Chapitre 28 : Elena

Par Zoju
Notes de l’auteur : J'espère que ce chapitre vous plaira :-) Bonne lecture

Je patiente dans la cour centrale de la base. En attendant que Tellin arrive, j’observe les soldats qui rentrent de leurs patrouilles. La nuit semble avoir été calme. Ils me saluent puis continuent leur chemin. Il fait assez froid ce matin. On doit frôler les négatifs. Je frotte mes mains l’une contre l’autre pour me réchauffer. Vivement que l’on se mette en marche, je gèle sur place. Même si la présence de Tellin ne m’enchante guère, je suis contente d’enfin pouvoir sortir de la base. Cela fait si longtemps que je n’ai pas mis un pied dehors. Je lève le nez vers le ciel. Il fait encore nuit. On sera moins vite repérables. Quelqu’un tousse derrière moi. Je me retourne et tombe sur Tellin. Il a revêtu son uniforme d’hiver de camouflage qui est aussi blanc que notre tenue habituelle est sombre. L’armée a fait du bon boulot dans l’élaboration de nos vêtements. La veste tout comme le pantalon sont chauds sans pour autant entraver nos mouvements.

- Tu es prête ?

- Oui.

- Alors en route. 

J’empoigne mon sac que je positionne derrière mon dos. J’ai essayé de le rendre le moins lourd possible. Sous ordre de Tellin, j’ai dû laisser mon épée à la base. Selon lui, cela m’embêterait plus qu’autre chose lors de la mission. Cela me fait bizarre de ne pas la sentir contre mon flanc. D’habitude, je ne m’en sépare jamais. J’ai tout de même dissimulé trois poignards dans ma veste. Les armes à feu ne font pas tout. J’ai pris suffisamment de munitions pour tenir trois jours. Le reste de mon équipement se résume à de la nourriture, de l’eau, des vêtements de rechange et une couverture. Après une dernière mise au point, nous quittons la base. Une certaine euphorie me gagne quand nous passons la barrière. Maintenant, je suis enfin dehors, avec un chien de garde, mais c’est déjà ça. Je suis Tellin à travers la forêt. Il semble avoir mémorisé le chemin à prendre. Je lui fais confiance pour ça. Il n’a plus neigé depuis un moment et nos pas ne laissent presque pas de traces. Si je me souviens bien, le camp des rebelles se trouve au nord de la base, mais peut-être qu’ils ont changé de position depuis. Tellin ne m’a rien dit sur ce sujet. Il accélère l’allure. J’adopte immédiatement son rythme de croisière. En silence, nous nous faufilons entre les arbres, sautons au-dessus de fossé et descendons des pentes. Bien que je sois en mission, j’éprouve un certain plaisir. Cela me rappelle les courses-poursuites que nous faisions quand nous étions jeunes Luna et moi. Toutefois, j’ai beau être touchée par la nostalgie, je n’en oublie pas le but de notre présence ici. Nous tenons cette cadence pendant un certain temps avant que mon supérieur fasse une halte. Je suis un peu essoufflée. Malgré mes entrainements quotidiens, mes muscles n’ont plus l’habitude de ce genre d’exercice. Néanmoins, je récupère vite. Le soleil s’est levé, mais reste caché par de nombreux nuages. J’observe mon coéquipier qui jette un coup d’œil à sa carte. Elle est remplie de notes et de signes rouges. Il la range tout de suite après.

- À partir de maintenant, on rentre dans leur zone. Reste sur tes gardes !

- Juste une question avant de continuer.

- Sois brève.

- Qui sont ces rebelles ?

Mon collègue me fusille du regard. 

- Tu aurais pu me demander ça hier, grogne-t-il entre ses dents.

Je me retiens de me montrer sarcastique. Parce qu’il croit qu’il m’a laissé le temps de demander quoi que ce soit hier dans son bureau ? Toutefois, je me contente de répondre d’un ton neutre :

- J’ai oublié. Alors ?

- Des déserteurs qui veulent nous nuire. Ils faisaient partie de l’élite. Voilà, pourquoi il faut être prudent. Ils sont particulièrement bien entrainés.

- Compris.

Tellin reprend sa marche. Sa réponse ne m’a qu’à moitié convaincue. Pourquoi déserter et rester à proximité de la base ? L’armée pourrait attaquer à tout moment. Si j’étais eux, je partirais le plus loin possible et sans me retourner de préférence. Il y a autre chose, mais quoi ? Brusquement, Tellin s’accroupit. Je m’empresse de faire de même. C’est à ce moment-là que je perçois les bruits de pas à côté de nous. Je me plaque davantage sur le sol. Deux personnes se tiennent en contrebas. Ils nous tournent le dos. Celui de gauche semble plus âgé que son collègue. Il est en train de s’allumer une cigarette. Ils portent leurs fusils en bandoulière. Ils parlent trop bas pour que je puisse entendre quoi que ce soit. Tellin me fait signe de le suivre. Je me mets dans son sillon en faisant bien attention à être la plus discrète possible. On arrive à leur droite. Les branches mortes permettent de cacher notre présence. On les aperçoit presque de face. Celui que je pensais le plus jeune me surprend lorsque je découvre son visage. Il est complètement défiguré. Cependant, ce n’est pas une blessure de guerre. Cela ressemble plus à une malformation. Ces blessures me sont familières. Je les ai vus bien trop souvent à mon goût. Les cobayes que je tue dans la section spéciale en abordent des similaires. Ce serait d’anciens cobayes ? Je refuse de le croire. Ceux que j’ai rencontrés n’ont plus la capacité de se gérer eux-mêmes alors que l’homme qui se tient devant moi réagit de manière parfaitement normale. C’est sûrement un hasard. Quand je tends l’oreille, leur conversation m’arrive par bride.

- Vive… la pause, dit l’un.

- Tu l’as dit. Je… à geler ici. Enfin bientôt, il… de l’action.

- Quand… l’attaque ?

- Dans une… maine. Les chefs pensent… le sud. On les contourne pour… à revers leurs …sitions.

Je jette un coup d’œil vers Tellin. Je ne sais pas pourquoi, mais même si je n’ai pas tout compris, je trouve cette collecte d’informations beaucoup trop facile. Dès les premiers rebelles rencontrés, on connait leur plan. Tellin semble dans le même doute que moi. Il me fait signe de reculer pour redéfinir notre stratégie. Lorsque nous sommes hors de danger, je prends les devants.

- C’est beaucoup trop simple.

- Entièrement d’accord avec toi.

- Il n’y a pas trente-six solutions. Soit cet homme est un dirigeant du camp, soit… 

- Ils font passer une fausse information.

Je le fixe perplexe.

- Ce serait un peu gros, je trouve.

- Le seul moyen de savoir si c’est vrai est de glaner encore plus de renseignements. On y retourne.

Avant d’avoir pu l’interpeller, Tellin se redirige vers le camp ennemi. Nous décidons de tenter notre chance dans une autre partie de la base rebelle. Celle-ci est principalement composée de tentes. Deux bâtiments en pierre se dressent au centre. Le camp doit compter environ une cinquantaine d’occupants. C’est à peu près la moitié du nombre de soldats qui se trouvent chez nous. Il faut rester prudent avec ces estimations. D’autres rebelles peuvent patrouiller dans la forêt. Tellin m’ordonne de faire le guet, le temps qu’il aille vérifier les alentours. L’instant d’après, il a disparu à un tournant. Je me positionne de manière à avoir le camp en ligne de mire. Les minutes s’écoulent sans que rien ne bouge. Je reste en alerte aux moindres mouvements. Des bruits de pas se font entendre derrière moi. Ma gorge devient sèche lorsque je me rends compte qu’on se rapproche de mon côté. Il faut que je trouve une autre cachette. Malheureusement pour moi, l’endroit ne me facilite pas la tâche. Mon cœur s’accélère. Les personnes sont tout près. Je perçois légèrement leurs voix. Si j’en crois mon instinct, ils sont deux de sexe masculin. À mon grand soulagement, je finis par dénicher un tronc d’arbre creux qui va me permettre de me dissimuler. Je me dépêche de disparaitre dedans. Je me recroqueville un maximum pour passer inaperçue. Les deux hommes se rapprochent de ma planque. Je prie pour que Tellin ne revienne pas à ce moment-là. Je tente tant bien que mal de calmer ma respiration. Un des deux individus se met à parler à voix basse, mais suffisamment fort pour que je l’entende :

- Ici, on ne sera pas écouté. Tu as des nouvelles des taupes ?

- Elles sont arrivées hier soir. Les dernières ne me plaisent pas. Ils avancent plus rapidement que prévu.

- Ils ont trouvé ? demande l’un d’eux avec inquiétude.    

- Pas encore, mais cela ne saurait tarder. Il faut agir et vite. J’ai d’autres mauvaises nouvelles.

- Je crains le pire.

- L’une d’entre elles pense qu’on la soupçonne.

L’un d’eux jure :

- Ce n’est vraiment pas le moment. Qu’est-ce qui lui fait imaginer ça ?

- Elle se sent surveillée en permanence. Je crois qu’elle va bientôt devoir revenir parmi nous.

- Elle doit à tout prix éviter ça. Le combat risque de devenir bien inégal.

- Ne t’inquiète pas et si jamais on en arrivait à une telle extrémité, il nous reste l’autre.

- Mouais, c’est toujours cela de gagné.

Un craquement se fait entendre. Les deux hommes retiennent leurs respirations comme je retiens la mienne.

- Tu as entendu ? chuchote l’un.

- Attends-moi ici.

Il se rapproche de ma cachette. Je ferme les yeux comme si cela pouvait me rendre invisible. Le rebelle pose son pied tout proche de ma tête, mais il finit par s’éloigner à mon grand soulagement. J’ignore par quel miracle, il ne m’a pas vue.  

- Il s’agit peut-être d’un animal, mais on n’est jamais trop prudent. On reprendra notre discussion plus tard. Retourne chez Yvan, je te transmettrai les ordres ce soir.

- Très bien. À plus tard, Tim.

Ils s’éloignent enfin de moi. Je reste sans bouger encore un moment puis sors. L’endroit est de nouveau désert, mais pour plus de précautions, je ne reviens pas à mon ancien poste d’observation. Je dégaine un de mes poignards et m’accroche à lui comme si c’était une bouée de sauvetage. Je me fige dès qu’un bruit suspect se fait entendre. Soudain, une main se pose sur mon épaule. J’attrape le bras de l’inconnu. Je l’étale au sol et glisse la lame sous sa gorge. Ma respiration est saccadée. Tellin lève ses mains pour montrer qu’il n’est pas armé. Je ne bouge toujours pas. J’ai les nerfs à vif.

- Elena, calme-toi. Ce n’est que moi.

La surprise passée, je me mets à trembler de tout mon corps. Je lâche mon poignard qui se plante dans le sol. Mon supérieur se redresse sans faire de mouvements brusques.

- Il faut partir, me dit-il d’une voix calme.

Je reprends peu à peu mes esprits.

- Partons. Partons ! répété-je mécaniquement.

On s’éloigne du camp rebelle le plus discrètement possible. Lorsque la distance est suffisante, Tellin s’assoit sur un rocher. Je me place en face de lui et remarque tout de suite que quelque chose le tracasse. Il doit y avoir un piège, mais on ne sait pas d’où il va venir.

- Que s’est-il passé ? me demande mon coéquipier.

- Des rebelles sont passés tout proches. Trop proche.

- Ont-ils dit quelque chose ?

- De…

Je ferme la bouche. Je n’ai pas envie de dire à Tellin ce que j’ai appris. Je ne sais pas pourquoi pourtant c’est une information cruciale. Deux traitres se trouvent dans notre base.

- De quoi ? s’impatiente-t-il

- Ils ont parlé de quelque chose qui allait beaucoup trop vite.

- Tu te fiches de moi. Cela ne veut rien dire ! s’irrite-t-il.

- Je te le promets. Un des hommes a affirmé que cela allait plus vite que prévu.

- C’est tout ?

- C’est tout. Cela te dit quelque chose ?

- J’ai mon idée, mais c’est très vague. Heureusement qu’ils ne t’ont pas remarquée. Autre chose durant mon absence ?

- Rien, et de ton côté ?

Tellin ouvre la bouche pour parler, mais à cet instant, un homme surgit devant nous. Celui-ci semble aussi surpris que nous de tomber sur lui. À voir la tenue et la barbe de trois jours qu’il aborde, il doit revenir d’une patrouille.

- La faucheuse, articule-t-il.

Je ne comprends pas où il veut en venir, mais notre but premier est de l’empêcher d’ameuter ses collègues. Je sors un de mes poignards, prête à l’attaquer, mais Tellin est plus rapide que moi. En deux enjambées, il est derrière l’homme. Il place ses mains sur la tête du rebelle et d’un coup sec, il lui tord le cou. Un bruit sinistre résonne. L’homme s’écrase au sol avant d’avoir pu réagir. Tellin se penche au-dessus du cadavre et inspecte son visage. Il fronce les sourcils. Cette personne ne doit pas lui être inconnue. Après l’avoir fouillé, il loge le corps sur ses épaules et se remet en marche. Je le suis. Décidément, je ne sers à rien. Tellin s’arrête devant un fossé où il jette le corps qui s’écrase quelques mètres plus bas sur un rocher. Si les rebelles retrouvent le cadavre, ils penseront qu’il a chuté.

- Que fait-on ? On y retourne ? demandé-je.

- Non, l’info est la même partout. Cet homme venait de faire du repérage dans la zone sud. Une carte avec des indications se trouvait dans sa veste. Ils préparent leur attaque.

- Tu le connaissais ?

Tellin me tourne le dos, si bien que je suis incapable de voir l’expression qu’il aborde lorsqu’il me répond :

- Déserteur. On rentre.

Le chemin du retour se fait dans le silence. Tout en marchant, j’avale une partie des provisions que j’avais emportée. Je n’ai pas aimé cette mission. Elle était beaucoup trop simple. On a pu s’approcher trop facilement du camp. On aurait pu attaquer. Pourquoi l’armée craint-elle à ce point ces rebelles ? Toutefois ce qui me perturbe le plus, c’est le terme que le rebelle a utilisé avant de mourir. Il a parlé de la faucheuse. Où voulait-il en venir ? Je ne vois pas ce que cela pourrait signifier. Tellin met fin à mes réflexions.  

- Elena…

Je me retourne vers mon coéquipier.

- Quoi ?

- Cet homme défiguré que l’on a vu, tu sais ce que c’est.

- Oui.

- Tu as compris pourquoi le maréchal ne pouvait pas donner cette mission à n’importe qui ?

Je me tais, puis demande : 

- Pourquoi ces hommes se trouvent-ils là ?

- Certains se sont évadés.

- Comment ? m’étonné-je.

- À ton avis ? s’exclame mon supérieur un brin ironique.

Je repense à la discussion que j’avais eue avec Hans lorsque je lui avais raconté mon passé. Tellin confirme mes hypothèses. Quand Hans les avait croisés au moment de la chasse, ce n’était pas la première fois que les cobayes leur faussaient compagnie. Je ne devrais pas, mais je suis soulagée de savoir que certains ont pu retrouver leur liberté.  

- Pour moi, moins il y en a, mieux c’est, pensé-je à voix haute, puis remarquant ma bourde, je continue le plus naturellement possible. Ne me lance pas ce regard, tu crois que je m’amuse à tuer ? Ces gens ne m’ont rien fait.

- Ils aident au progrès, déclare Tellin comme une évidence.  

- Non, ils n’aident que votre progrès, pas le mien ni le leur. Vous devriez arrêter ces expériences. Elles n’apporteront rien de bon.

- Au contraire, elles feront toute la différence.

Je ne rajoute rien. De toute façon, il ne m’écoutera pas. Toutefois, je ne compte pas en rester là, je veux en savoir plus. Les rebelles ne sont pas là par hasard. La présence d’anciens cobayes en est une des causes. Je mettrais ma main à couper que leur but est lié au projet 66. Ces gens qui ont dû endurer mille souffrances doivent vouloir empêcher le projet d’aboutir. D’un côté, cela m’arrangerait, je ne devrais plus tuer, mais de l’autre, je sais que ce souhait est d’abord purement égoïste et cela me donne mauvaise conscience. Tant que je ne connaitrai pas leur réelle motivation, je me battrai contre eux. Même si je n’aime pas l’armée, des personnes qui comptent pour moi s’y trouvent. Je ne les laisserai pas tomber. Ces rebelles sont peut-être aussi dangereux que les membres de cette base. Si je suis ma logique, je dois avouer à Tellin pour les traitres dans la base. Il faut d’abord me persuader de faire le bon choix. J’arrête Tellin.

- Réponds-moi franchement. Qui sont ces rebelles ? Que réclament-ils ?

- Je pense que tu as déjà ta petite idée, sinon tu ne me questionnerais pas.

- Le Projet 66 ?

- Ce n’est qu’une supposition, mais c’est probable.

- Que faites-vous dans cette section médicale pour qu’ils veuillent vous nuire ?

La réponse semble évidente. Je dirais que c’est pour se venger et pour sauver leurs camarades qui se trouvent encore piégés. Pourtant je reste persuadée qu’une autre raison explique leurs actions. Tellin se contente de déclarer :  

- Je ne suis pas autorisé à divulguer quoi que ce soit sur ce sujet. Tu en connais assez pour mener à bien ta mission. 

Pendant un instant, je comprends Isis lorsque je refuse de lui répondre. On se sent impuissant, mais surtout tellement manipulable. Je sais tout ça, mais que faire pour que cela change ? Je suis face à un dilemme. Je ne veux qu’une chose par-dessus tout, c’est de ne plus devoir tuer des cobayes. Ces cobayes sont liés au Projet 66. S’il cesse d’exister, je n’aurais plus à accomplir cette mission qui me répugne. Il faudrait que j’aide les rebelles ?  

- Tu sais, Elena, tu n’as pas besoin de comprendre. C’est mieux ainsi. N’oublie pas le sort qui t’attend si tu venais à fouiner dans leurs affaires, continue Tellin.

- Inutile de me le rappeler, je ne le sais que trop bien.

L’atmosphère est pesante. J’ai l’impression qu’elle le devient à chaque fois lorsque la discussion tourne autour du Projet 66. Tellin passe du coq à l’âne.

- Quoi qu’il en soit, la mission est concluante. On sait où les rebelles se dirigent.

- Doit-on informer le maréchal de nos doutes ?

- Il vaut mieux. Toutefois, nos craintes sont peut-être infondées. Les rebelles peuvent être plus bêtes que nous le croyions.

« Ou plus intelligents » pensé-je. Nous sous-estimons sans doute ce groupe. Si ces hommes faisaient partie de l’élite, certains d’entre eux doivent s’y connaitre en stratégie, mais connaissant Tellin, il doit en ce moment être en train de réfléchir à toutes tactiques possibles et imaginables. Je ne supporte pas cet homme, mais s’il y a bien une qualité que je dois lui reconnaitre, c’est son implication. Il ne laisse rien au hasard. Il analyse tout, même si parfois il fait un peu trop d’excès de zèle. Étant plongée dans mes pensées, je ne remarque pas le nid de poule et marche en plein dedans. Je trébuche et tombe à genoux. Mon collègue lève les yeux au ciel puis me tend la main pour m’aider à me relever. Je l’empoigne directement.

- Sois un peu plus concentrée.

- Simple moment d’inattention.

- Cela peut te coûter la vie.

- Tellin.

- Tu peux m’appeler par mon prénom lorsque l’on n’est pas à la base.

Je me retiens in extremis de soupirer. Il n’en a pas marre de toujours revenir avec ça ?

- Jamais de la vie. Écoute, ne m’en veux pas, mais les rebelles ont parlé d’autres choses.

Tellin s’arrête de marcher et se tourne lentement vers moi. Son expression est indéchiffrable.

- Continue, me presse-t-il.

- Ils ont évoqué deux espions dans notre base.

- Pourquoi l’avoir caché ?

Je ne ressens aucune hostilité dans sa voix.

- Honnêtement, je n’en sais rien, mais comme je te l’ai dit, je déteste ma mission. Je ne suis pas un traitre, mais je n’approuve pas ce que vous faites.

- Je pourrais te condamner pour ces propos.

- Mais tu ne le feras pas.

Il plisse les yeux. Je ne supporte pas ce regard.

- Ah bon ? Et pourquoi ?

- Vous avez besoin de moi. De plus, ma haine envers l’armée n’a jamais été feinte.

- Tu marques un point, mais fais attention la prochaine fois. Revenons aux rebelles. Qu’as-tu appris ?

- Rien de plus. Mise à part que je me souviens que l’un des hommes qui parlaient s’appelait Tim.

J’ai l’impression d’être passée à côté de quelque chose de primordial, mais j’ignore de quoi il s’agit. Je relève les yeux vers Tellin. Son attitude a changé en tous points. Une expression particulièrement dure s’est dessinée sur son visage. Il m’effraye. Son regard qui s’était détourné revient sur moi. Je recule, terrorisée. J’ai fait une gaffe. Il doit surement m’en vouloir pour le peu d’informations que j’ai.  

- Tellin. Ça va ? demandé-je avec crainte.

En une fraction de seconde, il retrouve ses traits habituels.

- Absolument, il faut rentrer.

- Tu sais qui cela peut être ?

- Pas vraiment, répond-il évasif.

Sur ces paroles, il reprend sa route. La seule certitude que j’ai, c’est qu’il sait. Il connait cet homme. Je me demande qui cela peut être, probablement un déserteur. Pour le reste, il n’a pas tellement réagi au moment où j’ai mentionné des espions dans la base. J’y ai beaucoup réfléchi depuis que j’ai surpris un rebelle quand j’étais sortie et je suis de plus en plus convaincue que les traitres doivent se trouver parmi nous depuis un moment. Lorsque j’en ai parlé à Tellin, il s’est contenté d’opiner de la tête avant d’aborder un autre sujet, mais le connaissant cette information n’est pas tombée dans l’oreille d’un sourd. Je mènerai mon enquête à mon retour. D’ailleurs, j’ignore dans combien de temps nous serons de retour à la base. Je regarde ma montre qui indique trois heures de l’après-midi. Soudain, un craquement se fait entendre à notre droite. Je suis tout de suite en alerte comme Tellin à côté de moi. Plus rien ne bouge.

- Attention ! hurle mon collègue.

Il me tire vers le bas. Un projectile passe au-dessus de moi, mais il heurte Tellin en pleine tête. L’assaillant apparait dans mon champ de vision. Sans me poser plus de questions, je dégaine mon arme et tire. Ayant oublié de placer mon silencieux, la détonation retentit bien trop fort à mon goût. L’ennemi s’effondre. Je me tourne vers Tellin, il git à côté de moi. Je l’entends respirer. Je me dépêche de le retourner pour inspecter sa blessure. Contrairement à ce que je pensais, ce n’est pas une balle que l’ennemi a tirée, mais une pierre. Pourquoi ? Mon collègue est sérieusement sonné. Avant de le soigner, je me dirige vers l’assaillant. Une flaque de sang s’étend déjà sur le sol. Je passe deux doigts sur son cou, mais je ne ressens plus aucun battement. Je le retourne sur le dos. Ses yeux vitreux fixent le ciel. Il n’y a plus rien à faire pour lui. Je reviens à Tellin. Il est toujours inconscient. Je le traine un peu plus loin. J’ignore si l’homme avait des complices. Si oui, ils ont dû entendre le coup de feu et sont déjà à notre recherche. Je trouve un abri dans une clairière. Avec Tellin dans cet état, je ne peux pas bouger. Il est bien trop lourd pour moi et je ne peux pas le trimballer jusqu’à la base. La seule solution est d’attendre qu’il se réveille. J’ouvre mon sac et empoigne ma boite de premiers secours. J’inspecte la plaie de mon collègue. Cela ne semble pas bien grave, mais je vais tout de même la soigner. Un fin filet de sang s’en échappe. Je ne suis pas médecin. Il faudra patienter jusqu’au retour pour savoir s’il a une commotion. Je stoppe le saignement et enroule la tête de Tellin avec des pansements. Mes gestes sont maladroits et je dois recommencer plusieurs fois avant que le résultat soit à un près potable. Une fois l’opération terminée, je déplie ma couverture et lui couvre le corps. Il vaut mieux éviter qu’il fasse une hypothermie. Ce sera encore ma faute. Il n’y a plus qu’à attendre. Je me poste à l’entrée de l’abri pour surveiller les environs. La forêt est calme. Finalement, cet homme devait être seul. Les heures s’écoulent et rien n’arrive. Je tourne la tête vers Tellin, il a dû prendre un sacré coup. Je reporte mon attention sur les bois.

 

Le temps passe. La nuit tombe. Un gémissement se fait entendre. Tellin reprend enfin connaissance. Je m’accroupis à ses côtés. Il ouvre péniblement les yeux.

- Qu’est-ce qui m’est arrivé ? demande-t-il d’une voix pâteuse.

- Tu t’es pris une pierre en plein visage. Ne brusque pas trop.

Il passe une main sur ses bandages en grimaçant.

- Et l’ennemi ?

- Éliminé. Ne t’inquiète pas.

Il émet un cri étouffé avant de s’exclamer :

- On repart.

- Surement pas, il fait nuit noire dehors. Et puis, tu as vu ton état ?

- Ce n’est pas un problème.

Il se redresse, mais à peine sur ses jambes, il perd l’équilibre. Je le rattrape.  

- On repart demain. Un point c’est tout, lui ordonné-je.

- Pas plus tard. Le temps presse. Tout ça, c’est ta faute, si tu avais été plus vigilante, on serait déjà rentré. Tu parles d’un soldat d’élite.

Piquée à vif, je lui rétorque :

- Je n’ai jamais demandé à en être un. J’aurais pu te laisser agoniser sur place et rentrer si tu n’es pas content. J’ai toutes les raisons du monde de te laisser en plan, mais voilà contrairement à toi, j’en suis bien incapable. Je vais monter la garde. Repose-toi !

Je me lève, mais il me retient.

- Merci Elena, dit-il dans un souffle.

Je serre les lèvres. J’avais une occasion de me débarrasser de lui, mais je ne l’ai pas fait. Je ne suis qu’une idiote. Je sais qu’il recommencera son manège une fois de retour, mais si je dois me venger de lui, ce sera à la loyale. Je ne m’abaisserai pas à ses manières. Il se repositionne pour être à l’aise et ne tarde pas à se rendormir. J’observe son visage. Il est détendu. La plaie ne semble pas le faire souffrir. Je reporte mon attention sur l’extérieur. Je me recroqueville sur moi-même pour garder le peu de chaleur qu’il me reste. Je devrais chercher dans le sac de Tellin pour voir s’il n’a pas une couverture, mais je n’ose pas. Je regarde ma montre, elle affiche presque minuit. Plus que huit heures et on sera de retour. Plus que huit heures et je serai de nouveau cloitrée à l’intérieur.

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Prudence
Posté le 24/03/2021
*Tortue Prudence en approche*

Coucou Zoju !!

Je me range de l'avis de Cléo, cette mission fait bien. Et j'ai plein de remarques à faire (pas taper, siouplé ^^')

Au début, tu dis "la nuit semble avoir été calme" puis quelques lignes plus loin "il fait encore nuit". Peut-être que tu pourrais plus décrire, car on imagine déjà l'obscurité des lieux grâce à le première phrase, enfin je pense.
Ensuite, j'ai eu du mal à me représenter le milieu où ils évoluaient. La base des rebelles est-elle vraiment si proche ? Y a-t-il de la végétation, beaucoup de vent, des immeubles ? Comment sont physiquement les personnages plus en profondeurs, qu'est-ce qui différencie celui-ci de celui-là ? Toutes les petites descriptions que tu as faite m'ont emballée, mais du coup, je suis restée un peu sur ma faim xD J'aurais aimé savoir un peu comment était le chemin et le ciel, le temps.

"A plus tard, Tim." --> on dirais qu'un lien d'attachement lie les deux personnages, peut-être que tu pourrais insister dessus, si c'est le cas ?

"Je n'ai pas aimé cette mission. Elle était beaucoup trop simple." --> j'ai aimé cette mission, mais je trouve ça louche aussi xD

De manière générale, j'ai adoré les pensées d'Elena qui mettaient au clair ce qu'elle avait entendu entre les deux rebelles, et j'aurais aimé qu'elle le débriefe plus en profondeur. La relation entre Elena et Tellin s'approfondit et c'est super, elle est complexe, je me demande qui est Tellin, il est affreux d'un côté mais très ambivalent dans sa manière d'être. Elena est effrayante, parfois x) j'aime bien ce côté de sa personnalité qui fait froid dans le dos. Je me demande pourquoi elle ne porte pas plus de colère envers Tellin.

Autrement, t'es-tu déjà tentée à la poésie ? Je pense que ça pourrait t'aider à plus faire transparaître les émotions des personnages et à les faire passer au premier plan. On ne dirait pas comme ça, mais je crois que la plupart des lecteurs en sont très friands. J'ai remarqué aussi que tu utilisais beaucoup le pronom personnel "je", je pense que ça peut empêcher parfois la bonne fluidité du texte ? et de ce fait, je ressentais moins lesdites émotions.

Coquillettes :

"Je me tais, honte(USE) de ma distraction"

"que je tue dans la section spéciale en abordent" --> arborent ?

"Deux trait(R)es se trouvent dans notre base."


Voilà, j'espère de tout cœur que je ne te décourage pas car cette histoire a du potentiel ! A bientôt !!
Zoju
Posté le 24/03/2021
*Zoju se rapproche car elle adore les tortues*

Salut Prudence ! Contente de te retrouver sur cette histoire ! Comme à chaque fois, ton commentaire me fait très plaisir ! Ne t’inquiète pas pour tes critiques, cela prouve que je peux aller encore plus loin !

Concernant les différents points, en ce qui concerne les descriptions pour aller au camp rebelle, tu n’es pas la première à relever, c’est donc un point qu’il me faut approfondir.
Je dois t’avouer que je n’écris jamais de poésie. J’ai une amie qui essaye ces derniers temps à m’en faire écrire, mais j’ai beau essayer je bloque et n’arrive pas à trouver l’inspiration. Je pense que cela vient surtout à une grosse pression que je me mets, mais j’ai du mal. Après, je reconnais que le « je » est le mot le plus utilisé dans ce texte.
En tout cas, je suis contente que cette histoire te plaise toujours et j’espère que cela continuera à être le cas ! Encore merci pour ton commentaire qui loin de me décourager, me motive beaucoup ! :-)
Cléo
Posté le 17/06/2020
Je trouve ça bien, finalement, cette mission avec Tellin. Le gars est répugnant et son harcèlement sexuel n'est pas excusable, mais on découvre un peu plus de profondeur dans ce chapitre. Il est manifestement bon soldat, loyal à l'extrême, au courant de beaucoup de chose... mais également vraiment soucieux d'Elena. Je trouve ça pas mal que tu soulignes l'étourderie et les points faibles d'Elena justement par rapport à son expertise à lui. Le contraste est intéressant.

En tout cas, elle est bien gentille de ne pas l'avoir laissé en plan. C'était l'occasion rêvée de déserter à son tour. De se débarasser de son harceleur, de l'armée et de la tâche horrible qu'on persiste à lui confier. Cela dit je vois mal les rebelles accueillir "la faucheuse" dans leurs rangs sans faire de difficulté. Bref, à suivre !
Zoju
Posté le 17/06/2020
Je suis contente que tu relève cet aspect de Tellin, car c'est ce que je souhaitais faire transparaître. Il a aussi beaucoup d'expérience qu'Elena qui contrairement à lui ou n'a pas beaucoup la réalité du terrain. En effet, ce n'est pas l'envie qui lui manquait de l'abandonner à son sort, mais ce n'est pas aussi simple.
annececile
Posté le 06/05/2020
Un chapitre passionnant, ou on decouvre que le personnage de Tellin est plus complexe qu'il n'y parait. A priori, il n'a rien de sympathique, mais la c'est clair que sa presence dans la mission etait essentielle. A la limite, c'est bizarre que le Major ait pense envoyer Elena toute seule. Je rejoins les doutes des personnages sur la veracite des informations qu'ils obtiennent si facilement. C'est trop facile, et pourtant...? Je me dis aussi : si des cobayes ont reussi a s'echapper, peut-etre que c'est ce que la soeur de Hans a reussi a faire. Et je devine que la grande faucheuse est le surnom que les cobayes donnent a Elena? Petit detail : "Si ce projet prend fin, je ne dois plus le faire. " La tournure me parait bizarre. Peut etre qqchose comme "si ce projet cesse d'exister, je n'aurai plus a tuer qui que ce soit"? "Deux traites se trouvent dans notre base" il manque un R a traitre :-) Autre phrase qui me semble bizarre dans le contexte : "Fais un peu attention. Je te trouve bien distraite aujourd’hui." J'associe "etre bien distraite" a une remarque qu'on peut faire a qq'un qui vit une journee normale et se montre etourdi. La, ils sont en danger de mort dans une mission dangereuse. Peut etre qqchose comme : "Fais attention, un soldat de ton niveau doit maitriser ses nerfs"...?
J'ai toujours grand plaisir a te lire, bravo et bon courage!
Zoju
Posté le 06/05/2020
Merci pour ton commentaire qui me fait très plaisir. Je vais corriger les petites incohérences et coquilles le plus vite possible :-) En tout cas, je suis contente que l'histoire te plaise toujours autant. J'espère que la suite te plaira ;-)
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