Kaärna était plongée dans un livre, la tête appuyée contre la main qui ne tournait pas les pages. Une fois de plus, elle était dissimulée sous les toits de la grande bibliothèque, entourée d’ouvrages de toutes sortes. Niila avait été claire, mieux valait ne pas trop éveiller l’attention si elle voulait mener ses recherches tranquillement.
Elle tourna avidement les pages, les dévorant à toute vitesse. Toutes ces lectures lui avaient appris énormément de choses, mais rien qui ne lui avait été particulièrement utile pour l’instant. Aussi avait-elle décidé de reprendre l’historique de la Confrérie. C’était une simple intuition, mais avec le temps elle avait appris à faire confiance à son instinct, que son Affinité amplifiait. Elle ne se trompait presque jamais.
Kaärna referma son livre et attrapa le suivant, une antiquité qui tombait presque en poussière, sans doute écrite par l’un des tout premiers Grands-Maîtres. L’Ombre parcourut rapidement les premiers chapitres du journal.
« … idéal. À cette fin, nous nous cachons parmi les ombres pour mieux les éradiquer et protéger les royaumes, tel est notre tâche. Mais il apparaît indubitablement que nous ne sommes pas suffisamment nombreux. Peu d’entre nous approuvent cette décision, mais nous n’avons guère le choix. Il n’y a pas assez d’aspirants possédant l’Affinité, et encore moins qui ont un réel potentiel. Nous devons à présent élargir nos possibilités si nous voulons survivre. Nous avons décidé d’accroître le potentiel des membres dénués d’affinité. Que les Divinités nous protègent. »
Kaärna s’était figée. Elle ignorait totalement qu’il avait existé une époque où la Confrérie avait admis des personnes n’ayant aucune particularité élémentale. Ces personnes-là n’avaient pas pu recevoir la marque de l’esprit, et pourtant, elles avaient eu leur place parmi les Ombres. Kaärna regarda pensivement la marque solitaire au creux de sa main droite. Un vague sentiment de colère traversa la jeune femme, mais elle le maîtrisa aussitôt. Il ne servait à rien de s’apitoyer sur son sort, elle avait mieux à faire. Elle poursuivit sa lecture, parcourant le journal en diagonale à la recherche d’informations supplémentaires, quand elle trouva enfin ce qu’elle cherchait.
« … comportement étrange. Les créatures avec qui nous avons l’habitude de coexister sont soudain devenues agressives et ont attaqué plusieurs cités. Nous avons envoyé des Ombres pour protéger la population, mais elles n’ont eu d’autres choix que de les éradiquer. Nous comptons beaucoup de morts et de blessés parmi nos rangs. C’est un désastre. »
« Il s’est passé quelque chose à Irium, tout vient de là. Après avoir vaincu les Kreiis, nos Ombres se sont rendu compte que certains villageois blessés commençaient à agir bizarrement. L’un des nôtres a fini par se faire attaquer par certains des habitants qu’ils étaient venus secourir. Ils les ont aussitôt neutralisés, mais quelques jours plus tard, notre blessé s’est mis lui aussi à agir étrangement, et quand les villageois ont soudainement attaqué nos Ombres, il les a tués sans hésitation au lieu de les confiner. Je connaissais très bien cet homme et je ne m’explique toujours pas son comportement, rien n’aurait pu le pousser à se conduire de la sorte. »
« Lorsque nous sommes arrivés sur les lieux, il ne restait qu’une dizaine de survivants. Toute la population d’Irium avait été décimée et seuls quelques-uns de nos hommes avaient survécu. Comment une cité peut-elle être entièrement éradiquée au cours d’une mission de sauvetage ? Voilà ce que je me suis dit en découvrant l’horreur de la situation. Les Ombres qui s’en sont sorties sont très perturbées et leurs propos sont incohérents. D’après elles, tout le monde se serait entre-tué sans raison. Nous avons inspecté les cadavres à la recherche de réponses et ce que nous avons trouvé nous a laissés perplexes. Certaines victimes possédaient des stigmates noirs sur le corps. »
« Avant de partir, nous avons décidé de réduire la cité en cendre. Il y a bien trop de cadavres pour procéder autrement, nous ne pouvons pas prendre le risque de laisser se développer une épidémie. Nous allons devoir rendre des comptes au Royaume de Piques, mais les preuves de ce qu’il s’est passé ici doivent disparaître. Si mes Ombres ne mentent pas, elles n’ont pas toutes fait que tuer pour se défendre et j’ai peur que cela cache quelque chose de plus grave encore. »
Sous le choc, Kaärna laissa tomber le journal sur le sol. Si ses souvenirs étaient justes, Irium était la cité rebaptisée Ruinesandr après sa destruction, plusieurs siècles plus tôt. Pouvait-il s’agir du même phénomène ? Des créatures devenues agressives, des stigmates noirs sur le corps, c’était trop de coïncidences pour être ignorées. Tout ce qu’elle venait de lire était mauvais signe. Elle se retint de courir trouver Niila et ramassa l’ouvrage. Il lui fallait plus d’informations. Kaärna devait absolument trouver ce qui avait déclenché cette tragédie à l’époque, et s’il y avait un véritable risque de contagion de ces marques.
« Les Ombres que nous avons ramenées sont traumatisées par ce qu’elles ont vu. Nous avons décidé de les isoler sur l’île le temps qu’elles récupèrent. Leur état ne s’arrange guère avec le temps, elles sont perpétuellement hantées par ce qu’il s’est passé là-bas. L’une d’elles attire particulièrement mon attention. Depuis quelques jours, son comportement est de plus en plus paranoïaque et elle ne supporte plus la proximité des autres. »
« Le verdict est tombé. Hier, nous avons dû abattre l’une des Ombres que nous avons ramenées. Nous n’avons pas eu le choix. L'homme était devenu incohérent et s’est mis à attaquer ses compagnons. Lorsqu’il a tué l’un d’eux, nous avons été obligés d’intervenir. Mais ce n’est qu’après que nous l’avons vu. Il portait les mêmes stigmates noirs que nous avions trouvés sur les cadavres à Irium. Nous avions ramené cette chose sur l’île sans le savoir. Si nous l’avions remarqué, peut-être aurions-nous pu l’aider. La marque dépassait de son cou, mais le point de départ se trouvait sur ses côtes. Nous ne comprenons pas comment cette Ombre a pu survivre plusieurs semaines, alors qu’il a suffi de quelques jours pour qu’elles perdent le contrôle à Irium. Il est donc possible que certains aient une plus grande capacité à résister et que les stigmates s’étendent jusqu’à ronger la totalité de leur volonté. »
« Nous avons été plus prudents cette fois. Nous avons inspecté chaque personne sur l’île à la recherche du moindre indice de la contagion. Deux de nos Ombres sont contaminées, mais ne semblent pas avoir de symptômes. D’après ce qu’elles nous ont dit, il est probable qu’elles soient entrées en contact avec la marque sur le corps du mort. Nous soupçonnons donc une contagion par le toucher et les avons immédiatement isolées. »
« Malgré tous nos efforts, nous n’avons pas réussi à les soigner. Nous avons dû nous résigner, à court d’idées. Les deux Ombres ont tenu bon jusqu’au bout, avec honneur et courage, même après la mort de la première. Tout ce que nous avons pu faire, c’est les isoler pour empêcher l’épidémie de se répandre. Cette chose, cette Corruption, ne doit plus jamais s’étendre sur le continent. »
Kaärna referma l’ouvrage, horrifiée. Une contagion par simple contact ? Elle se laissa glisser de sa cachette sans se préoccuper des livres qui attendaient d’être remis à leur place et s’élança entre les rayons pour rejoindre les portes de la bibliothèque. Pour une fois, elle n’accorda pas la moindre attention aux Mélétis qui la suivaient des yeux, le regard mauvais. La priorité n’était plus à la discrétion à présent, mais à trouver le point de départ de cette Corruption et de l’éradiquer au plus vite.
Elle réfléchissait à toute allure. Il y avait peu de chance que l’escorte du prince Mikhaïl se soit débarrassée de la seule créature contaminée. Et si l’un d’eux était entré en contact avec la bête ? L’angoisse serra son cœur, pourvu que ce ne soit pas le cas.
Kaärna traversa la citadelle en trombe, bousculant à plusieurs reprises les Ombres qui se trouvaient sur son passage. Enfin, elle réussit à repérer Niila sur son chemin. Lorsque le Grand-Maître l’aperçut, ses yeux reflétèrent immédiatement la peur de ceux de la jeune femme.
J’ai trouvé ce chapitre très intéressant. En effet j’avais hâte d’en savoir plus sur le kréiis. Maintenant il faudrait savoir qui en est responsable. J’ai hâte.
En tout cas bonne continuation.
Merci pour ton commentaire ! Je distille les informations au fur et à mesure :)
A bientôt !
Très contente d'en apprendre plus sur l'étrange phénomène des kréiis ! Tout ça est très intriguant et ne laisse rien présager de bon pour la suite ! J'ai tendance à penser que l'église est responsable d'une manière ou d'une autre de cette "corruption" mais j'ai pas assez d'éléments pour en être certaines.
J'ai un peu peur pour Mikhaïl, j'espère que ça ira pour son royaume...
Hâte de voir comment les choses vont avancer !
A bientôt !
Tu ne peux pas encore le savoir, mais moi qui connais la suite, je savoure ton commentaire ^^
J’ai hâte que tu aies les réponses à tes questions !
À bientôt !