Ils sortirent et trouvèrent Dola qui avait attelé les chevaux et était prête à partir. Elle avait hâte de quitter ces lieux sinistres. Isil s’avança vers la halfeline et lui indiqua qu’elle n’avait plus à avoir peur, car plus aucune menace ne s’imposerait sur leur route. Dola la remercia et leur proposa de reprendre leur trajet. Mais avant de s’en aller, Ymir alla faire une pause derrière un buisson. Pendant ce temps, Isil reboucha le trou du terrier pour s’assurer que personne d’autre n’irait dans cette cave. Elaron était déjà remonté dans la charrette avec Dola tout comme Cattleya. En sortant des buissons, Ymir croisa un chat sauvage qui s’éloigna d’elle et se dit qu’elle aimerait bien être accompagnée par l’un de ces félins. Elle se rapprocha de la charrette tout heureuse et s’installa dans la carriole. Après avoir terminé, Isil alla à son tour derrière un autre buisson. Puis après cela, elle monta à l’avant et Dola fit avancer ses chevaux sur la route.
Après une matinée peu reposante, ils reprirent la route de Gondalfen alors que la journée devint moins grise, mais la chaleur littorale qu’ils avaient quittée depuis le début de leur périple s’estompa. Au fur et à mesure qu’ils montaient à travers les collines, la fraicheur s’installa, mais loin de ce qu’il faudrait pour porter des vêtements chauds. Ymir regardait le paysage défiler sous ses yeux et aperçut de nombreux arbres épineux sur toutes les collines. Cattleya scrutait la perle comme hypnotisée avec intensité pour tenter de percer son mystère. Elaron mangeait une de ses rations, un petit morceau de pain séché qu’il dégustait seul. Isil lança un regard en direction de Dola qui voulait lâcher la pression. L’elfe le remarqua et engagea la conversation. Elle parlait de tout et de rien, des chevaux, de leur état, s’ils n’avaient pas été trop bousculés. Dola répondit qu’elle connaissait ces animaux depuis longtemps et elle savait qu’ils en avaient vu d’autres. Ils semblaient oublier leur malheureuse nuit plus rapidement qu’elle et la halfeline les enviait.
— Je peux comprendre, lança Isil l’air ailleurs. Parfois, nous avons envie d’oublier certaines choses. Après cela fait de l’expérience pour le futur. Ce sont des problèmes que tu pourras éviter.
— Éviter… Oui, ajouta Dola. Un truc que je n’oublierai jamais, c’est que dans le sud, ce n’était pas des chevaux, c’était des trucs avec des bosses et ils possédaient de vieilles dents…
Elle continua de discuter et de parler de créatures qu’elle avait vues lors d’un de ses voyages qui l’avaient choquée par sa taille supérieure aux chevaux de la région. Elle trouvait ces montures moches et précisa à l’elfe que ça ne portait même pas de sabots. Isil entretint la conversation et pour sa part, elle trouvait ces animaux impressionnants. Dola était d’accord avec l’elfe, mais affirmait que cela ne valait pas les chevaux. Isil était également d’accord. L’elfe n’avait jamais parlé autant depuis le début du voyage. Elle semblait si à l’aise avec la halfeline. Cattleya n’écoutait pas l’échange, contrairement à Elaron qui avait une petite oreille attentive. Quant à Ymir, elle s’agaça très vite et leur demanda de baisser d’un ton, car elle recherchait le calme pour se reposer. Isil n’avait pas tenu compte de la remarque de la tieffeline et avait dirigé la conversation vers quelque chose de plus sympathique. Elle essaya de détendre Dola. Néanmoins, cette dernière continuait de déblatérer pour déstresser. Leur discussion ne produisait aucun effet sur la halfeline qui restait en panique. Isil ne semblait pas la connaitre assez pour l’aider. Puis, Elaron voulut intervenir.
— Dola, je pensais que vous aviez plus d’expérience avec les créatures, les monstres. Or, vous semblez très apeurée finalement.
— Je pensais que vous, répéta Dola avec une imitation de noblesse. Tutoie-moi, je t’en prie, Elaron !
— Pardon, ma chère ! Je pensais que tu avais de l’expérience. C’est vrai, je te trouvais plutôt aguerrie, habituée à ce type de péripétie, mais au final… tu es si échaudée face à ce type de danger.
— Échaudée ? Genre… je veux dire… J’en ai déjà vu des goules de loin, mais d’abord… ça pue ! Ça va super vite ! Moi j’ai peur et j’ai peur pour les chevaux… et j’ai peur, d’accord ?
Dola se mit à pleurer, Isil posa sa main pour la rassurer et Elaron tenta de se confondre en excuses, en se sentant fautif. Cattleya au fond de la charrette soupira en espérant que le voyage prendrait fin rapidement.
— Et vous…, reprit Dola en sanglotant. Vous, vous êtes aventuriers, vous êtes habitués à n’importe quoi, d’accord ? Mais moi, je m’occupe des chevaux.
— Je suis désolé, Dola ! paniqua Elaron. Je ne voulais pas… t’accabler.
— Tu as été incroyable ! ajouta Isil.
— Il est vrai, accorda Elaron.
— Bah merci, pleurnicha la halfeline. Si j’ai appris à me servir d’une arbalète, ce n’est pas pour rien ! D’accord ?
— Elle a failli nous toucher, marmonna Cattleya dans le fond.
— C’était très efficace ! lança Isil pour la brosser dans le sens du poil.
Isil jeta un regard noir à Cattleya depuis l’avant pour l’empêcher de rétorquer. L’occultiste se retourna vers le paysage en tentant de se calmer.
— Je veux bien être gentille, mais pas à ce point non plus, grommela à son tour Ymir.
— Elle est en état de choc, chuchota Isil à l’arrière pour calmer ses camarades.
— Nous devons quand même relever que Dola nous a sauvé la vie quand nous étions face aux bandits. Elle nous a quand même évité une mort certaine, ajouta Elaron pour essayer de se rattraper.
— Elle a de très bonnes qualités, Dola, enchérit Isil.
— Je suis désolé de ce que j’ai pu dire, précisa Elaron maladroitement. Je pensais juste que Dola serait une guerrière lors des combats.
— Non, Dola c’est une enfant, indiqua Isil en donnant une petite caresse dans le dos de la halfeline.
— Non, pleurnicha Dola. Je ne suis pas une aventurière, je suis une cochère !
— Mais c’est bien de le savoir, ajouta Elaron.
— Je suis super cochère !
— Tu es la meilleure cochère que j’ai jamais rencontrée, continua Isil dans ses complaisances.
— C’est triste, mais merci, répondit Dola.
Et alors qu’ils étaient plongés dans leur conversation, ils comprirent que la route commençait à descendre. Ce fut en passant dans l’ombre de quelque chose qu’ils remarquèrent qu’ils se trouvaient dans une sorte de ravin entre deux grandes chaines de colline. Cattleya et Elaron pensèrent soudain aux bandits. Elaron se demanda même s’ils n’avaient pas fait demi-tour. Pourtant, c’était clairement l’endroit depuis lequel l’on pouvait observer la route de Gondalfen. Isil se rappela tout à coup. Elle aperçut les ruines de l’ancienne tour de garde. Elle n’en revenait pas que cela faisait déjà trois jours qu’ils avaient voyagé. Isil était souvent passée par cette cité. Cattleya y avait vécu son enfance et cela remontait une nostalgie démesurée. Ymir avait dû y passer une fois ou deux alors qu’Elaron n’y avait jamais été. L’elfe et l’humaine reconnurent plus ou moins le coin. Au détour des herbes folles et des fourrés de ce qui était auparavant des pâturages au bord de la route, ils sortaient d’un dernier virage et aperçurent la porte de Gondalfen. Ils voyaient devant eux, le long du chemin, les toits du bourg dont Cattleya put se rappeler la forme, la couleur des tuiles et les murs abimés. Elle remarqua aussi les champs dont beaucoup furent abandonnés depuis longtemps, mais certains furent récemment retournés, récemment semés, récemment récoltés. La vie avait repris. L’occultiste pouvait découvrir, de là où ils se trouvaient, des échafaudages autour des bâtiments les moins délabrés. Cattleya sortit son corps par l’arrière de la charrette pour observer le panorama au loin et se souvint de la vie douce qu’elle avait vécu par le passé. Elle était attristée par le paysage, désolé. Derrière la promesse des imposantes chaines de montagnes des royaumes nains qui montaient haut, vite et à perte de vue jusqu’à l’horizon à l’Est, le grand lac bordait Gondalfen. Cattleya se rappela y être allée avec Lucan lors de leurs années de formation militaire. Un léger sourire lui revint en repensant précisément à l’une des soirées d’été qu’elle y avait passé.
— Mauvaise idée d’aller se baigner dans ce lac désormais, intervint Dola. Maintenant, il y a des trucs dans l’eau. Un chausseur s’est fait dévorer une jambe juste avant que je parte.
Isil était attristée par cette nouvelle.
— Hors de question que j’aille là-dedans, ajouta Ymir en se rasseyant sur un sac de farine. Je préfère aller dans de vrais thermes !
Dola s’esclaffa de joie, ce qui retentit dans toutes les collines alentour.
— Ha ha ha, Ymir ! Oh tu es trop drôle !
— À mon avis, tu pourras obtenir un baquet, suggéra Isil en imaginant que Gondalfen ne détenait pas encore les installations nécessaires.
Elaron trouva une idée.
— Tu as raison, Ymir, annonça-t-il. Un peu d’eau chaude nous ferait le plus grand bien. Si tu le désires, je pourrais user de ma magie sur l’eau pour la tempérer à ta convenance. Cela devrait te suffire.
Ymir ne semblait pas d’accord avec le demi-elfe et rejeta sa proposition aventureuse.
Alors qu’ils se rapprochaient, Dola précisa les réparations opérées par la troupe de Lucan.
— Le premier truc qu’ils ont remis en état en arrivant, c’était les granges, les champs et l’auberge. Et franchement, elle était déjà pas mal, il y a quelques années, me disaient mes parents…
Puis elle continua sa conversation en leur précisant que Lucan leur avait réservé de bonnes chambres dans l’auberge et qu’ils seraient bien logés.
— Moi, la seule chose que je veux, c’est un bon bain, asséna Ymir. J’en peux plus des odeurs de goules.
— Mais, dit Isil. Tu sais, il n’y a rien de mieux que les odeurs naturelles.
— Oui et puis l’odeur naturelle des tieffelins ça ressemble à celle de la goule, répliqua Cattleya.
Dola fut choquée par la réflexion de l’humaine. Elaron et Isil échangèrent un regard et furent comme blasés. Ymir se dit qu’elle n’avait rien dit pour mériter ça.
— Ça tire à flèche réelle, envoya Isil.
En apercevant les portes de Gondalfen, Cattleya bondit hors de la calèche comme éprise par toute l’émotion qu’elle pouvait ressentir en revoyant ce lieu si familier. Depuis le début du voyage, elle n’avait qu’une chose en tête, retrouver l’auberge à laquelle Lucan lui avait donné rendez-vous. Elle dépassa les chevaux et continua sa course folle vers l’avant.
— Bienvenue chez toi ! s’écria Dola avec joie. Si tu peux leur dire d’ouvrir la grange quand j’arrive ?
Seulement, Cattleya ne l’avait pas écoutée et continuait de courir vers l’auberge. Elle attendait ce moment depuis si longtemps qu’elle ne se préoccupait plus de rien. Depuis la réception de la lettre, elle avait parcouru tellement de distance. Elle avait navigué en bateau, parmi des contrebandiers et était arrivée au port de Paçon. Et depuis trois jours elle chevauchait avec une troupe qu’elle avait du mal à apprécier.
Elle traversa la grande porte fraichement reconstruite de Gondalfen et aperçut à l’intérieur la désolation, mais aussi l’espoir. Elle s’arrêta un instant, frappée par la dissonance cognitive entre ses souvenirs joyeux et l’état triste, un peu effrayants, du village. Beaucoup étaient à refaire, elle vit partout des échafaudages, des établis, des poutres à rescier, des pierres à enlever ou remettre, des tuiles à replacer et des clôtures à redresser. C’était écrasant comme charge de travail, mais elle put saisir que beaucoup avaient déjà été accomplis. C’était en bonne voie. L’espoir résidait entre ces murs.
En revanche, elle ne remarqua personne. Elle arrivait dans le bourg sur une grande place de marché qui était meurtrie, des chemins de terre furent aménagés pour pouvoir passer en calèche ou en brouette, mais le sol avait été perforé par quelque chose. En direction de l’auberge et d’un autre quartier de la ville, derrière la considérable église de la déesse de l’agriculture qui trônait au centre du village, elle pouvait discerner des clameurs. Elle se dirigea vers ces bruits, mais pendant ce temps, la charrette de ses compagnons s’approcha. Tous purent voir la désolation de la cité, mais aussi le fort impact que Cattleya pouvait ressentir. Elle était restée figée un instant au milieu du marché avec un visage déformé. Puis, lorsqu’elle fut réveillée par leur arrivée, ils la regardaient s’engouffrer vers quelque chose qu’ils se mirent à entendre à leur tour, une foule. Elaron demanda gentiment à Dola s’ils pouvaient l’aider avant de partir. Les bonnes manières du demi-elfe étaient à la hauteur de la race des Elfes, mais aussi de sa famille.
— Non, allez-y ! ordonna la halfeline. Moi je vais m’occuper de la charrette.
— Bon, très bien ! se dit Elaron.
— À tout à l’heure, ajouta Isil en sautant en même temps qu’Elaron pour suivre la jeune femme.
Ymir était également descendue, mais faillit rater la marche, lorsque Dola fouetta les chevaux pour leur donner un autre élan. Cattleya arriva en direction de la foule et aperçut dans un premier temps des regards se tourner vers elle. Des personnes étaient manifestement en train d’observer le remue-ménage que produisait l’humaine. Cette dernière ne reconnaissait pas grand monde. Son enfance défilait devant ses yeux, parmi les bâtiments bien hauts de Gondalfen qui s’effacèrent au fur et à mesure qu’elle revenait à la réalité. Beaucoup de choses avaient changé et les gens n’étaient pas une exception. Son cœur fut poignardé. Isil aussi était interloquée par cet instant. Elle avait participé à la guerre et avait vu de nombreux massacres, mais cette cité avait subi bien pire. Néanmoins, l’elfe avait considéré les progrès et se satisfaisait des résultats. Elle garda foi en Lucan.
Après ce moment chargé d’émotion, ils pouvaient découvrir derrière l’église, dans une autre place où se trouvaient des bâtiments aujourd’hui disparus, la fameuse auberge dans laquelle se rencontraient d’abondantes personnes. Cela se bousculait aux fenêtres du rez-de-chaussée de l’édifice. Des groupes plus au moins grands étaient rassemblés derrière l’église en observant avec attention. L’atmosphère était tendue et tous restaient attentifs en regardant en direction d’une énorme foule. Une centaine d’individus étaient massés devant l’ancienne caserne de la milice.
— Ce n’est pas bon ça ! proclama Isil à l’égard d’Elaron.
Le demi-elfe le scruta avec inquiétude à son tour. Il tentait de percer du regard une silhouette qu’il ne retrouvait pas. Il aperçut tout de même un soldat qu’il pensait reconnaître, mais aucune trace de Lucan. Cattleya continua d’avancer sans se préoccuper de ce qui se trouvait devant elle. Elle fonçait et se fraya un chemin dans la foule pour dénicher Lucan dans l’auberge. Elle voulait savoir s’il se cachait là-bas et en avoir le cœur net. Rien ni personne n’aurait pu l’arrêter à cet instant. Le petit peuple était à l’entrée avec des morceaux de pain et des bocks d’hydromel, l’empêchant de pénétrer. La tension monta d’un cran quand elle se confronta à eux.
— Hey l’étrangère ! Qu’est-ce que vous faites ?
La colère pouvait se lire sur le visage de l’humaine et Isil le sentit même à bonne distance. L’elfe s’inquiéta et se précipita pour attraper l’épaule de Cattleya afin d’éviter un mouvement de foule. Mais cette dernière ne voulait pas se laisser faire.
— Lâche-moi ! hurla-t-elle à l’encontre de l’elfe.
Cattleya rejeta Isil qui désirait la rattraper encore une fois. L’elfe essaya de lui lancer une attention apaisante, mais rien n’y faisait, sa camarade était bien trop déterminée. Isil proposa son aide en lui donnant une main amicale.
— Laisse-moi, jeta Cattleya une fois de plus avec un œil noir.
Elle s’élança de nouveau vers l’auberge en se frayant un chemin difficile dans la foule et Isil s’excusa auprès des gens. Elaron se demanda s’il devait réaliser une nappe de brouillard pour se camoufler tellement les regards étaient lourds sur eux. Puis, ils entendirent des individus qui parlaient d’eux et se tournaient dans leur direction.
— Qui est-ce ? questionna un membre du petit peuple.
— Est-ce eux ? se demanda un autre.
— Dola les a ramenés ?
Isil continua de s’excuser, mais une vieille naine parvint jusqu’à elle.
— Pardonnez-moi, jeune femme, dit-elle d’une voix tremblante. Seriez-vous les amis de Lucan qu’il devait ramener ?
— Oui, répondit l’elfe simplement.
— Oh, vous arrivez pile à temps alors.
— Qu’est-ce qui s’est passé ?
— Oh, et bien, allez donc voir ! Allez donc voir à la caserne. C’est là que se déroule toute cette histoire. C’est bien triste. C’est bien triste.
— Merci, ma bonne dame.
Soudain, Cattleya qui n’était pas loin de l’elfe entendit le nom de Lucan et son cœur se serra une fois de plus. Elle avait peur pour l’homme qu’elle espérait tant revoir. Elle se retourna pour partir en direction de la caserne. Pendant ce temps, Isil et Elaron échangèrent un nouveau regard. Isil était en détresse, elle s’imaginait tout. Elaron s’était décomposé. Tous s’inquiétaient pour leur ami. Ymir était la seule à rester éloignée de la foule qui la dévisageait. Elle s’en moquait, car elle avait finalement l’habitude de ces regards. Elle avança tout de même en direction de la caserne en s’écartant le plus possible de ceux qui portaient des fourches et en réajustant son capuchon sur ses cornes.
Alors que Cattleya essaya de franchir ce mur, elle vit par-dessus les gens et voulut hurler le nom de Lucan, mais tout le monde criait déjà. La voix de l’humaine ne pouvait pas percer à travers. La foule était en train de s’efforcer d’entrer dans la bâtisse ou de se faire entendre. Mais des gardes et certains habitants tentaient de les opposer et de calmer la situation. Les quatre compagnons pouvaient ainsi écouter certains villageois.
— On n’aurait jamais dû revenir !
— Tout ça, c’est la faute de Lucan, de vouloir reconstruire un lieu maudit !
— On aurait dû se résigner comme tout le monde.
— Si l’on n’avait pas envoyé Dola chercher des aventuriers, les mercenaires de cet été seraient restés là et ils chercheraient Grivault.
— Si l’on n’avait pas ramené une sale engeance avec nous, on aurait été tranquille. Ils portent malheur tous les tieffelins, les orcs et compagnies.
— Qu’importe qui se trouvait là avant, on aurait dû les laisser à l’écart. D’abord les orcs, ensuite le fils du meunier et maintenant Grivault. Qu’est-ce que c’est la prochaine étape, un dragon ? C’est nous les prochains !
— S’il n’y avait pas des aventuriers et d’autres étrangers pour nous manger notre pain. On n’aurait pas besoin de chasser.
Tous ces arguments scandés, ils les entendaient beugler vers l’intérieur. Au fur et à mesure que Cattleya nageait parmi la foule, les membres de ce groupe s’arrêtèrent de parler pendant un instant, circonspect de la voir traverser sans se préoccuper d’eux. Jusqu’au moment où certains refermèrent la boucle derrière elle. Les chuchotements se firent entendre et la jeune femme se retrouva prisonnière avec des attentions lourdes et soupçonneuses.
— C’est elle, c’est une aventurière.
— Ceux que Dola a ramenés… Ceux que Lucan voulait…
Cattleya continua de forcer le passage sans écouter. Tout le monde s’était retourné vers elle. L’un d’eux, très grand, se tourna avec un regard furieux et se posta devant elle pour faire barrage.
— C’est à ce moment-là que vous arrivez ? Autant nous laisser crever !
Et la foule se remit à beugler, mais cette fois-ci, dans la direction de la jeune femme.
— Lucan, articula-t-elle avec un air intimidant et calme. Ou est-il ?
Soit, quelque chose dans le ton de l’humaine soit quelque chose en elle les effraya, mais le petit peuple autour d’elle se figea, comme une onde de silence qui s’étendait presque sur tous les individus.
— Ou est-il ? redemanda-t-elle les dents serrées et les mains sur ses dagues.
Alors que les gens tout autour commençaient à discuter, chuchoter entre eux, elle entendit un silence de tombe. Rapidement en regardant derrière eux, elle vit comme un éléphant renvoyant la foule de chaque côté. Lucan apparut tandis que tout le monde s’écartait sur son chemin. Ses cheveux et sa barbe indiquaient que si un barbier vivait à Gondalfen, Lucan ne le connaissait pas bien. Son armure avait été maintenue en très bon état et il s’élançait vers elle sans avoir fini de la lacer, comme s’il s’apprêtait à partir au combat. Il posa des yeux cernés, fatigués sur elle et un sourire de soulagement éclaira son visage qui était auparavant furieux et déterminé. Il s’avança d’un pas de plus et la prit dans ses bras au même moment où elle se jeta contre lui. Cattleya se sentit délivrée et le chagrin remonta au bord de ses paupières. Elle laissa s’échapper un sanglot et plongea sa tête sur son épaule.
— Ils sont morts, chuchota-t-elle à l’oreille de Lucan la larme à l’œil. Ils sont morts.
Ymir comprit que Cattleya portait un secret et sa vue se plissa comme pour mieux l’identifier. Isil et Elaron les observaient surpris. Lucan desserra son étreinte pour admirer son amie de longue date droit dans les yeux et lui murmurer.
— Je suis tellement désolé pour toi, Catt. Et je suis si heureux de te revoir.
Leurs visages s’illuminèrent en se contemplant intensément. Alors qu’ils étaient en train de se défaire de leur embrassade et de se détendre comme si c’était la première fois depuis des semaines, Lucan plongea son regard dans celui de Cattleya.
— Merci, lui adressa-t-il.
Sans lâcher la jeune femme, il scruta autour de lui et aperçut Isil qui s’approchait. Il remarqua ensuite Elaron un peu plus en retrait qui finit par s’avancer en voyant que son ami l’avait reconnu. Ymir qui était en dehors de la foule, se dirigea dans leur direction et croisa l’étincelle de Lucan. C’est à cet instant que l’homme s’esclaffa avec énergie.
— Ha ha ha ! Oui ! Merci !
Il garda une main sur l’épaule de Cattleya pour la maintenir auprès de lui. Puis, il attrapa dans ses bras tout le petit groupe pour enfin les avoir tous contre lui et leur permettre de se réunir. Ils formèrent une sorte de cercle privé.
— Vous arrivez juste à temps ! Je voulais vous accueillir avec une généreuse bouteille d’un bon vin, mais malheureusement, je vais avoir besoin de vous là tout de suite.
— On y va ! enchérit Isil sans aucune hésitation. Dis-nous tout.
Il se tourna vers ses gardes. Elaron, Ymir et Isil les reconnurent. C’était des hommes qui avaient accompagné Lucan durant la guerre.
— Brigt ! Magna ! Changement de plan. Vous prenez vos hommes et vous allez vous assurer que personne n’est à l’orée de la forêt et que personne ne s’en approche.
Après ses indications, il monta sur une caisse remplie de grains et se mit au-dessus de la foule.
— J’ai aussi peur que vous, d’accord, déclara-t-il à haute voix. Je me rappelle des jours de ténèbres comme vous et nous n’avons pas survécu à la guerre non plus. Moi et mes hommes, nous n’étions pas plus méritants. Nous avons tenu, car nous étions solidaires et parce que nous avions espoir. L’heure est grave, c’est vrai, mais Dola nous a rapporté de l’aide et je confierai à chacun de ces gens-là, ma vie ! Comme vous l’avez fait pour moi. Alors, soyez brave, soyez patient et moi et mes amis nous partons à la chasse !
— On est prêt à péter des gueules ! glissa Ymir.