Chapitre 3.2 La clochette

Le jour se leva lentement, gris et frais.

— Avez-vous besoin qu’on se repose ? demanda Ymir.

— Seule Cattleya a été touchée, intervint Elaron. À elle de décider.

— Je me reposerais dans la charrette, inutile de vous inquiéter, répondit l’intéressée en essuyant le sang.

Pendant que Dola terminait d’assembler les chevaux, Cattleya se dirigeait vers l’étang pour se nettoyer et au même moment, Elaron suggéra de se rendre dans le terrier de la goule. Isil secoua la tête avec énergie pour approuver la proposition du demi-elfe.

— Je veux savoir si elles sont toutes mortes, accentua Isil. S’il n’y a pas autre chose.

— Parfait, répliqua Elaron. Ymir, souhaites-tu nous accompagner dans le corridor ?

— Pourquoi pas, répondit Ymir.

— Très bien, annonça gracieusement le demi-elfe. Allons nous amuser…

Avant de s’enfoncer dans le terrier, Ymir avait envie de garder les têtes des goules, mais Isil et Elaron semblaient plus raisonnables et l’en empêchèrent.

Malgré leur bonne vision dans le noir à eux trois, Isil alluma une torche afin de mieux distinguer les ombres du corridor. Elaron n’était clairement pas rassuré. À la lumière fluctuante de la flamme, ils descendirent au sein de ce terrier à l’odeur rance. Isil ouvrit la marche et ils eurent la surprise d’arriver à l’intérieur d’un sous-sol préexistant et en bien meilleur état qu’ils n’auraient pu l’imaginer. Même Isil qui avait entendu parler de cet endroit fut étonnée de voir ce lieu. Ses souvenirs étaient finalement erronés.

— C’est étrange ça, avoua Isil

Ils arrivèrent par un couloir et ils pouvaient voir sur leur droite, l’ouverture d’une salle sombre. Devant eux, au fond du corridor, une arche menant vers un autre accès qui devait jadis conduire ailleurs, mais dont une partie du plafond s’était effondré, gisait un charnier atroce. Un tas de cadavres rapportés par les goules probablement de manière régulière pour les manger, protégé des rayons lumineux du soleil. Ymir voulut jeter un œil dans l’amas de corps et s’avança seule dans sa direction. Elle identifia des restes de vêtements que l’on vendait typiquement aux aventuriers, des armes rouillées, des boucliers cabossés, tout cela pourri, remplis de sang, car laissés là à dépérir. Des os brisés, avariés et une odeur de viande atroce couverts d’insectes grouillants en train de se repaître des vestiges qu’avaient abandonnés les créatures monstrueuses. Rien n’était utilisable dans ce charnier, mais en regardant sur sa droite, le couloir continuait et donnait accès à deux autres salles. Ymir en parla à ses coéquipiers.

— Est-ce que vous souhaitez que l’on visite les salles ensemble ou chacun sa salle ? demanda Elaron en claquant des genoux.

— Non, non ! On ne se sépare pas ! indiqua Isil.

— On est d’accord, soutint Elaron. Je pense que par sécurité, l’un de nous pourrait faire le guet dans le couloir, pendant que les deux autres vérifient la pièce ? Et l’on échange nos rôles à chaque lieu ?

— On peut ! affirma Isil.

— Pour la première salle, je veux bien faire le guet, ajouta Elaron voulant se montrer courageux.

Ils commencèrent par la première proche de l’entrée du terrier. Elaron fit le guet dans le couloir, mais restait inquiet au moindre bruit suspect. Ymir et Isil pénétrèrent dans la salle sans appréhension. L’elfe était impressionnée par sa vision. Elle pensait que tout avait été détruit dans ce sous-sol, elle en était persuadée. Pourtant, tout était là. Elles arrivaient à percevoir grâce à leur torche une sorte de bureau d’expert, des étagères étaient garnies de quelques documents décrépits et un secrétariat laissait entrevoir quelques traces d’activité de scribe ou autres. Les lieux semblaient inconnus pour Isil, mais pas pour Ymir qui détermina que ce n’était pas n’importe quel endroit. C’était tout d’abord l’étude d’un arcaniste ou d’un alchimiste et les dégradations présentes dans cette salle n’étaient pas dues à n’importe quoi. Isil s’en rendit compte également, il y avait bien eu un feu ici, mais il paraissait plus récent que les flammes qui dévorèrent l’auberge et les différents bâtiments de la surface. Ymir parvint à trouver un seul parchemin encore lisible dans l’amoncellement de détritus.

« Les orcs ont mordu à l’hameçon, comme nous l’attendions de leurs misérables engeances. Ils ont fondu sur les misérables de Clairlong, persuadé que les illusions que nous leur avions envoyées étaient l’appel à la guerre de leur dieu primitif. Nous pouvons désormais paralyser toute volonté de Gondalfen ou de Paçon d’envoyer du renfort ou même de nettoyer les décombres. Les idiots fondent tels des chiens sur les boucs émissaires que nous leur offrons. Tous continueront de craindre de blâmer ceux des autres races puis ceux des autres cités. Bientôt, ils finiront leurs descentes dans la méfiance et s’isoleront, alors nous frapperons enfin ! Les seigneurs ont décidé qu’il sera fait de Gondalfen un exemple. Tu as ordre de faire hâte vers les ruines de Clairlong. Là, tu trouveras refuge dans une cave située sous les décombres. Nous avons assuré tout le pays qu’elle n’était plus que ruine et disposé des survivants ayant put avoir connaissance de son maintient. Là, tu prépareras le rituel tel que maître Jaeger l’avait instruit. Assure-toi que le volume suffise pour tout le bourg. Lorsque le signal sera donné, tu disposeras le soluté à un des endroits qui t’ont été indiqués, à minuit avant le jour du marché. Nous n’avons cure d’éliminer les gardes. Le nombre de victimes sera ta priorité, homme, femme ou enfant. Après quoi, disparais sans laisser de trace ni retourner à Clairlong, car la route sera certainement empruntée par les gueux fuyant notre œuvre. Retourne prestement auprès du maître Xavius une fois ton devoir accompli. »

— Mais que s’est-il passé ? tempêta Ymir. Ce n’est pas moi !

Ymir était complètement interloquée. Elle avait lu cette lettre à voix haute en citant son propre nom de famille. Isil s’approcha de tout ça. Elles remarquèrent quelques bribes de papiers et quelques morceaux. Elles pouvaient voir des inscriptions, mais les fragments de ce qu’elles purent trouver restaient illisibles ou se délitaient entre leurs doigts quand elles s’en saisirent. Ymir partagea sa crainte avec Isil, elle semblait sincèrement troublée.

— Cela à un rapport avec quoi ? demanda Isil calmement.

— Ça a rapport avec… répondit-elle en réfléchissant. Je n’ai pas l’impression que c’est avec moi, mais quelqu’un de ma famille.

L’elfe s’exclama vivement.

— Je n’arrive pas vraiment à cibler le pourquoi du comment, reprit Ymir entièrement perdue dans ses pensées.

Isil tenta d’identifier le parchemin, le type de papier. Elle voulait savoir si cela appartenait à une certaine classe sociale. Manifestement, au vu du grain du parchemin, qu’il ait résisté à l’incendie et l’humidité pendant des années ici, elle comprit que c’était du bon ouvrage. C’était le genre de matériau de qualité qu’on importait du nord avant la guerre. Ymir désirait voir si une signature ou un sceau résidait en bas de page, mais elle ne découvrit rien. Elle ne reconnaissait même pas l’écriture. Ymir voulait conserver la lettre, car elle sentait qu’elle détenait un lien avec sa famille. Mais Isil se proposa de la garder pour elle avec une sorte de pochette en cuir qui permettrait de le préserver en bon état. La tieffeline accepta à contrecœur.

Elles cherchèrent encore pendant sept à huit minutes en retournant la salle de fond en comble. Elles ne retrouvèrent rien de plus intéressant. Isil sortit de la salle la première. Elaron vit émerger de la pénombre les deux jeunes femmes. Ymir était totalement désorientée et le demi-elfe le remarqua.

— Que s’est-il passé ? demanda-t-il avec de grands yeux ronds.

— J’aimerais bien le savoir ! répondit Ymir la mine basse.

— Savoir quoi ? insista Elaron.

Isil expliqua la situation au demi-elfe qui semblait perdu. Il comprit qu’ils se trouvaient dans les ruines du village de Clairlong et qu’elles avaient découvert ce document qui le spécifiait. Cette lettre parlait de l’attaque des orcs qui aurait été orchestrée sur la petite bourgade. Ces créatures auraient été manipulées et quelqu’un se serait servi d’influence politique aux alentours pour éviter que de l’aide ne vienne pour nettoyer les décombres. Cela leur permit d’y cacher quelqu’un qui put ensuite fomenter une offensive massive contre Gondalfen. La cité devait être un exemple et cela avait enclenché le début de la guerre qui avait commencé une dizaine d’années auparavant. Ils comprirent que le serviteur qui reçut cette lettre avait participé à la préparation de l’attaque de Gondalfen en se cachant ici. Il avait tenté de détruire les traces de son passage en partant avant le début de la guerre. Ymir souleva la mention que quelque chose qu’ils avaient utilisé leur avait été instruit par quelqu’un qui portait le même nom de famille qu’elle. La tieffeline se doutait que cela avait un lien avec un rituel. Elle sentait que quelque chose de mauvais se tramait. Tous pouvaient voir qu’Ymir n’allait pas bien. Elle souhaitait explorer davantage pour en connaitre encore plus.

Éclairés par la lumière de la torche, Ymir et Elaron entrèrent dans ce qui avait dû être autrefois un laboratoire, pendant qu’Isil prit son tour de guet. Elaron et Ymir savaient dans quel type d’environnement ils se trouvaient. Ils imaginaient où un établi avait dû se placer jadis, où une sorte d’alambic aurait été installé et où logiquement auraient été rangés des produits finis. Et alors qu’ils fouillaient à l’intérieur de caisses pourries et d’étagères fracassées au sol, ils dénichaient quatre flacons encore intacts. L’un était une potion de guérison puisqu’elle était identique en apparence à celle découverte dans la besace d’un aventurier malchanceux. Mais concernant les trois autres potions, ils ignoraient leur identification. Les deux compagnons scrutèrent les fioles, mais aucun d’eux n’arrivait à les reconnaître. Le demi-elfe les rangea précieusement dans son sac. Isil restait aux aguets sans torche dans le couloir. Elle entendit qu’Ymir et Elaron provoquaient énormément de bruit en bougeant des morceaux de verres cassés ou en essayant de repérer quoi que ce soit d’encore utile. Isil saisit un son, comme un fragment de bois qui frapperait sur un autre ou bien une sorte d’os. Les deux dernières salles se trouvaient l’une en face de l’autre. L’accès à la troisième pièce était légèrement décalé de celle d’Ymir et Elaron. De là où elle était, Isil ne voyait pas grand-chose, mais elle comprit que quelque chose se trouvait contre le mur du fond de cette troisième salle. Elle se rapprocha lentement en sortant son arc et se retourna en direction d’Ymir et d’Elaron en se tenant toujours prête avec sa flèche pointée sur la menace.

— Ramenez-vous, ce n’est pas fini ! chuchota-t-elle.

— Que dis-tu ? déclara Elaron sans comprendre la situation.

Soudain, un autre bruit survint de cette dernière salle et tous restèrent aux aguets sans bouger. Ymir se concentra en fermant les yeux et tenta de détecter une présence à l’intérieur grâce à ses dons. Elaron s’approcha de la pièce lentement et laissa timidement apparaitre la torche. Tous les trois purent apercevoir dans cette salle l’indice d’un coffre ou d’une caisse couvert d’ossements adossé contre le mur du fond. Ymir comprit que la non-mort y résidait en utilisant son pouvoir, mais sans s’y aventurer. Elle sentit trois entités inquiétantes. Pourtant, depuis son point de vue, aucun mouvement n’était perceptible.

— Et Cattleya, ou est-elle ? chuchota Ymir en grognant. Elle va nous laisser dans la merde !

Cette dernière était avec Dola en train de préparer les chevaux. Après avoir fini d’atteler les animaux, Dola avait débouché une bouteille et s’était assise.

 — D’accord, c’est le début de la journée, avoua Dola. Mais c’est la fin d’une très longue nuit, nous sommes sur la même longueur d’onde ?

— Très bien, servons-nous un verre, décida Cattleya. Allez, détends-toi.

Dola se mit à boire directement à la bouteille sans se servir de gobelets à elle ou à l’humaine. Pour la jeune femme, ce n’était pas grave, car c’était une guerrière et elle considérait Dola comme l’une des siennes. Elle attrapa à son tour la bouteille et but une gorgée.

— Elle fait ses ongles, tranquille, s’énerva la tieffeline dans sa cave. Est-ce qu’aller voir dans cette salle vous tente ? Ou souhaitez-vous remonter tout de suite ?

— Nous n’allons évidemment pas partir les mains vides, répondit Elaron. Enfin, personnellement.

— Je ne laisse pas quoique ce soit de vivant ici, ajouta Isil.

— Après ce sont peut-être simplement des individus qui veulent discuter avec nous, délira Ymir ayant oublié son ressenti comme hypnotisée.

— Ce sont des squelettes ! précisa au hasard Isil pour la ramener à la raison.

— Tu es peut-être un petit peu trop optimiste, reprit Elaron à l’attention de la tieffeline. À l’origine, ce qui nous attend résidait avec des goules. Donc je ne pense pas que ce soit des personnes bienveillantes.

— Quelqu’un parle aux morts-vivants ici ? demanda Ymir qui semblait converser dans le vide.

La nécromancienne paraissait dans un état second et perdue dans ses pensées.

— Non, répondit Elaron simplement.

— De quoi ? s’étonna Isil qui commençait à douter de son amie.

Soudain, la tieffeline toujours perchée dans son monde s’écria.

— Qui va là !

Mais aucune réponse ne parvint des lieux, laissant Elaron et Isil avec de grands yeux ronds surpris et tendus. Isil aurait voulu faire taire la tieffeline, tandis qu’Elaron aurait souhaité conserver une tête de goule pour la jeter dans la pièce et avertir les créatures présentes qu’elles risqueraient de finir ainsi. Puis, il eut une idée. Il désirait faire apparaitre une illusion au milieu de la salle afin d’attirer la menace et de la dévoiler devant eux.

— Quelle proie puis-je réaliser, les filles ? demanda Elaron très excité.

— Un enfant ! proposa Ymir.

— Un enfant plutôt blond ? Les yeux noisette ? rajouta-t-il. 

Après avoir peaufiné l’image de sa victime dans son esprit et avec beaucoup de concentration, Elaron matérialisa le physique d’un petit chérubin imaginaire à l’intérieur de cette salle. Pendant un instant, le silence régna et tout d’un coup l’explosion d’un tas d’ossements se fit entendre. Le squelette d’un loup ou un chien bondit pour écraser ses mâchoires décharnées sur la gorge de l’enfant. Alors qu’il comprit qu’il n’y avait rien, il tourna sa tête et ses orbites vides vers eux. La peur les saisit.

Ils étaient à l’intérieur du terrier depuis vingt minutes et Cattleya ne semblait pas encore inquiète de leur absence. Elle attendait avec Dola en s’assurant qu’elles n’avaient rien oublié dans la grange. Cattleya avait déjà fait deux fois le tour. Puis elle s’était mise à fouiller dans son sac pour s’assurer que rien ne lui avait été subtilisé. Elle avait également arpenté chaque bâtiment à la recherche de quelque chose d’utile, mais comme la veille, elle n’en trouva pas davantage. Le temps paraissait long et le soleil montait lentement vers la cime des arbres.

Ymir se trouvait la plus proche de l’ouverture de la salle, face au loup décharné. Elle s’avança vers lui et entra dans la pièce. Par les reflets de la torche sur son armure, elle remarqua que deux figures squelettiques étaient en train de se relever dans le fond de part et d’autre du coffre. Elle dégaina et essaya de donner un coup dans la gorge du canidé, mais déconcentrée par ces deux nouvelles formes, elle râpa à peine le bas de la mâchoire de la bête et ne toucha rien. Isil, toujours à l’entrée de la salle, décida de sortir l’une de ses flèches et de bander son arc. Elle visa le crâne du squelette de l’autre côté de la pièce, mais au même moment, Ymir opéra un mouvement de recul, obligeant Isil à éviter la propre tête de la tieffeline. La pointe passa alors à une mèche de cheveux de sa camarade et alla se briser sur la paroi du fond très près du décharné. Sous la frustration, Isil se déplaça finalement proche du loup pour le prendre en tenaille avec Ymir. Elaron voulut s’avancer à son tour, mais le canidé agit avant lui, lui faisant prendre peur. Le monstre à quatre pattes se jeta sur la tieffeline, mais elle leva son bouclier juste à temps. Elle pouvait entendre le claquement des dents sur l’obstacle. Voyant cette attaque esquivée, Elaron réagit plus rapidement et envoya un trait de feu sur le loup squelettique en évitant la tête de la nécromancienne. La violence des flammes frappa la créature qui s’écrasa à terre exactement après avoir heurté l’écu d’Ymir. Cette dernière sentit la chaleur la frôler, mais elle ne traversa pas son armure. Le reste des tendons et de la chair fraiche du monstre furent carbonisés.

— Vas-y, Ymir ! lança Isil. C’est le moment !

— Les filles, occupez-vous des deux autres squelettes, suggéra Elaron. Je peux achever cette immonde créature.

— On le tient en tenaille ! précisa Isil.

Mais sans pouvoir terminer de se consulter, les deux figures décharnées qui se trouvaient à l’intérieur de la pièce s’avancèrent, l’une vers Ymir et l’autre vers Isil et ils les frappèrent avec des épées rouillées. Les deux femmes étaient à leurs mercis.

Cattleya trouva toute cette attente singulière et décida d’aller à l’entrée du corridor. Elle tendit l’oreille et crut reconnaître des bruits métalliques ainsi que des échos diffus de magie. Intriguée, elle arpenta le terrier et arriva dans le long couloir près de la première pièce visitée, le bureau. Elle aperçut la petite lueur de la torche tout au loin, à l’angle d’un croisement de mur.

Le premier assaillant frappa Isil qui reçut l’attaque et la blessa immédiatement, tandis que le deuxième toucha l’armure d’Ymir et alla crisser sur son épaulière sans la heurter. Voyant que sa cuirasse fut à nouveau abimée, ses yeux s’empourprèrent et elle décida de massacrer le squelette humanoïde. Avec son épée, elle balança sa lame en travers de la cage thoracique du monstre et elle sentit que son arme manquait de rester dans les os. Elle comprit qu’elle avait fait de nombreux dégâts. L’assaillant se mit à tituber, mais resta debout. Grâce à la torche, elle aperçut les orbites vides du crâne se retourner vers elle et la dévisager.

Cattleya entendit que ses amis se battaient contre des créatures, alors elle se précipita dans le couloir, tourna à l’angle du croisement et fonça vers l’entrée de la salle près d’Elaron.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda Cattleya surprise de voir Elaron préparer une nouvelle attaque.

— On a un chien squelette et deux humanoïdes, répondit Elaron.

Cattleya obtint un mouvement de stupéfaction en découvrant les trois créatures dont l’une d’elles avait l’épée d’Ymir enfoncée dans le corps. Isil avait rangé son arc et sortit son épée courte. Elle donna un dernier coup dans l’arrière de la colonne vertébrale du loup carbonisé et dans un ultime soupir, il se brisa en deux et tomba en pile d’os à terre.

— Un de moins ! s’écria Isil avec satisfaction après avoir vaincu le premier monstre.

Elaron décida d’entrer à son tour dans la salle et se positionna sur la droite, hors d’atteinte des humanoïdes. Il prépara une seconde attaque de feu, mais le squelette aperçut l’offensive du demi-elfe et esquiva aussitôt le trait de flamme qui passa juste à côté de sa tête sans broncher. Elaron fut surpris par la rapidité du monstre et sa désinvolture. En voyant le regard vide et effrayant, Elaron voulait presque s’excuser et effectua un petit pas en arrière inquiet, sans se rendre compte qu’une table se trouvait derrière lui. Il bouscula le meuble et fit tomber un chandelier métallique.

— Désolé Monsieur, je ne pensais pas vous faire peur. En fait, je souhaitais seulement allumer la torche juste derrière vous. Je désirais juste vous éclairer le chemin pour mieux vous voir, c’est tout. Je ne voulais pas…

Le crâne, dont la mâchoire pendait un peu, se tourna lentement vers Elaron. Le squelette affrontant Ymir choisit alors de s’avancer vers le demi-elfe pour le frapper tandis que le deuxième attaqua de nouveau Isil. Le premier trébucha sur les ossements du loup ce qui permit à Elaron d’esquiver l’offensive. Isil aussi réussit à éviter le sabre rouillé envoyé par son propre agresseur. Cattleya décida d’intervenir. Elle fixa l’ennemi du milieu, celui qui harcelait Elaron et ses yeux devinrent sombres. La créature tenait toujours le bras en l’air, lorsque l’assaut mental de Cattleya l’atteignit. Un seul mot fut pensé par l’occultiste, fuit. Tous le voyaient qui tentait de se protéger en battant en retraite. Il se protégeait avant tout d’Ymir qui l’effrayait le plus et tourna le dos à Isil qui frappa immédiatement le fuyard. Elle donna un coup à l’horizontale. Coupé en deux, il dégringola sur les restes du loup anéanti. Ymir se précipita vers le dernier squelette en se positionnant derrière lui. Avec toute sa force, elle le poussa avec son bouclier et pulvérisa ses vieux os des épaules au bassin. Puis, il tomba en poussière en s’écrasant sur le sol pavé.

— Du coup, maintenant nous pouvons fouiller cette salle, lança Ymir, la sueur au front sous le regard médusé de tous.

— Elle ne perd pas le nord, sortit subtilement Elaron.

Cattleya esquissa un sourire. Elle se dit que cette tieffeline était décidément une forte alliée. Quant à Isil, elle semblait ravie d’avoir mis un terme à cette menace.

Dans le fond de cette salle se trouvait un coffre autour duquel les squelettes étaient apparus. Ymir se permit d’aller l’ouvrir sans un regard vers ses camarades.

— Et s’il était piégé ! supposa Cattleya. Tu devrais laisser l’experte jeter un œil avant.

— Tu ne veux pas que je regarde ? reprit Isil se sentant concernée. C’est un peu… mon domaine.

— Vas-y ! ordonna Ymir blasée.

— Elle ne va pas nous voler des émeraudes sous le nez, indiqua Cattleya subtilement.

— Moi, je me méfie, grommela Ymir. N’oubliez pas que c’est pour moi les pierres précieuses. 

— Depuis quand ? s’interrogea Cattleya. Je te croyais issue de la haute société. Ne devrais-tu pas crouler sous l’or ? Tu n’en as pas déjà assez dans ta besace ! Tu en veux sur le manche de ton épée, pour aveugler tes ennemis et les humilier de leur pauvreté avant de les abattre !

Pendant la chamaillerie habituelle des deux femmes, Isil avait scruté le coffre de long en large. Elle remarqua qu’aucun piège ne se trouvait sur ce coffre en bon état, il était simplement poussiéreux. En revanche, elle vit qu’il était fermé à clé. Elle sortit ses outils de voleur et même dans le noir elle n’eut aucun mal à l’ouvrir. À l’intérieur, certains des objets avaient pris l’humidité. Ils aperçurent ce qui semblait des vêtements, mais dans un état pitoyable. Quelque chose dont se souvenaient les petits aventuriers, c’était que beaucoup d’objets magiques étaient protégés de l’entropie, autrement dit de la dégradation. Ce qui leur permit de voir clairement à l’intérieur de ce coffre, en fouillant parmi les habits délabrés, une perle qui émit une sorte de lueur bleuâtre. C’était une assez grosse perle d’à peu près deux centimètres de diamètre.

— C’est énorme ! s’étonna Isil en regardant l’objet avec des yeux ronds. C’est extrêmement précieux.

— C’est exactement fait pour moi, réagit Ymir hypnotisée à son tour.

— Calme-toi, répondit Cattleya.

— Qu’est-ce qu’un truc pareil vient faire par là ? se demanda Isil.

— D’autant plus que cela doit être enchanté, non ? répliqua Cattleya.

Elaron sentit émaner une certaine magie de cet objet, mais à moins de pouvoir lancer un sort d’identification ou de requérir à un expert, personne ne connaitrait son utilisation.

Malgré le reste pourri, ils trouvèrent également une cape en excellent état.

— C’est étrange, continua Cattleya. Elle aussi peut être enchantée.

— Nous pourrions simplement la revêtir et voir quels sont ses effets, se dit Elaron d’un air toujours si naïf.

Cattleya s’interloqua et apposa sa main sur le bras d’Elaron.

— Et si celle-ci te téléporte n’importe où ? suggéra l’occultiste.

Malgré les recommandations de Cattleya, le demi-elfe était motivé à percer les mystères de cette cape. Il demanda au groupe s’il pouvait se permettre de la prendre.

— Vas-y, je te la laisse, répondit Ymir.

Elaron attrapa la cape, prêt à l’enfiler sur son dos.

— Attends, douta Isil. Elle est en parfait état, elle est forcément magique.

— Oui, c’est ça ! dit Elaron d’une manière enfantine.

— Il est magique lui aussi, ajouta Cattleya en jetant un œil perçant au demi-elfe.

— Moi je veux la perle ! intervint Ymir.

Cattleya était fatiguée d’entendre la tieffeline réclamer tous les objets précieux et cela contrariait Isil qu’elle ne fasse pas preuve de politesse, comme l’avait fait Elaron pour la cape.

— C’est le butin commun ! réagit Isil en balayant la revendication d’Ymir qui partit dans un coin de la pièce.

Ils aperçurent en diagonale dans le fond de ce coffre une épée longue, aiguisée en dent de scie sur les bords encore tranchante.

— Alors là ! Celle-là ! C’est pour moi ! reprit Ymir en s’approchant du coffre pour se pencher à l’intérieur.

— Tu ne possèdes pas déjà une épée, toi ? demanda Cattleya d’un air fourbe.

— Bah si. Mais celle-ci est surement meilleure que celle que j’ai, répondit-elle.

Cattleya semblait se raviser. Elle se dit que la tieffeline serait plus à même de l’utiliser que les autres. Ymir attrapa l’épée et se rendit compte qu’elle était plus ancienne que la sienne, mais surement d’un meilleur tranchant. Depuis ces derniers jours, elle s’était servie de son arme plus souvent qu’à l’accoutumée et la lame s’était émoussée, surtout lorsqu’elle avait frappé le rocher des bandits.

Isil se saisit de la perle et la conserva dans sa main ouverte comme pour demander l’approbation des autres. C’était pour elle le butin commun et non le sien, unique. Cattleya se proposa de la garder, ayant des capacités d’occultiste, elle saurait peut-être s’en servir un jour. Elle se dit qu’elle serait surement plus à même de discuter avec un magicien ou un arcaniste et de déceler les secrets de cette perle, mais elle laissa le choix à l’elfe. Isil était d’accord et la lui donna. Cattleya rangea l’objet précieusement dans l’une de ses poches. Elaron tenait toujours sa cape sur le bras et approuva l’échange.

Elaron sentait quelque chose d’étrange entre lui et la cape, quelque chose de magique, comme une résistance et alors qu’il essaya de la mettre sur ses épaules, il parvint à se lier à cet objet. À partir de cet instant, il ressentait un bénéfice supplémentaire, mais sans savoir lequel.

— Je suis invisible ? demanda Elaron tout heureux.

— Non, non, on te voit ! jeta Cattleya rabat-joie.

— Ton père n’était pas vitrailliste, ironisa Isil.

Après avoir récupéré l’ensemble des objets du coffre, Isil constata le restant de moisi du fond. Rien de plus intéressant, ni même dans la pièce. Isil et Ymir firent tout de même le tour de la salle pour s’assurer de ne rien manquer.

— On ne pourrait pas trouver un cadeau pour Dola ? demanda Elaron.

— Si ! Un crâne ! répliqua Ymir avec ironie.

Puis ils entendirent la voix de Dola crier à l’entrée du terrier.

— He oh ! S’il vous plait, dites-moi que vous êtes toujours vivant ! Le soleil est levé, on peut partir ? Vite ?

— Nous arrivons ! s’écria Cattleya.

— Vous ne sortez pas avec des trucs dégueulasses, hein ?! demanda Dola nerveusement.

— Non ! répliqua Ymir avec un sourire malin.

Elaron avait aussi un sourire malicieux. Isil ouvrit la marche et reprit le chemin du retour, suivit par Elaron, Cattleya puis enfin Ymir, dégoutée de n’avoir rien trouvé d’autre. Elle attrapa tout de même un crâne qu’elle mit dans un sac et donna un coup de pied dans les restes d’os en quittant la salle, frustrée.

En passant près de la pièce qu’elle n’avait pas visitée, Isil demanda à Elaron proche d’elle, ce qui se trouvait dans cette salle.

— Et bah écoute, il y avait tout un arsenal d’alchimie pour créer des potions. Nous en avons découvert quatre ! Après, nous ne sommes pas très doués. En revanche, j’ai reconnu une des potions de soin et les trois autres restent encore inconnues. Nous ne savons pas vraiment ce que c’est. Nous ne les avons pas goutés, nous ne les avons pas sentis non plus, mais nous les avons gardées.

— Des potions ? demanda Cattleya.

Elaron avait sorti les fioles pour les montrer à Isil qui les attrapa. Elle ne voyait que des potions de couleurs et les rendit rapidement à Elaron sans savoir ce que c’était.

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