CHAPITRE 3
Sorc était sortit du bâtiment. En deux coups d’ailes, Cro l'avait rejoint sur son épaule et lui mordillait désormais l’oreille.
Face à eux, une forêt d’imposantes et interminables stalagmites de verre et d’acier les défiait. Les édifices étaient si hauts que l’on en devinait seulement la pointe, leurs pans de glaces jouaient sur les transparences et brisaient le soleil en mille éclats, illuminant la Ville. Sorc, si petit à leur pied, en fut pris de vertige. Au sol, les trottoirs étaient immaculés. Sur les routes lisses et brillantes de paillettes roulaient à pleine vitesse et en silence des voitures blanches et grises, d’autres argentées.
La sorcière resta là quelques instants, perdue entre admiration et angoisse. Et se sentit bien loin de chez elle.
— Excusez-moi, entendit Sorc sur sa gauche.
Il se tourna et découvrit une très jeune femme aux cheveux bruns frisés qui s’avançait vers lui.
— Excusez-moi, reprit-elle, je suis l’agent Malisé Zonk, chargée de vous escorter dans votre enquête.
Elle lui tendit la main, Sorc la serra.
— Bonjour madame Zonk, enchantée.
— Vous pouvez m’appeler Malisé, nous serons amenés à passer beaucoup de temps ensemble je crois.
Elle avait les expressions avenantes et le sourire facile. À sa surprise, Sorc sentit son cœur s’en réchauffer un peu. Bien que profondément solitaire et préparé à un accueil glacial en Ville, un peu d’accessible sympathie ne pouvait lui faire de mal en ce moment.
— Et bien, par où pensiez-vous commencer Monsieur Sorc ?
— Appelez-moi Sorc, tout court.
— Oh, très bien. Et lui ? demanda-t-elle en pointant le corbeau.
— Je vous présente Cro.
— Bonjour Cro, lança Malisé sans trop oser s’approcher. Et donc, où souhaiteriez-vous aller, Sorc ? À votre hôtel peut-être, pour commencer ? Il m’a été dit que vous étiez arrivé dans la nuit.
— Inutile, je n’ai que peu d’affaires et ne me sens pas fatigué.
Il ne portrait en effet qu’un grand sac en bandoulière qu’il rabattait régulièrement dans son dos. Quant à l’hôtel, il lui avait été imposé par Grive et serait payé par la ville, ce qui sous entendait sûrement une forme de surveillance là-bas aussi. Sorc aurait préféré n’être redevable en rien, voilà qu’il était logé et escorté. Cela ne lui plaisait pas du tout. Mais il ne pouvait en être surpris, de ce point de vue, la Ville répondait même pleinement à ses attentes.
— Je préfèrerais me poser dans un bar de votre connaissance où nous pourrions discuter un peu de l’affaire pour commencer, si cela vous convient, reprit Sorc.
— Bien sûr, répondit Malisé, il y aura tout ce qu’il faut sur la Grande Place. Mais je vous préviens, je n’ai pas accès au dossier non plus, je n’aurai donc pas les détails que vous pourriez espérer de ma part.
— Ce n’est pas grave. Une simple introduction suffira pour le moment.
— Par contre, euh. Excusez-moi…
— Oui ?
— C’est à dire… si vous ne passez pas par l’hôtel, cela veut dire que vous allez rester habillé comme ça ?
Sorc avisa ses vêtements, sa tunique blanche, sa cape et ses bottes de cuir usées, tous directement issus de la Zone.
— Oui. Mais ne vous inquiétez pas, cela se passera très bien.
D’un geste ample, Sorc retira sa cape, la retourna sur elle-même et la reposa sur ses épaules. Vexé d’avoir été bousculé, Cro croassa.
Et sans qu’elle ne sut dire pourquoi, Malisé trouva que c’était beaucoup mieux comme cela. Certes le corbeau attirait encore un peu l’oeil mais ce Sorc, finalement, n’était plus si intéressant, ni détonnant.
*
À peine installés dans un coin calme de la salle, Sorc sortit de son sac une carte touristique de la Ville. Il y avait marqué la veille les différents lieux d’incendie, usant d’un feutre rouge acheté lors de son voyage. Tous les journaux parlaient de cette funèbre saga et les spéculations allaient bon train.
— Si je résume, commença-t-il. En l’espace de trois mois environ, six départs de feux ont été recensés en Ville, tous dans des quartiers plutôt riches. À chaque fois, la police n’est pas capable d’expliquer comment le feu a démarré. Par contre, à chaque fois, une personne se retrouve brûlée vive et sa position dans la pièce semble être celle du départ du feu. Comme si elles s’étaient immolées. Toutes les victimes sont, pour l’instant, des hommes. Deux options principales sont possibles, ou bien une mode du suicide par immolation se répend chez les hommes riches, ou bien il s’agit de meurtres, sans doute de la même main, ou du moins, du même commanditaire. Bien sûr, un suicide peut se cacher parmi des meurtres et un meurtre parmi les suicides. Mais la similitude parfaite, semble-t-il, entre les modes opératoires et le nombre laissent supposer une série plutôt qu’un agrégat de faits disparates.
— Tout à fait. Et si je peux ajouter, le fait qu’aucune trace de départ des feux ni aucun indice sur les moyens utilisés pour les faire démarrer ne semble être trouvé sur les lieux, je pencherais plutôt et de loin pour l’option meurtres. À quoi bon faire mystérieux et effacer ses traces pour mettre fin à ses jours ?
— Je suis d’accord avec vous, répondit Sorc. Et à voir la manière dont le capitaine Grive protège son enquête, sans oublier le Corbeau Blanc qui m’a été envoyé, tout porte à croire que c’est bien la piste du crime à répétition qui est privilégiée par les enquêteurs.
Leur conversation fut interrompue par l’arrivée d’une serveuse.
— Oh, je vois que l’on planifie ses visites ? demanda-t-elle après avoir jeté un oeil à la carte posée au centre de la table. N’oubliez pas de faire l’aire de triomphe elle est magnifique, ajouta-t-elle, souriante, en pointant un carré vert sur le dépliant. Qu’est ce que je vous sers ?
Malisé commanda un café, Sorc un thé et la femme repartit.
— Alors c’est vrai ? Cette histoire de Corbeau Blanc ? demanda Malisé, penchée sur la table d’enthousiasme.
— Oui, c’est le seul moyen qu’à la Ville de me joindre. Je ne pensais même pas que ce corbeau existait encore à vrai dire.
— La Zone existe alors vraiment ?
— J’en viens, j’y vis.
— Et il n’y a vraiment pas de technologie là-bas ?
— Non.
— Et… c’est vrai qu’elle est peuplée de monstres ? osa Malisé soudain tendue et perdant son sourire.
— Les monstres n’existent pas, répondit calmement Sorc.
— Haha, non, évidemment ! en ria l’agente s’adossant à son siège, un peu soulagée.
Les boissons arrivèrent, la serveuse repartit.
À l’écran de la télévision se trouvant au dessus de leur tête, passait les images d’un débat peu houleux. En bandeau, l’inscription “des habitants de la Zone en Ville ?”
— Que pensez-vous de ces deux autres incendies ? reprit Sorc. Ceux ayant eu lieu quelques semaines avant les six autres, mais n’ayant engendré aucun mort. Un lien, à votre avis ? Ou de simples accidents ?
En posant sa question, Sorc avait mis la main dans sa cape et ressorti une petit sachet de plantes qu’il trempait désormais dans son thé.
— Là non plus, aucune trace de départ de feu répondit Malisé. Les autorités n’ont pu trancher entre accident ou incendie criminel. Ça ressemble trop pour ne pas être lié.
— Mais personne n’est mort, pas d’immolation…
— Non c’est vrai. Galops d’essai ou ratés ?
— Hmmm…
Sorc resta songeur un instant.
— Je peux vous demander ce que vous ajoutez à votre thé ? osa Malisé.
— De quoi soulager un mal de crâne qui ne me quitte plus depuis quelques jours.
— Oh, je peux vous donner du paracétalum, j’en ai dans mon sac.
— Du quoi ?
— Des cachets pour la douleur.
— C’est efficace ?
— Plutôt oui.
— Alors j’en prendrais bien, oui, merci.
— Je peux vous poser une question ? tenta Malisé qui se saisit de son sac.
— Bien sûr.
— Vous n’avez ni accès au dossier, ni aux proches des victimes, ni aux lieux des crimes. Et je suis là pour vous aider, certes, mais aussi pour m’assurer que vous ne contreveniez pas à ces consignes, comme vous pouvez le deviner. Est-ce que vous avez la moindre idée de comment mener votre enquête ?
— Il y a des éléments que je souhaite explorer, oui. Pour le reste, j’avancerai en fonction de ce que je trouverai, sans doute.
— D’accord. Voilà qui est intriguant.
— Je suis une sorcière. L’intriguant est mon métier.
Malisé rit à cette remarque. Sorc se contenta d’un vague sourire en coin, qui lui coûta.
Après avoir farfouillé dans son sac, Malisé en sortit une petite boîte dont elle détacha une pastille.
— Tenez.
— Merci, dit Sorc.
Il renifla le cachet, le trouva étrangement inodore. Il l'avala avec une gorgée de thé.
— Si vous voulez, je peux vous emmener la voir, lui dit Malisé. L’aire de triomphe. Cette serveuse a raison, elle est vraiment magnifique, ce serait dommage d’être venu en Ville sans l’avoir vue.
— Non. Merci, répondit Sorc qui se rembrunit.
— Oh. Travail, travail ?
— Que vous apprend-on à l’école ? Sur les sorcières, et les mages ?
Malisé fut soudain gênée.
— À vrai dire, on ne parle pas tellement de vous. Enfin, si, on a bien un chapitre en primaire sur la Guerre des Magies, mais… en vrai je n’écoutais pas beaucoup en classe, haha. Et puis bon, ça ressemble tout de même beaucoup à de la fiction, non ? tenta Malisé en souriant.
— Votre aire de triomphe a été construite il y a plus de quatre cents ans pour célébrer la victoire des Mages sur ce qu’ils appelaient les “déviants”. Dans le lot de ces déviants, les sorcières. Qui ont été chassées et tuées.
Le visage de Malisé se décomposa.
— Oh, je… je suis désolée, vraiment ? Mince, je ne crois pas que les choses nous ait jamais été présentées ainsi.
— Non, je ne crois pas en effet.
— Bon, pas de visite de l’aire de triomphe alors…
— Non, en effet.
— Mais enfin tout de même, les Mages, la magie tout ça… ça n’existe pas, n’est-ce pas ?
— Ce n’est pas parce que vous ne l’avez pas vécu que cela n’a pas existé.
Un silence se fit.
Sorc se décida à le rompre.
— S’il y a des quartiers riches, il y a donc des quartiers pauvres.
— Euh… oui, oui bien sûr.
— Où se trouvent-ils ? demanda Sorc en pointant la carte.
— Oh, euh… il ne sont pas sur cette carte, c’est une carte touristique. Mais euh… ils sont pour la plupart et pour les plus pauvres à l’ouest ici, dit Malisé en entourant du doigt une zone qui sortait du fascicule.
— Et comment appelle-t-on ces quartiers ?
— Les appelle-t-on ?
— Le petit nom, le non-officiel. Celui qui se dit, qui se refile, que tout le monde comprend.
Malisé se trémoussa sur sa chaise.
— Oh, je ne sais pas si…
— Dites-moi.
— C’est pas vraiment le nom, c’est juste que…
— Dites-moi.
— On les appelle la “petite-Zone”, finit par annoncer Malisé en plongeant son regard vers sa tasse de café.
Un sourire grimaçant se dessina sur le visage de Sorc.
— J’aimerais que vous m’y emmeniez.
Trop bien le début, c’est un moderne qui n’est pas le nôtre. Je préfère :D J’aime être dépaysée. Ca me fait penser à Nimona l’idée de ce décor au début du chapitre (sur Netflix), tu l’as vu ? (Bon, c’est pas du tout pareil en vrai, juste l’idée d’un autre moderne dans un monde où vit la magie pour du vrai de vrai. :D Mais que beaucoup de gens pris dans la modernité ont oublié.)
Cette description du vertige me rappelle ce qu’on dit de NY. ^^
Génial le coup de la cape.
demanda Malisé, penchée sur la table d’enthousiasme. un peu moins fluide cette formulation d’incise. Avis complètement perso, on est d’accord, surtout garde si tu aimes. ^^
C’est pratique ce début de dialogue professionnel avec Malisé, tout nous est résumé d’un coup. Je trouve que c’est très bien amené. 😊
Excellent le passage sur l’arc de triomphe. Je trouve toutes ces petites infos sur la situation du monde très bien amenées. ^^
En conclusion, j’aime vraiment vraiment <3 ^^
Et bien, tu es la deuxième à me parler de Nimona, il faut vraiment que je le vois alors ! : )
Au fait j'ai vu "En avant" depuis, c'est toi qui me l'avais conseillé sur mon jdb je crois, j'ai beaucoup aimé ! Et c'est vrai qu'il y a des points communs avec mon concept, cela m'a bien inspirée : )
Merci pour tes remarques je vais prendre cela en compte pour la réécriture.
À bientôt ^^
Je ne veux pas y mettre les pieds. Ca a l'air atrocement bruyant et lumineux et d'une architecture dystopique !
Par contre, du coup, tu as un monde bien à toi, avec ses propres originalités, ce qui est super !
Du coup, si je peux me permettre un conseil : un peu plus de description serait le bienvenu. Ce café, notamment, doit être très différent de ceux que nous avons ? Je serai curieux'e d'être plus immergé'e encore dans la Ville, que ce soit avec une sensation d'étouffement ou des paillettes dans les yeux (et sur les routes).
Grammaticalement : "ria" -> riT. Je ris, tu ris, il rit, nous rîmes^^
"Il m'a été dit que vous étiez arrivé durant la nuit" -> La phrase est difficile à prononcée et alambiquée.
Peut-être... Quelques pauses narratives ? Pour y insérer de la description, justement !
Je suis toujours curieuse de voir la suite ; j'attends avec impatience que l'enquête démarre ! Le début est fort, mais j'ai senti une petite baisse ensuite ? Parce que ce sont des conversations sommes toutes assez banales, il y a la place de développer l'univers de la Ville.
En revanche, les explications pour l'enquête sont très claires, parfaites pour suivre l'histoire et comprendre les enjeux. (Au pire... Des hommes riches qui meurent dans des feux... Ca me fait l'effet des orques qui attaquent les Yatch... Genre z'ont des trucs à se reprocher XD )
Blague à part, je sens une histoire de vengeance bien fomentée là dessous !
Héhé, à bientôt pour... le chapitre 4 ? Ou un Interlude ?
Red
Merci beaucoup pour ton commentaire.
Je note que le rythme te semble ralentir un peu trop ici ?
J'espère que la suite te plaira du coup car le début d'enquête va être... un peu lent x'D (enfin il me semble, tu me diras ce que tu en penses, n'hésite pas ! ^^ )
Haaa oui, les descriptions, c'est vrai qu'il n'y en a peut-être pas assez, ceci dit ce café n'a rien de si particulier dans ma tête, c'est pourquoi je n'ai pas pensé à m'y attarder.
La ville est dans mon idée un poil futuriste en son centre mais pas si éloignée de nous. Là c'est un peu le quartier de la Défense à Paris quoi, ce n'est pas représentatif de tout ^^"
Mais tu as raison, justement il faut que je le précise sans doute pour éviter les confusions. Je ferais un petite description du café en réécriture : )
Merci encore de ton message qui m'est très utile !
La suite arrive bientôt pour un chapitre 4, haha.
itchane