Chapitre 29

Notes de l’auteur : La douce Noémie ne sait comment réagir face à l'énigmatique ondin Calys qui semble décidé à la garder prisonnière dans son palais troglodyte.

MAJ : 22 juin

Domaine Dourgrenad, citée d'Ys – Brocéliande

 

Noémie avait l'impression de vivre dans un songe éveillé, hors du temps. Elle découvrait peu à peu le domaine Dourgrenad, appartenant à Calys, sous la surveillance bienveillante mais constante des ondines, qui gardaient leur distance. Elle se sentait comme une princesse dans un palais troglodyte, entourée et choyée, mais cela n'enlevait pas cette sensation d'angoisse qu'elle ressentait à se trouver loin de son monde, de ses proches.

Elle voulait partir mais pour aller où ? Elle se laissait donc aller à cette torpeur qui lui faisait du bien. C'était plus facile de laisser les événements suivre leur cours, d'accepter cette attention, de la part du maître des lieux qui appréciait sa présence, se délectait de ce qu'elle disait et était d'une gentillesse troublante avec elle.

C'était grisant de se sentir désirée par un homme aussi beau et attentionné, lui faisant presque oublier sa vie d'avant, qu'elle ne pourrait pas retrouver.

Seulement, au fur et à mesure qu'elle reprenait des forces, ses angoisses refaisaient surface. Est-ce qu'elle était son invité ou sa prisonnière ? Calys la traitait comme si c'était sa nouvelle maison et n'abordait pas du tout le sujet de sa « libération » .

Chaque fois qu'elle parlait de retrouver Léa et Alice qui étaient certainement elles aussi arrivées à Brocéliande, il essayait maladroitement mais fermement de détourner la discussion. Elle comprenait bien ce qu'il faisait ; il voulait la convaincre de rester chez lui, même si elle ne comprenait pas trop pourquoi il semblait si attaché à elle.

Comme à son habitude, ne voulant pas de conflit, elle ne le confrontait pas, certaine qu'elle trouverait un moyen de lui faire entendre raison plus tard.

Ce matin-là, elle se promenait le long de la côte avec Calys. Elle se sentait presque honteuse d'avoir ce moment de sérénité pour elle-même alors que ses amies devaient être quelque part, perdues et peut-être en danger, sans personne sur qui compter. Elle décida de lui parler jusqu'au bout.

— Est-ce qu'il y aurait moyen de savoir si des humains sont dans la même situation que moi, arrivés en même temps que moi sur Aldaria ? 

— Tu parles de tes amies. Elles ne sont pas arrivées par la mer. 

— S'il te plaît, je sens qu'elles doivent être quelque part dans le royaume... J'aimerai les retrouver, leur dire que je suis ici, moi aussi.

— Noémie, c'est trop dangereux, tu ne peux pas les chercher et quand bien même elles seraient ici, rien ne dit qu'elles soient vivantes.

— C'est pour ça que tu me caches ici ? tu penses que... Non, je préfère ne pas penser au pire... répondit Noémie les larmes aux yeux.

— Personne ne te fera de mal tant que tu reste à l'abrit, avec moi.

— J'ai bien compris que tu comptais me protéger, mais je m'inquiète pour elles, est-ce qu'il n'y a pas moyen de contacter des gens pour les chercher? S'il te plaît... 

— Je n'ai pas l'intention de te mettre en danger, même pour tes amies, répliqua-t-il en serrant la machoire. Estimes-toi chanceuse que ce soit moi qui t'ai trouvée en premier.

— Merci d'avoir été franc avec moi... répondit Noémie bouleversée.

Elle devait accepter sa situation. Elle n'était pas seule dans un monde hostile aux humains, Calys était d'une gentilesse troublante avec elle. Elle n'était pas libre de ses mouvements, mais au moins elle était sauve et peut-être l'aiderait-il à trouver un moyen de revenir sur Terre un jour.

— Est-ce que tu pourrais m'aider à rentrer sur Terre ? demanda-t-elle la voix chargée d'émotion.

— Est-ce que tu manques de quelque chose ? Je croyais que tu aimais le domaine et ma compagnie. 

— Ton domaine est superbe et je t'apprécie beaucoup. Mais je ne peux pas rester enfermée ici toute ma vie, j'aimerai essayer de retrouver ma famille, mes amies, tu comprends ? 

— J'ai toujours vécu seul donc non, je ne comprends pas. Est-ce que ça serait si terrible de rester avec moi, de créer une famille ? Et si tu as besoin de nouvelles amitiés... 

Noémie sentit son coeur se serrer. Elle lui prit les mains en secouant la tête parce qu'elle était bouleversée par sa solitude, par ce manque d'amour apparent. Elle avait une vie de famille pas évidente, mais lui n'avait personne et il se montrait tellement attaché qu'elle n'avait pas le cœur de le repousser totalement. Les âmes solitaires, les âmes brisées, étaient son point faible. Elle voulait effacer le vague dans ses yeux.

— Non, Calys, ce n'est pas si terrible. C'est très beau d'envisager sa vie avec quelqu'un et de vouloir fonder une famille. Mais je ne suis pas la seule femme qui existe, même si je n'étais pas là, tu pourrais trouver une compagne formidable. Tu es quelqu'un de bien, tu as beaucoup de qualités. 

— C'est avec toi que je suis. Pourquoi cherches-tu à me repousser pour des raisons fallacieuses ? 

— As-tu connu d'autres femmes, en dehors des ondines qui te servent ? 

— De nombreuses femmes m'ont témoigné de l'intérêt, mais je ne ressentais rien pour elles. Je n'aime pas cette discussion, Noémie, restons-en là. 

— Je ne suis pas la plus jolie des femmes, ni même la compagne idéale. Je... 

— Arrête de te rabaisser et de trouver des excuses. Tu as accepté ma demande de former un couple avec toi. Notre lien devrait avoir plus d'importance que tes autres liens ; on ne passe pas sa vie avec sa famille, ni ses amis.

Noémie ne savait plus quoi répondre. Elle se sentait coupable d'avoir envie de dire oui, d'accepter cette relation. Elle voulait céder, elle avait peur de regretter de ne pas laisser une chance à cet homme qui l'avait choisie elle, mais elle ne pouvait pas s'empêcher de penser aux autres. Elle ne voulait pas devenir ce genre de personne égoïste qui partait sur un coup de tête, en laissant tout en plan pour se consacrer à son bonheur personnel.

Elle se mit à pleurer, lâchant les mains de Calys pour se couvrir le visage.

Il semblait paniqué de la voir éclater en sanglots, et il la prit dans ses bras jusqu'à ce que la tempête soit passée. Il se pencha pour lui embrasser les paupières alors qu'elle essayait de le repousser pour se cacher le visage, et il la souleva dans ses bras.

Calys s'installa avec elle face à la mer alors que le soleil éclairait la falaise dans leur dos. Elle était incrustée de pierres qui rougeoyaient alors que les rayons du crépuscule la caressaient.

Noémie prit une inspiration tremblante, essayant de reprendre ses esprits.

— C'est magnifique, je pourrais admirer cette vue sans jamais me lasser. 

— Accepte d'être ma femme.

Noémie regarda Calys avec ses grands yeux mélancoliques. 

— Je ne peux pas, je ne veux pas devenir quelqu'un que je détesterai. Des gens ont besoin de moi, il faut que j'essaye, mon frère...

— Ça justifie tout ? la coupa-t-il. Et si moi j'ai besoin de toi plus que les autres ?

Noémie fut attendrie par cette dernière remarque ; il était si seul. Elle posa ses mains sur le visage de Calys qui la fixait intensément. Ses yeux hypnotiques faisaient naître quelque chose d'incontrôlable chez elle. Elle couvrit ses yeux provocants de ses mains et fixa sa bouche tentatrice avant d'y déposer un baiser profond. Elle avait l'impression de faire quelque chose de mal alors qu'il lui rendait ce baiser aveugle, mais elle voulait se vautrer dans cette chaleur. Faire quelque chose qui les apaisait tous les deux.

Elle se détacha de lui quand sa bouche commença à lui faire mal. Sa lèvre était coupée, à cause de la sécheresse.

Il voulut retirer les mains qui occultaient sa vision et Noémie les plaqua davantage, incapable de le regarder dans les yeux.

— NON ! Pas encore. Restons comme ça un peu.

Calys laissa retomber ses bras et s'humecta la lèvre inférieure comme pour la goûter. Elle resta comme ça un instant, résistant à l'envie de l'embrasser de nouveau, le voyant se soumettre à son caprice, puis elle inspira une goulée d'air marin avant de baisser les mains et lui tourner le dos.

— Retournons à l'intérieur, sussura-t-elle encore gênée par l'audace dont elle avait fait preuve. Elle se permettait des choses qu'elle n'aurait jamais tentée en temps normal et ne savait pas si elle appréciait l'emprise qu'elle semblait avoir sur lui.

Ils firent le trajet de retour en silence, et alors que Calys s'était éloigné pour discuter avec une ondine, elle ne vit pas tout de suite la silhouette qui émergeait de l'eau près d'elle.

Un ondin s'avança, la démarche souple et glissante, le regard courroucé. Elle sentit un frisson désagréable la traverser alors qu'il se mettait à son niveau. Il s'adressa à elle d'un ton glacial. 

— Ah, voilà la petite humaine qui a réussi à attirer l'attention de Calys. Si on m'avait dit qu'un jour il ferait autre chose que les chasser, je ne l'aurais pas cru, dit-il pris d'un rire dément. Tu ferais mieux de partir avant qu'il ne change d'avis. 

— Qui êtes-vous ? demanda-t-elle en charnant Calys du regard. Pas un ami de Calys, je suppose.

Il se pencha vers elle, un sourire plaqué sur les lèvres, chuchotant. 

— Est-ce qu'il t'a dit comment il arrivait à être aussi puissant, comment il avait eu ce domaine ? Chuchotta-t-il, se penchant vers elle, un sourire mauvais aux lèvres.

Noémie sentit la peur l'envahir face à l'hostilité de l'ondin, mais avant qu'elle ne puisse répondre, Calys apparut à ses côtés, les sourcils froncés, le regard sombre, transfiguré. 

— Eylren, laisse-la tranquille ! Tu n'as rien à faire ici. Et tu ne sais rien d'elle et de moi. 

— Oh, je sais tout ce que je dois savoir. Je t'ai vu en action, Calys, je sais comment tu te nourris de la chair humaine pour te renforcer. Ne te fais pas d'illusions, tu ne peux pas te lier à une... humaine, crachat-t-il.

Noémie regarda Calys, choquée par les mots d'Eylren alors qu'il continuait à déverser son flot de paroles. 

— Tu les détestes autant, voire plus que moi, mais je ne suis pas prêt à tout pour devenir fort, c'est répugnant.

Noémie sentait les larmes lui monter aux yeux et son corps était rigide sous la main de Calys qu'elle regarda de ses yeux bleus embués. 

— Est-ce que c'est vrai ? Tu te nourris de la chair humaine ? demanda Noémie, les yeux débordants de larmes, alors qu'elle sentait le corps rigide de Calys.

Sans la lâcher du regard, il s'adressa à l'ondin d'une voix glaciale. 

— Eylren, éloigne-toi.

L'ondin reprit son sérieux, jaugeant Calys comme pour mesurer le risque d'une confrontation. Comprenant que Calys était prêt à l'attaquer.

— Calys ! Réponds-moi ! demanda Noémie d'un ton doux mais ferme.

— C'est arrivé. J'ai renoncé à le faire, mais oui, c'est vrai, j'ai mangé la chair des humains qui nous voulaient du mal, avoua Calys.

Noémie sentit ses jambes se dérober sous son poids et la nausée monter. Elle esquiva la main de Calys qui essayait de la rattraper dans sa chute. 

— NE me touche PAS ! Pas maintenant.

— C'était une période sombre de mon existence, Noémie, mais je me suis détaché de ces instincts, depuis que je t'ai vue sur la plage mourante. Je te le promets, je ne suis plus comme cela.

Il essaya de l'envelopper de ses bras pour la calmer, sachant que son contact la rassurait. Mais Noémie, dévastée par les révélations de Calys, était submergée par une peur intense. Elle se débattit pour s'échapper, finissant par gifler Calys pour qu'il la lâche. 

— Laisse-moi partir ! Je ne peux pas... Tu comptais me dévorer aussi ? Toute cette histoire de séduction, c'était pour ça ?

— Non, je ne te veux aucun mal. J'ai besoin de toi.

— Je n'arrive pas à te croire. J'ai besoin de m'éloigner sinon je vais devenir dingue. C'est trop.

Calys la lâcha, bouleversé par ce rejet. Il la regarda s'éloigner, laissant échapper un sanglot. Elle s'approcha d'Eylren qui attendait à quelques mètres, neutre. 

— Est-ce que tu comptes me tuer ? lui demanda-t-elle.

— Est-ce que tu as fait du mal à mon peuple ?

— Non, je suis contre la violence.

— Alors tu vivras. Je peux te trouver un abri loin de lui.

— Je croyais que tu détestais les humains.

— Je n'aime pas les humains parce qu'ils détruisent tout et ont ravagé nos côtes et la mer depuis trop longtemps. Toi, tu es aussi inoffensive qu'une crevette. Je ne m'abaisserai pas à leur niveau en blessant une humaine innocente. Tes yeux montrent de la compassion et de la tristesse, ils sont beaux pour ceux d'une humaine.

— Emmène-moi loin d'ici avant que je m'écroule, chuchotta-t-elle, se sentant vide, froide, dévastée.

Noémie s'éloigna à la suite d'Eylren le plus vite possible, sans oser regarder en arrière. Elle n'avait pas le courage d'affronter la vue de Calys, épuisée par les événements.

Derrière eux, la mer s'était levée, les vagues déchaînées s'écrasant bruyamment sur le rivage ; Calys avait disparu.

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Bleumer
Posté le 25/04/2024
L'arc de Noémie est vraiment celui que je préfère, un peu moins cliché que les autres, plus dramatique. Sa relation avec son "homme" est moins simple: Calys, même si on devine de maladroites notes d'amour, semble la considérer plus comme une femelle, une compagne que comme une femme ce qui peut troubler la jeune femme peu habituée aux aventures amoureuses. Noémie semble perdue enter attirance et timidité, surtout avec la révélation de la nature anthropophage de l'ondin. Et le fait qu'elle le quitte.
Vraiment intéressant.
Papayebong
Posté le 22/06/2024
Merci ! J'ai un peu retravaillé les dialogues pour rester dans la continuité des échanges précédents, mais pas de gros changement pour elle.
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