ses manches. Le premier fut envoyé sans douceur en direction de la porte et se plaqua contre la poignée, empêchant quiconque de rentrer sans leur autorisation. Le deuxième fut également jeté avec force sur le battant et insonorisa toute la chambre, la coupant du reste de l’auberge. Les lèvres de son amant vinrent se poser sur sa gorge, comme s’il voulait capturer son rire à sa source tandis qu’il commençait à défaire à son tour les vêtements du Musivateur, bien trop habillé à son goût.

     Il n’avait pas envie de réfléchir au futur, il voulait juste focaliser sur le moment présent. Sur les baisers de l’homme qu’il aimait, sur ses étreintes, ses caresses… Sentir son corps contre le sien et se repaître de son odeur, écouter ses murmures tremblants et le sentir tout autour de lui. En lui.

     Le manteau tomba à terre, ainsi que la moitié de la couverture, lorsqu’ils roulèrent dans le lit en partageant des embrassades aussi passionnées qu’enfiévrées.

     Le souffle court et le corps voilé de sueur, Zhang JingXi dévorait Zhen YuJin du regard alors que ce dernier s’installait entre ses jambes. Un long gémissement de plaisir lui échappa lorsque son amant s’enfonça profondément en lui un instant plus tard.

     — Je crois que Son Altesse vient de conquérir un nouveau territoire…

     — A-Xi ! protesta « son Altesse » en lui lançant un regard de reproche et en cessant aussitôt de bouger.

     Un nouveau rire anima le Cultivateur qui avait eu envie de lâcher cette phrase depuis l’instant où l’index et le majeur de l’autre homme s’étaient introduits entre ses fesses pour le préparer, un moment plus tôt.

     Il pressa ses jambes autour de son compagnon pour le dissuader de se retirer, les yeux pétillants à la fois de taquinerie, mais aussi d’un profond désir.

     — Mes plus plates excuses, votre Alt…

     La bouche de Zhen YuJin le bâillonna pour le faire taire. Il s’agrippa à sa nuque en commençant à bouger les reins, invitant son homme à faire de même. Celui-ci préféra encercler son dos avec ses deux bras pour le maintenir solidement contre lui, puis se redressa pour s’agenouiller sur le lit en l’emportant avec lui. Le torse pressé contre le sien, Zhang JingXi reprit avidement possession de ses lèvres, dès que son souffle le lui autorisa, tandis que son amant commençait à bouger. Tant qu’il avait encore assez de lucidité pour le faire, le Cultivateur déposa une multitude de baisers amoureux sur les taches de rousseurs qui parsemaient le beau visage de son compagnon. La main de celui-ci soutenait ses fesses avec fermeté et chaque nouveau coup de reins le faisait frémir de plaisirs incontrôlés. Ses ongles se plantèrent dans les épaules de son bien-aimé. Ce fut lorsqu’il l’entendit émettre un sourd grognement qu’il réalisa qu’il venait de lui griffer la peau. Avant qu’il ne puisse s’excuser, Zhen YuJin jeta un bref coup d’œil à son épaule marquée et souffla :

     — Je crois que les habitants du territoire conquis sont un peu sauvages…

     Zhang JingXi gloussa, puis planta ses yeux dans ceux de son compagnon qui soutint son regard alors que leurs soupirs se faisaient plus appuyés, plus rapprochés… Il se noyait dans ses prunelles chaleureuses, tandis qu’il n’arrivait plus à démêler son souffle de celui de son bien-aimé. Son front se posa contre celui de Zhen YuJin et il ferma à demi les paupières. Tout son corps lui paraissait être en ébullition. À moins que ça ne soit celui de son amant. Il ne savait plus trop où se situaient les limites entre eux à cet instant précis, tant il lui semblait qu’ils fusionnaient à merveille ensemble. Presque malgré lui, il s’agrippa à nouveaux aux épaules de son homme et planta ses ongles dans sa chair, tandis que son amant accélérait davantage la cadence et lui arrachait un panel varié de gémissements en tout genre.

 

     Le corps encore tremblant de fatigue après leurs ébats, Zhang JingXi se blottit contre Zhen YuJin qui venait de se laisser tomber sur le lit à côté de lui. Couché sur le flanc, le Musivateur lui caressa la joue avec tendresse, sans rien dire, se contentant d’observer ses yeux verts fatigués, mais repus.

     — A-Jin… ?

     La voix du Cultivateur n’était qu’un murmure.

     — Hm ?

     — … Est-ce que ça t’ennuie vraiment si je t’appelle « Altesse » ou « Prince Héritier »… ?

     Un sourire flotta sur les lèvres du Musivateur qui lui embrassa le front, avant de répondre à voix basse :

     — Non… Tant que tu évites de me donner ces titres en public, bien sûr.

     Si Zhang JingXi paraissait déjà de bonne humeur, cette phrase sembla le rendre encore plus heureux. Il ferma les paupières en répondant :

     — Aucune inquiétude de ce côté-là… Tu es mon Prince, je ne compte pas te partager avec quiconque, donc les autres n’auront pas à entendre ces noms.

     À la fois amusé, mais également touché par ses paroles, Zhen YuJin le serra un peu plus fort contre lui avant de s’autoriser à prendre un peu de repos également.

     Avant de s’endormir, il se fit la réflexion qu’il était heureux de voir à nouveau la joie habiter son adorable amant. Il espéra qu’il parviendrait avec le temps à chasser la culpabilité qui, il s’en doutait, devait encore rôder dans les parages et attendre son heure pour sauter à la gorge de son Amour.

 

     Zhang JingXi fut le premier à émerger du sommeil et constata que, cette fois, le soleil déclinait à l’horizon. Il n’avait pas réellement dormi, plutôt somnolé, songeant que certes, il avait besoin de repos, mais pas au point de passer littéralement tout son après-midi à roupiller comme un bienheureux. Par contre, Zhen YuJin dormait toujours à côté de lui. Le sourire aux lèvres, le Cultivateur se redressa sur un coude et cala sa joue contre sa paume en l’observant avec tendresse. Il laissa son regard dériver sur son corps solide et robuste, admirant les reliefs de son torse qu’il avait déjà pu caresser et dont il n’était pas près de se lasser. Il tendit une main légère en remontant son regard et caressa très délicatement une mèche de cheveux de son compagnon, prenant soin de ne pas le réveiller, puis se redressa sans bruit dans le lit. Son amant était le genre d’homme à dormir d’une seule oreille et se mouvoir sans attirer son attention, sans le tirer du sommeil, était un exercice qui demandait un peu de concentration. Mais Zhang JingXi savait comment s’y prendre pour faire en sorte de dissimuler une partie de sa présence. Certes, il n’était pas aussi doué que celui qui lui avait appris comment faire pour être aussi discret que possible, mais il s’en sortait suffisamment bien pour ne pas réveiller son Prince adoré et c’était tout ce qui comptait à ses yeux à cet instant. Sur la pointe des pieds et le pas léger, il se dirigea vers le paravent au fond de la chambre pour s’offrir un brin de toilette.

     Lorsque le Maître du Feu ouvrit les yeux, la nuit planait sur la ville. Les lumières étaient allumées dans la chambre et son bien-aimé était assis à la table basse, en train de dessiner, s’il se fiait à ses feuilles et encres colorées posées à côté de lui. La vague surprise de ne pas l’avoir entendu se lever disparu lorsqu’il réalisa que si son compagnon avait remis son pantalon, il lui avait également volé son haut rouge et noir qu’il n’avait pas pris la peine de fermer. Le vêtement était un peu trop grand pour lui, mais le Musivateur sentit une agréable chaleur embraser ses sens face à cet emprunt. Il s’assit dans le lit en se passant une main sur le visage et s’étira, attirant l’attention de Zhang JingXi qui releva la tête en lui adressant un doux sourire :

     — Je commençais à me demander si je n’allais pas devoir te réveiller, lança-t-il joyeusement.

     Du doigt, il désigna la porte libérée de ses talismans et ajouta :

     — Chan YinMai est passé il y a quelques minutes, les HengXing et Hei TaiYang sont arrivés. Et le Capitaine est là aussi, aux dernières nouvelles. Je pense qu’on devrait les rejoindre.

     Le Maître du Feu acquiesça en posant les pieds au sol et se dirigea, comme son amant un moment plus tôt, vers le bac d’eau derrière le paravent pour se rafraichir le visage et finir de se réveiller. Il sentit nettement le regard de son compagnon le suivre sans cacher qu’il appréciait de le voir se promener tout nu dans la chambre.

     Le Cultivateur n’avait effectivement pas pu s’empêcher de regarder le solide fessier se mouvoir à quelques pas de lui, avant d’obliger ses yeux à revenir à son dessin. Le Médium avait dû passer environ dix minutes auparavant et Zhang JingXi avait failli réveiller son compagnon, mais l’autre l’en avait empêché, lui assurant que Zhen YuJin émergerait bientôt et qu’ils attendraient tranquillement en bas pendant ce temps. Le don de son camarade de voyage l’étonnait de jour en jour et il avait même l’impression que ses perceptions s’étaient peaufinés au cours de leur aventure.

     — A-Jin, je peux te demander quelque chose ?

     — Hm ?

     — Tu connais Chan YinMai mieux que moi, alors peut-être que je me trompe, mais tu n’as pas la sensation qu’il maîtrise de mieux en mieux son don ? Je veux dire, quand tu m’as un peu parlé de lui, tu m’as expliqué que ses cauchemars restaient généralement ponctuels, qu’il ne sait pas forcément démêler ce qui relève du rêve et de ce qui est réel. Et que sa perception des énergies alentours relèvent principalement d’intuition qui sont relativement floues lorsqu’on essaye de se pencher sur elles.

     Son amant sortit de derrière le paravent tout en se séchant le visage avec une serviette. Il le dévisagea ensuite par-dessus le tissu, troublé par ses paroles, et acquiesça :

     — Effectivement, c’est ce que je t’ai dit.

     — Je trouve que ses visions ont l’air plus nettes, non, ces derniers temps ? Regarde, il en a même eu une en pleine journée, sur le chemin. C’est déjà arrivé qu’il voit quelque chose sans être en train de dormir ?

     Lançant la serviette sur le dessus du paravent, Zhen YuJin traversa la chambre en sens inverse pour ramasser son pantalon :

     — Non, admit-il en l’enfilant. C’est la première fois que je vois ça. Enfin, si, il y a eu la fois où il a vu la mort de Ping Yu, tu te souviens ? Il ne dormait pas encore à ce moment-là, mais je ne sais pas si ça compte, le contexte était vraiment exceptionnel.

     Pieds nus, il rejoignit Zhang JingXi et s’agenouilla sur le sol à côté de lui :

     — Je te rejoins toutefois sur cette impression qu’il a beaucoup plus de ressentis qu’avant. Ça t’inquiète ?

     Sa grande main se posa sur le dos de son compagnon qui tourna la tête vers lui en opinant légèrement du chef :

     — J’espère que c’est une évolution normale et pas qu’un danger nous menace.

     Doucement, Zhen YuJin lui caressa le dos, tandis qu’il réfléchissait à la question :

     — Un danger ? répéta-t-il. On serait en train de foncer droit dedans et tous ses sens se mettraient en alerte ?

     À nouveau, le Cultivateur acquiesça, puis haussa les épaules avec un demi-sourire teinté d’excuses :

     — Peut-être que je m’inquiète pour rien. Je ne peux pas dire que je m’y connais en Médium, c’est le premier que je rencontre. Si ça se trouve, c’est une évolution naturelle. Cette affaire est quand même grave, par conséquent elle est peut-être un peu plus teintée d’énergie, à sa façon, que ce que vous avez pu vivre jusqu’à présent.

     — Parfois la mort d’un proche rend la personne plus sensible, ajouta Zhen YuJin à mi-voix. Plus vulnérable dans certains cas. C’est une possibilité qui n’est pas à jeter non plus et dans le cas de A-Mai…

     Il termina sa phrase par un hochement de tête entendu, puis porta son regard sur les deux dessins sortis tous droits des pinceaux de son amant. Un portrait souriant de Ping Yu lui faisait face, si réaliste qu’il avait l’impression que l’homme allait se mouvoir d’un instant à l’autre et appeler Chan YinMai pour lui proposer une promenade. Sur la deuxième feuille, une belle jeune femme au visage doux observait le ciel d’un air rêveur. À sa ressemblance avec HengXing ShanYao, il en déduisit qu’il s’agissait de HengXing YeWan.

     Devançant sa question, Zhang JingXi désigna les deux dessins :

     — Je me suis dit que A-Yao et Chan YinMai aimeraient peut-être les avoir, afin de pouvoir garder une image positive d’eux. J’ai dû me baser sur mes souvenirs, pour Ping Yu, alors je ne suis pas sûr de l’avoir réussi.

     Les lèvres de Zhen YuJin se pressèrent sur sa tempe, avant qu’il ne murmure :

     — Il est parfait, A-Xi. Je suis sûr qu’ils vont apprécier.

 

     Quelques minutes plus tard, les deux hommes avaient chacun récupéré leurs vêtements, s’étaient recoiffés et rendus plus présentables. Ils quittèrent la chambre et Zhang JingXi gloussa à voix basse :

     — Imagine si Chan YinMai a une vision de ce qu’on a fait, quand il va vouloir se coucher tout à l’heure.

     Mortifié, les mains posées sur la poignée de la porte qu’il venait de refermer, Zhen YuJin tourna la tête vers son compagnon :

     — Et ça te fait rire ?

     Il avait tout, sauf envie que quelqu’un puisse le voir en train de faire l’amour à son compagnon. Celui-ci rétorqua joyeusement :

     — Oh je préfère en rire qu’en pleurer, c’est mieux non ?

     — A-Xi… soupira le Maître du Feu en secouant doucement la tête d’un air vaguement las.

     Au moins, son bien-aimé était officiellement bel et bien de bonne humeur cette fois-ci. Ses doigts se posèrent sur ses hanches lorsque celui-ci se rapprocha de lui, comme pour quémander un dernier baiser avant leur descente. Cependant, loin de l’embrasser, Zhang JingXi susurra :

     — Mais à choisir, je préfère quand Son Altesse me fait gémir, c’est encore mieux que d’en rire…

     Aussitôt, le visage de Zhen YuJin s’enflamma. Il voulut resserrer sa prise sur lui, mais le Cultivateur lui échappa dans une pirouette et lui offrit une joueuse et gracieuse révérence.

     — A-Xi, grogna le Musivateur en s’empressant de le rejoindre.

     Avec un rire, Zhang JingXi traversa le couloir des chambres. Pendant quelques brèves secondes, celles qui les séparaient de l’escalier, il sentit la main de son amant saisir l’une des siennes et la presser légèrement, voulant profiter de ces quelques instants volés. Ils se lâchèrent en arrivant en haut des marches et le Cultivateur s’assit sur la rampe, avant de se laisser glisser jusqu’en bas, sous le regard sidéré du Maître du Feu, des quelques clients présents et de leurs amis.

     Jian Lin ne put s’empêcher de hausser les sourcils en le voyant faire et échangea un regard avec Chan YinMai. La dernière fois qu’ils avaient vu Zhang JingXi, ce dernier paraissait à bout de nerfs et à présent il prenait l’escalier pour une piste de glissade. En réponse à son étonnement, le Médium se contenta de hausser légèrement les épaules, avec un vague sourire.

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Druide Lunaire a réalisé une illustration accompagnant ce chapitre (pas besoin de posséder un compte insta pour y accéder) : https://www.instagram.com/p/C3uaCuILsla/

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