Chapitre 28

Notes de l’auteur : --> « Qu’est-ce que ça veut dire d’être ensemble si on n’est pas ensemble ? Est-ce que ça suffit de rassembler nos souvenirs ? » Aliocha Schneider
https://www.youtube.com/watch?v=x-M1ts_AoJA

*Martin

 

Elle change. Je la vois s’épanouir. Elle est plus lumineuse. Sa beauté rayonne de l’intérieur. Comme si sa simple beauté ne suffisait pas. Les hommes la remarquent encore plus vite. Elle ne se cache plus en elle-même. Elle prend humblement sa place dans la vie. Elle me manque terriblement. Échanger avec elle, est ce que je regrette le plus. J’espérais qu’avec le temps, je finirai par me détacher d’elle, par me lasser. Hélas, j’ai cette sensation de vide qui a pris mon bide comme logement quotidien. Ça s'estompe presque entièrement quand je peux l’observer en cours. Mais l’amertume grandit au fur et à mesure que je vois Elsa et elle se rapprocher de la bande de Bastien. Parce que celui-ci ne cache pas sa joie qu’Emilie s’ouvre davantage au monde et donc aussi à lui par la même occasion.

Je ne sais plus rien de ce qui se passe dans sa vie. Simon et Anthony ne veulent plus me donner de ses nouvelles. Selon le premier, il faut que je me décide si je veux faire partie de sa vie ou non. Il ne veut plus nourrir ma folie. Et c’est réellement comme un fou que je me sens. Je n’arrive pas à la sortir de mon esprit. Mais à chaque fois que j’imagine sortir avec elle, comme un vrai couple, la poitrine me fait un mal de chien. J’ai l’impression de faire un AVC, les étoiles dansent dans ma tête pendant que celle-ci chauffe comme si elle allait exploser.

Je suis allé voir le psy de mon père, par curiosité. Et aussi parce que je voulais lui parler de ce phénomène. Il m’a dit que c’était des crises d’angoisse. Je lui ai ri au nez. C’est n’importe quoi. Je ne suis pas angoissé ou quoi en pensant à elle. Il m’a regardé avec une détestable bienveillance que je ne suis pas sûr de mériter. Parce que franchement, je trouve qu’il exagère. On est pas tous dépressifs ou anxieux dans la vie. 

 

Elle rit. Ils sont regroupés autour de la table de Ludivine et Théo. Quand le professeur rentre, ils se lèvent pour regagner leur place respective. Elle ne fait pas un pas qu’elle se prend les pieds dans un sac qui traîne au sol.

Malgré qu’elle soit loin de moi, je me lève de façon automatique. Mais c’est Bastien qui la rattrape. Elle le remercie gentiment avec un sourire charmant en plaçant une mèche de cheveux derrière son oreille, et comme si elle sentait mon regard sur elle, ses yeux rencontrent les miens. La main de Bastien vient se poser dans son dos pour la guider à sa place. J’entends un raclement de gorge. Je réalise que je suis toujours debout à la fixer comme un con. Julie à côté de moi me fait signe de m’asseoir, un sourire amusé aux lèvres.  

 

 

En classe d’anglais, notre professeure nous demande de retrouver notre binôme du premier semestre pour qu’on travaille de suite sur un article de journal.

Plusieurs râlements se font entendre.

- No discussion possible ! Well begun is half done. Chop-chop ! nous dit-elle.

- Move quietly ! elle rajoute face au brouhaha ambiant.

Il s’est passé une éternité depuis la première fois qu’on a dû travailler ensemble. Les choses étaient tellement différentes.

Emilie pose ses affaires sur la table à côté de moi et me sort de ma nostalgie.

Elle me jette un coup d’œil, incertaine.

- Hi, me salue-t-elle simplement.

- Hi. 

Notre professeure passe entre les rangs pour distribuer des sujets de travail et le magazine associé.

Nous avons le droit à un exemplaire de New York Magazine datant du mois de janvier dont Kim Kardashian fait la couverture. Emilie pose notre sujet d’invention entre nous deux :

- Choose a living celebrity et write a double-page spread about it. 

- Any idea ? je lui demande. 

On est sûrement capable de travailler ensemble. On l’a déjà fait à une époque où on avait clairement envie de se sauter dessus donc ça ne devrait pas être plus compliqué aujourd’hui, n’est-ce pas ?

- Hum …I don’t know, maybe do you follow some american celibrity on social network ? 

Qui est-ce que je suis sur les réseaux sociaux ? Il y a Barack Obama mais c’est beaucoup trop bateau comme sujet. 

- Gime your phone, elle tend sa petite main devant moi.

- No way, je souris.

- Alright. 

Elle sort son propre smartphone, va sur Instagram et me tend son appareil.

- Tell me if you find something of interest. 

J’ai l’impression qu’on vient de m’offrir un cadeau inestimable. Malheureusement je ne peux pas fouiller comme je le souhaiterais mais je suis déjà heureux d’avoir une fenêtre ouverte sur elle.

Je fais défiler l’actualité. Elle suit beaucoup de comptes « bodypositive » et « bodyneutral ». Également beaucoup de comptes de photographes, amateurs et professionnels, et de tatoueurs. Sa sœur publie beaucoup apparemment. Bastien aussi, mais essentiellement des IGTV de lui chantant à la guitare. Il y a pas mal de garçons et de filles que je ne connais pas et ça me contrarie d’ignorer autant de choses sur elle.

- Jacob Elordi hein ? je la taquine.

Elle rougit.

- He’s …cute, elle avoue à demi-mots.

- Christopher Wood …, je continue à l’embêter malgré moi.

La vérité c’est que je suis jaloux de ces jeunes acteurs dont elle matte les beaux profils. 

- Stop teasing me and focus. 

- Okay …so, I think the most interessant would be Elliot Page, what do you think ? 

- You know her ? I mean, HIM ? 

- I do. It could be cool to write about him. 

- Well … I agree. 

Je lui rends son téléphone avec regret.

- What do we know about him ? je nous questionne.

- The show : Umbrella academy. Do you see the second season ? elle demande tout à coup excitée.

- Not yet.

Je ne peux m’empêcher de sourire face à son enthousiasme.

- You have to. 

Je hoche la tête.

- She plays « Kitty » in X-men movies too, je dis.

- Oh yeah, I love X-men ! Ses yeux s’écarquillent. Oh and Inception ! With Dicaprio of course ! elle ajoute.

- I’ve loved Bliss too, with Drew Barrymore who’s awesome. 

- ‘R kidding right ? You can’t know this movie, elle me dit choquée.

- Why not ? je ris.

- No offense, but I didn’t thought men can like this kind of movie. 

- It's sexist. Besides, men like this kind of movie, they just lie about this, that’s all. 

Elle me regarde en souriant. Qu’est ce qu’elle est belle. Qu’est ce qu’elle m’avait manqué.

- What ?

- Nothing.

Elle détourne le regard en fronçant les sourcils sans pour autant quitter complètement le sourire qu’elle a sur les lèvres. 

J’aimerais que ce cours dure éternellement. 

Elle joue avec son stylo qui finit immanquablement par terre. Il atterrit sous ma chaise. Je n’ai pas le temps de me baisser qu’elle s’appuie d’une main sur ma cuisse et de l’autre fouille le sol à la recherche de l’objet. J’oublie de respirer et essaie d’oublier sa main sur moi. Quand elle se redresse, elle cogne sa tête à mon bureau.

- Shit ! elle grogne.

- Merde ça va ? je demande en prenant sa tête tendrement entre mes mains.

Elle pose instinctivement une main sur la mienne qui repose sur l’arrière de sa tête. Elle lève les yeux sur moi et on se retrouve à se dévisager quelques secondes, tous les deux hébétés. 

Je me prête à penser que ça serait possible, elle et moi. Que ça pourrait être bien. Peut-être. Soudainement une douleur tranchante me traverse la poitrine. Je la lâche et me plie en grimaçant.

Et merde, merde, merde. Je commence à prendre chaud, à me sentir mal. Il faut que je sorte. 

Je me lève brusquement et sors précipitamment de la classe.

La douleur thoracique laisse place à des palpitations. Des vertiges me gagnent. Merde. Je dérive dans les couloirs sans savoir quoi faire. 

- Martin ! Hey ! Qu’est ce qui t’arrive ?

La voix d’Emilie résonne derrière-moi

- Laisse-moi Emilie ! je crie.

- Je m’en occupe, dit une deuxième voix féminine. 

Je ne tiens plus mon équilibre et m’écroule contre un mur.

- Ça va aller Martin. Tu fais une crise de panique. 

C’est la voix de Sylvia.

- Viens là.

Elle m’aide à me lever et me supporte jusqu’à une pièce vide dans laquelle elle nous enferme.

- On va s’allonger.

Elle me soutient jusqu’à ce que je sois sur le sol.

Elle prend ma main et la pose sur mon ventre.

- On va respirer ensemble Martin, ok ? 

Sans attendre de réponse de ma part, elle continue.

- Inspire doucement…

Elle inspire profondément en même temps que moi.

- C’est bien. Maintenant, expire profondément. 

Elle m’imite.

- Super kiddo, tu fais ça comme un chef. 

Elle me fait répéter l’exercice puis compter la durée de mon inspiration et de mon expiration, jusqu’à ce que je me sente mieux.

 

Je ne sais pas depuis combien de temps on se trouve tous les deux allongés sur le sol quand elle rompt le silence.

- Comment tu te sens ? 

- Mieux, je crois. 

- Good. On essaie de s’asseoir ? 

- On essaie, je réponds, pas bien sûr de moi.

Elle se redresse et vient m’aider à m’adosser contre un mur et elle s’assoit à côté de moi.

- Depuis quand tu fais des crises de panique ? 

- Je ne sais pas si ce sont des crises de panique… 

Elle souffle.

- Désolée kiddo, mais ça en est. 

Ma poitrine s’affaisse tandis que l’idée creuse son chemin dans ma tête.

- Ça fait quelques semaines, je finis par répondre.

- Tu sais pourquoi ? La cause est parfois difficile à cerner.

- Je crois savoir oui … 

Elle ne me questionne pas. C’est ce que j’apprécie chez Sylvia, elle est franche et ne force pas les choses.

- Tu en as déjà fait ? je lui demande.

- Je crois que c’est derrière moi. J’espère en tout cas. J’ai dû voir un psy, ça ne s’ignore pas longtemps, ce genre de crise. 

Elle ne me conseille pas d’en faire de même mais je reçois cinq sur cinq le message subliminal.

- Est-ce que je me suis fait remarqué ? 

- Emilie t’a suivi. Ta sortie s’est faite remarquée oui mais tout le monde est resté à sa place. Tu as crié après elle. Personne n’était dans le couloir, tu t’en sors bien. Mais on a dû t’entendre crier. 

- Je ne voulais pas lui crier dessus. 

- Je sais.

- Thanks Sylvia ... 

Elle me tapote gentiment la jambe.

- You’re welcome kiddo.

- Arrête de m’appeler ‘kiddo’. J’ai l’impression que tu es bien plus âgée que moi. 

- Déjà je suis plus âgée que toi … 

- Tu as vingt-cinq ans, pas quarante...

- Oui mais j’ai une vieille âme, elle rétorque.

Je ris doucement.

- C’est sûrement pas faux, je capitule. Mais si tu continues de m’appeler comme ça, je t’appellerais ‘Cougar’, à toi de voir. 

Elle grimace.

- Je vais prendre le temps de méditer tes paroles. Tu devrais rentrer chez toi. C’est éprouvant ce que tu viens de vivre. 

C’est vrai que je me sens épuisé. Je pourrais m’endormir dans cette position.

J’opine du chef.

- Je peux te ramener si tu veux ? Ça m’évitera de retourner bosser avec la Julie... 

Je ris.

- Elle est gentille Julie. 

- Elle est superficielle et niaise. 

- You’re tough Cougar, je la taquine.

- Allez, je vais prévenir la prof et je te ramène chez toi. 

- Sylvia…

- Je dirais rien à personne. Ce qui s’est passé ne regarde que toi. 

Je la remercie d’un hochement de tête.

 

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