Chapitre 4.1 Le bois aux lianes

Notes de l’auteur : Première partie d'un très grand chapitre découpé en quatre morceaux.

          La foule paraissait tendue et Lucan avait dû prononcer un discours afin de s’expliquer. À la fin de celui-ci, il s’était éloigné avec ses anciens compagnons. Il avait laissé le petit peuple dans un moment de silence durant lequel tout le monde se regardait dans le blanc des yeux en essayant de se convaincre que la vie allait s’améliorer. Lucan en profita pour reprendre son souffle, puis il donna des instructions à ses gens et à l’auditoire.

— Tous ceux qui doivent aller dans la forêt ou à la lisière, doivent être prévenus que nous avons un problème là-bas. Je veux que toutes les personnes qui doivent s’y rendre y partent en groupe ou accompagnées d’un milicien. Personne n’y entre seul, ou ne s’approche du bois aux lianes où Grivault a été attaqué. Désignez des guetteurs qui se posteront en bas des champs pour vérifier qui sort et qui s’avancent à l’orée.

Pendant que Lucan était en train de donner ses instructions, les aventuriers pouvaient observer certains des miliciens portant des armures dépareillées aux couleurs similaires, des tons rouge, ocre et jaune, pour être identifiables. Certains de ces soldats se répartissaient déjà les tâches que Lucan avait énumérées. Certains groupes de paysans ou d’autres habitants s’échangeaient les directives. Et alors que la foule se divisait et se diffusait dans la ville en même temps que l’animosité qui régnait, Lucan s’approcha de ses anciens compagnons.  

— Vous ne devez rien comprendre à ce qui est en train de se passer, autant que moi d’ailleurs, lança-t-il en laissant un petit silence. Venez à l’intérieur, je vous dois des explications.

Avec le chemin dégagé, ils se dirigèrent vers l’entrée de la caserne d’où Lucan était sorti. Ils constatèrent que le bâtiment avait été reconstruit, mais ne semblait pas avoir subi d’important dégât dû à la guerre. Quelques tenues de garde furent exposées derrière une modeste grille de bois qui avait été nouvellement réaménagée. La pièce était pourvue de quelques bureaux et de sacs entreposés. Des listes de noms correspondant aux échanges de fournitures étaient étalées un peu partout. Puis, sur une grande table débarrassée à la va-vite, une carte de la région de Gondalfen gisait. En se retrouvant à l’intérieur du bâtiment, ils sentirent la fraicheur de la pierre. Lucan se laissa légèrement affaissé sur une chaise au bout de la table en regardant fixement la carte.

— Par où commencer ? Cattleya, te souviens-tu des Courbefer ?

— Vaguement, répondit-elle.

Cattleya tentait de se rappeler Grivault et Arma Courbefer, un couple de nains, mais elle ne se remémorait plus vraiment dans quel contexte elle les avait croisés. Cela faisait longtemps. Lucan expliqua la situation à ceux qui ne venaient pas de Gondalfen. Grivault et Arma Courbefer étaient un couple de nains trappeur qui s’était installé à Gondalfen avant la guerre en parvenant de Craguemir, car leur clan respectif refusait d’honorer leur mariage. Pendant les hostilités, ils avaient fui comme tout le monde et ils étaient revenus depuis quelques semaines après avoir eu vent de l’initiative de Lucan de réinvestir le village. Ils étaient arrivés et ils avaient recommencé à chasser dans la grande forêt de Glissebois. Cette forêt se trouvait dans le sud-est de la ville de Gondalfen qui longeait les montagnes et le bord du lac d’Otha-varn, lui-même se trouvant à l’est du village. Depuis peu, ils avaient commencé à emmener leur fille dans les bois pour entamer la formation de trappeur, de chausseurs, piégeurs. Dernièrement, ils observaient un certain nombre de plantes étranges et ils avaient eu le sentiment que quelque chose avait profondément changé. Ils finirent par appeler cette partie perdue de la forêt, le bois aux lianes, mais c’était tout ce que Lucan savait.

Gruma, la jeune enfant de Grivault et Arma avait été retrouvée courant et pleurant dans les champs, il y avait de cela une heure. Elle était blessée et d’après ce qu’avaient pu annoncer les paysans qui l’avaient ramenée en ville, quelque chose de terrible était arrivé à ses parents, mais sans savoir où ils se trouvaient. Tous s’accordèrent à dire qu’il était bien question d’une attaque. La naine avait déambulé à travers les fourrés et les pruneliers et elle avait terminé son périple dans les pâturages. Elle semblait évoquer l’agression d’un animal, mais ce n’était pas la première fois pour Grivault et Arma et pourtant ils n’auraient jamais laissé leur fille seule. En expliquant toute cette situation, Lucan finit par enfiler son armure, prit une grosse arbalète qu’il attacha dans son dos et mit une lourde épée dans un fourreau.

— Les gars des champs du sud ont emmené la petite à l’église pour que la prêtresse panse ses blessures. Le temps de poser quelques questions et nous partons en direction de la forêt ensemble. Ça vous dit ?

Cattleya jeta un œil dans la caserne pour rechercher une cuirasse plus saillante pour elle et remplacer sa tenue tachée de sang. Mais elle n’aperçut que d’énorme haubert et des cottes de mailles trop pesantes. Elle pensa que cela l’empêcherait de se battre correctement.

— Allons-y, lança-t-elle contrariée.

Isil se dirigea vers Lucan en lui réclamant l’emplacement des flèches pour se rééquiper avant d’y aller. Lucan se retourna et donna un grand coup de pied dans une armoire dont une porte tomba avec un bruissement de gond. Ils aperçurent à l’intérieur différents sacs et carquois de munitions entreposés un peu partout contre les murs.

— As-tu des rations de nourriture également ? demanda Ymir.

— Oui, mais Ymir, euh… Je suis très content de te voir, mais une enfant a perdu ses parents !

— C’est simplement au cas où notre voyage durerait plusieurs jours, reprit Ymir avec sens.

Elaron rit à l’échange de Lucan et d’Ymir ce qui fit grimper l’exaspération de la tieffeline.

— Ne commence pas Lucan ! injecta-t-elle en grinçant des dents.

Elaron continua de s’en amuser et de ricaner dans son coin. Il s’imaginait la tieffeline en train de se repoudrer le nez en pleine forêt. Cattleya comprit alors que la relation entre Ymir et Lucan n’était pas si belle qu’il y paraissait et un petit sourire se dessina sur ses lèvres ainsi qu’un haussement de sourcil. Quant à Isil, elle continuait de remplir son carquois en les regardant tous un par un d’un air distant. Lucan connaissait bien son amie de longue date et savait comment la rassurer.

— Tu as raison, souffla Lucan. Tu as raison.

— Oui, excuse-moi de vouloir bien faire, reprit Ymir.

— J’ai eu une matinée compliquée, enchérit Lucan.

— Et tu crois que pour nous elle ne l’a pas été ? ajouta Ymir.

— Je te demanderais d’arrêter de parler à Lucan ainsi, s’énerva à son tour Cattleya.

— Je lui parle comme je le désire ! Il le sait très bien. Nous connaissons chacun nos caractères, protesta Ymir en se retournant vers Lucan. Je sais que tu n’es jamais prévoyant, alors excuse-moi de prévenir, comme d’habitude.

Elaron souhaitait donner un coup de coude à la tieffeline pour tenter de la calmer, mais il se retint.

— Sans lui, nous n’aurions plus de Gondalfen, d’accord ? précisa Cattleya.

Isil s’approcha d’Ymir et lui posa une main sur l’épaule. Puis, elle la regarda dans les yeux pour l’apaiser, ce qui semblait faire effet. Elaron se dit avec ironie que Lucan avait pris la bonne décision en les choisissant. Ymir n’écoutait plus les réflexions de Lucan et alla chercher quelques javelines dans les étagères pour se rééquiper et en accrocha à son dos.

— Nous sommes que cinq à partir ? demanda Elaron.

— Oui, répliqua Isil avant Lucan. Les autres doivent déjà surveiller le périmètre, nous sommes là pour l’aider.

— Et bien, allons-y, ajouta Cattleya. Ne perdons pas de temps.

— Interrogeons-nous la petite fille ? demanda Ymir en revenant vers le groupe.

— Oui ! coupa Lucan qui semblait impatient. Oui ! Suivez-moi. Le temps presse.

Elaron lança un regard d’admiration à Ymir, elle avait l’air fière d’avoir eu une si bonne idée. Cattleya leva les yeux au ciel et tous les trois se mirent à discuter. Isil partit en avant avec à ses côtés, Lucan.

Alors qu’il finit d’attacher quelques sangles sur les bords de son armure, Lucan marchait en les accompagnant de la caserne à l’église. Celle-ci avait été plus durement touchée que la caserne. Il leur indiqua que parmi tous les survivants de Gondalfen, il ne restait qu’une seule des prêtresses originelles du couvent qui officiait ici, Ithroëne. C’était une jeune elfe qui était une novice à l’époque de la guerre et qui ne détenait pas encore énormément de pouvoir magique. Mais elle subvenait aux besoins en ce qui concerne les premiers soins lorsqu’il y avait un accident avec le bétail.

Et alors qu’il les amenait là-bas, une porte d’une belle petite église, fait de grosse pierre blanche, était sans cesse entrouverte. Seulement, Ymir et Cattleya ne se sentaient pas à l’aise à l’idée d’entrer, mais la tieffeline fut la première à prendre sur elle et y pénétra avec les autres. Ils pouvaient voir à l’intérieur qu’une grande partie du toit était entièrement effondré. Ils pouvaient apercevoir, allongés sur le sol, comme une sorte de lit de camp de fortune disposé dans chaque coin de la salle de manière improvisée. Ils découvrirent une petite silhouette dessinée à travers la poussière et les rayons de soleil qui traversèrent les voutes de l’ancienne couverture de l’église. Isil se souvint de la guerre à cet instant et l’émotion la gagna. La lumière semblait un peu trop intense pour Ymir et Cattleya qui obtinrent un genre de mouvement de recul en plissant les yeux. Ils entendaient depuis le fond de l’édifice une voix claire et féminine.

— Venez ! Vite ! Elle est réveillée.

Ymir se précipita la première, suivie par Isil qui se demandait si l’enfant n’allait pas avoir peur d’une tieffeline. Elaron y réfléchit plus sérieusement et arrêta net la progression d’Ymir.

— Tu devrais peut-être rester en retrait, avoua Elaron.

— Tout le monde, voici Ithroëne, déclara Lucan. Ithroëne, te rappelles-tu Cattleya ?

Les deux femmes se regardèrent l’une et l’autre. L’elfe semblait jeune, mais en scrutant son visage, Cattleya se rendit compte qu’elle se souvenait d’elle. Elle montrait exactement le même visage que plusieurs années auparavant. Elle dégageait une sorte de douceur inquiète.

— J’ai pu user de quelques magies pour m’occuper de ses blessures, entama Ithroëne. Elle est choquée, je crois qu’elle m’a parlé d’un genre de bête et d’un mal qu’elle n’arrive pas à comprendre. Préfériez-vous que je vous laisse ?

L’elfe commença à s’écarter et ils purent alors voir la naine. Elle détenait des marques à plusieurs endroits de son visage, des bras et de ses mollets avec un pantalon retroussé, laissant apparaitre des griffures nouvellement refermées. Elle s’accrocha à la robe de la prêtresse dans une langue que le groupe ne comprenait pas.

— Ce n’est pas toi l’experte en blessure ? demanda Cattleya à Ymir.

— Si, répondit l’intéressée. Et je comprends pratiquement toutes les langues.

Ymir s’approcha de l’enfant et commença à examiner les plaies de la jeune fille, pour voir si elle reconnaissait ce type de lésion. Elle lui saisit délicatement les mains pour le tranquilliser.

— Je peux observer tes coupures, s’il te plait ? demanda Ymir.

Elaron était inquiet quant à l’approche du seul tieffelin du groupe vers une enfant traumatisée. Cattleya se voulait rassurante à l’encontre du demi-elfe. Gruma n’avait pas l’air sereine, puis lorsqu’Ymir lui attrapa la main, elle la fixa avec de grands yeux ronds et apeurés. Elle souhaitait pleurer et resta choquée en tenant un doigt de la prêtresse, Ymir commença à inspecter les blessures, mais ne détecta rien. Elaron se rapprocha également plus à l’aise avec la médecine.

— Si tu veux, je vais prendre ta place, suggéra Elaron.

— Oui, répondit Ymir.

Mais avant de pouvoir agir, Isil arriva avec son aura douce et rassurante et tenta de calmer à son tour la jeune naine. Elle comprit bien que la petite était complètement traumatisée et désirait l’apaiser. Cependant, Isil avait gardé sa capuche et l’enfant ne vit que l’ombre d’un visage. De plus, avec l’armure sombre de l’elfe, Gruma opéra un mouvement de recul en poussant un minuscule cri de peur et elle avait les larmes aux yeux. Isil se retira immédiatement et s’éloigna. Cinq personnes étaient arrivées au même moment et cela en était trop pour Gruma. Elaron se lança donc vers la petite fille et tenta de regarder les blessures. Il comprit qu’il n’y avait plus rien à traiter et elle n’était plus en danger. Il ne saurait pas déterminer quelle magie la prêtresse avait utilisée, mais elle avait fait du bon travail pour sauver sa santé. Il remarqua les nombreuses entailles, mais il ne définit pas quelle créature avait pu accomplir ça. Ymir se demanda s’ils pouvaient questionner l’elfe concernant l’enchantement employé pour soigner les blessures. L’elfe lui raconta qu’elle détenait ses pouvoirs de la déesse Chantiha, déesse de l’agriculture et de la fertilité.

Pendant qu’ils s’occupaient de cette enfant, Cattleya sortit sa petite perle retrouvée à Clairlong pour le présenter à Ithroëne. Elle le scruta avec attention et lui indiqua que c’était assurément quelque chose d’une grande valeur, mais si elle était magique, elle la dirigea vers les services d’un arcaniste ou autre mage. Puis, elle s’excusa de ne pas en savoir davantage. Lucan alla s’agenouiller près d’Ymir et il regarda Gruma dans les yeux.

— Bonjour, tu te souviens de moi ? Je suis Lucan.

La petite hocha la tête avec une moue triste. Il essaya de réaliser une simple phrase en mélangeant ce qu’il connaissait de langue naine et de langue commune. La fillette commençait à parler, mais certaines phrases étaient plus en nain qu’en commun.

— Papa et maman… courir et chercher monsieur Lucan et les gens qui s’habille en [crah]… et ensuite, j’entends maman crier et je [liahr]…

Puis elle continua de pleurer en même temps qu’elle parlait. Lucan leur expliqua, le peu qu’il avait compris, qu’ils étaient en train de tendre un piège à un groupe de daim, quand quelque chose de grand était arrivé. Il pensa que cela devait être un élan ou un cerf, mais que ça sentait comme un cadavre. Cattleya tourna la tête vers Isil en se disant qu’elle avait plus d’expérience que tous les autres et qu’elle avait sûrement dû rencontrer des créatures de ce genre. Elle aurait pu les aiguiller sur ce qu’ils avaient à affronter, mais Isil ne semblait pas savoir et resta songeuse.

— Isil ? Est-ce que ça te parle ce type de créature ? demanda Ymir en voyant l’elfe réfléchir et s’inquiéter.

Mais cette dernière ne déclara toujours rien. Elle n’était certaine de rien. Cela pouvait être énormément de choses. Elle ne lui faisait penser à rien de cohérent. Lucan donna une petite gratouille à la naine et lui annonça quelque chose qui sonnait comme « nous allons chercher papa et maman » puis se retourna vers le groupe.

— Nous pouvons y aller, ordonna-t-il. L’enfant m’a indiqué quel chemin elle avait pris pour revenir. Pas de temps à perdre, allez !

Elaron attrapa son sac et se tint prêt.

— Elle est arrivée par les champs du sud et elle a dit qu’elle était passée par une clairière de bouton d’or, sous un gros arbre et par-dessus l’eau, précisa Lucan.

— Nous allons peut-être retrouver sa trace. Qui est pisteur ? demanda Cattleya en se retournant sur Isil. Tu peux repérer sa trace.

— Mais toi, coupa Ymir à l’attention de l’humaine. Toi qui viens de Gondalfen, ça te parle ?

— Ça a malheureusement beaucoup changé, indiqua l’occultiste.

Ils sortirent tous de la caserne et Lucan les amena à travers les rues et le centre-bourg. Ils se retrouvèrent rapidement dans les champs. Ils croisèrent quelques œillades éberluées de fermiers qui étaient en train de ramasser quelques moissons. Ymir leur lança un regard hautain et n’avait pas peur d’être toisée ainsi.

— Hey, Lucan ! appelèrent les fermiers. Qu’est-ce qui se passe ?

— Grivault s’est fait attaquer dans les bois !

— Qui sont-ils, les quatre autres ?

— Ce sont des amis !

Elaron, gêné, leur adressa un petit salut au loin et Isil leur sourit. Puis, Lucan se retourna vers Elaron et Ymir pour être sûr qu’ils étaient parés. Il savait que leur magie était épuisante et il voulait s’assurer qu’ils se sentaient prêts à affronter cette menace. Elaron acquiesça tout de suite et Ymir inspecta son aura quelques secondes. Elle semblait se concentrer.

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