C’était la première fois que Lyne entrait dans une mine. En dépit de l’humidité et de l’odeur nauséabonde, elle en apprécia la température et l’absence de vent. Elle allait enfin pouvoir respirer sans que le froid envahisse ses poumons. À côté d’elle, Soreth était bien moins à l’aise. L’endroit devait lui rappeler de mauvais souvenirs. Elle avait ignoré son état jusque là, afin de lui donner le temps de se ressaisir, mais commençait à se demander s’il y arriverait.
Elle n’eut toutefois pas le loisir de l’interroger, car la route cessa de tourner pour révéler deux gardes occupés à jouer aux dés. Ceux-ci laissèrent échapper un juron en voyant les prétoriens, puis se levèrent en hâte et empoignèrent les lances posées à côté d’eux.
— Qui va là ? les interpella un homme aux cheveux longs et à la barbe mal rasée.
— Des futurs partenaires !
Sorti de sa torpeur sans que son équipière le remarque, Soreth avait répondu d’une voix qui aurait paru joviale à quiconque ne le connaissait pas.
— Vous cherchez du travail ? les interrogea le second brigand, un petit guerrier roux vêtu d’une armure de cuir.
— Ouep. On a entendu dire qu’il y en avait par ici.
Les prétoriens mirent pied à terre et s’avancèrent dans la lumière des torches. Les gardes les détaillèrent brièvement, puis le premier haussa les épaules dans un cliquetis de cotte de mailles.
— Vous êtes fringués comme des bourgeois. Je suis pas sûr qu’on ait quelque chose pour ça.
L’insulte fit ricaner son camarade, qui acquiesça en enchérissant.
— C’est qu’on voudrait pas que vous vous tâch…
— Savez-vous à quoi l’on reconnaît une bonne combattante ?
Coupant les brigands dans leur élan, Lyne avança d’un pas alors qu’ils reculaient d’autant.
— Atten…
— Elle gagne de l’argent, poursuivit la prétorienne sans se soucier de leurs réponses, ce qui lui évite d’avoir à s’habiller comme un épouvantail. On n’est pas des traîne-savates, nous. On est des professionnels. Alors si vous ne voulez pas ramasser vos dents, ne continuez pas à nous donner des raisons de vous les retirer.
Le dos collé contre la palissade qu’ils étaient censés protéger, les gardes déglutirent avant de tourner des yeux paniqués vers Soreth. Il leur adressa un sourire charmeur.
— Partenaires ?
Ils opinèrent du chef, puis, se rendant compte de l’image qu’ils renvoyaient, se redressèrent et avancèrent d’un demi-pas. Lyne se retint de pouffer, les bras croisés devant eux. Il fallait croire que l’arrogance des bandits de Hauteroche se gérait de la même façon que celles des nobles de Lonvois.
— Je suppose qu’on peut vous laisser entrer, reprit le combattant roux, ce n’est pas comme si vous pouviez faire du grabuge là-dedans de toute façon.
— Par contre, enchaîna son camarade, personne ne survit longtemps seul dans la mine. Surtout avec un équipement et des montures comme les vôtres. Vous devriez trouver un groupe qui vous paiera et vous protégera. Allez voir les Briseurs, si ça vous intéresse. Vous passez trois grottes à gauche avant d’aller à droite puis vous avancez encore de deux. Dites que c’est Cateth qui vous envoie et il vous arrivera rien. Notre chef, Darsien, vous fera un bon accueil.
— Parfait, répondit Lyne d’un air assuré, Erik et moi on se souviendra de toi si tu as besoin d’aide.
Elle tourna ensuite le dos aux bandits, consciente que son ami veillait sur elle, et attrapa les rennes de Zmeï pendant qu’ils leur ouvraient la porte. Tandis qu’elle la franchissait, curieuse de ce qui se trouvait plus loin, elle esquissa un sourire en entendant Soreth marmonner aux brigands.
— Vous voyez, on peut toujours discuter avec Malia. Elle a juste une manière bien à elle de le faire.
La partie dans laquelle ils arrivèrent ressemblait au tunnel, mais était plus sombre, plus humide, et plus odorante. Des torches en balisaient heureusement les chemins, et permettaient d’en discerner les différentes alcôves, décorées aux couleurs des bandes qui les habitaient et d’où provenaient rires et éclats de voix. Lyne, sur ses gardes après les explications de Cateth, adressait un regard noir à chaque silhouette indistincte qu’ils croisaient. Si cela ne suffisait pas à les décourager d’approcher, elle portait ostensiblement la main à son fourreau, poussant alors même les plus insistantes à fuir. Ici les problèmes ne se réglaient pas en duel, mais de dos, dans un tunnel sombre, et, de préférence, en surnombre.
Les yeux hagards et le front couvert de sueur, Soreth suivait son équipière sans se préoccuper des visages burinés qui les toisaient. Sa partenaire s’en inquiétait de plus en plus, elle ne l’avait pas vu ainsi depuis Brevois, et profita d’un recoin obscur pour s’arrêter et saisir ses doigts tremblants.
— Comment te sens-tu ?
— Mal, grimaça le prétorien. J’ai la tête qui résonne comme un tambour et l’impression qu’on vient de me rouer de coups. La bonne nouvelle, c’est que si cela n’empire pas je devrais réussir à faire avec.
Lyne acquiesça, rassurée de constater que son ami avait toujours les idées claires, puis demanda.
— Crois-tu que nous devons aller voir ce Darsien ? Nous ne sommes pas ici pour très longtemps. Nous devons juste savoir qui dirige et quel est son lien avec Mascarade.
— Une source fiable nous serait tout de même utile pour éviter de tourner en rond. Surtout dans un lieu pareil.
— Dans ce cas, c’est moi qui parlerais. Je ne suis pas sûr que la couleur de ton visage leur fasse bonne impression.
Soreth esquissa un sourire et hocha péniblement la tête, donnant envie à son amie de le prendre dans ses bras. Elle se contenta toutefois de serrer ses mains un peu plus fort, avant de les relâcher et de s’écarter à contrecœur.
Suivant les indications de Cateth, les prétoriens s’enfoncèrent plus profondément dans la mine, dépassant un puits et une grande place bruyante qui ressemblaient à une cantine, et atteignirent la caverne des Briseurs. Il était impossible de s’y tromper, car un marteau et un os cassé étaient grossièrement peints à côté de l’entrée, que fermait un morceau de laine rouge aux coins élimés. Une odeur d’encens et de fumée s’échappait du tissu, et plusieurs voix ténues s’entendaient de l’autre côté. Lyne vit un bon présage dans le fait qu’aucune n’est l’air énervée ou enivrée. Après avoir murmuré une courte prière à ses ancêtres et jeté un regard inquiet à son ami mal en point, elle souleva un pan de l’étoffe pour s’avancer dans la salle.
Plusieurs torches éclairaient l’intérieur du repère, ce qui le rendait plus lumineux et moins froid que les tunnels extérieurs. Leur fumée stagnait par contre au plafond, l’encrassant durablement et s’échappant lentement par les fissures qui le parcouraient. La pièce principale faisait huit mètres de long sur autant de larges, et son accès était suffisamment important pour que Zmeï et Apalla s’y tiennent côte à côte. Des caisses, des coussins et des paillasses sales s’étalaient partout contre les murs, ne laissant inoccupé que le centre du lieu, couvert de cendres noires.
Lorsque les prétoriens entrèrent, six paires d’yeux se tournèrent vers eux et plusieurs mains se saisirent de marteaux de guerre ou de fléaux. La bande portait bien son nom. Repoussant aussi bien son inquiétude que son envie d’emprisonner les brigands et brigandes assis autour d’elle, Lyne leva les bras et arbora un sourire détendu.
— Du calme, on vient de la part de Cateth. On cherche un groupe et il nous a dit que vous recrutiez.
La tension diminua d’un cran, mais les armes ne furent pas relâchées pour autant. Plusieurs regards se dirigèrent ensuite vers la gauche de la salle, où un homme noir d’une quarantaine d’années savourait un lait chaud. Conscient de l’attention soudaine qu’on lui portait, il reposa tranquillement sa tasse et tourna un visage couvert de cicatrices en direction des nouveaux arrivants.
— Il se pourrait bien qu’on embauche, en effet. Laissez vos épées sur vos chevaux et venez au centre de la pièce. Qu’on puisse discuter calmement.
La garde royale s’exécuta à contrecœur, abandonner son équipement au milieu d’ennemis n’avait rien de plaisant, puis s’avança tandis que Soreth l’imitait avec encore plus de retenue. Être à la merci des bandits devait raviver ses souvenirs. D’ailleurs, en dépit de ses efforts pour le masquer, il ressemblait plus à une souris en cage qu’à un mercenaire expérimenté.
Une fois les prétoriens éloignés de leurs armes, les malandrins se relâchèrent et reprirent leurs activités. Trois d’entre eux se concentrèrent sur une partie de cartes crasseuses. Deux autres poursuivirent leur conversation sur les fantômes de la région. Quant au dernier, que Lyne supposait être Darsien, il s’approcha en boitant et étudia le duo en jouant avec sa barbe tressée.
Après d’interminables secondes, durant lesquelles Lyne redouta qu’il ordonne leur exécution, il posa les mains sur sa ceinture et déclara en souriant.
— Je suis Darsien, le chef des Briseurs.
— Moi c’est Malia et lui Erik, répondit la prétorienne avant d’ajouter devant l’état de son camarade, il faut l’excuser. Il n’aime pas les espaces fermés.
La remarque fit rire le brigand, qui dévisagea à nouveau Soreth.
— Il est mal tombé par ici. C’est rare de voir des gens sans bande. Venez-vous de déserter ?
La garde royale siffla d’un ton réprobateur.
— L’armée, ça paye que dalle. Nous on est dans le mercenariat. Raids, batailles ou occupations, on fait ce que vous voulez tant que ça rapporte.
Elle laissa ensuite passer quelques secondes, puis ajouta en se remémorant les informations qu’ils avaient collectées jusque là.
— On était dans une auberge de Hauteroche quand un soldat nous a parlé d’un bon plan dans le coin. Il a dit qu’il n’en savait pas beaucoup plus, mais que ça touchait bien. Alors on a décidé de se radiner pour voir s’il y avait moyen de se faire quelques écus.
Darsien hocha la tête sans se départir de son sourire.
— C’est vrai qu’il y a de l’argent à se faire. Pas ici, dit-il en balayant la pièce du bras, parce que même les rats ne se cacheraient pas dans ce trou immonde, mais pas très loin. Joyce l’a promis. Elle a le flair pour ça.
— Joyce ? demanda Soreth en sortant difficilement de sa torpeur. « La » Joyce ?
— Ouep, la seule et l’unique. Celle qui pille Ostrate depuis avant ta naissance et que ces empaffés d’impériaux n’ont jamais réussi à attraper.
Le prétorien hocha la tête, ce qui lui arracha une grimace. Afin d’empêcher Darsien de s’en inquiéter, Lyne relança la conversation.
— Est-ce donc elle qui va nous rendre riches ?
— C’est ce qu’on espère. Pour le moment on reçoit juste quelques pièces pour rester ici et accomplir des petits travaux, mais ça ne devrait plus durer longtemps.
La guerrière opina en souriant. Ils tenaient un nom, et pas n’importe lequel. Joyce était célèbre partout sur le continent. Toutes les patrouilles rêvaient de l’arrêter, tout en redoutant de l’affronter. Coupable de centaines de pillages et de vols, elle était devenue une légende parmi les brigands. Il n’y avait rien d’étonnant à ce qu’autant aient répondu à son appel. D’autant que si elle était bien Mascarade, son pouvoir dépassait de loin celui que les rumeurs lui attribuaient.
— Si je vous ai convaincu, reprit Darsien en passant une main dans sa barbe, à votre tour d’en faire de même. Avez-vous des batailles à me raconter pour me donner un exemple de ce que vous valez ?
Lyne sentit son cœur s’emballer. Elle n’avait pas prévu que leur interlocuteur soit aussi curieux. Elle hésita un instant, les yeux rivés sur Darsien, puis essaya de se détendre et laissa les récits qui la passionnaient depuis toujours venir à son secours.
— Il y a trois ans, on s’est battu contre les pillards sur la plage de Jenya. Le sable était tellement gorgé de sang qu’il a fallu trois marées pour qu’il retrouve sa couleur d’origine. Ces idiots d’envahisseurs se croyaient plus malins avec leurs boucliers, mais ils ont vite compris à quoi servaient nos marteaux.
— Un sale affrontement, approuva le chef des bandits, c’est pas rien de s’en être tiré en un seul morceau.
Lyne esquissa un rictus amusé et, dans son élément, enchaîna.
— C’était dur, mais pas autant que la reprise de la tour d’Embie. Ces crétins de Hauteroche n’avaient pas réalisé qu’on fonçait dans un piège. J’ai bien cru qu’on allait y rester. Les flèches sifflaient autour de nous et ça criait dans tous les sens des ordres que personne ne suivait. Comme quoi, tu peux entraîner tes soldats comme tu veux, quand ils sont entre deux falaises en train de se faire transformer en pelotes d’épingles, ils sont drôlement moins obéissants.
Alors que son récit avançait, la guerrière constata qu’elle avait non seulement capté l’attention de Darsien, mais aussi celle de l’ensemble de la salle. Elle continua sur sa lancée, satisfaite, et broda à l’aide des histoires qu’elle avait entendues au mess.
— Avec Erik on refusait de crever au milieu de ce merdier. On a réuni les types encore debout et on a fait une percée. T’aurais dû voir leur visage quand on a déboulé. Ils ont à peine eu le temps de comprendre ce qu’il passait que leurs sales tronches roulaient déjà par terre.
Pour conclure son récit, Lyne souleva son armure et montra à l’assemblée la cicatrice qui lui parcourait le flanc. Des sifflements approbateurs s’élevèrent. Darsien hocha la tête d’un air convaincu.
— J’ai eu le droit à un souvenir moi aussi, se vanta-t-elle, mais je suis encore en vie et on n’est pas beaucoup à pouvoir le dire.
Le silence retomba pendant que Lyne se rhabillait, puis le chef des bandits reprit.
— Vous pourriez effectivement nous être utile.
Il marqua une pause et scruta Soreth de ses yeux marron.
— Je ne peux toutefois pas me contenter d’embaucher des troubadours. Alors ton copain va nous montrer ce que vous valez. Si vous êtes aussi fort que vous le prétendez, tout ira bien.
Une lueur mauvaise brilla dans la prunelle du brigand. Lyne sentit un frisson la parcourir. Son ami avait déjà du mal à parler. Il n’était pas en état de se battre.
— Comme je le disais, Erik est malade. Laissez-moi nous représenter.
La proposition déclencha une salve de ricanement et Darsien secoua la tête.
— On n’estime pas la force d’un groupe à son maillon le plus solide.
— Mais vou…
— C’est bon, la coupa Soreth en avançant de quelques pas. Je vais le faire.
Il était toujours aussi pâle, mais ses yeux fixaient sans détour le chef des bandits, comme s’il le défiait de trouver un adversaire à sa mesure. Ce dernier eut un hochement de tête approbateur.
— Pas d’arme, pas d’armure, et rien de trop définitif. Ça serait mauvais pour votre recrutement.
Tournant le dos à ses interlocuteurs, il retourna à sa place pendant que le prince retirait son plastron.
— Il est pour toi, Shallia.
Tous les regards se dirigèrent vers la table de jeu, et plus particulièrement en direction de la blonde aux cheveux courts qui s’y était levée. Vêtue d’un pantalon de toile ample et d’une chemise sans manches, la brigande faisait une tête de plus que ses camarades et portait un tatouage de kraken sur le biceps gauche, signe distinctif de la marine erellienne. Elle adressa un sourire timide à Soreth en arrivant devant lui, ce qui détonait avec son accoutrement, et passa une main derrière sa nuque.
— Désolé. Les ordres sont les ordres.
— Ne t’inquiète pas, répondit le prétorien en balayant la sueur qui coulait le long de son front. Je peux encaisser.
L’ancienne soldate acquiesça, presque chaleureusement, puis ils se mirent en garde tandis que la salle s’installait pour le début du combat.
Shallia lança le premier assaut. Elle bondit en tournoyant et envoya son pied nu vers la tête de son adversaire. Malgré son état, celui-ci réagit rapidement et se baissa pour l’éviter. Il se releva ensuite en avançant et voulut lui frapper le dos tandis qu’elle se réceptionnait. Elle décala toutefois sur la gauche au dernier moment, puis en profita pour écraser son coude contre la joue de Soreth. L’impact le fit reculer. L’assemblée gémit par empathie. Lyne serra les dents. Cela commençait mal.
Sans laisser au prince le temps de se reprendre, la bandite lui sauta dessus et lui envoya une multitude de coups. Il les dévia de son mieux, mais sa défense fut en dessous de son niveau habituel et plusieurs frappes le touchèrent aux bras et au ventre. Le souffle haletant, presque recroquevillé sur lui-même, il était sur le point de succomber quand il réussit à balayer la jambe de Shallia, trop obnubilée par son assaut pour s’apercevoir qu’elle s’était dangereusement avancée. Elle roula au sol pour amortir sa chute, puis se releva un peu plus loin, permettant enfin à son opposant de retrouver ses esprits.
Soreth se remit péniblement en position, pendant que Lyne priait ses ancêtres de lui venir en aide, et s’approcha lentement de Shallia, pour le plus grand plaisir des spectateurs. Elle en profita pour feinter un crochet et, au moment où le prétorien levait sa garde, le transformer en uppercut. Le poing s’écrasa sur la mâchoire du jeune homme et lui ouvrit la lèvre en l’envoyant à terre. Alors qu’il luttait pour se redresser, la brigande resta à une distance prudente et lui flanqua son pied dans l’abdomen. Il grogna de douleur, brutalement renvoyé au sol. Une deuxième attaque lui percuta les flancs juste après, résonnant dans la salle et lui arrachant un gémissement. Lyne serra les poings et se prépara à intervenir. Elle se contint toutefois, en voyant Soreth esquiver un troisième coup et attraper la cheville de son adversaire au vol.
Il y eut un instant de flottement, la surprise se peignant sur chaque visage, puis le prétorien planta ses dents dans le mollet découvert de Shallia. Une vague de cris ahuris parcourut la pièce, recouvrant le juron étouffé de la combattante, puis Soreth heurta son autre jambe et se jeta sur son buste pendant qu’elle tombait.
La bouche ensanglantée et le regard meurtrier, il lui immobilisa les bras à l’aide de ses genoux et se colla à elle pour qu’elle ne puisse pas le frapper de ses pieds. Il lui décocha ensuite deux coups dans la mâchoire, la sonnant à moitié, puis lui souleva la tête pour l’écraser contre le sol de pierre. La salle retint son souffle. Il tenait la vie de Shallia entre ses mains. Finalement, il reposa délicatement la tête de la brigande et s’écarta d’une roulade.
Il se releva quelques pas plus loin et balaya les spectateurs d’un air hagard, jusqu’à ce que ses yeux trouvent ceux de Lyne. Un sourire illumina alors son visage tuméfié, et il acquiesça dans la pénombre.
— Parfais, déclara Darsien tandis que sa subordonnée se redressait péniblement, inutile de poursuivre. Erik se défend mieux qu’il ne parle. Vous pouvez vous joindre à nous.
Un brouhaha parcourut la pièce, chacun lançant des regards curieux aux recrues, puis le chef reprit en dévisageant les combattants.
— Allez-vous laver tous les deux avant qu’on vous confonde avec des ours. Toi, Malia, viens par ici que je t’explique comment on fonctionne.
La prétorienne acquiesça, jeta un œil son partenaire, que Shallia félicitait sans rancune, et se dirigea vers son nouveau supérieur, non sans une certaine inquiétude. Soreth ne tremblait plus et avait gagné, mais il avait failli tuer son opposante. Ce n’était pas forcément une amélioration.
Assise en face de Darsien, Lyne accepta une infusion de menthe chaude et serra ses mains gelées autour pour les réchauffer.
— Vous êtes des Briseurs maintenant, expliqua son interlocuteur en se servant à son tour, donc vous ne risquez plus rien ici. Toutefois, je ne peux rien promettre pour le reste de la mine. Entre nos rivaux, les rancœurs et l’avidité, cet endroit est un fichu coupe-gorge.
Il marqua une pause pour boire un peu, laissant à la guerrière le temps de se demander où ils avaient mis les pieds, et poursuivit.
— Joyce n’aime pas ce genre de comportement. Elle veut de la cohésion. Alors si vous refroidissez quelqu’un vous n’avez pas intérêt à vous faire prendre. Pour éviter les soucis, nous allons manger en groupe. La nourriture est gratuite, mais n’hésitez pas à grogner si vous trouvez qu’ils ne vous ont pas assez servi.
Lyne hocha la tête, c’était bien une cantine qu’ils avaient croisée, et demanda.
— Est-ce que tous les membres des Briseurs en dehors de Cateth sont là ?
— Non. En plus de lui il y en a deux qui sont affectés aux éclaireurs, un aux cuisines, et une dernière à Hauteroche.
— Dans la garde ?
— Elle est trop indisciplinée pour ça, ricana Darsien. Elle se fait juste passer pour une docker en quête de travail.
Lyne retint une grimace, il ne manquait plus que des pillards attendant leur heure dans la cité franche, savoura la chaleur de son infusion, et demanda aussi nonchalamment qu’elle le pût.
— Sais-tu ce que Joyce veut à Hauteroche ?
— Pas vraiment. Elle n’aime pas qu’on en parle. Tout ce dont on est au courant, c’est qu’il y a beaucoup des bandits là-bas, et d’autres pour s’assurer que la ville ne reçoive pas de provisions. Je ne suis pas trop sûr de comment ça va nous rendre riches, mais elle ne lancerait pas une opération pareille sans y croire.
— Que fait-on en attendant le signal ?
— Vous vous installez et vous vous occupez. Quand il faudra des troupes, je vous préviendrai. Le seul truc à savoir, c’est que vous ne pouvez pas quitter la mine sans laissez-passer. Enfin, si vous ne tenez pas à finir troués comme des chaussettes.
Lyne s’autorisa cette fois une grimace. Les menaces étaient faites pour cela. Elle prit ensuite congé de son interlocuteur, non sans lui assurer qu’elle lui raconterait de nouvelles histoires de bataille, et se dirigea vers leurs montures en se demandant s’ils ne s’étaient pas jetés dans la gueule du loup. Sortir de la mine allait s’avérer bien plus compliqué qu’y entrer.
À gauche de la salle principale, un couloir étriqué menait à une pièce obscure et malodorante où les brigands gardaient leurs animaux. Deux ânes, trois chevaux et une chèvre fixèrent les arrivants d’un œil apathique, puis recommencèrent à scruter les anneaux de fer devant eux. Apalla prit ce manque de considération comme un affront et alla s’installer le plus loin possible. Zmeï, au contraire, y trouva un défi à sa mesure et s’approcha joyeusement de ses nouveaux camarades.
— Ne vous inquiétez pas, murmura Lyne pendant qu’elle les déharnachait, nous ne nous attarderons pas.
Sa monture répondit par un hennissement motivé, tout en esquivant le baudet qui essayait de lui mordre les oreilles. La jument de Soreth releva la tête de son avoine en lui adressant un regard sceptique. Pour elle, ils étaient déjà là depuis trop longtemps. Amusée par leur comportement, ils étaient leurs seuls vrais alliés ici, Lyne les brossa pour les en remercier.
Elle finissait tout juste lorsque Soreth entra dans la pièce. Il avait meilleure allure lavé de la sueur et du sang qui le maculaient, et ses yeux avaient même retrouvés un peu de vie.
— Tu n’as pas trop mal ? demanda-t-elle en s’avançant vers lui.
— Shallia n’y est pas allée de main morte. Heureusement que j’ai un catalyseur, mais dommage qu’il ne puisse rien pour les migraines.
Ils s’arrêtèrent l’un en face de l’autre. Lyne effleura délicatement la joue du prince, puis il se pencha pour l’embrasser. Ils avaient beaucoup de choses à cacher ici, mais pas leur relation.
Une fois leur baiser terminé, Soreth passa ses bras autour de sa protectrice, la serra doucement contre lui, et posa la tête contre son épaule.
— Cet endroit est un cauchemar.
— Je sais, répondit-elle en lui caressant les cheveux. J’espère que nous pourrons vite en sortir.
— En arrivant, j’étais effrayé en repensant à ma capture. Maintenant, je ne songe plus qu’à mon évasion. J’ai l’impression d’être une bête acculée. J’aurais pu tuer Shallia… j’aurais pu tous les tuer.
Lyne sentit son cœur se serrer. Elle croyait jusqu’alors que c’était une patrouille ou d’autres prétoriens qui avaient libéré Soreth, mais elle avait eu tort. Il s’était débrouillé seul. Comme toujours.
— Je suis là. Je ne laisserai pas l’histoire se répéter.
Son équipier sourit dans la pénombre, posa son front contre le sien, et l’embrassa à nouveau. Lyne répondit avec passion, aussi étonnée que soulagée qu’ils trouvent un peu de réconfort dans un endroit pourtant si sombre.
Quelques minutes, et de nombreux baisers, plus tard, les prétoriens se séparèrent pour se diriger vers leurs fontes.
— Nous devrions nous installer dans les dortoirs, proposa Soreth en soulevant les siennes, ce sera moins suspicieux.
Lyne acquiesça et jeta ses sacoches sur son dos.
— J’ai interrogé Darsien. Il se passe bien quelque chose à Hauteroche. Hélas, soit il n’en sait pas plus, soit il refuse de me le dire.
Le prince opina, cela aurait trop facile, puis ils quittèrent la pièce en laissant Zmeï sympathiser avec une jument alezane, et Apalla le juger avec mépris.
Je n'ai pas eu beaucoup de temps des dernières semaines, mais j'ai tout lu ;)
J'apprécie toujours et je trouve ça bien que aucun des deux n'ait eu un cas de conscience la moitié du livre du style "oh lala non il / elle n'est pas pour moi", ça change ^^
L'enquête se poursuit, on accroche des indices petit à petit, c'est vraiment sympa
Je retourne en arrière commenter dès que je peux ;)
PS: "Ici les problèmes ne se réglaient pas en duel, mais de dos, dans un tunnel sombre, et, de préférence, en surnombre" > haha, bien dit
Merci pour ce retour déjà ^^ c'est chouette de voir quelqu'un qui apprécie.
L'une des idées principales de ce roman était effectivement de travailler autrement la tension romantique dans une histoire. C'est cool que cela fonctionne.
Je me dépêche pour avancer la suite :P
À bientôt
Merci pour ce retour déjà ^^ c'est chouette de voir quelqu'un qui apprécie.
L'une des idées principales de ce roman était effectivement de travailler autrement la tension romantique dans une histoire. C'est cool que cela fonctionne.
Je me dépêche pour avancer la suite :P
À bientôt
A surveiller aussi, pour l'instant ça va (et a la base je ne suis pas du tout livres romantiques, donc tu peux considérer que sur ce point je suis un "public difficile"), vu que tu as deux persos très introspectifs, et que leur histoire va bien, que ça bascule pas dans le niais ^^' si tu veux je peux me devouer en tant que public chiant, pour te dire quand je trouve quelque chose niais