Le lendemain, vers dix heures, quelqu’un sonne à la porte. Léa va ouvrir en trainant les pieds. C’est Céline, sa voisine.
— Coucou Léa ! Je ne te dérange pas ?
— Bonjour Céline, non tu ne me déranges pas du tout. Entre.
— Je suis venue voir si tout allait bien.
— Oui, ça va à peu près, merci. Tu veux boire quelque chose ? Il y a du jus d’orange, du café, du thé…
— Un jus d’orange ce sera très bien, je te remercie.
Léa se dirige vers la cuisine, suivie de sa voisine. Elle sort du placard deux grands verres jaunes, et verse du jus dedans.
Céline a vingt-trois ans. Après son bac elle est allée faire des études de droit à Paris. Elle s’est vite rendue compte que cela n’était pas pour elle. Elle est revenue dans le village de son enfance et est maintenant assistante-maternelle. Elle est petite de taille mais elle a en elle une force morale, elle est vive, souriante, honnête, et toujours au service des autres. Léa l’a toujours bien aimée, et elle sait qu’elle est là pour elle quand elle en a besoin.
—Tu ne travailles pas aujourd’hui ? demande Léa.
— Non, jamais le mardi.
— Alors qu’est-ce que tu fais toute la journée ?
— Je prépare à manger, je fais le ménage…
— Ce n’est pas très drôle, souligne Léa.
— Je fais tout en écoutant de la musique. C’est le remède contre tout, ça remet de la vie partout où il n’y en a pas. C’est triste ici, tu devrais mettre de la musique, je t’assure que tout serait plus gai.
— Tu as sûrement raison, mais je ne sais pas vraiment quoi écouter.
— J’ai ramené un CD si tu veux.
Céline sort un disque de son sac-à-main et le met dans le lecteur.
— C’est John Lennon, tu aimeras bien à mon avis.
Imagine all the people
Living life in peace
You may say I’m a dreamer
But I’m not the only one
I hope someday you’ll join us
And the world will live as one.
Léa se dit que Céline a raison. La vie est tellement plus belle avec de la musique… Les deux voisines discutent pendant trois quarts d’heure, avant que Céline ne se lève en ramassant son sac à main.
— Je dois y aller, Léa. Il faut que je fasse à manger. Tu es sûre que tu n’as besoin de rien ?
— Oui, tout va bien, merci. C’est gentil d’être venue.
Céline se dirige vers la porte. Au moment de partir, Léa la retient :
— Attends !
La jeune femme se retourne.
— Tu as l’occasion de passer à la poste ?
— Oui, bien-sûr, je passe devant tous les matins en allant travailler.
— Est-ce que tu pourrais poster ça pour moi ? demande Léa en lui tendant la lettre pour Quentin.
— Il n’y a pas de problème, je la mettrai demain.
— Merci beaucoup, c’est gentil.
A midi, Léa mange quelques pâtes avec du gruyère. Elle pense à Quentin. Elle ne sait pas vraiment pourquoi, mais elle ressent une sorte de vide. Il lui manque presqie, même si elle ne le connait pas bien. Elle a envie de le voir. Elle jette un oeil sur le calendrier, aujourd’hui c’est le 13 janvier. Les vacances sont en avril. Il lui reste plus ou moins trois mois à attendre. Elle voudrait parler à quelqu’un. Parler à ses parents, juste entendre leur voix. Cela fait trop longtemps qu’elle ne l’a pas entendue. Elle prend le téléphone et compose le numéro de portable de sa mère. Rien. La ligne n’est toujours pas réparée. Elle ne peut plus attendre, si elle ne leur parle pas tout de suite ils lui manqueront trop. Elle sort de chez elle, tant pis si il fait froid. Elle sonne chez Céline. Cette dernière ouvre la porte avec un air étonné.
— Léa ? Tu as besoin de quelque chose ? Tout va bien ?
— Je suis désolée de te déranger, mais le téléphone ne marche toujours pas et j’ai vraiment besoin de parler à mes parents. Est-ce que je pourrais t’emprunter ton portable quelques minutes ?
— Mais bien sûr que tu peux, entre vite, il fait froid dehors.
Dans le joli salon chaleureux de Céline, Léa prend le téléphone et compose le numéro. Elle porte l’appareil à son oreille et attend en soufflant doucement. L’attente est de plus en plus longue et elle sent monter en elle un mélange d’excitation et de peur. Pourquoi sa mère met-elle tant de temps à répondre ?
« Bonjour, vous avez composé le numéro de Sabine Drouet. Je ne suis pas disponible pour l’instant, veuillez me laisser un message et je répondrai dès que possible. »
Dans l’encadrement de la porte, Céline regarde Léa raccrocher.
— Elle ne répond pas ? demande-t-elle.
— Non, je suis tombée sur la messagerie.
— Elle n’a peut-être pas son portable sur elle. Essaie d’appeler ton père.
Léa écoute son conseil et compose le numéro. Il se passe la même chose : personne ne répond. Elle sent les larmes lui monter aux yeux. Qu’est-ce qu’il se passe ?
— Ne t’inquiète pas, la rassure Céline. Ils sont peut-être en réunion. Tu réessaieras demain.
Léa rentre chez elle la gorge serrée. Céline a peut-être raison, mais elle doute quand même. Ils lui avaient dit qu’ils répondraient toujours si elle les appelait, ils lui avaient dit que rien n’était plus important qu’elle. Mimosa vient s’asseoir sur ses genoux en ronronnant. Pour elle tout est paisible, elle n’a aucun problème dans sa vie. Léa n’a pas le moral assez haut pour rire des bêtises de son chat. Pas aujourd’hui. Elle ouvre l’enveloppe qui était dans la boîte-aux-lettres, en espérant que celle-ci lui redonnerait le sourire. C'est Justine, une de ses amies, qui lui envoie un gentil message. Léa n’a pas le courage de lui répondre, elle le fera peut-être plus-tard. « Ne jamais remettre à demain ce qu’on peut faire aujourd’hui ». Sa mère dit toujours ça. D’accord. Alors elle va répondre. Elle prend une feuille et un stylo. Avant de poser l’encre sur le papier, elle réfléchit à ce qu’elle va écrire. Elle pense à sa vie. A sa grand-mère. Sa grand-mère… cela lui fait penser qu’elle ne lui a pas encore répondu.
Chère mamie
Ta lettre m’a fait très plaisir. Ça me fait du bien de savoir que même si je suis seule dans ma maison enfouie sous la neige au fond d’un village perdu, il y a encore des personnes qui pensent à moi. Tu me manques beaucoup. Le manque augmente énormément quand on est seul. Je n’imaginais pas que ce serait autant… Tout le monde me manque. Je vois peu de gens, j’ai l’impression que la vie est réduite à un chien et un chat qui font les fous. Chez moi aussi il neige. Il fait très froid donc je ne peux pas sortir. Tes deux petits chiots doivent être très beaux, j’ai hâte de les voir. Quand j’irai un peu mieux on rattrapera le temps perdu et on passera beaucoup de temps ensemble, nous deux. Tu es une grand-mère géniale, sache-le.
Aujourd’hui j’ai essayé d’appeler papa et maman mais ils ne m’ont pas répondu. Je suis inquiète, même si je sais qu’il n’y a peut-être pas de raison de l’être. As-tu des nouvelles d’eux ? J’espère te revoir bientôt, et je te fais d’énormes bisous.
Léa
Quand elle finit d’écrire il est seize heures trente. Elle a froid. Elle met le CD que Céline lui a donné, et prend du lait dans le frigo, qu’elle met dans une casserole avec du chocolat.
You say yes, I say no
You say stop, and I say go, go, go
You say goodbye and I say hello
Hello hello
I don’t know why you say goodbye I say hello.
Son chocolat chaud est prêt. Léa le boit en savourant chaque gorgée et la chaleur qu’elle amène dans son corps. Quelques heures plus tard elle va sur le canapé et allume la télé. Au bout de quelques minutes elle finit par s’endormir.
Elle se réveille longtemps après. Il est deux heures du matin. Comment a-t-elle pu dormir si longtemps ? Elle monte dans sa chambre en faisant un détour par la salle-de-bains pour se brosser les dents, et se couche dans son lit.
Il est presque midi quand Mimosa monte sur le lit de Léa pour la réveiller. Les rayons du soleil entrent dans la chambre à travers les volets. Léa s’éveille. Elle est en pleine forme, et d’excellente humeur.
— Aujourd’hui on ira se promener, promet-elle à Mimosa.
Elle descend dans la cuisine et fait chauffer du riz. Il n’y en a bientôt plus, il faudra qu’elle aille en acheter. Après avoir mangé, Léa sort chercher le courrier. Des enfants jouent dans la rue. Aujourd’hui c’est mercredi, ils ne sont pas à l’école. Il y a une lettre dans la boîte. Ça a l’air d’être une lettre professionnelle, pourtant c’est bien à elle qu’elle est adressée. Léa s’assoit à la table de la cuisine et ouvre doucement l’enveloppe. L’écriture sérieuse lui fait peur. Il n’y a que quelques phrases, au milieu du papier.
Le commissariat de l’ambassade française d’Helsinki a la douleur de vous annoncer le décès des deux journalistes Gérard et Sabine Drouet, tués ce jeudi 8 janvier à neuf heures. La cause de leur mort n’a pas encore été identifiée. Veuillez agréer, mademoiselle, nos plus sincères condoléances.
Sinon, la relation entre Léa et sa grand-mère a l’air super chouette (on dirait qu’il y a une petite complicité entre elles).
La fin de ce chapitre, aussi dure soit-elle, est un très bon retournement de situation. On a envie de savoir comment Léa va réagir, va vivre son deuil…