Chapitre 30

Notes de l’auteur : MAJ : 22 juin. nouveau chapitre avec très peu d'éléments conservés pour l'histoire de Léa. J'espère que cette nouvelle orientation vous plaira.

Demeure d’Eymris, la Lande – Brocéliande

 

Léa sortait de chez Emrys en transportant les dernières plantes qu'elle avait triées. Ses mains étaient zébrées de nombreuses éraflures à force de décortiquer les tiges fraîches et de les ficeler en paquets, mais une sensation de satisfaction l’envahissait.

— Merci, Léa, ton aide a été précieuse aujourd’hui encore, s'exclama le druide en lui remettant une pochette.

— Je vous en prie, c’était instructif. Tant que je vis ici, c’est la moindre des choses que je participe. Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-elle, curieuse.

— Un cadeau. Tes mains sont abîmées, répondit Eymris.

— Merci ! Mais ce n’est pas la bouillie habituelle, remarqua Léa en observant la pochette.

— Celle-ci est plus précieuse, c’est un onguent. Je n’en produis pas de grandes quantités.

Léa sourit en retour au druide Draob qui la raccompagnait, admirant une fois de plus ses beaux bois torsadés et sa peau caramel. Il était sa créature préférée de Brocéliande.

Elle avait croisé beaucoup de monde ces derniers temps, et les Brocéliandins, qui au premier abord étaient curieux ou méfiants en sa présence, s’étaient vite adoucis, grâce à la présence de Lia et Ella, ainsi que ses efforts pour aider à la récolte.

Alors qu’elle rangeait des sacs d’herbes dans la remise, elle entendit du brouhaha à l’extérieur de la maison et jeta un œil par la fenêtre, apercevant une gigantesque silhouette passer devant ses yeux.

Elle recula précipitamment, reconnaissant la silhouette distinctive d’un géant, peut-être même celui qui l’avait attaquée à son arrivée, et ne put s’empêcher de frissonner. Instinctivement, elle regarda ses mains pour vérifier qu’elles étaient bien couvertes de poudre de fée.

Certains Brocéliandins, avec qui elle avait tissé des liens en travaillant, avaient deviné son identité et n’avaient pas changé d’attitude envers elle, restant adorables. Mais elle ressentait des réticences à l’idée de se dévoiler face à des inconnus, et ce géant avait ravivé sa peur. Elle palpa ses côtes, encore douloureuses des ecchymoses causées par Garen.

Prudemment, elle se rapprocha de la fenêtre pour voir ce qu’il se passait. Le géant, après avoir déplacé de grosses caisses sur une remorque tirée par un équorix, reprit taille humaine et se tourna dans sa direction, comme s’il avait senti qu’on l’épiait.

Elle se cacha, par réflexe, le cœur battant, vérifiant une nouvelle fois que ses mains scintillaient encore.

« Arrête d’avoir peur pour rien. Ce n’est pas Garen. Ce géant ne te fera rien, même s’il te croise », pensa-t-elle en se remettant au travail.

D’ici quelques jours, ils auraient terminé la récolte, et elle prévoyait de partir avec Lia et Ella vers l’ouest, chez Hafgan, l’ami druide d’Emrys, pour qu’il l’aide à repartir sur Terre.

Plus tard, alors qu’elle circulait, les bras chargés d’un gigantesque sac de lavande, Léa évita de justesse deux korrigans qui passaient trop près de ses jambes. Elle trébucha et se heurta à un mur, la vue obstruée par son paquetage. Alors qu’elle pensait tomber en arrière, une main solide la rattrapa, tandis qu’une autre soulevait son sac comme s’il ne pesait rien.

Elle se retrouva nez à nez avec un torse musculeux. En levant la tête, elle rencontra deux yeux bleus intenses, perçants comme ceux d’un prédateur. Son visage à la mâchoire carrée était bordé de cheveux courts d’un brun chaud, brillants sous les faibles rayons filtrant dans le couloir.

— Est-ce que ça va ? dit l’homme d’une voix rauque.

— Heu, oui, merci, répondit Léa, surprise, alors qu’il la maintenait toujours par le dos de sa grande main.

— Tu es nouvelle ici ? J’ai l’impression de t’avoir déjà rencontrée.

— Je suis juste de passage pour la récolte. Je repars bientôt, et c’est la première fois qu’on se parle, répliqua-t-elle rapidement en se dégageant de la main du géant.

— Je m’appelle Donnon, gardien de la reine Dahut, dit-il en tendant cette fois-ci la main que Léa prit pour la serrer.

— Moi, c’est Léa, répondit la jeune femme, mal à l’aise, cherchant en vain ses deux copines fées du regard.

— J’ai rarement vu des fées aussi grandes que toi. Es-tu plutôt une nymphe ?

Léa ne savait pas quel mensonge inventer pour se sortir de cette situation et joua la carte de la timidité en baissant la tête, espérant qu’il arrête avec ses questions.

— Donnon, ne fais pas peur à mon invitée, dit la voix d’Emrys, qui arriva derrière le géant.

Le Draob arriva à point nommé, et Donnon lui adressa un large sourire, dévoilant une rangée de dents blanches parfaitement alignées.

— Je ne l’embête pas, je l’aide à porter son sac. Je ne savais pas que tu exploitais autant ceux qui viennent pour la cueillette. Elle a failli tomber à cause du poids des plantes, répliqua le géant en soulevant le sac d’une main, alors que Léa devait utiliser ses deux bras.

— Je ne suis pas une faiblarde ! s’offusqua Léa, piquée dans son orgueil. Je suis capable de m’en occuper seule, j’ai juste perdu l’équilibre.

Donnon éclata de rire, ce qui agaça encore plus la jeune femme, qui lui jeta un regard offusqué, brisant sa couverture de fée timide. Après que le géant eut aidé Léa contre son gré, il partit avec le druide, et elle se retrouva enfin seule.

« Tout va bien, plus que deux jours à longer les murs », pensa-t-elle.

***

Les deux jours suivants furent un enchaînement de rencontres hasardeuses entre Léa et Donnon. Chaque fois qu’elle se retrouvait seule dans un couloir, une remise, la cuisine, ou même dans sa chambre où il était entré par erreur, il était là et engageait la conversation avec elle. Elle se demanda s’il la suivait, mais il semblait évident qu’il prenait un malin plaisir à la taquiner, mettant en avant sa force de bœuf pour tenter de l’impressionner, du moins c’est comme ça que Léa le voyait.

Alors qu’elle achevait enfin sa part de travail et se préparait à partir, son balluchon à la main, Emrys l’attendait devant l’entrée avec Donnon, ce qui commença à l’inquiéter. Que fichait le géant là ?

— Bonjour, Emrys, salua Léa, alors que le Draob souriait, faisant briller ses beaux yeux vert pâle.

— Léa, merci encore pour ton aide. Nous avons été plus rapides grâce à toi… et aussi à Donnon, qui nous a prêté main forte cette année. Tiens, prends cette lettre que tu présenteras à mon ami.

Elle la prit, reconnaissante, et jeta un regard en direction de Donnon.

— Tu pars aussi ? demanda-t-elle au géant.

— Oui, je vous accompagne, répliqua Donnon.

— Quoi ? C’est une blague ! Lia et Ella viennent déjà avec moi ; nous n’avons pas besoin de voyager ensemble…

— Nous n’avons qu’un seul équorix au domaine, et Donnon doit se rendre rapidement à la capitale. Il vaut mieux que vous voyagiez tous les quatre, expliqua le druide.

— Puisqu’il le faut… accepta Léa en soupirant. Mais si tu me ralentis, je pars sans toi !

— Ce sera un plaisir de voyager avec toi, rit Donnon, pas le moins du monde coupable d’avoir réquisitionné l’équorix que Léa et ses copines devaient prendre.

À l’arrivée des deux sœurs, tout était prêt, l’énorme équorix harnaché avec leurs affaires. Le géant aida Léa à grimper et la suivit, se plaçant derrière elle. Ils entamèrent un voyage tumultueux, les flancs de la créature bougeant de gauche à droite, la ballotant, tandis que les avant-bras de Donnon la maintenaient fermement. Le géant maîtrisait parfaitement les ondulations de leur monture.

La végétation dense paraissait beaucoup moins menaçante depuis le dos de l’équorix, qui traçait son chemin à travers les bosquets et les arbres. Plus ils s’éloignaient, plus ils croisaient de Brocéliandins, car ceux-ci ne participaient pas à la récolte.

Ils finirent par s’arrêter à mi-chemin pour passer la nuit dans une zone boisée que Lia et sa sœur connaissaient bien. Pendant que l’équorix allait brouter, ils avancèrent jusqu’à une clairière bordée de bouleaux blancs, aménagés en dortoirs pour oiseaux avec des centaines de petites cabanes. Des sortes de lampions lumineux de la taille de noix couvraient les branches, créant une ambiance chaleureuse.

— C’est superbe ! s’exclama Léa, qui n’avait connu jusque-là qu’une grotte et la demeure du druide.

— Bienvenue à la Clairière aux Fées, répondit Lia avec un grand sourire.

Des petites têtes sortirent de certaines portes ou fenêtres, attirées par le bruit, tournoyant autour d’eux. Elles les attirèrent jusqu’à un amas de rochers mousseux qui formaient des sortes d’alcôves. L’équorix, une fois rassasié, s’y installa pour se reposer. Donnon, s’y calant également, invita Léa à le rejoindre.

— Il fait un peu froid la nuit et les Tincarff ne sont pas autorisés ici. Viens dormir près de moi, proposa le géant.

Alors qu’elle s’apprêtait à refuser, un cerf au pelage immaculé entra dans leur espace et s’approcha d’elle. Il baissa son museau pour lui donner un léger coup de tête inquisiteur, la poussant à le suivre. Le cerf, qui la dépassait de deux têtes, avait des bois brillants à la lumière des lucioles, et son poil argenté semblait appeler à être caressé.

Léa se laissa guider et se coucha près de lui. Elle s'endormit ainsi, le bras passé autour du flanc de l'animal, comme un oreiller réconfortant. Elle n'aurait jamais imaginé dormir contre un cerf, et encore moins qu'il lui rendrait visite en rêve...

Dans son rêve, elle était allongée sur le dos de l’animal, qui marchait lentement. Son bras retombait calmement, et Léa comprit que ce n'était pas la réalité. Le cerf se mit à lui parler directement par télépathie :

« Es-tu une amie de Brocéliande ? »

— Je ne sais pas ce que vous voulez dire, mais je viens en amie, je suis juste de passage…

« Un danger guette la forêt, il… »

Il n’eut pas le temps de terminer sa phrase qu’une odeur fétide s’échappa du sol, remontant vers elle comme des volutes de fumée. Les arbres semblèrent s’agiter, et elle entendit un grondement qui lui glaça les entrailles.

Le rêve se dissipa ; elle se retrouva debout au milieu des arbres, près d’un point d’eau boueux d’où émergeait une créature semblable à un ours, dont le pelage grouillait de milliers de créatures sombres. Sentant le danger, elle se mit à courir aussi vite qu’elle le pouvait, évoluant avec aisance grâce à sa forme athlétique, jusqu’à déboucher sur un enrochement ; elle était coincée.

Elle repéra un arbre massif qu’elle se mit à escalader, tandis que la créature terrifiante arrivait au pied de l’arbre. L’odeur de pourriture était insoutenable, et un léger râle s’échappa de ses lèvres, faisant réagir la créature qui la fixa de ses yeux brillants d’une lueur morbide.

Elle vit Donnon arriver derrière la créature. Il se mit à grandir, à enfler, devenant titanesque, cassant une branche avec son épaule. Un nouveau grondement retentit, faisant vibrer le sol. Léa ne put s’empêcher de gémir, voyant que la créature n’allait pas lâcher prise, toujours fixée sur elle malgré la présence du géant derrière elle.

— Fais attention ! cria-t-elle à l’attention de Donnon, sa voix cassée par sa course effrénée.

À peine avait-elle prononcé ces mots que Donnon saisit les deux pattes de la créature et les disloqua d’un geste sec, poussant un cri bestial. Puis il abattit son poing à l’arrière du crâne de la bête qui hurlait de douleur, avant de saisir la branche cassée qu’il enfonça dans sa gorge comme un pieu, faisant jaillir une gerbe de liquide noirâtre.

L’odeur fétide, mêlée aux gargarismes sanglants, lui provoqua un haut-le-cœur. Elle repensa à la terreur de son premier jour dans ce monde : un géant capable de broyer une telle créature pourrait sans effort la briser d’une main.

 

Elle tremblait en haut de sa branche quand elle réalisa qu’elle ne scintillait plus. La poudre de fée s’était volatilisée, la laissant nue, parfaitement humaine, face à un géant qui tendait son gigantesque battoir dans sa direction.

Léa prit peur et se protégea de ses bras, balbutiant tout ce qui lui passait par la tête.

— Ne me mange pas ! gémit-elle, tremblante.

Pour toute réponse, deux bras la saisirent délicatement, et elle se retrouva au sol, contre le géant qui avait rapetissé à deux mètres de hauteur.

— Je ne mange pas les humains, Léa. Calme-toi.

— Je… je suis désolée… j’avais peur…

— Chut, souffla-t-il doucement en lui caressant maladroitement le dos. Tu ne crains rien avec moi.

Un gémissement s’échappa de ses lèvres lorsqu’elle leva les yeux vers lui. Il ne semblait pas contrarié, juste inquiet.

— J’avais tellement peur… Qu’est-ce que c’était que ça ? Je…

Elle n’eut pas le temps de terminer que son estomac se retourna, et elle vomit, apercevant la carcasse sanglante de la créature derrière Donnon qui lui cachait jusque-là. Il la souleva avec facilité et s’éloigna rapidement de la zone, lui masquant la scène de ses bras.

— C’est un corrompu. Un Brocéliandin qui a perdu le contrôle de sa magie et a muté. Ils sont extrêmement dangereux, et c’est la raison pour laquelle je dois me rendre à la capitale, répondit Donnon, le ton grave.

— Je n’aurais eu aucun moyen de résister à ça… Qu’est-ce qu’il se passe ici ?

— J’aimerais bien le savoir, répliqua le géant. En attendant, nous devons rejoindre l’ouest au plus vite jusqu’à la cité d’Ys. Tu seras en sécurité avec Afgan.

Ce soir-là, une dizaine de fées et le cerf blanc furent massacrés, laissant les habitants de la clairière dans une tristesse incommensurable.

Donnon et Léa partirent à la première heure le matin, après avoir brûlé la carcasse de la créature, dont l’odeur âcre les suivit sur des kilomètres.

 

 

 

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Bleumer
Posté le 25/04/2024
Pas grand chose à dire sur ce chapitre. Léa s'implique et cherche à prendre des responsabilités pour contribuer à ce monde. Même si je t'ai dit que je trouvais que toutes les héroïnes se ressemblaient, elles ont quand même chacune quelques touches de caractère spécifique.
J'ai parfois un peu de mal avec la temporalité, j'ai l'impression que tout s'enchaîne rapidement mais que, d'un autre côté, certaines donnent l'impression d'être là depuis un an tellement elles semblent habitués au monde. La première fois que je me suis posé la question était quand Calys avait l'air de vouloir renoncer à dévorer des humains. Avait-il vraiment pris cette décision "juste après" avoir rencontré Noémie? Cela avait-il pris du temps à son contact? Tout, pour moi, n'est pas très clair sur l'aspect du temps.
Papayebong
Posté le 22/06/2024
Le chapitre a été totalement modifié, dans la continuité de l'histoire de Léa. Elle rencontre Donnon dans ce chapitre. j'espère que la temporalité sera plus claire ici et aussi dans l'histoire de façon générale, après réécriture. On pourrait se dire que les filles semblent à l'aide dans ce monde qu'elles ne connaissent pas, mais je ne me voyais pas étirer le temps sur plusieurs semaines quand les 3 copines arrivent sur en Brocéliande.
Concernant Calys, la rapidité de son choix ne me semblait pas importante. Il mange de la chair humaine pour les pouvoirs que ça lui apporte > Le sang de Noémie permet de s'en passer (il trouve ça répugnant) et il ne veut pas l'effrayer, donc il arrête, point.
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