Chapitre 28 : Quand "avoir le feu au fesse" n'est plus qu'une expression

Avant que Thalion n’ait pu dire quoi que ce soit pour défendre Eris, Shivana cracha de puissantes flammes rouges sur eux.

  —  Prostésia orio ! lancèrent à l’unisson Thalion et Nohan.

Un bouclier bleu les engloba juste avant que le feu ne les frappe de plein fouet.

L’attaque était puissante. Thalion pouvait sentir le bouclier trembler, résistant difficilement. Si le sortilège n’avait pas été lancé à deux, il n’aurait pas tenu.

  —  Je suis désolée ! gémit Eris, les yeux remplis de remord. Je…

  —  On n’a pas le temps pour ça ! cracha Thalion qui tâchait de rester concentré sur le bouclier.

  —  J’ai lu dans un livre que leur point faible se trouve au niveau de leur ventre ! lança Cally qui se creusait la cervelle pour se remémorer la moindre information sur les dragons.

  —  Sauf qu’elle est immortelle ! On ne peut pas…

Thalion ne finit pas sa phrase. Les flammes disparurent en même temps que le bouclier se brisa. L’échec de son attaque ne fit que mettre de l’huile sur le feu. La colère qui brûlait dans les yeux de Shivana leur promettait des ravages sans précédent tant qu’Eris n’aurait pas payé pour son vol.

  —  Alors on fait quoi ? paniqua Cally pendant que le dragon préparait déjà sa prochaine attaque.

  —  On court ! hurla Thalion en se ruant vers le labyrinthe qu’était la bibliothèque.

Une nouvelle salve de flammes plus ardentes encore les manqua de peu. Le groupe se disloqua pour pouvoir les éviter. Thalion parvint à s’abriter derrière une des énormes étagères. Par chance, le feu était inefficace contre le bois du meuble et les ouvrages imprégnés de magie. Il pria les dieux pour que ses amis aient réussi à se protéger à temps. Quand le souffle brûlant s’estompa, signe que cette nouvelle attaque était terminée, il se risqua à jeter un coup d’œil sur la place circulaire en espérant ne pas voir de corps carbonisés. À son soulagement, rien de telle n’était visible. Le dragon s’envola dans les airs en se dirigeant dans la direction opposée à lui, sans doute à la poursuite d’Eris. Son rugissement de fureur lui hérissait les poils de la nuque, mais avait le mérite de lui indiquer que la magérienne était toujours vivante. À cause des grondements et des secousses qui faisaient trembler la bibliothèque, des livres se mirent à pleuvoir autour de lui. Thalion commença à courir aussi bien à la recherche d’un quelconque abri que d’un de ses amis. Ne pas savoir où ils étaient, dans quelles situations ils se trouvaient, sans pouvoir leur venir en aide, le rendait malade d’angoisse. Mais tout ce qu’il pouvait faire actuellement, c’était de leur faire confiance.

Thalion finit par repérer une petite cavité dans la paroi d’opale, lui permettant de se protéger de cette pluie de papier. Mine de rien, les grimoires qu’il esquivait étaient aussi lourds que des briques et tout à fait capables de l’assommer. Une fois dans ce petit refuge improvisé, il s’autorisa à reprendre son souffle et à faire le point sur la situation. Il s’efforça d’oublier la peur qui faisait trembler son corps pour se concentrer sur l’essentiel. Eris s’était attirée les foudres d’une créature aussi puissante qu’immortelle qui ne s’arrêterait pas avant sa mort. Nohan et Cally se trouvaient quelque part dans ce gigantesque labyrinthe. Eris était dans un sacré bourbier, mais elle saurait se débrouiller pour tenir le coup. La priorité, c’était de retrouver les deux autres magériens. Ensemble, ils se mettraient d’accord sur un plan d’action pour la sortir de là. Et accessoirement, réussir à s’échapper de cette grotte, vivants de préférence.

Thalion ne connaissait qu’un moyen pour retrouver leur trace. Le même que ses deux compères avaient utilisé pour le retrouver à l’académie. Le problème n’était pas de lancer le sort, heureusement à sa portée, mais son temps d’utilisation. Plus il allait durer, plus ses migraines allaient l’importuner. Enfin, ce n’était pas comme s’il avait le choix.

Son cœur cognait dans sa poitrine. Il s’obligea à prendre de grandes inspirations pour endiguer la panique et retrouver un semblant de sang-froid avant de retourner dans le labyrinthe. Son regard dériva vers le grimoire qui dépassait de son sac. Il espérait sincèrement que dedans se trouvait la solution dont il avait besoin. Si tout ça s’avérait vain, il ne s’en remettrait pas.

  —  Gisemé afila ! lança-t-il en visualisant le visage de Nohan et Calysse. Guide-moi jusqu’à eux.

Une sphère lumineuse s’apparentant à une petite fée dorée naquit devant lui. Elle virevolta quelques secondes dans les airs, avant de se mettre à filer jusqu’à l’un d’eux. Bien qu’il sentait déjà ses migraines poindre le bout de son nez, il ne perdit pas une minute pour courir après la boule de lumière. Thalion ne devait surtout pas la lâcher du regard, tout en esquivant les livres qui continuaient de pleuvoir.

Après avoir zigzagué entre les étagères et manqué plus d’une fois d’être assommé, Nohan apparut finalement dans son champ de vison. Le magérien avait créé un bouclier permanent pour se protéger et contre lequel les ouvrages rebondissaient dans un bruit mat. Loin de s’en préoccuper, Nohan marchait d’un pas rapide en regardant partout autour de lui, le teint blême. Lorsque son regard accrocha le sien, un soulagement mutuel les envahit. Thalion s’avança pour franchir le bouclier que Nohan annula à moitié le temps de le laisser passer. La fée lumineuse disparue et le bouclier se referma derrière lui. Thalion remarqua immédiatement ses mains tremblantes et ses yeux bleus embués de larmes.

  —  Les dieux soient loués ! Je t’ai enfin retrouvé ! Je suis tellement… Je ne savais pas si…

  —  C’est bon, Nohan. Je vais bien, tenta de l’apaiser Thalion alors que son ami paraissait sur le point d’éclater en sanglot. Tu… Le bouclier permanent, c’est une bonne idée.

  —  Peut-être. Mais je ne pouvais pas lancer un deuxième sortilège en même temps pour vous localiser, dit-il avec une certaine frustration.

Le connaissant, Thalion imaginait bien le dilemme qui avait dû lui prendre la tête.

  —  Avoue, tu craignais surtout que je m’attaque seul au dragon.

La remarque du maudit parvint à lui soutirer un rire étranglé.

  —  Je ne vais pas nier…

Les tremblements de Nohan s’apaisèrent. Thalion en profita pour poursuivre la discussion.

  —  Tu sais où est Cally ? l’interrogea-t-il.

  —  Je l’ai perdue de vue quand j’ai évité le jet de flammes, mais je crois l’avoir vu courir dans la direction d’Eris.

La magérienne n’était donc pas complètement seule et pouvait comptait sur l’aide de sa meilleure amie pour se défendre. C’était une bonne nouvelle.

Thalion prit une expression sérieuse.

  —  Bon. Il faut qu’on trouve un moyen de vaincre Shivana.

  —  C’est impossible ! On ne fait pas le poids face à un dragon.

  —  Je sais mais on n’a pas le choix.

  —  Corvus. Même avec toute la bonne volonté du monde, je ne suis pas sûr qu’on arrive ne serait-ce qu’à l’égratigner.

Le magérien soupira, irrité par son impuissance. Il savait que Nohan avait raison. Bien que ses amis soient d’excellents élèves sans avoir de difficultés particulières comme lui, ils n’étaient pas assez puissants pour pouvoir blesser Shivana, même en connaissant son point faible. Et ce n’était pas ses petits sorts qui allaient changer quoi que ce soit. Au mieux, ça l’énerverait davantage. Au pire, ils seraient carbonisés en moins de deux.

Thalion croisa les bras en essayant de réfléchir à tout ce qu’il avait appris depuis le début de l’année. Il connaissait forcément un sort capable de tromper sa vigilance, de détourner son attention pour qu’ils puissent s’échapper. Le sortilège d’invisibilité ? L’odorat d’un dragon était fin. Même sans les voir, elle pourrait les repérer à l’odeur, d’autant que ses flammes lui donnaient une large portée. Ils ne pouvaient pas tromper les sens d’un dragon…

À cette pensée, une idée lui traversa l’esprit.

  —  Et la magie rouge ? suggéra-t-il.

  —  Tu veux manipuler son esprit ?

  —  Oui. Si on ne peut pas s’en prendre à elle physiquement, s’attaquer à son esprit est une autre solution.

  —  Je ne sais pas… Les esprits anciens sont plus difficiles à manipuler.

  —  C’est vrai. Mais même pour un vieux cerveau expérimenté, repousser quatre attaques mentales simultanées ne doit pas être une chose aisée.

En plus, Eris excellait en magie rouge. Ses attaques devaient être deux fois plus compliqués à contrer que les leur. Nohan réfléchit, la mine pensive.

  —  C’est un sort complexe. Tu t’en sens capable avec tes migraines ?

  —  Les entraînements avec Eris m’ont bien aidé. J’arrive à mieux les supporter.

  —  Je te signale que la dernière fois que tu as prétendu les supporter, tu t’es évanoui.

  —  C’était il y a longtemps ! Maintenant, même avec des maux de têtes atroces, je suis capable de lancer un sort sans perdre connaissance ! Et de le réussir, en plus.

À son sens, c’était une belle avancée, mais Nohan restait dubitatif. Thalion s’apprêtait à poursuivre son argumentaire quand son ami soupira.

  —  Bon d’accord, On n’a pas le choix, de toute façon. Et s’en prendre à son esprit n’est pas une mauvaise idée en soi. Tu as bien le collier d’Espérance avec toi ?

  —  Évidemment, assura-t-il en tapant sa poitrine, là où le bijou se situait.

Satisfait, Nohan concéda à partir à la rescousse de la magérienne. Pour la retrouver, pas besoin de lancer de sortilège. Il suffisait de se diriger vers les grondements terrifiants de la créature immortel. Avec sa taille imposante, on pouvait difficilement la rater. En quelques minutes, le reptile géant se retrouva devant eux, vomissant ses flammes sur les couloirs du labyrinthe. Sa rage ne s’était pas calmée d’un cheveu. Bien au contraire, la fuite d’Eris la rendait plus vive.  

Puis Thalion les vit. Les deux magériennes couraient à perdre haleine comme si leur vie en dépendait, ce qui n’était pas loin d’être le cas. Elles étaient à bout de souffle et à deux doigts de s’écrouler, livides. Elles transpiraient à grosses gouttes sans que Thalion ne sache si c’était à cause de la chaleur des flammes ou de l’effort physique. L’air sonné, on aurait dit qu’elles avaient arrêté de réfléchir et que leur cerveau s’était mis en mode automatique. L’adrénaline leur avait permis de tenir le rythme jusqu’ici, mais ce n’était pas étonnant qu’elles soient aussi épuisées après avoir couru si longtemps, le feu aux fesses.

  —  Eris ! Cally ! cria Nohan pour attirer leur attention.

Sa voix fut comme un électrochoc pour les magériennes qui semblèrent soudainement reprendre pied avec la réalité. La surprise mêlée au soulagement éclaira leur visage. L’espoir de s’en sortir devait leur donner un regain d’énergie car elles piquèrent un sprint pour pouvoir s’abriter sous le bouclier de Nohan. Mais Shivana les talonnait de près et ne comptait pas les laisser partir aussi facilement. La protection du magérien était permanente, mais pas faite pour résister au jet de flammes qu’ils s’apprêtaient à recevoir. Thalion devait faire diversion.

  —  Nohan, retourne avec les filles vers l’endroit où on s’est retrouvés. Dirige-toi vers l’est, là d’où je suis arrivé, jusqu’à la paroi d’opale. Il y a une cavité dans laquelle vous pourrez vous abriter. Je vous rejoins juste après.

  —  Qu’est-ce que tu…

  —  Fais-moi confiance ! dit-il en sortant du bouclier à l’instant où les filles les rejoignaient.

Thalion courut vers le dragon qui se dressait devant lui dans toute sa grandeur, les narines fumantes. L’adrénaline courait dans ses veines et empêchait la peur de paralyser ses muscles. Il brandit sa baguette sur le ventre du dragon avant de lui hurler avec toute l’assurance dont il disposait :

  —  C’est fini, Shivana ! Il est temps de mettre un terme à cette course-poursuite ! Tu m’as signifié que ma magie était dangereuse, je vais te montrer à quel point tu avais raison ! Laxiyos kamino !

Lorsqu’il prononça ces mots, un semblant de terreur parut remplacer la colère dans ses yeux violets. Elle s’élança dans les airs pour esquiver le sort qui allait jaillir de sa baguette, mais rien ne se produisit. Aucune attaque ne l’atteignit, pour la simple et unique raison que son incantation n’existait pas. Thalion venait de l’inventer au gré de son inspiration pour détourner son attention de ses amis afin qu’ils puissent s’enfuir. Jamais Thalion n’avait compté la blesser mortellement au ventre. S’il en avait été capable, il l’aurait déjà fait.

Avant qu’elle ne comprenne, le maudit détala à tout allure. Se sacrifier comme un héros pour les couvrir, c’était bien beau. Mais maintenant, il devait se débrouiller pour rester en vie avec un dragon en pétard sur le dos. Un hurlement déchirant qui semblait venir tout droit des Enfers secoua une fois de plus la bibliothèque, suivi d’un lourd silence. Un peu comme le calme avant une tempête, ce qui n’était jamais bon signe. Puis des explosions survinrent, et des ombres rondes de la taille d’un ballon de basket apparurent autour de lui. Thalion réalisa avec effroi ce qui pleuvait au-dessus de sa tête et menaçait de le briser en miette : des boules de lave fumante que le dragon crachait comme des boulets de canon. Les esquiver allait s’avérer plus ardu que les livres.

Mille milliards de gargouilles puantes ! Bordel de gnomes en rogne ! Comment j’en suis arrivé là ?

Le magérien traçait en évitant tant bien que mal les projectiles et les débris qui résultaient des impacts. Les boulets de feu esquivés se fracassaient contre les étagères qui s’effondraient, les morceaux de bois s’éparpillant dans tous les sens. Elles pouvaient supporter les flammes, mais pas ce genre d’obus. Les bibliothèques s’écroulaient, des livres meurtris jonchaient le sol et des feuilles volaient de partout. Entre les secousses et la poussière qui se répandait, obscurcissant l’air, le lieu divin n’avait plus rien de tel. Ce n’était plus qu’une vision apocalyptique. Thalion trébuchait contre des ouvrages blessés, mais se relevait sans se préoccuper de la douleur pour continuer de courir comme un dératé. Il était concentré sur sa lancée avec comme seul objectif en tête sa survie. Il réussit à passer de justesse entre deux bibliothèques qui tombaient l’une contre l’autre comme des dominos et à ne pas finir écrasé quand une autre s’éboulait au-dessus de lui. À ce stade, il ne savait pas par quel miracle il était encore en vie. Peut-être que les dieux étaient de son côté pour une fois, ou que la chance lui souriait. Son soulagement n’avait jamais été aussi intense qu’en apercevant la cavité depuis laquelle ses amis l’encourageaient. Thalion parcourut les derniers mètres à une vitesse qu’il ne pensait pas atteindre un jour, et se jeta littéralement à l’intérieur, prenant le sol de plein fouet. Shivana devait l’avoir perdu de vue, trop occupée à produire ses boules de feu, car elle continuait de détruire la bibliothèque, obnubilée par sa rage.

  —  Corvus ! Tu es complètement inconscient ! s’effara Nohan alors qu’il s’était à peine remis de ses efforts. Tu te rends compte d’à quel point c’était dangereux !? Tu…

  —  Franchement, chapeau, le félicita Eris. On peut dire que tu en as dans le slip.

  —  C’est vrai que c’était courageux, confirma Calysse.

Tout en reprenant son souffle, allongé sur le dos, il observa les deux magériennes qui avaient repris des couleurs, l’air prêtes à en découdre.

  —  Je… ne pensais pas qu’elle s’énerverait autant pour un coup de bluff, parvint-il à articuler.

S’il avait su avant qu’elle deviendrait enragée au point de devenir un canon vivant et de détruire la bibliothèque, il n’aurait probablement pas agi de la même manière.

Cally lui sourit avec bienveillance.

  —  Ça n’en était pas moins courageux.

  —  Ou stupide, maugréa Nohan.

Son regard réprobateur indiquait qu’il lui en voulait toujours de s’être mis ainsi en danger, mais Thalion n’avait pas le temps de s’en préoccuper.

  —  Nohan vous a expliqué ?

  —  L’opération attaque mentale ? Ouais, on est carrément partantes ! déclara Eris, et sa meilleure amie acquiesça.

Bien. Si tout fonctionnait, ils allaient pouvoir quitter cette bibliothèque infernale pour ne plus jamais y mettre les pieds.

Une fois les derniers détails réglés et les sorts de guérisons administrés, ils sortirent de leur cachette. Le dragon s’était éloigné d’eux, ce qui leur offrait l’occasion de se dissimuler sans risque. Puis Eris lança le début de l’opération.

  —  Bah alors, Shivana ! On a du mal à se faire quatre élèves de première année ? Faut croire qu’à force de rester cloîtré ici, tu t’es affaiblie ! Lire à longueur de journée ne renforce que ta cervelle !

Les provocations eurent l’effet escompté puisque le reptile géant déboula devant elle, plus terrifiant que jamais.

  —  Toi…

  —  Eris Causack, à ton service !

  —  Tu aurais mieux fait de rester cachée…

  —  C’est vrai. Mais j’ai toujours préféré agir ! Maintenant ! lança-t-elle au moment où le dragon ouvrait sa gueule fumante.

Les magériens surgirent de leur cachette et crièrent conjointement l’incantation en la visant.

  —  Alominès Aïshtès !

Immédiatement, Shivana poussa un hurlement de douleur. Le groupe s’était mis d’accord pour utiliser un sortilège qui altérait les sens. En ce moment, elle devait avoir l’impression d’être dans une autre réalité, ou d’avoir mangé trop de champignons douteux. Les couleurs devaient s’inverser, la lumière et l’obscurité se confondre, les bruits se mélanger et s’intensifier sans raison. Son équilibre perturbé la faisait tituber et à chaque fois qu’elle touchait quelque chose, ses capteurs sensoriels transmettaient la mauvaise information : température brûlante ou glaciale, vive douleur sans raison… Avec ses sens désaccordées, impossible pour elle de les repérer correctement. Thalion aurait ressenti de la culpabilité devant sa souffrance si ce n’était pas le seul moyen de sortir d’ici avec Eris à leur côté.

Désorientée, elle se mit à dégurgiter aveuglément ses flammes. Les magériens évitèrent ses attaques hasardeuses et foncèrent vers l’escalier emprunté pour descendre.

En arrivant au lagon souterrain, Thalion se rendit compte que ce cauchemar allait prendre fin. L’escalier qui se trouvait quelques mètres au-dessus de l’eau dans la paroi avait repris sa forme initiale.

  —  Comment on fait pour remonter ? paniqua Cally.

  —  Trimoa ! lança Nohan en pointant la sortie.

Aussitôt le sort prononcé, il vola droit vers l’escalier en s’accrochant à l’une des marches pour ne pas tomber, comme si un fil l’avait tiré jusque là-haut.

Ni une ni deux, Eris et Cally suivirent son exemple et arrivèrent à bon port. Lorsque ce fut au tour de Thalion, une violente douleur lui transperça le crâne. Ses migraines de malheur… Avec l’adrénaline, il n’y avait pas prêté attention, trop occupé à courir pour sa survie. Mais maintenant que la pression retombait, il subissait les conséquences du sortilège de manipulation à la façon d’un boomerang. Thalion gémit en tombant à genoux, la tête entre ses mains. Pendant un instant, il ne perçut rien de ce qui l’entourait, seulement des sons indistincts. Quand il reprit conscience de la réalité, les mots qu’il entendit lui glaça le sang.

  —  Corvus ! Derrière toi !

En se retournant, Thalion se retrouva face à la terrifiante tête écaillée du dragon. Par les dieux ! Ses yeux n’étaient plus que le reflet d’une folie destructrice. Une dangereuse lumière écarlate gonfla dans sa gorge quand elle ouvrit la gueule. Sans avoir le temps d’esquisser le moindre mouvement, Shivana cracha ses flammes rougeoyantes sur lui.

Durant quelques secondes, Thalion se crut mort. La lumière l’avait aveuglé et la chaleur ardente qui avait soufflé sur sa peau lui donnait l’impression d’avoir été brûlé vif. Il avait même senti ses pieds décollés du sol. Ce n’est qu’en entendant la voix de Nohan qu’il comprit.

  —  Corvus ? Corvus, tu m’entends ?

Hébété, Thalion cligna des yeux le temps que sa vue s’éclaircisse. Il tourna la tête vers Nohan qui l’observait avec inquiétude, accroupi près de lui.

  —  J’ai utilisé Héla sur toi pour te tirer jusqu’à nous, expliqua-t-il. Tu vas bien ?

Eris et Cally se tenaient derrière lui. Il était assis sur la dernière marche de l’escalier. Ses jambes pendaient dans le vide, et plus bas se trouvait un dragon déchaîné qui vomissait du feu. Quelques flammes ardentes vinrent lui chatouiller les pieds, ce qui suffit à Thalion pour qu’il se relève dans un sursaut.

  —  Oui. Dépêchons-nous de rentrer.

Personne ne le contredit, et ils gravirent l’escalier aussi vite que leur état le leur permettait. Une terrible fatigue les tiraillait, transformant leur jambe en coton, mais ils ne s’arrêtèrent pas avant d’avoir atteint la salle d’Astrémi. Une fois dans la galerie des étoiles, ils s’écroulèrent sur place. Aucun d’eux ne réalisaient l’exploit qu’ils avaient accompli. Cally fut la première à rompre le silence.

  —  Si on m’avait dit que les ennuis avec vous consistaient à affronter un dragon… je ne l’aurais jamais cru.

  —  C’est assez rare, en principe, se justifia Eris.

  —  Je l’espère bien !

  —  Et on aurait évité la confrontation si un vol n’avait pas été commis… rappela Thalion.

Eris baissa les yeux en se mordant la lèvre, coupable.

  —  Pardon… Promis, j’ai laissé tomber le livre.

  —  Au moins, on peut se dire qu’on fait partie des rares personnes à avoir trouvé l’Antre du savoir, affronté un dragon, et surtout, s’en être sorti vivant ! s’exclama Nohan qui ne pouvait pas s’empêcher de voir le bon côté des choses.

Thalion hocha la tête, ne pouvant le contredire sur ce dernier point. Il s’en réjouirait une fois remis de ses émotions.

  —  Ouais, mais on va tout de même éviter la bibliothèque pendant quelques temps. Je n’ai pas envie de la recroiser de sitôt…

Thalion sortit le grimoire qui avait réchappé de la traque. La couverture était incrustée de pierres vertes et d’or, sans aucun titre. Au centre se trouvait un œil grand ouvert, tracé en rouge (du sang ?), qui semblait le fixer. Même si le magérien n’était pas rassuré, il était curieux de découvrir les savoirs que renfermait le livre et d’y trouver le moyen de mettre fin à son calvaire. Comme ce n’était pas le bon moment, Thalion rangea l’ouvrage sous le regard déçu de ses compagnons.

  —  On l’examinera plus tard, trancha-t-il. On doit rentrer aux dortoirs avant qu’on ne s’aperçoive de notre absence. Avec un peu de chance, on pourra peut-être gratter quelques heures de sommeil.

Leur épuisement était si évident que personne ne protesta. Complétement éreintés, ils parvinrent à rejoindre la chambre sans incident, puis s’endormirent à la minute où leur tête se posa sur l’oreiller.