À travers les vignobles de l’entre-deux mer dorés par l’automne qui touche à sa fin, Eugène enchaîne les coups de frein nerveux et de changements de vitesse saccadés. À chaque virage, chaque accélération, son inconscient le rattrape pour le plonger de nouveau dans l’horreur de sa journée. Il aimerait s’en extirper mais il n’en est qu’au début. Là où les pensées se cognent contre son crâne et ne se renouvellent pas. Deux de ses manuscrits inachevés sont des livres publiés. Et ces quatre lettres, qui portent l’empreinte du diable : Zuka.
Parmi la liste des questions qui se bousculent à la porte de sa tête, celle de la personne qui se cache derrière cet alias prend toute la place. Elle revient en permanence, accompagnée de deux premiers noms de suspect.
Gabrielle et Sophie.
Eugène ne veut pas y croire. Et pourtant, il a beau y réfléchir, elles sont les coupables idéales. La première parce qu’elle a accès à son ordinateur quand elle le souhaite depuis leur maison. La seconde car elle peut remonter jusqu’à ses moindres fichiers à distance. Il a beau ressasser sa vie sociale pauvre, seules elles ont pu avoir un accès facilité à ses manuscrits. Et comme Eugène ne partage ses textes avec personne d’autre que Gabrielle, il juge peu probable d’avoir fait un envieux qui aurait piraté son ordinateur, même s’il n’exclut aucune piste. Il préfère encore se dire que, même infime, la possibilité que ce ne soit pas l’une des femmes qu’il aime le plus qui lui ait causé un tel tort mérite d’exister.
Alors, tandis qu’il manque d’emboutir une voiture à laquelle il vient de refuser la priorité sur un rond-point, il s’interroge. Par qui commencer ? Doit-il confronter sa petite-amie ou demander l’aide de sa sœur ? Si cela ne tenait qu’à lui, Eugène attendrait de savoir qui lui a asséné le coup critique avant de leur en parler. Si l’irréaliste était possible, il aurait cette réponse vite. Il n’aurait pas à cacher quoi que ce soit à la personne avec laquelle il partage sa vie, ni à douter de la confiance qu’il porte à sa sœur Sophie. Après tout, c’est grâce à elle que ses conditions de travail ont pu si drastiquement changer et que, à force de quelques clics quotidiens, il s’est mis à gagner plus d’argent. Assez pour déménager à Langoiran et y vivre confortablement… Pourquoi aurait-elle usiné l’assistante parfaite avant de se retourner contre lui ? Commercialement, une telle démarche n’aurait aucun sens. Et avec sa haute conception de l’intérêt familial, Eugène ne veut pas croire à un tel scenario.
Pourtant, Sophie détient bien la première clé du mystère, et il la connaît suffisamment pour être capable de déceler ce demi-sourire tremblant qu’elle ne peut se retenir d’afficher en cas de mensonge.
Il commencera par Sophie.
Pour Gabrielle, c’est une autre paire de manches. Plus délicate à aborder. Une piste plus risquée à saboter. Alors, dans l’attente d’en savoir davantage, il ne veut pas la confronter, malgré tout l’absurde que cette accusation revêt.
Gabrielle n’est pas une artiste. Même si son quotidien déborde de furie créatrice, elle met un point d’orgue à ce fait : l’art est un mot dont elle n’est pas digne. Il irrigue l’écriture de son compagnon dont elle raffole des extraits, la musique sur laquelle elle danse, tous les samedis lors de ses cours de tango, à la maison quand Eugène s’enferme à double tour dans la bibliothèque et qu’elle s’approprie enfin les murs. Appliqué à elle, il devient création et ne dépasse jamais la sphère de ce qui se doit d’être pratique : elle dessine parce qu’elle doit faire une ébauche pour son travail de graphiste, elle peint parce qu’elle doit rénover la maison ou restaurer un meuble qu’elle a chiné. Si Gabrielle devait être artiste, elle ne saurait même pas quoi créer. Eugène avait plusieurs fois essayé de la pousser dans ses retranchements, elle avait à chaque fois botté en touche : que pourrait-elle bien dessiner d’autre que les étiquettes des bouteilles de vin commandées par ses clients ? Elle l’affirme même d’un ton qui ne laisse place à aucune contestation : malgré quelques années à apprendre la guitare à l’adolescence, elle n’avait jamais aligné deux accords autrement que ceux qui étaient indiqués sur des partitions. Pour elle, créer pour les autres, interpréter la création des autres, ce n’est pas de l’art.
Gabrielle n’a rien d’une voleuse de romans, ce qui, si l’absurde venait à se réaliser, ferait d’elle une petite-amie tordue. Eugène ne veut pas y croire, et pourtant, il n’arrête pas d’y penser.
Quand ils se sont rencontrés, huit ans plus tôt, tous deux venaient de terminer leur journée de cours. Elle, à la faculté d’économie, lui de lettres. À Pessac, le tramway délimite ces deux universités de façon étanche : il y a d’un côté ceux qui s’habillent dans toutes les teintes allant du noir au gris pour mieux faire prévaloir le sérieux des études dont ils croient se revendiquer, et de l’autre ceux qui arborent toutes les couleurs. Deux ensembles hermétiques qui ne communiquent que peu, ou mal. Ce jour-là, le tramway avait fait faux bond aux étudiants qui marchaient en une procession interminable le long des voies. Gabrielle marchait à ses côtés mais il leur fallut trois arrêts à entamer la discussion. Le temps pour la pluie de commencer à tomber et pour Gabrielle de commenter à voix haute : « la poisse. »
Lorsqu’il vit Gabrielle pour la première fois avec son pull vert baillant par-dessus son pantalon, Eugène l’imagina étudier la philosophie. Il se dit que s’il avait eu un parapluie, il le lui aurait proposé, mais il n’avait rien d’autre que son sourire niais à lui offrir et ses bras ballants qui s’avouaient vaincus. Elle rit. Dans sa Provence natale, le climat est plus clément. Elle n’aime pas la pluie, sauf quand elle la regarde depuis sa fenêtre, un café à la main. Alors, tandis qu’ils approchaient du centre-ville de Talence et que la route jusqu’à leur appartement respectif s’annonçait encore longue, Gabrielle lui proposa de se réfugier dans un troquet le temps que l’averse passe.
Trempés jusqu’aux os, les gouttes dégoulinaient de leur cheveux et glaçaient leur corps qu’elles parcouraient jusqu’au sol. Aussi Gabrielle s’éclipsa-t-elle un long moment pour utiliser le séchoir des toilettes sur son tee-shirt, entreprise qu’elle annonça d’office à Eugène pour ne pas qu’il s’y méprenne. Lui proposa de garder la porte, pour ne pas qu’on l’y surprenne. « Tu n’as qu’à me donner ton tee-shirt aussi » lui proposa-t-elle. D’une petite voix, Eugène refusa. Le lendemain, la gorge en feu, le nez bouché, il regretterait amèrement cet élan de fierté.
Dans les semaines qui suivirent, ils se retrouvèrent parfois à l’arrêt de tram, à la sortie des cours. Avec ses pulls colorés, Eugène voyait toujours Gabrielle arriver de loin au milieu du troupeau de conformistes des étudiants de droit et d’économie. Il pouvait ralentir le pas, quitte à louper le premier tramway et prétendre la croiser par hasard. Alors, Gabrielle finit par franchir le premier pas et l’invita à renouveler l’expérience du café autour d’une bière. Avec quelques verres dans le nez, Eugène eut assez confiance en lui pour s’asseoir à ses côtés sur la banquette puis, quand leur genou se toucha, il osa enfin frôler la peau de sa main, même si au début il agissait comme s’il ne s’était rien passé. Six mois plus tard, il était invité à rencontrer la famille de Gabrielle à Aix-en-Provence pour les cinquante ans de sa belle-mère et ce fut sur le chemin du retour que Gabrielle lui proposa enfin :
« Tu ne voudrais pas qu’on prenne un appartement ensemble ?
— Tu es sûre que ce n’est pas un peu tôt ? »
Eugène, lui, n’avait jamais quitté le foyer familial. Le dernier départ en date était celui de sa mère et encore, elle avait juré avoir attendu jusqu’au dernier moment pour partir. Jusqu’à ce que Sophie soit au lycée, et Eugène bien avancé dans ses études. Jusqu’à ce qu’elle n’en puisse plus. Le divorce, véritable cataclysme dans ce cocon familial, laissa un père traumatisé et des enfants circonspects. Comment peut-on feindre l’amour ? Plutôt que de s’inspirer de cet attachement faussé pour sa relation à venir, Eugène préféra garder l’autre enseignement. Celui qu’un départ doit s’effectuer à point nommé, après avoir profité de sa famille le plus longtemps possible. Alors, après des mois où Gabrielle insista et une discussion au cours de laquelle son père lui assura qu’il ne se formaliserait pas de son déménagement à presque vingt-quatre ans, Eugène réunit les affaires d’une vie dans des cartons qu’il posa dans un appartement proche de Mollat, rue Porte-Dijeaux. Ce jour-là, la lune de miel prit fin.
À chaque fois qu’elle entreprenait de ranger la moindre babiole, Eugène serrait les dents et ravalait ses remarques. Il se sentait envahi. Dans leur appartement qu’ils jugeaient tous deux trop exigu pour s’y exprimer pleinement, ils s’entassaient au milieu de toutes leurs affaires. Gabrielle commença les cours de danse pour mieux déambuler ailleurs, lui profitait de ses absences pour écrire en toute tranquillité. Avec le temps, elle apprit même à laisser un livre en vrac, pour le réconfort qu’une vue a minima désordonnée pouvait apporter à son petit-ami. Quand, six ans plus tard, ils achetèrent enfin le corps de ferme, le couple avait suffisamment l’expérience de la vie ensemble pour s’épanouir : ils avaient chacun leur espace.
Quand il est dans sa bibliothèque, nichée sous la mansarde, Eugène peut laisser traîner ses livres partout.
Eugène n’est pas prêt à sacrifier cet équilibre de vie pour une accusation dont il ne mesure pas encore la légitimité. Alors, avant de descendre dîner, il fait couler de l’eau, se fouette le visage à coup de gouttes glacées dans la salle de bain si mal isolée qu’un courant d’air frais le flagelle déjà. Dans la glace, il s’entraîne à sourire même s’il n’est pas dupe. Il ne sait pas mentir. Il ne veut pas mentir. Tout au plus, il se promet de cacher la vérité. Il dira qu’il est fatigué, ce qui est vrai. Cette journée a joué avec ses nerfs ; il ne serait pas contre voir une fin à ce tunnel de pensées qui tambourinent dans sa tête.
Se concentrer sur le dîner. Respirer.
Mais déjà, devant la cheminée, il cherche recroquevillé le réconfort du feu qui crépite. Contre la vitre, il trouve la chaleur qui a manqué à sa journée, mais les flammes ne suffisent pas à calmer ses frissons.
« Ça va ? » demande Gabrielle en relevant la tête de son coloriage.
Par deux fois, il lui répond que oui. À force de le répéter, peut-être finira-t-il par s’en convaincre. Elle a la discrétion de ne pas insister trop malgré l’évidence, hausse les épaules et change de feutre. Eugène la regarde happée par ce carnet de croquis, sa lubie de la semaine. « C’est contre le stress » s’était-elle justifiée en rentrant avec, quelques jours plus tôt. Eugène hésite à lui en demander une feuille. Est-ce que lui aussi, feutre à la main, serait si concentré et calme pendant toute la durée d’exécution du coloriage ? Là, tout de suite, il aimerait appuyer sur le bouton stop pour mettre un terme à ces pensées récurrentes dans sa tête. Et si c’était elle ?
Il n’a aucune idée de ce qu’il ferait. Il ne veut pas le croire, mais il refuse de se trahir de sitôt.
À table, Eugène a du mal à suivre Gabrielle qui lui détaille avec enthousiasme un coup de téléphone qu’elle a eu avec son amie Mél. Sans la moindre idée de comment sa copine est passée d’interminables nouvelles à une proposition de place en voiture, Eugène tente le tout pour le tout et avoue ignorer de quoi elle parle.
« De la dégustation de vin ! articule-t-elle. Qu’est-ce qui t’arrive aujourd’hui ?
— Je réfléchissais à autre chose…
— Tu comptes me dire ce qui ne va pas ? »
Eugène continue de mâcher son escalope panée dans un silence coupable. Ce soir-là, son plat préféré n’a aucune saveur. Seulement une consistance caoutchouteuse, malléable, presque sèche.
Il prêche l’extrême fatigue, mais lit sur le visage de sa compagne qu’il n’a pas réussi à la convaincre. Lui n’a plus la force de rien, seulement paraître présent et mâcher ce qu’il peut pour en extirper l’énergie vitale nécessaire à sa journée du lendemain. Une nouvelle à ruminer encore les sorties de Club et de Son Opéra.
« Il y a autre chose dont je voulais te parler, annonce Gabrielle en revenant de la cuisine avec le fromage. Puisqu’on aura bien avancé les travaux, d’ici là, j’aimerais recevoir des gens ici.
— Tes amis ont toujours été les bienvenus.
— Encore heureux, Monsieur l’ermite, que j’ai le droit de vivre chez moi ! »
Eugène feinte un sourire. Boit une gorgée d’eau. Revoit cette pile de livres, chez Mollat. Cet avis, « coup de cœur » … Cet air emporté de la libraire. Et, en fond, les paroles de Gabrielle s’envolent telle une mélodie imperceptible.
« Et même si aujourd’hui, tout n’est pas fini, pour le printemps ce devrait être jouable. Alors ? »
Eugène prend le temps de peser le pour et le contre : acquiescer à une demande qu’il n’avait pas écoutée, ou énerver Gabrielle avec son honnêteté. Avec ses yeux noisette pétillants, elle le dévore d’appréhension. Ses lèvres contiennent le sourire enthousiaste qu’il lui connaît si bien : elle appréhende. Comment dire non à Gabrielle quand on est si imbu de ses propres problèmes ? Elle mérite son attention, et lui ne parvient pas même à la lui offrir plus de quelques instants. Ses problèmes l’engrainent, le clouent au sol et lui coupent les ailes. Rien d’autre n’existe, mais ce fardeau ne doit pas être celui des autres.
« Si ça te fait tant plaisir, je ne vois pas pourquoi ce serait un problème » conclut-il alors.
Le visage de Gabrielle s’illumine. Elle le remercie, l’embrasse, part chercher des clémentines et revient avec un air si radieux qu’il conforte Eugène un instant sur le fait qu’il a pris la bonne décision.
« Mél m’a dit qu’elle pouvait se charger des photos ! Elle le fera bien mieux que moi… Ce n’est pas grave si tout n’est pas terminé, tant que les deux chambres d’amis et la salle de bain attenante sont prêtes. Il nous suffira de bien condamner les portes des pièces en travaux. Ce sera mieux, d’ailleurs ! Je pourrai commencer à me faire la main avec deux réservations simultanées. J’ai plein d’idées… Je pourrais même proposer une demi-pension ? Et si ça prend bien, ajuster la formule, les prix, les menus pour l’année suivante… »
À cet instant, Eugène réalise qu’il aurait mieux fait de s’abstenir de consentir à une chose qu’il n’avait pas comprise, mais il est trop tard pour revenir en arrière et voler à Gabrielle cet entrain manifeste qu’il venait de lui offrir bon gré mal gré. Il aime ses coups de Stromboli, et celui-ci est de haut vol. Une pente glissante sur laquelle il aurait préféré ne pas poser le premier pied.
« Et tu comptes les trouver où, tous ces gens ?
— Airbnb ! » répète-t-elle exaspérée.
Jusqu’à la fin du déjeuner, il s’attèle à ne plus rien manquer de leur conversation. Au cas où. De la couleur pastel des murs des chambres d’amis à l’ambiance que Gabrielle veut y apporter à coup de mosaïques et de cadres bien choisis. Eugène avait loupé le principal, le moment où il pouvait encore influer, alors il assiste au reste : la dégringolade.
Dans les jours qui suivent, Gabrielle renonce à confronter Eugène de nouveau : elle préfère dépenser son énergie à apprendre à réaliser une frise en mosaïque pour les deux chambres qu’elle espère terminer avant Noël. Parfois, elle le questionne avec insistance sur ce qu’il écrit, enfermé toute la journée dans sa bibliothèque. Elle s’est persuadée que si Eugène est aussi irritable, c’est que la fureur d’écrire l’a abandonné ces jours-ci. Que s’il reste autant seul, sous la mansarde sombre, c’est qu’il fait tout pour exorciser son art, cet acte qu’elle rapproche du divin et imagine frapper les humains comme la foudre. Pour cette force créatrice dont elle se croit privée, Gabrielle pardonne tout à son compagnon : elle ne lui avait même pas reproché d’avoir terminé sa bibliothèque avant que la moindre autre pièce ne soit fonctionnelle. « Parce que fixer des étagères, c’est bien plus rapide », s’était-il contenté de dire pour se justifier.
Le week-end, Eugène le passe enfermé entre les murs de sa bibliothèque. Sa mansarde sombre devient son rempart contre le monde. Pourtant, son asile ne lui apporte pas le réconfort escompté : à travers la fenêtre, les filets d’air froid viennent chatouiller son cou. Lire devient impossible, il n’en a pas la concentration. Quant à écrire, il n’essaie même pas. Et si son travail se retrouvait publié dans un nouveau livre ? Il ne sait même pas s’il peut risquer de continuer son projet en cours, Leurs terres avant eux, ou s’il doit le remiser au placard lui aussi. Et s’il devait en entamer un nouveau, il ne saurait pas par où commencer. Il n’en a pas envie. Commencer un nouveau texte demande intuition et réflexion : il manque cruellement des deux.
Sur le bureau niché sous la fenêtre, l’exemplaire de Club ne bouge pas du week-end. Hors de question de faire une place de choix sur ses étagères à cet auteur qui a usurpé ses espoirs de devenir un jour écrivain. Eugène tourne autour de l’ouvrage sans toutefois réussir à l’ouvrir. Ainsi, il demeure dans une réalité alternative : le cauchemar a bel et bien commencé mais il refuse d’y donner cours. Pour l’heure, il ne peut qu’attendre. Attendre lundi, que les bureaux des Éditions Verglas ouvrent pour obtenir une explication. Savoir qui se cache derrière le nom de Zuka. S’assurer que Club et Son Opéra ne soient pas suivis d’une nouvelle mauvaise surprise, que ses autres projets inaboutis sont sains et saufs. Confirmer que cette mascarade prendra fin. Quand il les appellera, ce mauvais rêve s’achèvera et qui sait, peut-être pourra-t-il en profiter pour établir un premier contact avec un éditeur. Leur expliquer qu’à défaut d’une plume de substitution, il serait ravi d’apprendre à terminer un roman avec un professionnel. Oui, au milieu de ce cauchemar éveillé, Eugène rêve un peu.
Si, le premier soir, son ordinateur n’a pas droit de cité dans la bibliothèque, il se ravise le dimanche. Ses recherches, il doit les faire dans le secret de son antre, hors de la vue de Gabrielle qui, si elle respecte son intimité, ne manquera pas de poser des questions en le voyant passer de livide à rouge devant les mensonges de l’usurpateur.
Zuka. Sur Internet, plusieurs liens renvoient à une artiste-peintre américaine du même nom. D’autres font état d’un auteur français pour lequel aucune photographie n’est répertoriée. Seuls quelques mots, les mêmes que sur la quatrième de couverture, se retrouvent sur ces quelques sites :
« Après des études de lettres modernes, Zuka publie son premier ouvrage, Club, aux Éditions Verglas en 2021. Son second livre, Son Opéra, sort en 2022. »
N’importe qui pourrait se cacher derrière une telle biographie qui se fonde en grande partie sur des mensonges. Pourtant, Eugène relit ces mots plusieurs fois, un par un. Et, dans cette brève description, trois mots attirent ses foudres.
« Publié ». Zuka ne les a pas écrits, mais Eugène n’est pas un auteur publié. Aux yeux du public, cela change tout.
L’imposteur a étudié les « lettres modernes », quand l’auteur leur a préféré les classiques.
À deux adjectifs et un nom près, Eugène aurait pu s’approprier la vie de celui qui a volé la sienne. À celui qui, à sa place, récolte des critiques dithyrambiques.
« Après un tel coup de cœur, j’adoube Zuka au rang de mes auteurs préférés ! » ponctue Zeno13 à la fin de son commentaire suite à sa lecture de Club.
Eugène n’a pas la force d’en lire davantage. Il referme le clapet de son ordinateur, le remise sur le bureau à côté de l’exemplaire maudit et passe le restant de sa soirée à fusiller du regard les tranches des livres sur ses étagères. Et ceux-là, sont-ils vraiment écrits par ceux qui le prétendent ? Combien d’auteurs, dans sa bibliothèque, ont usurpé leur place ? Eugène oscille entre empathie fantasmée et désespoir total. Et s’il était le premier à se faire dépouiller à ce point ?
J'ai beau t'avoir entendue parler de ce roman plusieurs fois, je crois que je n'ai pas en tête qui est derrière ce vol (tu n'as pas dû me le préciser, et c'est tant mieux). Du coup, mon cerveau est déjà en train de créer des embranchements d'intrigues, je me dis que le père aurait pu avoir mis la main sur les manuscrits, que Gabrielle ou Sophie ont pu les faire fuiter involontairement, j'imagine un hacking... Évidemment j'ai en tête un certain logiciel pas-du-tout-d'actualité-hein, mais pour l'instant ça reste une vraie énigme et c'est très agréable !
J'aime beaucoup le rapport à l'art et la création que tu laisses entrevoir ici avec Gabrielle et le contraste avec Eugène. J'ai l'impression que ça fait partie d'une large réflexion sur le rapport à soi et à la création, et dans cette bribe de relation de couple il y a cette notion d'"artiste sacré" ou "artiste monstre", à qui on pardonne (malheureusement) tout. J'ai comme l'impression que cette histoire de vol de manuscrits va au moins participer à descendre ce genre de comportements de leur piédestal (?)
Histoire d'être un peu plus constructive, un petit élément de pinaillage : j'ai l'impression que dans ce chapitre il y a plus de "tell" que dans les précédents (notamment pour raconter la genèse du couple), ce qui peut nous éloigner du sentiment d'urgence, de suspicion voire de panique que connaît Eugène. Je ne sais pas comment tu pourrais corriger ça concrètement avec le plan de ces premiers chapitres, ni si ça aurait du sens (encore une fois, c'est du pinaillage), mais à garder en tête ?
A très vite !
Il y a quelque chose que j'adore avec elle et qui m'a convaincue de la conserver dans l'histoire, c'est justement ce rapport à la création, qui d'ailleurs est une question qui irrigue chaque personnage d'une façon très différente. Gabrielle, c'est celle qui se fait déborder par sa propre création ab initio, tant et si bien qu'elle n'arrive même pas à se considérer artiste. J'observe beaucoup de gens autour de moi qui ne se considèrent pas comme tels mais finissent par être les artistes de leur propre vie. Ils ventilent énormément faute de canaliser leur flux créatif, et m'ont beaucoup inspiré pour ce personnage.
En tout cas, oui, je garde en tête ta remarque. Sans avoir la solution à ce problème, il y a bien quelque chose encore un peu "à côté de la plaque" dans le traitement de Gabrielle. Le temps m'apportera un jour une solution !
Tu gères très bien, je trouve, le désastre émotionnel de ce pauvre Eugène. L'enfer quoi ! Je ne sais pas comment je réagirais à sa place en découvrant qu'on a volé et publié mon travail, et que ledit travail a du succès x) Tout le passage sur le vol de sa vie est très touchant.
J'ai apprécié aussi l'enchaînement des différentes possibilités - réactions plus ou moins rationnelles mais toutes très humaines et crédibles. Suspecter son entourage, ruminer, être en colère, puis désespéré, jaloux, décider de mener l'enquête etc. Ah et bien, le dialogue avec Gabrielle, et le malentendu sur "recevoir des gens" x) Et lui qui revient en boucle sur ce qui le taraude dans ses pensées - comment lui en vouloir ?
Bref, encore un très bon moment !
Deux petits chipotages :
>> "« La poisse » avait commenté la fille à côté." > virgule après "la poisse" ? Pour moi ça scanderait mieux et rendrait le propos plus clair.
>> "Eugène oscillait entre une empathie fantasmée et le désespoir total." > pas sûre que "total" soit efficace. Pour moi, "le désespoir" tout seul serait encore plus percutant - rajouter cet adjectif derrière lui fait un peu perdre en force.
Bonne soirée !
À une prochaine !
Bien à toi :)
Je te liste tout ce que j'ai aimé :
* j'aime beaucoup le fait qu'il regarde les critiques sur internet et qu'il se compare à la biographie de Zuka.
* tu arrives a bien montrer les actions de ton héros sans les expliquer, Eugène commence a gagner en épaisseur.
* L'état mental de confusion dans lequel il est, est très bien montré dans ce chapitre.
* Il y a de chouettes passages comme celui sur le feu <3 , j'ai adoré ! ça m'a fait pensé à Noirmoutier :p
Pinaillages :
Mon sentiment du deuxième chapitre s'accentue. ça va trooooop vite ! laisse moi savourer crédidiou ! je trouve que tu donnes trop tôt la piste sur la sœur et l'IA. Tu as à peine lancé le mystère que tu proposes une piste pour dénouer l'intrigue ! Je pense que cela serait profitable que la piste de la maison d'édition soit d'abord creusée (il appelle, attend les réponses et en attendant à peur d'en parler à sa famille dont sa sœur).
Je trouve que tu pourrais aussi dire qu'il sort ses vieux manuscrits, qu'il compare l'ouvrage avec celui vendu dans le commerce. On a vraiment envie de savoir à quel point ça a été plagié.
"Quand il les appellerait, ce mauvais rêve prendrait fin, et qui sait, peut-être pourrait-il en profiter pour établir un premier contact avec un éditeur. Leur expliquer qu’à défaut d’une plume de substitution, il serait ravi d’apprendre à terminer un roman avec un professionnel du milieu. "=> il est vraiment très naïf ! A quel moment la maison d'édition va dire : Oh désolée que tu sois le véritable auteur, si tu veux travaille avec nous pour nous pardonner XD
La réaction de Sophie est franchement étrange, moi on m'apprend ça, je suis sidérée, trop deg pour mon frère. Tu pourrais développer un peu le dialogue. Quand Sophie comprend qu'il est sérieux, elle pourrait demander des détails, demander à voir le bouquin. Là, on a l'impression, qu'elle ne trouve pas ça trop grave (après c'est peut-être ton souhait).
"J’ai la faiblesse de croire que tu es la seule qui peut m’éclairer pour l’instant"=> qui puisse.
"Oui, elle danse. Et elle aime transformer ce corps de ferme en quelque chose de beau."=> Vu que tu parles de la danse dans la phrase précédente, j'ai associé "corps" au corps de Gabrielle et non au bâtiment. ça m'a tellement fait beugué XD
Bon, je continuerai plus tard, mes yeux se ferment !
Tu as vraiment une très bonne base pour un 1er jet, il te faut juste prendre un peu plus de temps :)
A bientôt !
Merci pour ce retour. Deux remarques en l'air :
- on décrit souvent mes personnages principaux comme naïfs >< sans même que je remarque que je leur donne ce trait à l'écriture. J'ai l'impression de passer à côté de quelque chose concernant Eugène, je n'ai pas encore réussi à mettre le doigt sur cet aspect de sa personnalité qui m'échappe encore...
- je me demande en ce moment si je dois tout réécrire de zéro, ou retravailler à partir de ce jet. A vous lire, j'ai l'impression que ce jet peut être exploitable, cela dit, je ne veux pas avoir peur de recommencer si c'est nécessaire pour insuffler une meilleure dynamique. OK, je n'avance rien en disant cela, mais ton commentaire me fait relativiser un peu. Peut-être que je ne devrais pas jeter ce jet. Par contre, il est à bien reprendre sur Eugène et Gabrielle notamment.
Bien à toi
PS : ravie de t'avoir ramenée à Bordeaux !
Ci-dessous tout ce qui m'est passé par la tête à la lecture de ce chapitre !
Ce qui m'a un peu gênée :
- Confirmer que cette mascarade prendrait fin. Quand il les appellerait, ce mauvais rêve prendrait fin, ==> répétition de "prendrait fin"
- Zuka publie son premier ouvrage, Club, aux Editions Verglas en 2021. Son second livre, Son Opéra, sort en 2022. » ==> je suis un peu perdue ; c'est sans doute à cause du laps de temps entre les chapitres que ma mémoire me joue des tours (et je ne suis pas allée vérifier) mais j'avais compris que Club était le nouveau livre, et qu'au même moment un autre sortait en format poche. Aussi, est-ce que "son opéra" et "son costume" sont le même livre ?
- « Tu l’aurais vue, vendredi soir ! s’esclaffa Clara. ==> j'ai été surprise de voir que Clara était à côté, sa rêverie m'avait laissé le sentiment qu'elles s'étaient déjà séparées
- « Une prochaine fois, sans problème. Merci Clara » lui sourit-il enfin. ==> il manque un point :) et je trouve sa réponse bizarrement formulée mais je ne saurais pas dire pourquoi
- Tu m’expliques comment l’un de mes romans a été publié et se vend partout en France ? ==> et commment elle le saurait ??
- Bien sûr que oui. ==> cette réponse me parait ambiguë : bien sûr qu'il ne file que des textes de boulot ou bien sûr qu'il lui file d'autres textes aussi ? je n'ai pas compris
- En vouloir à sa sœur de ne pas lui répondre. La trouver suspecte de ce fait. ==> on ne comprend toujours pas vraiment ce que sa soeur vient faire dans cette histoire !
- Elle n’avait jamais écrit. Jamais fait de musique, ni crayonné. Mais elle danse. Oui, elle danse. Et elle aime transformer ce corps de ferme en quelque chose de beau. ==> l'alternance passé/présent me perturbe un peu
- ce qui ne va pas, à la fin ? ==> je ne sais pas si c'est fait exprès (comme un tic de langage) mais elle a terminé sa réplique précédente de la même façon
Mes phrases préférées :
- Ainsi, il demeurait dans une réalité alternative : le cauchemar avait bel et bien commencé, mais il refusait d’y donner cours. ==> j'aime beaucoup tout le début
- au milieu de ce cauchemar éveillé, Eugène rêvait un peu ==> très joli
- Zuka ne les avait pas écrits, mais Eugène n’était pas un auteur publié ==> j'aime bien la nuance entre les deux termes
- Et ceux-là, étaient-ils vraiment écrits par ceux qui le prétendaient ? Combien, dans sa bibliothèque, s’étaient vus usurpés ? ==> c'est intéressant comme questionnement ça !
- Eugène regardait de toutes parts, comme si cette simple vision pouvait lui donner un aperçu de la fin de l’embouteillage ==> on le fait tous ^^
- Eugène se rapprocha de la vitre pour y trouver toute la chaleur qui avait manqué à sa journée.
- À force de le répéter, peut-être finirait-il par s’en convaincre
- Si ça te fait tant plaisir, je ne vois pas pourquoi ce serait un problème ==> jolie façon de botter en touche !
- Eugène avait loupé le principal, le moment où il pouvait encore influer, alors il assista au reste : la dégringolade ==> hahaha
Remarques générales :
L'intrigue avance bien, c'est sympa. L'idée est très originale et me plait beaucoup !
Par contre, je trouve que Sophie comprend un peu trop rapidement de quoi son frère parle ! Elle ne réagit pas vraiment à la phrase "Ça fait depuis hier, hier ! Et il en a déjà sorti deux. Zuka… Ou elle. Qui sait, après tout.", alors qu'elle est plutôt cryptique !
Alors voici ma théorie pour le moment : Léana est une intelligence artificielle qui permet de corriger des textes ou un truc du style (type Antidote) que Sophie (ou son entreprise) a développé. J'ai hâte de savoir si j'ai visé juste ou pas :)
A bientôt !
Je ne dirai rien sur la suite du coup :P
Et oui, Son Opéra, c'est bien Son Costume, il faut que je reprenne ces passages avec plus d'attention pour éviter toute confusion...