CHAPITRE 28

Une nouvelle fois le ciel lui tombait sur la tête ! La somme de tous ses maux, l'épine, le mal, les souillures, c'était lui ! Tout était à cause de lui !

De rage, elle voulut le gifler, le griffer, cependant il retint sa main et soutint en silence son regard assassin.

— Je savais que vous étiez une pourriture mais à ce point ! rugit-elle des larmes ruisselant sur ses joues.

La douleur de la trahison était de toute la pire...

— Je ne blâme pas votre animosité envers moi, j'ai été l'instrument de votre déroute... et je le regrette amèrement. Je vous le redis, tout cela s'est déroulé bien avant que vous ne montiez à la Cour... Mon père a reçu un jour une lettre d'un greffier de province qui nous avertissait de l'usurpation d'une famille, d'un titre de noblesse factice et implorait notre aide... La traque des faux nobles alimentent le Siècle depuis des années et les débusquer fait gagner l'estime du roi... Au vu des papiers que le greffier nous avait transmis, nous l'avons cru... je l'ai cru... Et je m'en veux terriblement car je pense que c'est une mesquinerie que vous ne méritiez pas... Et je suis certain désormais que c'est sûrement faux...

Les lèvres tremblantes, Édith essayait de garder une maîtrise d'elle-même, mais la seule chose qu'elle avait envie c'était d'hurler.

— Savez-vous tout ce ma famille endure par votre faute ! Nous sommes la risée de la Cour, la risée de la région, la risée de notre village alors que mon père en est le seigneur légitime ! lui envoya-t-elle dans les dents en le frappant sur son justaucorps sobre. Nous essuyons intrigue et injure, et ce maudit greffier qui rôde autour de nous comme une vieille charogne est pire qu'un fléau ! Et vous, vous, vous ! reprit-elle en serrant les poings devant son visage. J'aimerais ne jamais vous avoir rencontré ! Je ne veux plus avoir à faire à vous, votre sort vous l'affronterez seul, devenez pénitent mon brave car c'est le cachot qui vous attend !

Elle le poussa et se dégagea de cet abri de fortune aux allures de chausse-trape et s'éloigna de lui quand elle s'arrêta au milieu du pavillon, la voix faible et chargée d'angoisse de Val-Griffon l'avait immobilisé net.

— Vous êtes la seule qui puisse m'éviter l'enfermement à vie ou la mort...

« La mort... »

Édith frémit à ce mot et la vision de Val-Griffon montant l'échafaud pour se faire décapiter en lieu de châtiment l'ébranla. Blesser le Dauphin, le conduire au mépris de sa sûreté dans un endroit dangereux pouvait effectivement lui faire courir la peine capitale et le roi avait la réputation d'être expéditif et ne reculait pas de faire des « exemples » pour avertir ses sujets.

Val-Griffon était sur le bord du précipice, seul.

Dehors un groupe de courtisans passa devant le grotte de Thétys sans y entrer et s'échangeait les dernières nouvelles.

— Savez-vous ce que l'on raconte, le jeune Val-Griffon a été aperçu avec Monseigneur tôt ce matin tout sale et hâtif... dit un homme avec un grand chapeau à plumes.

— Oui, il paraît que le duc de Montausier est furieux. Il attend que le roi le reçoive et s'est rongé les nerfs à patienter pendant que Sa Majesté prenait sa collation au bosquet du Théâtre d'Eau, renchérit une dame sous son ombrelle. Croyez-vous qu'il va l'entendre avant la pastorale(1) ?

— Je ne le sais, Sa Majesté est impatiente de voir Les Festes de l'Amour et de Bacchus, mais je suis curieux de savoir ce qu'a fait Val-Griffon, rit un jeune premier qui les accompagnait. Je ne l'ai jamais aimé ce garçon ! Toujours à tourner auprès du Dauphin, à être son chien de garde et son père qui est un familier de la Montespan !

— Mon cher êtes-vous devin, vous dîtes ce que l'on pense ! ricana la dame.

— Attendons et nous saurons, cependant à voir la bile que se fait Montausier, je crois que l'étoile de monsieur de Val-Griffon a pâli, répondit l'homme au chapeau à plumes. Oh ! Vite ! Voilà le cortège royal qui se dirige vers l'Allée du Dragon ! La pastorale va commencer !

Cette conversation fit comprendre à Édith la gravité de la situation. Que faire ? Pardonner ? Elle en était incapable pour l'heure... Abandonner ses griefs contre lui ? C'était au-delà de ses forces. L'abandonner, lui ? C'était impossible.

Elle se retourna et le vit, adossé contre le mur, le regard sur elle comme si de sa grandeur d'âme chrétienne dépendait sa vie, et cette posture avachie, aux abois, lui serra le cœur.

— Dites-moi, pourquoi vous êtes-vous tourné vers moi ?

— Vous avez un pouvoir sur les animaux... ne le niez pas, je l'ai vu et observé à maintes reprises... Vos pupilles se dilatent de même que celles des animaux à qui vous parlez. C'est... c'est fascinant. Et... et je me disais que si je retrouvais le grand loup blanc avec votre aide... j'y verrai plus clair sur ce qui s'est réellement passé hier matin...

Édith fondit vers lui, inquiète.

— Depuis quand le savez-vous !

— Depuis l'épisode de la louve. Aucun louve n'aurait battu en retraite alors que je menaçais de la tuer comme je l'ai fait. C'était irréaliste, elle était bien trop agressive.

Édith baissa la tête, lasse qu'en ce monde de Versailles, tout tourne au vinaigre !

— Qui d'autre le sait ?

— Je ne sais pas. Je ne m'en suis ouvert à personne. Ce ne sont pas des choses que l'ont peut aisément ébruiter, répondit-il un brin ironique. C'est assez peu commun.

— C'est un don familial ! repartit-elle à brûle-pourpoint. Vous avez raison, j'ai la capacité de communiquer par la pensée et la pensée uniquement, avec un animal, s'il le souhaite.

— C'est prodigieux... murmura-t-il en la dévorant du regard.

Édith sentit son cœur s'emballer et soudain, la perspective de l'imaginer sous une tombe froide la glaça... Elle devait se rendre à l'évidence, elle s'était fourvoyée... ce n'était pas Monseigneur qu'elle aimait... c'était lui, depuis le début.

— J'accepte. J'accepte de vous aider...

Il expira, soulagé et la prit dans les bras, le cœur battant : « Merci, merci, mon destin est entre vos mains désormais.» Édith s'accrocha à lui et enfouit sa tête dans son cou, elle l'aimait... Seigneur avec quelle force !

Des voix se firent de plus en plus nettes, on approchait du pavillon !

Charles et Édith rompirent brutalement leur étreinte ! Val-Griffon s'éclipsa de la grotte de Thétys juste à temps pour ne pas être vu par un couple qui entrait. Malheureusement, Édith n'avait pas eu le temps de s'échapper !

Elle se terra dans sa cachette et pria pour que le couple s'en aille rapidement ! Hélas, ils étaient décidés à profiter de leur rendez-vous galant dans une niche...

« Oh la tuile ! » pensa-t-elle en levant les yeux au ciel.

Son attention fut attirée par une sculpture qui avait l'air vivante et qui lui dit :

« Tu es dans de beaux draps ma cocotte! »

Édith sursauta et découvrit que sa fameuse sculpture était en réalité Michou !

« Michou, c'est toi ! Mais... Mais que fais-tu là ! »

« J'écoute pardi ! Hé ! De toutes les salles du royaume, la grotte de Thétys est l'endroit le plus fameux pour entendre les potins les plus croustillants ! Hé hé pas fol le merle ! Il s'y passe toujours des choses scandaleuses, la réputation sulfureuse de ce pavillon n'est pas volée pour un sou ! Quand je vais dire à Marcel le colvert que le comte de P* et la baronne de C* se sont pelotonnés dans une niche, oh oh ça va jaser chez les canards ! »

« Tu me coupes les jambes ! Ton amour des commérages me dépasse... dit Édith, sidérée. Mais dis-moi, tu as tout écouté de mon entretien avec Val-Griffon ! »

« Et comment ! Je n'ai pas perdu ma journée ! Vous étiez parfaits ! J'ai eu le plumage hérissé jusqu'à la fin ! Les histoires de trahison et d'amour sont mes préférées ! »

« Eh, tu y vas un peu fort, trahison d'accord, amour... »

« Tu me fends le cœur, toi. Avec un don pareil, comment peux-tu être sourde à ce point ! Il t'aime et c'est pas d'hier ! D'ailleurs on a parié avec Robert la taupe dix mûres de l'autre vieille grive, que vous vous bécoterez avant la fin du Grand Divertissement et j'ai bien cru que je remportais mon pari aujourd'hui ! »

Édith toussota et le fusilla du regard !

« Où étais-tu le 11 juillet ? » Date où l'avait embrassé Val-Griffon.

« Dans les communs, il se passe toujours des embrouilles ! »

« Tout s'explique... pensa-t-elle, heureuse que ce fouineur ne l'ait pas épié pendant que... Michou, dis, que penses-tu de cette histoire d'hallucinations, de chute... »

« Oh, fit l'oiseau en se gigotant sur la coquille, c'est louche cette affaire ! »

« Toi qui furètes partout, n'en sais-tu pas plus ? »

« Non, mais je peux demander à des camarades si tu embrasses ce garçon avant la fin du Grand Divertissement. »

« C'est un marchandage éhonté ! » dit-elle en rougissant même si cette part du contrat était déjà honorée.

« Non ce sont des ragots en avant-première ! » piaffa-t-il en riant.

« Je promets. » 

Lorsque l'on était démunie, il fallait se contenter des alliés qu'on avait, même si ceux-ci avaient de curieuses manies...

« À la bonne heure ! Je te tiens au courant d'ici deux jours ! Maintenant tais-toi, je n'entends pas ce que chuchote le comte à l'oreille de sa belle ! Rhooo ! Il lui a mis la main à un endroit cocasse et l'autre elle rigole dans son cou ! Ils se chatouillent qu'on va dire ma petite Édith, ils se chatouillent, enfin là ils se chatouillent quand même pas mal ! Rhooo attends que je raconte ça à Marcel et Robert ! Ça va cancaner dur au petit lac ! »

GLOSSAIRE:

(1) Œuvre dramatique et lyrique à décor champêtre dont les héros sont des bergers et des bergères.

 

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