Sagitta, Douzième Royaume.
Académie de Valyar.
Satia posa sa plume et relut soigneusement sa copie, puis leva enfin les yeux pour s’apercevoir que tous les autres étudiants écrivaient encore fébrilement. Comme souvent, elle était dans les premiers à terminer. Elle rendit sa feuille, puis sortit du bâtiment et laissa ses pensées vagabonder. Les examens étaient enfin terminés. Le droit, l'histoire, les sciences politiques… terminées, les révisions intensives ! Il lui faudrait maintenant patienter jusqu’aux résultats, d’ici deux mois, pour savoir si elle obtenait son diplôme – et avec, le droit d’occuper un poste.
Elle quitta l’Académie et soupira en songeant qu’il lui restait encore une semaine de festivités à supporter. Pour de nombreux citoyens sagittéens, c’était l’occasion de rencontrer les autres peuples, de nouer des contacts, de conclure des tractations commerciales. Pour Satia, c’était une foule omniprésente, des rues qui débordaient de magasins temporaires et rendaient le moindre déplacement difficile. Elle aurait aimé se calfeutrer dans sa chambre pour les huit prochains jours, mais son père tenait à ce qu’elle sorte et s’amuse comme les jeunes de son âge lorsque c’était possible. Et elle avait du mal à lui faire comprendre qu’elle n’en avait aucune envie.
Plongée dans ses pensées, Satia avait atteint l’un des nombreux parcs de la ville, et parmi la verdure qui l’entourait, elle se dirigea vers un coin isolé, où poussait un arbre séculaire, accompagné de massifs de fleurs hivernales rouges et jaunes. Elle déblaya une partie de la neige qui s’attardait, déplia une petite couverture qu’elle emportait toujours avec elle pour se protéger de l’humidité, avant de s’asseoir au pied de l’arbre et de se laisser aller contre le robuste tronc. Le calme des jardins était apaisant pour lire.
Emmitouflée dans sa cape fourrée, elle savoura l’air froid sur son visage exposé. Son souffle se condensait en petits nuages blancs à chacune de ses expirations. Elle les regarda s’élever et disparaitre, avant de sursauter. Quelqu’un se trouvait là-haut, assis sur une branche.
— Excusez-moi, je ne voulais pas vous effrayer.
Satia s’efforça de sourire. Elle était à Valyar, au cœur de la Fédération. Un assassin ne se dévoilerait pas ainsi, non ? Elle aurait été rassurée de distinguer ses traits, sauf qu’avec ce soleil qui lui piquait les yeux, c’était impossible. Par précaution, elle referma son livre et glissa sa main sur le manche de la dague cachée sous sa cape.
— J’ai simplement été surprise… Se percher si haut… vous êtes Massilien, n’est-ce pas ?
La silhouette inclina la tête.
— En effet. Soyez rassurée, je ne suis pas un ennemi.
— Ne pourriez-vous descendre ? Je vais attraper un torticolis.
Le Massilien se redressa avant de se laisser tomber au sol, ses ailes freinant sa chute, puis s’inclina dans un salut formel, poing sur le cœur. Quand elle croisa le regard bleu-acier, aussi glacé que dans ses souvenirs, Satia fut stupéfaite.
— Lucas ! C’est une plaisanterie ? Depuis quand tu me vouvoies ?
— Je ne pensais pas que tu te montrerais si curieuse, admit le jeune ailé.
— Et tu espérais que je ne te reconnaisse pas, ajouta-t-elle, songeuse. Tu es en mission ? Je suis désolée, je ne voulais pas…
— Je fais partie du détachement envoyé sur Sagitta par le Djicam, coupa Lucas. Considère que je prenais une pause.
— Et tu as un nouvel uniforme… Le gris des Émissaires. Une promotion ?
Lucas hocha la tête. Satia s’attendit à ce qu’il développe… puis se rappela que ce n’était pas son genre. C’était curieux, de le revoir ainsi. Quatre ans plus tôt, il avait fait partie du contingent qui la protégeait. Un jeune Envoyé sérieux, désireux de bien faire, plutôt distant. Elle avait bataillé pour percer ses défenses et y avait gagné une solide amitié. Les Massiliens étaient gens d’honneur, et les Mecers, soldats d’élite dans ce royaume de guerriers, l’étaient davantage encore. Après son départ de Massilia, ils avaient échangé quelques lettres. Une communication irrégulière, alors qu’elle déménageait sans cesse. C’était plus facile pour elle d’adresser son courrier à la caserne des Mecers. Quand Lucas était de retour de mission, il prenait toujours le temps de lui répondre. Ce contact épistolaire lui était précieux ; Lucas était l’une des rares personnes en qui elle avait toute confiance.
— Et tu étais donc là… totalement par hasard ?
Elle guettait la moindre de ses réactions, c’est pourquoi elle perçut son léger froncement de sourcils.
— Je me reposais un instant.
Satia pinça les lèvres. Une réponse indirecte… qu’il soit là n’était donc pas une coïncidence. L’idée qu’il la suivait depuis un moment l’effleura. Elle se leva, soudain troublée. Ils avaient pris toutes les précautions possibles depuis leur retour sur Sagitta. Était-elle de nouveau en danger ?
— Tu es inquiète.
— Je n’avais pas vu l’heure, mentit-elle. Mon père va se faire un sang d’encre… je dois rentrer.
— Puis-je t’accompagner ?
Elle acquiesça. Inutile de le nier, en sa présence, elle pouvait se détendre. Aucune personne saine d’esprit n’irait s’en prendre à un Mecer. Ils marchèrent longuement, en silence. Satia connaissait bien le quartier, et privilégiait les rues les moins fréquentées, quitte à faire un détour. Les rares personnes qu’ils croisèrent les dévisagèrent avec surprise et se pressaient de s’écarter de leur chemin. Elle se demanda quelle image elle donnait avec un Mecer dans son sillage et la pensée la fit sourire. Ils arrivèrent enfin devant la maison qu’elle occupait avec son père. Satia déverrouilla la lourde porte en bois massif, avant de se tourner vers Lucas.
— Merci pour la route. J’espère qu’on pourra se revoir, avant que tu ne repartes.
— Moi de même, répondit l’Émissaire avec ce qui ressemblait à un sourire.
Satia ne s’offusqua pas qu’il la salue pour prendre congé. Les Massiliens et leur respect des convenances… Elle referma, perplexe. Son père saurait quelles conclusions tirer de cette présence inattendue.
*****
À peine Satia avait-elle disparu derrière la lourde porte que Matthias atterrissait. Deux cercles dorés scintillaient sur son uniforme gris, d’une teinte à peine plus soutenue que ses ailes. Ses yeux noisette se posèrent sur Lucas.
— Était-ce bien prudent ?
— Elle m’avait vu. Je n’ai pas eu d’autre choix.
— Je ne savais pas que vous vous connaissiez. Le Djicam n’aurait pas dû te mettre sur cette mission.
— Il le sait. Et tu l’as déjà rencontrée, par le passé.
Matthias écarquilla les yeux.
— Ma mémoire me joue des tours, alors. Il y a longtemps ?
— Quatre ans, à peu près. Notre première mission ensemble.
L’Émissaire siffla doucement.
— Ça date, en effet. Et vous avez gardé contact ? Impressionnant. Tu n’as pas pour habitude de te lier facilement. Un amour de jeunesse ?
— Du tout. Elle est mon Estérel, dit simplement Lucas.
— Le Sa’nath, marmonna Matthias, stupéfait. Je savais que tu étais plein de surprises, mais là… je comprends mieux la raison de ta présence.
Derrière les fenêtres, les rideaux s’agitèrent, et dans la rue, les passants les observaient avec curiosité. Tous les peuples étaient représentés à Valyar, mais rares étaient les Mecers à converser au milieu des rues.
— Rentre faire ton rapport, soupira finalement Matthias. Nous attirons trop l’attention. Je prends la relève, comme convenu.
Lucas s’inclina brièvement, poing sur le cœur, et avec quelques pas d’élan, gagna les cieux en direction du Palais.
*****
Palais de Valyar.
Dans quelques jours, la Fédération tout entière découvrirait le visage du Durckma. La session de l’Assemblée s’était prolongée toute la matinée. Après avoir validé la décision du Souverain, ils avaient débattu des détails sur la cérémonie et la procession dans la capitale.
Assis à son bureau, Ivan sey Garden, Djicam du Neuvième Royaume étudiait le parcours qu’effectueraient le Souverain et son Durckma, ainsi que son cortège. En charge de la sécurité, il avait posté des Mecers à tous les points stratégiques, et réparti au mieux les différents corps d’armée de la Fédération. De tels rassemblements de foule généraient forcément quelques débordements.
Un Envoyé entra dans la pièce et salua, poing sur le cœur.
— Djicam, l’Émissaire Lucas est là.
— Merci, Envoyé Ethan. Fais-le entrer, répondit-il tout en se levant.
Le Djicam portait l’uniforme blanc des Messagers. Sur ses cheveux noirs striés de gris était posé un mince cercle d’argent et dans son dos, il arborait deux ailes blanches, signe de son appartenance à la Seycam de Massilia.
Lucas franchit la porte et s’immobilisa avant d’effectuer le salut règlementaire.
— Tu l’as trouvée ?
— Oui, Djicam.
— Parfait. Un problème à signaler ?
Lucas n’hésita qu’une fraction de seconde. Le Djicam croisa les bras.
— Elle sait que je suis là.
— Ce genre d’erreur ne te ressemble pas.
Lucas resta silencieux un long moment.
— Que souhaitez-vous que je fasse, Djicam ? dit-il enfin.
— Continue la surveillance avec l’Émissaire Matthias. Je vais dire à l’Émissaire Luor de vous rejoindre. Il sera sous les ordres de Matthias.
— Mais…
— Je sais que vous ne l’appréciez pas, coupa Ivan. Son expérience vous sera néanmoins profitable.
— Comme vous voudrez, Djicam, murmura Lucas.
Le Djicam fronça les sourcils. Évidemment, Lucas le prenait mal, même s’il s’efforçait de le masquer. Luor avait une expérience qui leur manquait à tous les deux et cette mission lui changerait les idées après son échec au troisième Cercle, voire le remettrait dans le droit chemin.
Seize ans seulement et déjà Émissaire, intervint Fang. Jamais nous n’aurions cru qu’il progresserait si vite. Arcal l’a bien formé.
Ivan était d’accord avec son Compagnon.
Un des plus jeunes cas, oui. Et pourtant, je reste inquiet. Ces myrkkrirs, dans la Forêt de Jade…
Ce ne serait pas la première fois que quelqu’un chercherait à l’éliminer. Le Commandeur, peut-être ? Il sait, après tout, que les Envoyés s’y rendent en quête d’un Compagnon.
Et il n’était peut-être pas la cible, donc. Plausible. Transmets au Messager Joshua que les Envoyés devront désormais être escortés et encadrés lorsqu’ils s’y rendront. Hors de question que nous perdions nos éléments les plus prometteurs.
Il demande si les myrkkrirs devront être éliminés ?
Non. Les intimider et les chasser devrait suffire. Que les Compagnons n’hésitent pas à demander l’aide des protecteurs de la Forêt de Jade.
Ivan reporta son attention sur Lucas, resté immobile.
— Alors tout est réglé. Tu peux disposer. Il ne reste que deux jours avant la nomination du Durckma et il reste beaucoup à faire.
Déjà, pour commencer, je n’avais pas réalisé que Lucas et Satia se connaissaient ! Même avec me rêve de Lucas dans le dernier chapitre, je pensais que c’était une sorte de rêve prémonitoire. 😅
Petit détail : Je suis assez surprise que Satia ait entretenu une correspondance pendant plusieurs années. Est-ce que ce n’est pas dangereux pour elle de faire ça, puisqu’elle est recherchée ?
Sinon, ma première supposition (que j’ai depuis le premier chapitre, parce que la camarade de Satia pense que ce sera elle l’élue) que Satia sera la prochaine Durckma semble se confirmer ? Car Lucas serait donc là pour la protéger.
C'est un peu dommage que tu révélés d'un coup cette histoire d'Empire ennemi a la Fédération, ça aurait pu être révélé dès le premier chapitre. D'ailleurs, tout le passif historique aurait pu aussi être distillé, peut-être en décrivant les architectures anciennes, les traces de conflits comme d'annexions sont toujours en partie marqués par les constructions ou les symboles différents.
À part ça, super chapitre, je continue ! :)
L'Empire, ouais, j'ai hésité à l'introduire plus tôt. Dans la 1ère version, ça se passait dans le prologue (que j'ai supprimé), donc, en effet... à distiller avant.
Pas bête le passif historique... mais ça reste un conflit plutôt larvé entre la Fédération et l'Empire. Et tout ce passage est à mon sens à rebosser, ça donne quand même beaucoup d'info et il n'est pas forcément très clair.
En gros, la Fédération, c'est 12 planètes sur une même orbite ("magie power" ^^).
L'Empire, c'est une base de 9 planètes autour d'un même soleil, d'une expansion avec des centaines de mondes esclaves, rébellion, repli sur ses 9 planètes d'origine, consolidation du pouvoir... puis tiens, s'intéresser à ces 12 planètes pratiquement proches, et s'y casser les dents.
En fait, je ne sais même pas trop si c'est nécessaire que je développe maintenant tout ce background sur l'Empire. Ca serait peut-être mieux quand je passe dans leur point de vue, un peu plus tard.
Merci pour ton avis en tout cas, ça m'aide à cogiter les points qui coincent ;)