Erkhän était accoudé au premier rang des deux rangées de bancs qui traversaient la haute chapelle de Lignis. Il avait fait construire cet édifice quelques années auparavant, dans la partie supérieure de la cité, celle interdite au reste du peuple et réservée aux nobles. Comme si un être tel que lui pouvait marcher au milieu des insectes.
Seul dans la petite chapelle, il remerciait la Divinité de la Flamme de veiller sur lui et de mettre sur sa route les clefs qui le porteraient jusqu’à sa réussite. Erkhän se recueillait régulièrement dans ce lieu et appréciait l’atmosphère envoûtante qui s’en dégageait. Il s’y sentait apaisé, comme si la Divinité l’observait dès qu’il passait le seuil de sa maison. Il resta agenouillé un moment, puis se leva et se dirigea vers l’autel où brûlait un feu qui ne s’éteignait jamais. Son regard se laissa absorber par les flammes tandis qu’il y plongeait calmement sa main. Il ne ressentait nulle douleur, seulement une chaleur bienveillante. Lorsqu’il referma son poing, le feu se mit à brûler plus fort et inonda la chapelle de reflets aux teintes rougeâtres. Erkhän observait sa main sans vraiment y penser, remarquant à peine les légères marques de brûlure qui commençaient à apparaître et le début de douleur qui les accompagnait.
Toute à sa curieuse observation, il ne vit pas tout de suite l’homme qui venait d’entrer dans la chapelle déserte et qui n’était aucunement gêné par l’odeur de brûlé qui se répandait doucement. Au contraire, le sinistre individu regardait ce spectacle avec une lueur toute particulière dans les yeux. Quand Erkhän se retourna enfin, il surprit l’homme qui se délectait de la scène et retira immédiatement son poing des flammes. Il vérifia les articulations de ses doigts et croisa ses bras sur sa poitrine, attendant de savoir pourquoi on s’était permis de l’interrompre.
— Monseigneur, ne vous cachez pas. C’était un spectacle magnifique.
L’homme s’avança en lissant distraitement sa longue toge immaculée aux lisérais écarlates.
— Que me voulez-vous, prêtre ? demanda le jeune Duc d’une voix grinçante.
— Les Divinités m’ont simplement placé sur votre route Monseigneur, rien de plus.
Ils se toisèrent pendant quelques instants, mais les yeux du prêtre glissaient irrésistiblement vers la main blessée d’Erkhän.
— Puis-je voir ?
En réalité, l’homme d’Église n’attendait pas vraiment de réponse. Il se précipita, incapable de contenir son impatience, mais attrapa délicatement la main du Duc entre les siennes. Il la retourna pour en voir tous les angles, observant chaque détail avec avidité. Erkhän ne bougeait pas malgré la répugnance que lui inspirait ce contact.
— C’est merveilleux, s’extasia le prêtre. Votre résistance aux flammes est impressionnante. Votre peau a tenu un moment avant qu’elle ne commence à brûler. Vous avez beaucoup de chance Monseigneur, les Divinités doivent beaucoup vous aimer pour vous accorder un tel cadeau.
Erkhän tiqua, mais continua de se laisser faire, se contentant de regarder l’homme attentivement sans répondre. Il n’arrivait pas à déterminer si celui-ci le dégoûtait ou s’il appréciait une telle dévotion à son égard. Il se retint de lui faire remarquer qu’il ne devait son Affinité qu’à la Divinité de la Flamme, la seule véritable Divinité en ce monde. Pour le moment, il avait besoin du prêtre pour atteindre ses objectifs, inutile de raviver leur divergence d’opinions.
— Vous êtes un être d’une rare pureté, affirma soudain le prêtre.
— Avez-vous décidé de m’aider ?
Le Duc avait parlé d’une voix tranchante, jaugeant chacune de ses réactions. C’était la princesse Seknä qui avait envoyé cet homme, un Prêtre de l’Aube, en lui assurant qu’il saurait se rendre utile. Erkhän serra les dents, il n’avait jamais aimé les membres de l’Église Indicible. Pour lui, ce n’était qu’un groupe d’illuminés vénérant les quatre Divinités et vouant un véritable culte aux personnes douées d’affinité. C’était ridicule. Les trois êtres idolâtrés par les autres royaumes n’étaient que des faire-valoir sans importance et oser les faire rivaliser avec la Divinité Suprême n’était qu’hérésie. Mais ceux qu’il supportait encore moins étaient les Prêtres de l’Aube, une branche radicale de l’Église Indicible. De véritables fanatiques jugeant tous ceux dénués de l’Affinité indigne de fouler la terre offerte par les Divinités. Erkhän détestait profondément ces hommes, mais il devait avouer que pour une fois, ils allaient peut-être lui servir à quelque chose.
— Cela va de soi, répondit le Prêtre de l’Aube. Comment pourrais-je ne pas vous aider ? Vous êtes magnifique. Je suis votre humble serviteur, Monseigneur.
Erkhän observa d’un air méprisant l’homme qui s’inclinait devant lui avec respect.
— Et pour le Vicomte de Vornatus ? Qu’en pensez-vous ?
Le visage du Prêtre de l’Aube se déforma de rage.
— Ce misérable rat est indigne de l’intérêt de votre roi. Il ne possède aucun don, cet être impur n’est pas à la place qu’il mérite. Mais vous, vous feriez de grandes choses si vous étiez à sa place. Nous allons vous aider, il est de notre devoir d’empêcher la lignée de se pervertir, cracha-t-il.
— Très bien.
Erkhän se détourna du prêtre et posa de nouveau ses yeux sur l’autel. Son regard se laissa encore une fois absorber par les flammes et leur majestueuse danse frénétique. C’était trop, la proximité du Prêtre de l’Aube lui était devenue insupportable. Il l’ignora, mettant ainsi fin à leur entretien, mais à son grand désarroi, l’homme ne faisait pas mine de bouger.
— Monseigneur, avez-vous réfléchi à ce dont je vous ai parlé ?
— De quoi s’agit-il ?
Erkhän, qui n’avait pas pris la peine de se retourner, entendit le prêtre s’éclaircir la voix dans son dos.
— Vous savez, nous aimerions tenir un recensement des personnes qui n’ont pas d’affinité, afin que les êtres purs ne soient pas obligés de côtoyer ces impurs. C’est un grand projet, mais difficile à mettre en place. Beaucoup sont réfractaires à cette idée et peu sont aussi conciliants et raisonnables que vous, Monseigneur.
Et vous aimeriez commencer à Lignis, je suppose ? songea Erkhän. Il détestait cette idée. Si les gens étaient aussi réfractaires c’était essentiellement parce qu’il était impossible de distinguer l’absence totale d’affinité. Erkhän fixa longuement l’homme d’Église, il savait pertinemment qu’il avait besoin du soutien du Prêtre de l’Aube pour arriver à ses fins. Il lui permettrait d’agir, mais il était sans doute plus sage de le faire surveiller pour être sûr qu’il n’aille pas trop loin. Une fois son but accompli, ce serait pour lui un jeu d’enfant de se débarrasser du prêtre et de ses adeptes.
— Vous avez mon autorisation, lâcha finalement Erkhän, mais seulement pour ce qu’il s’agit du recensement. Comme vous l’avez dit vous-même, c’est quelque chose qui ne sera pas évident à mettre en place, ne brusquons pas tout de suite la population. Pour le reste, nous verrons plus tard.
— Mais ce ne sont que des misérables, ne put s’empêcher de répondre le prêtre. Ceux qui ne sont pas élus par les Divinités ne méritent pas de vivre.
Oui, mais même les insectes peuvent être utiles, estima Erkhän.
Comme d’habitude un excellent chapitre.
Le point de vue de Erkhän bien qu’il reste celui que j’aime le moins me dérange de moins en moins.
En tout cas le prêtre de l’aube m’a l’air d’être un personnage important.
En tout cas bonne continuation.
J'ai l'impression que le personnage d'Erkhän est quitte ou double, soit on l'adore soit on le déteste xD
Contente que tu es aimé ce chapitre ! J'espère que tu aimeras les prochains :)
ça faisait longtemps qu'on n'avait pas eu le point de vu de Erkhän ! Je suis contente de le revoir, mais son autorisation pour le recensement, à la fin, je le sens pas... Le prêtre non plus, je le sens pas, il a l'air complètement siphonné par cette idéologie d'êtres pures/impures. A tous les coups ça va mal finir.
Par contre la résistance de Erkhän au feu est très cool ! Je me demande à quel point ça lui sera utile dans l'histoire.
J'avais hâte de commencer à montrer ce dont il est capable :)
Merci de continuer à lire mon histoire !