Dimitri appuya un peu plus fort la gueule du canon contre la tempe de Decas. Avec la pression exercée, le ministre conserverait une marque de leur rencontre.
Bérénice n’osa pas bouger. Icare déchira le cuir de son sac pour s’échapper. Propulsé par sa propre vitesse, il fut projeté dans les airs. Captivé, Marco ne détachait par les yeux de l’emblème, même quand celui-ci vint se poser sur l’épaule de Bérénice, l’air féroce. Dimitri reprit la parole :
— Je vous rappelle que je suis de sang impérial et que vous traitez comme égal, quelqu’un qui est bien au-dessus de vous.
— Je ne faisais que donner un conseil, répondit le ministre des Habiles, sans en démordre, le sourire aux lèvres.
Bérénice n’était pas dupe. Decas était loin de prendre Dimitri à la légère.
— Si vous pensez parvenir à vos fins misérables en essayant de me faire sortir de mes gonds, c’est inutile. Je ne m’abaisserai pas à…
Dimitri se tut, pris au dépourvu. Un garde venait de pénétrer dans la pièce, l’air craintif. Tétanisé, il les scruta tous. Enfin, il balbutia en jetant des coups d’œil derrière lui :
— Je vois tr…trois individus. Trois hommes…Ah, non deux hommes et une femme…déguisés. Ils ont désarmé le…le ministre et ses…ses hommes.
Était-ce une farce ? Bérénice écarquilla les yeux mais rapidement une seconde silhouette armée dépassa le garde. Immense et courbée, elle ne pouvait appartenir qu’à une seule personne :
— Vous n’imaginez pas combien de temps j’ai rêvé de vous voir mis à terre, Emilien. En plus par un Coeurderoy. Mon père ne va pas être ravi, se gaussa Alexandre Harcourt.
Le jeune homme progressa dans leur direction, de sa démarche gauche. Pour la première fois, brillait dans ses yeux une lueur inquiétante. Devait-elle craindre pour la vie de Decas ? Nul ne pouvait ignorer leur rivalité, tous deux recherchant les attentions de Harcourt et d’Héloïse.
Il referma la porte d’une main et força le garde à avancer, encouragé par l’arme pointée dans son dos. Troublé, Alexandre scrutait avec avidité les pierres diorites. Jamais Bérénice ne l’aurait cru intéressé par ces richesses. Finalement, il articula :
— Nous vivons décidément une drôle d’époque. Quelle indécence ! C’est avec indécence Decas que vous jouez au fils parfait, espérant que mon père me remplace. C’est avec la même indécence que mon père s’accapare un trône qui n’est pas le sien. Et ces pierres… elles sont le reflet de votre avidité indécente !
Il attrapa l’une d’elles qu’il mit à la hauteur de son œil, l’auscultant sous tous les angles :
— Une seule. Une seule de ces pierres suffiraient à me délivrer d’une partie de ma souffrance. Une seule, et il en serait fini de ma mécanique boiteuse. Et mon père ne m’en a pas offerte. Dans sa quête insatiable du pouvoir, il a oublié son propre sang. Nous savons tous que je suis une source de déception pour lui…mais à ce point !
Profitant de son discours, Marco se releva et se jeta sur Dimitri. Il n’eut pas le temps de l’atteindre qu’Icare l’assomma par un coup dans le crâne. Marco s’effondra au sol. Alexandre reprit ses esprits et s’exclama d’une voix faussement joyeuse :
— Cher Emilien, nous vous laisserons le bonheur d’informer mon père de la situation. Il a gagné un trésor, mais vient de perdre tellement plus ! Monsieur Coeurderoy, suivez-moi !
Alexandre poussa le garde du bout de son pistolet, l’invitant à rejoindre le ministre et les deux frères. Bérénice, Armand et Dimitri, toujours armé, sortirent à reculons de la pièce, ne quittant pas du regard leurs assaillants. Avant de refermer la porte, Alexandre lança :
— Si d’ici quelques jours, personne ne vous a retrouvés, je n’oublierais pas de prévenir vos hommes. Enfin, j’espère.
Bérénice découvrait Alexandre sous un nouveau jour. Personne n’osa parler sur le chemin du retour. Alors qu’ils redescendaient les différents étages du globe, Bérénice surveilla l’héritier des Harcourt. Heureux de s’être affirmé face à son père, il n’en était pas moins triste.
— Comment avez-vous su que nous étions dans le globe ? demanda Bérénice.
— Je l’ignorais ! Vu le nombre de soldats dans les environs, je me suis douté que mon père était mêlé au désastre des Invalides. Que celui-là se trouve dans les parages, fit-il en pointant Dimitri de la tête, cela ne me surprend pas…Mais vous, Bérénice…
Pour maintenir leur couverture de simples soldats, Armand, Bérénice et Dimitri se maintenaient en retrait, derrière Alexandre qui progressait avec difficulté. L’armature qui maintenait son dos le ralentissait. Une fois à l’air libre, et le globe derrière eux, Dimitri affirma :
— Nous ne quittons pas de suite l’exposition.
— Comment ? siffla Alexandre. Je ne vous sauve pas pour que vous restiez en danger ! Non, vous devez rejoindre Héloïse et votre frère.
Quelques gardes, autour du globe, leur lancèrent des regards curieux. Sans doute étaient-ils surpris de voir l’héritier des Harcourt sans sa garde habituelle.
— Doucement, on nous regarde, chuchota Bérénice. Pourquoi rester Dimitri ?
— Nous allons au Palais de l’Optique. Je veux m’assurer de quelque chose et j’ai besoin de lumière. De beaucoup de lumière ! Le Palais de l’Optique est juste ce qu’il me faut.
Bérénice et Armand soupirèrent de concert. Dimitri ne changerait pas d’avis.
— Cela ne devrait pas durer longtemps. De toute façon, nous ne sommes pas loin, reprit-il.
Ils traversèrent le Champ de Mars jusqu’à la tour Eiffel qui, pour une fois, n’avait pas bougé. Le soleil cognait si fort contre leurs uniformes que Bérénice se sentait fondre.
— Nous y sommes.
Dimitri pointa du doigt un des bâtiments à proximité de la Seine. Surmonté d’une demi-coupole représentant une aurore boréale encadrée par les allégories des signes astrologiques, la façade de l’édifice était captivante. L’entrée titanesque se faisait par de grands pilastres grecs. Avec la chaleur et les reflets du soleil, il était quasiment impossible de regarder le bâtiment en face. Bérénice chuchota à Armand :
— On dirait que son concepteur n’a pas voulu faire les choses à moitié !
— Besoin de reconnaissance…
— C’est ici que nos chemins se séparent, reprit Alexandre en se tournant vers eux. Dans quelques heures, Decas et ses acolytes vont sortir du globe. Disparaissez. Rejoignez Héloïse. Quant à moi, je pars également. Je dois éloigner ma mère de la folie de mon père.
— Merci mille fois Alexandre ! lança Bérénice.
Elle ne pouvait s’empêcher de penser qu’Auguste Harcourt n’avait pas la moitié de la valeur de son fils.
— Préparez-vous à la guerre, reprit Alexandre en se tournant vers Dimitri. L’empereur l’a déjà déclarée à votre frère. Il ne manque plus que mon père ne s’en mêle !
— Qu’est-il arrivé à Lysandre ? s’enquit Dimitri.
— Aux dernières nouvelles, rien. Mais des troupes de l’empereur stationnent aux portes de Paris pour l’empêcher de rentrer de sa tournée en province. Si votre frère est arrêté, il ne passera pas la soirée. Paris se prépare même à la guerre : des barricades se forment dans les quatre coins de la ville. Chaque habitant prend le parti d’un des trois candidats au trône.
— Et vous ? demanda Dimitri.
Alexandre marqua un arrêt, hésitant. Bérénice savait. Alexandre n’était pour aucun parti, excepté celui d’Héloïse. Des haut-parleurs les interrompirent :
— Nous vous prions de regagner les portes de l’exposition. Des malfaiteurs sont recherchés par les soldats. Nous vous prions de regagner les portes de l’exposition. Des malfaiteurs …
Le message était diffusé en boucle à travers toute l’exposition universelle. Alexandre en profita pour botter en touche :
— Allez-y ! Vous allez être repérés. Bérénice, j’aimerais vous parler un instant seul à seul.
Dimitri fronça les sourcils, mais Bérénice le suivit à quelques mètres des deux Habiles.
— Pourrez-vous remettre cette lettre à Héloïse ?
— Je ferai mon possible ! accepta-t-elle en glissant la missive dans sa poche.
— Puis-je compter sur vous pour protéger Héloïse autant que possible ? Dans quoi s’est-elle lancée en aidant ce Coeurderoy…
Il paraissait aussi déçu qu’inquiet.
— Elle sait très bien ce qu’elle fait ! Faites-lui confiance !
— J’essaie, soupira Alexandre, en se massant la nuque. Mais j’ai l’impression de découvrir une étrangère. A-t-elle vraiment pris ce pseudonyme d’Edmond Hardi pour écrire dans des journaux ? Je n’arrive pas à y croire !
Il ne parvenait pas à cacher sa désapprobation.
— Alexandre, souffla Bérénice. Héloïse est un esprit libre et indépendant. N’essayez pas de la maîtriser. Je dois y aller. Je transmettrai votre lettre !
Alexandre hocha la tête, tandis qu’elle accourait vers Armand et Dimitri. Ce dernier les mena vers l’entrée en murmurant :
— Qu’est-ce qu’il voulait ? Qu’est-ce qu’il vous a donné ?
— Rien qui ne vous concerne ! Dimitri, que fait-on là ?
Ils franchirent la porte du Palais de l’Optique et entrèrent dans un hall encore plus bigarré que la façade. Les visiteurs sortaient en masse, dociles. Un gardien les héla :
— Hé ! M’sieurs les gardes ! Faut que je ferme moi !
— Nous vérifions qu’il n’y ait plus personne à l’intérieur, lui répondit Dimitri en poursuivant sa route.
En lisant le nom des attractions du Palais et le plan du bâtiment sur un immense écriteau, il ouvrit son veston et leur tendit une feuille :
— C’est un des documents avec les signes héraldiques ! s’exclama Armand, excité en reconnaissant l’un des parchemins retrouvés dans le tombeau impérial.
— Vous les aviez tous brûlés ! ajouta Bérénice. Moi qui vous pensais complètement fou !
— Oscar devait en être persuadé. Votre air catastrophé a suffi à le convaincre ! A présent, il faut trouver comment ce parchemin peut se révéler !
— Ce Palais de l’Optique peut-il réellement nous aider à lire un document vieux de plusieurs siècles ? s’enquit Bérénice en traversant un couloir menant vers plusieurs attractions.
Chacune avait un nom mystérieux : « Sidérostat », « Cinéorama », « Le Palais des illusions ». Ils s’arrêtèrent devant cette dernière porte.
— Le Grand Kaléidoscope ! se souvint Armand.
— Exactement ! sourit Dimitri.
— Un Kaléidoscope ? répéta Bérénice. C’est un jouet ! Une sorte de lunette, dans laquelle on plonge son œil. Elle reflète à l’infini les motifs qui y sont représentés, n’est-ce pas ?
— Vous avez raison. Tout cela grâce à un jeu de miroirs et de lumières ! expliqua Armand, tandis qu’ils pénétraient dans la salle.
Le Palais des illusions était en fait un Kaléidoscope géant. Polygonaux, les murs de la pièce étaient constitués de miroirs et de sculptures fantasmagoriques : des éléphants côtoyaient des femmes sensuelles, des oiseaux exotiques ou encore des figures géométriques. Le plafond, de multiples alcôves, ressemblait à celui d’un palais mauresque. Les lumières colorées démultipliaient ces représentations.
Les visiteurs n’avaient pas l’œil rivé sur le Kaléidoscope. Ils étaient à l’intérieur de la lunette.
— Enlevez autant de statues que vous pourrez ! ordonna Dimitri. Elles sont amovibles. Il faut que la salle soit la plus découverte possible.
— Quel est intérêt de tout cela ? demanda Bérénice.
— Mais bien sûr ! Une encre invisible ! s’enthousiasma Armand en attrapant une statue. Le jeu des différentes lumières sur le parchemin révélera une encre invisible, s’il y en a une. Aidez-moi, Bérénice. Dimitri, occupe-toi de régler les lumières !
Une encre invisible ? C’était donc ce à quoi pensaient les deux Habiles ! Mais pourquoi le Palais de l’Optique ? Sans doute qu’un simple révélateur d’encre n’aurait pas suffi.
Bérénice et Armand se mirent au travail. Les statues, trop lourdes pour être déplacées, étaient détruites. À tout moment, ils pouvaient être retrouvés et arrêtés.
— Les Invalides et maintenant ça ! Partout où nous passons, nous détruisons tout ! regretta Bérénice, essoufflée, la tête contre les courbes voluptueuses d’une statue.
En déséquilibre, cette dernière se brisa en mille morceaux une fois au sol.
Pendant ce temps, Dimitri arrangeait les lumières, testait chaque spot et cherchait différentes sources de lumière : rayons x, lumière froide, polychromatique, monochromatique…. Chacune devait être susceptible de potentiellement révéler l’encre invisible.
— Armand, as-tu un couteau ? demanda Dimitri.
Bérénice lui tendit sa dague et Dimitri posa au sol le parchemin. Il découpa chacun des espaces vides, là où les symboles héraldiques de la famille des Coeurderoy auraient dû se trouver. Il y en avait six. Dimitri prit chacun d’eux et les plaça devant les spots pour que la lumière réfléchisse directement le parchemin.
— Vous êtes prêts ? s’écria Dimitri d’une passerelle, à une trentaine de mètres au-dessus de Bérénice.
— Vas-y, répondit Armand, tandis que Bérénice, fébrile, priait pour que la malchance ne les frappe pas.
Les interrupteurs s’allumèrent. Puis le silence complet. Elle n’osa ouvrir un œil que lorsqu’Armand chuchota :
— Je ne l’aurais jamais cru…
Dimitri demeurait absolument muet.
— On est dans une ruche ? souffla-t-elle, alors.
— Des abeilles, articula Armand. Une infinie d’abeilles. C’est là, l’emblème des Coeurderoy.
Sur tous les murs, les miroirs reflétaient des abeilles, nombreuses et figées. L’insecte étincelait comme si l’encre invisible était de l’or. Sur absolument chaque paroi, chaque colonne, chaque plafond, l’animal était représenté.
Ces dessins résonnèrent en Bérénice comme un écho. Quelle ironie ! L’empereur avait utilisé ce symbole séculaire sans avoir la moindre idée de sa portée. Et même, les hommes qui avaient tué Hippolyte en Égypte portaient sur leur uniforme impérial une abeille.
Dimitri s’approcha d’un des murs et le toucha du bout des doigts :
— J’ai imaginé un lion, un éléphant, même un faucon ! Mais une abeille…comment aurais-je pu deviner que notre emblème était en fait quelque chose de si petit, si fragile.
Bérénice n’aurait su dire si Dimitri était déçu ou abasourdi. Aurait-il préféré un animal plus majestueux ? C’était sans connaître l’importance des abeilles !
— Au contraire ! chuchota Bérénice sans cacher sa fascination. L’abeille est un symbole primitif de la royauté. Symbole de vertu, de pureté, d’ordre : la reine des abeilles veille sur ses enfants comme l'empereur sur son peuple. Elle est la plus puissante, la plus importante, mais pourtant sans ses pairs, elle n’a pas lieu d’être. Symbole de richesse, d’abondance, d’immortalité… Selon les Égyptiens, les abeilles seraient nées des larmes de Ré, dieu du soleil. Son miel est un élixir : il adoucit la nourriture, soigne… Dans les poèmes antiques, il représentait la poésie, la beauté des mots, l’éloquence.
Stupéfaits par son explication, Dimitri et Armand la dévisagèrent, tandis qu’elle peinait à reprendre son souffle. Dimitri réalisa :
— Il faut absolument que je réalise cette abeille pour le concours !
— Alors ceci devrait te donner un sacré coup de pouce, s’exclama Armand avec hâte.
Un genou à terre, il ouvrit en grand son sac en cuir. L’intérieur était rempli de pierres diorites. Le kaléidoscope jouait également avec les pierres reflétant leur éclat sur les murs, aux côtés des abeilles.
Dimitri se précipita vers le sac et plongea sa main dans les pierres :
— Quand les as-tu prises ? Tu es un génie !
— Tu n’es pas le seul à savoir faire illusion. Lorsque tout le monde était accaparé par Decas et toi, j’en ai profité pour jeter tous mes outils et les remplacer par les pierres. A toi de t’en servir pour produire le plus beau des chefs d’œuvre !
Dimitri se releva et fit une accolade à Armand. Pour la première fois, le cœur de Bérénice explosa de joie. Contrairement à son prédécesseur, peut-être que Lysandre serait un empereur avec un emblème ?
— Hé ! Vous ! Vous faites quoi à mon attraction ? C’est quoi ces trucs sur les murs ?
Dimitri referma précipitamment le sac d’Armand. Alerté par leur raffut, le gardien s’approcha d’eux, les mains sur les hanches.
—Ah ! Pour des gardiens de l’ordre, vous avez mis une vraie pagaille ! Je vous préviens, vous allez passer un mauvais quart d’heure, je ne vais pas me retenir de vous dénoncer.
Bérénice sortit son couteau, le pointant sur le gardien. Ce dernier recula d’un pas, mais Bérénice le coupa dans son élan :
— Une femme ! Qu’est-ce que cette mascarade !
— Ne bougez pas ! Ne faites pas un pas et vous ressortirez vivant.
Ce dernier retint son souffle.
— Dimitri. Armand. Récupérez tout, ordonna-t-elle.
Tandis que les deux Habiles s’exécutaient et que les abeilles disparaissaient des murs, Bérénice surveillait le garde tout en cherchant une échappatoire :
— Dites-moi, comment peut-on partir d’ici discrètement ?
— Vous n’êtes même pas de vrais gardes, hein ? Je sais pas, moi. Par l’entrée, pardi !
Perdant patience, Bérénice logea son couteau contre le cou du gardien :
— Pas une meilleure idée ?
Il respirait avec difficulté, peinant à conserver son air de mépris. Pourtant, il se refusa à parler. Bérénice se retint de lever les yeux au ciel.
— Ce serait dommage de mourir pour m’avoir sous-estimée.
— Il y a une porte de secours, céda-t-il à contre cœur. Au fond de la salle, derrière le décor.
Bérénice le surveilla avec suspicion et entendit Dimitri s’écrier :
— C’est bon, on peut y aller.
Bérénice courut vers les deux hommes et les mena vers le fond de la salle. En effet, derrière les colonnades et statues se cachaient une porte qui ne s’ouvrait que de l’intérieur.
Ils tombèrent sur une allée, bordant le Champs de Mars. L’esplanade grouillait de gardes. Toujours vêtus de leurs uniformes, tous trois accélèrent leur démarche lorsque retentit dans un cri :
— Les malfaiteurs ! Je les ai vus ! Je les ai vus !
C’était le gardien qui appelait les soldats de l’empereur. Bérénice le maudit et proposa :
— J’ai peut-être une idée ! Est-ce facile de pénétrer dans la galerie des machines ?
— Oui. Surtout quand on a les clefs ! répondit Armand en sortant un trousseau. Qu’est-ce qu’on fait, une fois à l’intérieur ?
— Votre voiture ! La Panhard ! lança Bérénice.
Le visage de Dimitri s’éclaira :
— Formidable ! Allons-y !
— Dimitri Chapelier ?
Tous trois se tournèrent, Bérénice le couteau en l’air, Dimitri et Armand sur le qui-vive.
C’était un enfant. Il ne devait pas avoir plus d’une douzaine d’années. Les cheveux noirs en bataille, couvert de suie et les vêtements en piteux état. Un gamin des rues.
— Mais je te connais ! souffla Bérénice, le doigt pointé sur l’enfant. C’était toi à la gare de Lyon. C’est toi qui a voulu voler la valise de Lysandre !
Le garçon jeta un regard antipathique à Icare :
— Et c’est vous, l’emmerdeuse avec son oiseau !
— Hé ! Sois poli, sinon je te scalpe.
Dimitri et Armand suivaient la joute verbale, médusés. Ce dernier les coupa :
— Que lui veux-tu à Dimitri ?
Le gamin ignora Bérénice. Il se redressa, retira sa casquette et s’inclina cérémonieusement :
— Hadrien, pour vous servir ! Votre frère est rentré dans Paris. Il m’envoie vous chercher. C’était pas difficile, vous attirez les soldats comme des mouches.
— Où est-il ? demanda Dimitri avec méfiance.
—Au Faubourg Saint-Antoine, chez mon père. Le quartier est complètement bouclé, sans moi vous n’entrerez jamais.
Hadrien gesticulait dans tous les sens, pressé de partir. Bérénice demeurait sceptique, surveillant les alentours.
— Le quartier est encerclé ? Encerclé par qui ?
— Bah, par l’empereur ! Il sait que les ouvriers sont du côté de m’sieur Coeurderoy… donc le quartier est bouclé par ses soldats. Enfin, ils sont tellement bêtes qu’ils ne m’ont pas vu partir ! Mon père a aidé votre frère à rentrer dans Paris. Vous devriez me remercier.
Dimitri l’ignora et se tourna vers Armand et Bérénice :
— Qu’en pensez-vous ?
Bérénice scrutait Hadrien. Les gamins des rues…il était si facile de les corrompre.
— Qui est ton père ? fit Armand en se tournant vers Hadrien.
Hadrien hésita, se balançant d’un pied sur l’autre, puis lâcha d’un air renfrogné :
— Honoré. Pourquoi, vous connaissez tous les ouvriers de Paris ?
— Dimitri, on peut le suivre les yeux fermés, lâcha Armand.
Je comprends son amertume quand il voit les pierres que son père avait sous la main sans avoir l’idée (ou le désir) d’en donner une seule à son fils pour améliorer le fonctionnement de son appareillage. Mais c’est logique que ce genre d’homme méprise son propre fils parce qu’il est handicapé. Il mériterait de devenir lui-même handicapé pour voir ce mépris dans les yeux de ses semblables.
Ah, les abeilles ! J’avais un peu oublié ce symbole. Est-ce que l’emblème sera une grosse abeille ou un groupe de petites abeilles ? L’idée est vraiment excellente, surtout en tenant compte des explications à propos de ce que symbolise l’abeille. Mais j’ai de la peine à imaginer un combat entre une abeille et l’aigle des Harcourt.
Avec ce symbole et la réapparition du gamin de la gare, on voit que rien n’est dû au hasard dans ton histoire, que rien n’est à négliger parce que tout prend un sens plus tard. Bravo pour ce beau tissage d’intrigues !
Coquilles et remarques :
— Captivé, Marco ne détachait par les yeux de l’emblème [ne détachait pas]
— Je vous rappelle que je suis de sang impérial et que vous traitez comme égal, quelqu’un qui est bien au-dessus de vous. [Pas de virgule avant « quelqu’un ».]
— Decas était loin de prendre Dimitri à la légère. [Je ne pense pas qu’on puisse « prendre à la légère » une personne. Je propose « mésestimer » ou « se jouer de ».]
— Bérénice écarquilla les yeux mais rapidement une seconde silhouette armée dépassa le garde. [Virgule après « rapidement ».]
— Pour la première fois, brillait dans ses yeux une lueur inquiétante. [Pas de virgule ; il y a inversion du sujet. Mais cette tournure est étrange.]
— C’est avec indécence Decas que vous jouez au fils parfait / C’est avec la même indécence que mon père s’accapare un trône qui n’est pas le sien. [Il faut placer « Decas » entre deux virgules / qui accapare ; la forme pronominale est incorrecte (voir ici : http://www.academie-francaise.fr/saccaparer-pour-accaparer]
— Une seule de ces pierres suffiraient à me délivrer d’une partie de ma souffrance. Une seule, et il en serait fini de ma mécanique boiteuse. Et mon père ne m’en a pas offerte [suffirait / c’en serait fini / ne m’en a pas offert ; il n’y a généralement pas d’accord du participe après « en »]
— Il n’eut pas le temps de l’atteindre qu’Icare l’assomma par un coup dans le crâne [d’un coup sur le crâne]
— Il a gagné un trésor, mais vient de perdre tellement plus ! [mais il vient ; il est préférable de répéter le sujet]
— Bérénice, Armand et Dimitri, toujours armé, sortirent [« ce dernier toujours armé » serait plus clair]
— Si d’ici quelques jours, personne ne vous a retrouvés, je n’oublierais pas [oublierai ; futur simple]
— Nous ne quittons pas de suite l’exposition [tout de suite]
— Doucement, on nous regarde, chuchota Bérénice. Pourquoi rester Dimitri ? [Virgule avant « Dimitri ».]
— Bérénice et Armand soupirèrent de concert. [Je ne mettrais pas « de concert ». C’est rare qu’on se concerte, même d’un regard, avant de soupirer.]
— Surmonté d’une demi-coupole (...), la façade de l’édifice était captivante. [Syntaxe : « Surmontée d’une demi-coupole (...), la façade de l’édifice était captivante » ou « Surmonté d’une demi-coupole (...), l’édifice arborait une façade captivante ».]
— L’entrée titanesque se faisait par de grands pilastres grecs. [Il me semble que « l’entrée se faisait » se dit quand « l’entrée » évoque simplement l’action d’entrer. Mais ici, « l’entrée » est un élément architectural ; je propose donc « était encadrée par », « était ornée de » ou« était parée de »]
— Merci mille fois Alexandre ! lança Bérénice. [Virgule avant « Alexandre ».]
— Il ne manque plus que mon père ne s’en mêle ! [que mon père s’en mêle ; le « ne » explétif n’est pas correct ici]
— Rien qui ne vous concerne ! Dimitri, que fait-on là ? [Rien qui vous concerne ; si tu mets « ne », tu dis exactement le contraire.]
— Hé ! M’sieurs les gardes ! Faut que je ferme moi ! [Virgule avant « moi ».]
— s’exclama Armand, excité en reconnaissant l’un des parchemins [Il faudrait placer « excité » entre deux virgules.]
— A présent, il faut trouver comment ce parchemin peut se révéler ! [À]
— Le plafond, de multiples alcôves, ressemblait à celui d’un palais mauresque [composé de multiples alcôves]
— Quel est intérêt de tout cela ? demanda Bérénice. / — Mais bien sûr ! Une encre invisible ! s’enthousiasma Armand [J’ai un peu l’impression qu’on a sauté quelque chose, ici.]
— Chacune devait être susceptible de potentiellement révéler l’encre invisible. [Pléonasme : « potentiellement » est de trop.]
— Une infinie d’abeilles. C’est là, l’emblème des Coeurderoy. [Une infinité d’abeilles / pas de virgule après « C’est là ».]
— Sur absolument chaque paroi, chaque colonne, chaque plafond [« absolument » est de trop : il est redondant et tu l’as déjà employé un peu plus haut]
— Stupéfaits par son explication, Dimitri et Armand la dévisagèrent [« Stupéfaits de » ou « Stupéfiés par »]
— tandis qu’elle peinait à reprendre son souffle. Dimitri réalisa / — Il faut absolument que je réalise cette abeille pour le concours ! [Outre la répétition, « réaliser » n’est pas adéquat ici ; je propose « Dimitri décida » ou « Dimitri conclut ».]
— A toi de t’en servir pour produire le plus beau des chefs d’œuvre ! [À / chefs-d’œuvre ; avec un trait d’union]
— Hé ! Vous ! Vous faites quoi à mon attraction ? C’est quoi ces trucs sur les murs ? [Virgule après « C’est quoi ».]
— Dimitri. Armand. Récupérez tout, ordonna-t-elle. [Ponctuation : « Dimitri, Armand, récupérez tout, ordonna-t-elle » ou « Dimitri ! Armand ! Récupérez tout, ordonna-t-elle ».]
— Pas une meilleure idée ? [« Pas de meilleure idée ? » serait préférable.]
— Il y a une porte de secours, céda-t-il à contre cœur. [Céder n’est pas un verbe de parole ; je propose « admit-il » ou « avoua-t-il » / à contrecœur ; en un mot]
— Ils tombèrent sur une allée, bordant le Champs de Mars. [Sans virgule, ou mieux : « qui bordait » ; avec la virgule, on comprend que ce sont eux qui bordent.]
— Il ne devait pas avoir plus d’une douzaine d’années. [Une douzaine, c’est une déjà approximation, alors « plus d’une douzaine », c’est vague. Je propose « plus de douze ans ».]
— C’était toi à la gare de Lyon. C’est toi qui a voulu voler la valise de Lysandre ! [toi qui as]
— Que lui veux-tu à Dimitri ? [Virgule avant « à Dimitri ».]
— Bah, par l’empereur ! [« Ben, par l’empereur ! ». « Ben » est une contraction de « eh bien » alors que « bah » exprime l’insouciance, l’indifférence (« Bah, j’en ai vu d’autres ! »). De nos jours, ces deux interjections sont très souvent confondues.]
— Dimitri l’ignora et se tourna vers Armand et Bérénice [Il ne l’ignore pas puisqu’il vient de lui parler. Il ignore sa dernière remarque ou ne la relève pas. / Il y a deux fois « et » ; je propose « puis se tourna ».]
— Hadrien hésita, se balançant d’un pied sur l’autre, puis lâcha d’un air renfrogné / — Dimitri, on peut le suivre les yeux fermés, lâcha Armand. [Outre la répétition, « lâcher » n’est pas adéquat pour la réplique d’Armand. Je propose « affirma Armand » ou « déclara Armand ».]
Avec ma fatigue d’aujourd’hui et ma difficulté à me concentrer, j’espère ne pas avoir laissé échapper des choses…
Je rejoins un peu Rachael sur l'apparition d'Alexandre qui me semble être un peu "trop facile" du point de vue scénaristique. Du moins, on ne comprend pas bien comment il a pu se trouver au bon endroit au bon moment. Cela dit j'aime de plus en plus ce personnage. Il est très ambigu, on ne sait pas toujours quelles seront ses réactions, mai on sent qu'il a une volonté propre et qu'il n'est le pantin de personne. Bref, j'ai hâte de le découvrir plus !
Quelle belle idée de Palais de l'Optique ! J'ai adoré ce passage. L'abeille comme emblème est vraiment une belle trouvaille. On ne s'y attendait pas, mais ça correspond parfaitement aux Coeurderoys !
Petit détail : Dimitri est-il réellement obligé de découper le parchemin ? Ne peut-il pas simplement le tenir devant la lumière ?
Sinon, la découverte des abeilles est chouette, c’est un bon choix ces abeilles ! Mais pour autant, je trouve que tout ça est très précipité, et encore une fois très inconscient de la part des héros, ils semblent mépriser le danger et se jeter toujours plus en avant, tête la première dans les ennuis ou vers des solutions dont on ne comprend pas toujours bien d’où elles sortent (l’encre invisible). Le rythme est très rapide depuis deux chapitres, mais pour moi, c’est trop rapide, ca saute d’un endroit à un autre sans pause, d’une façon qui enchaîne les actes téméraires, les sauvetages in extremis et les avancées miraculeuses. Je pense que ce serait bien que tu prennes le temps de justifier plus les choses pour qu’on n’ait pas l’impression que les actions des personnages s’enchainent sans qu’on en perçoive bien la logique. …
Détails
par un coup dans le crâne : sur le crâne ?
je n’oublierais pas de prévenir vos hommes : oublierai
Ce dernier retint son souffle : le gardien ?
Une seule de ces pierres suffiraient : suffirait
Et mon père ne m’en a pas offerte : offert
Surmonté d’une demi-coupole : surmontée
Chacune devait être susceptible de potentiellement révéler l’encre invisible : susceptible et potentiellement, ça fait un peu répétition
Son miel est un élixir : leur miel ?
à contre cœur : à contrecœur.
Repet : Armand, Bérénice et Dimitri se maintenaient en retrait (…) L’armature qui maintenait
Repet : Dimitri demeurait absolument muet.(…) Sur absolument chaque paroi
Repet : Dimitri réalisa : Il faut absolument que je réalise cette abeille pour le concours !
Pour Alexandre, il n’a pas vraiment de rôle dans les cercles de pouvoir et justement, c’est ce qu’il reproche à son père, de l’exclure parce qu’il le juge trop faible. Pour son apparition, de mémoire je crois que j’ai oublié d’expliquer comment il arrive là ! c’est vrai que du coup, ça peut paraitre un peu facile. Du coup, il faut que je corrige ça et que je montre ce qu’il fait là !
Du coup, pour la rapidité des chapitres, on en a déjà parlé : ils ont peu de temps, peu de moyens de revenir s’ils partent et que le quartier est bouclé… dans ma correction j’ai plus mis en évidence ces éléments qui montrent qu’ils doivent être plus téméraires.
Pour les détails, je note, la plupart ont été corrigés dans la version nouvelle, mais les répétitions non (je ne les vois plus !)
Merci pour ton commentaire :)
Je ne sais que penser de l'attitude d'Alexandre: tu l'as presque décrit comme quelqu'un d'antipathique pendant son intervention, est-ce parce qu'il va se révéler comme un personnage pas complètement positif? Parce que si non, c'est un peu déstabilisant ^^; mais c'est peut-être voulu!
Bon et je me demande si c'est une coïncidence qu'on retrouve le gamin du début ;)
En tout cas tu me tiens toujours en haleine ;)
Petite remarque: « L’entrée titanesque se faisait par de grands pilastres grecs », c’est peut-être moi mais l'expression "l'entrée se faisait par" me chiffonne, je le trouve un peu lourde...
A très très bientôt :D
Pour Alexandre, peut-être ne l'ai-je pas assez montrer dans le chapitre sur Les Aigles et celui sur l'homme mécanique, mais c'est un personnage complexe. Je l'adore, mais il est très sombre. C'est un jeune homme qui vit dans l'ombre de son père, qui n'est pas reconnu par lui (car Harcourt voit Decas plus comme un fils), par ailleurs il a un handicap et ne parvient pas vraiment à s'en affranchir. Il est amoureux d'Héloise, mais le problème c'est qu'Héloise est une femme très belle, très indépendante et qui s'épanouie sans lui (même si elle l'aime en retour). Il est très frustré et ne sait pas comment trouver "sa voie". Du coup, c'est tout cela que je voulais montrer dans ce chapitre. Peut-être devrais-je retravailler cela pour qu'il soit moins antipathique et plus qu'on comprenne ses problématiques. Dans ma tête c'est un personnage adorable, mais qui se cherche, qui est très mal dans sa peau et a besoin de trouver sa propre route. Une sorte de poète torturé hihi.
Je note tes remarques pour "l'entrée se faisait par"...j'ai l'impression que ça se dit, mais je n'en suis pas sûre. Merci pour ton commentaire encore une fois, des bisous :)
PS : le forum de PA remarche, il semblerait. Au cas où je te mets le lien là : http://www.forumplumedargent.fr/
Oui j'ai vu pour le "fofo" ^^ je suis allée faire un tour mais pour l'instant je suis un peu paumée ^^
Des bisous :)