Chapitre 3

Par Ozskcar

On dit d’Harren qu’il fut le premier Enfant doté du don de prescience. Nombreuses furent les enveloppes qui accueillirent son esprit, et nombreux furent les noms qu’il se choisit.

Clavarina est à notre monde la mémoire et le cœur ; son don est celui de la connaissance, de l’omniscience – rien de ce qui appartient au passé n’échappe à ses yeux. On dit que ses facettes successives furent toujours fidèles à sa conscience originelle, et jamais elle ne changea de nom.

Les Vaisseaux du Code par Neven


 

Un peu plus tôt...

Lorsqu'elle avait entendu du bruit dans les escaliers des ateliers Erlkönig, Clavarina était descendue en trombe, inquiète de voir son secret découvert. Elle était remontée bredouille, l'air grave. Son premier regard fut pour l'Enfant qui grelottait, recroquevillé dans un coin du laboratoire. De ses cheveux ruisselait le liquide poisseux de la cuve dont il avait été extrait. Il ne semblait pourtant pas gêné par les épaisses coulées rouges qui dégoulinaient sur son front et sur ses joues. Clavarina s'approcha, s’accroupit devant lui pour l'aider à se nettoyer, mais à peine l'eut-elle touché, que l'Enfant sursauta et ses yeux s'écarquillèrent. Coincé contre le mur, il se débattit. Les gestes de la jeune femme devinrent plus fermes : immobilisant l’un des poignets de l’Enfant, elle utilisa sa main libre pour éponger son visage.

Lorsqu’elle se recula pour contempler la créature, elle refoula le sentiment d’impatience qui la gagnait : malgré les apparences, ce n’était pas une femme qui se trouvait en face d’elle, mais une conscience à peine éveillée. Il lui faudrait du temps pour s'adapter, se faire aux perceptions de son corps, aux remuements de son esprit. "Si seulement nous avions eu plus de temps," soupira-t-elle.

En l'éveillant, Clavarina ne s'était pas fait d'illusions : elle savait qu'elle ne pourrait pas cacher l'Enfant indéfiniment, mais elle avait espéré avoir le temps de mieux se préparer. L'irruption de visiteurs inattendus dans les escaliers laissait peu de doute sur leur réelle intention. Les ateliers Erlkönig n'étaient accessibles qu'à quelques rares académiciens privilégiés, et ils n'avaient pas le droit de monter aussi haut. Il devait donc s'agir de quelqu'un d'autre : un espion, peut-être ? Un garde de passage ? Peu importait finalement leur identité, tant que l'impératrice venait à apprendre l'éveil de Kholia, l'Enfant serait en danger.

Alourdie par un pesant sentiment de lassitude, Clavarina se laissa tomber sur une chaise, épuisée par la tension qui la tiraillait depuis des jours. Les battements de son cœur résonnaient dans ses tempes, signes de son anxiété grandissante. Elle s'efforça de calmer sa respiration saccadée, mais ses mains tremblaient légèrement, trahissant son inquiétude. D’un air absent, elle parcourut ses notes, les ordonna, considérant sans vraiment les voir les schémas qui l’avaient aidée à reconstituer le corps et le cerveau de Kholia. Sans y croire, elle y chercha des indices lui permettant de mieux comprendre les perceptions et l’état de l’esprit de l’Enfant qu’elle s’efforçait de protéger. S'éveiller avait dû être pour lui synonyme de noyade : un liquide âpre avait empli ses poumons, le menaçant de l'étouffer. Il s'était redressé pour reprendre son souffle, mais alors, les lumières du laboratoire l'avaient aveuglé. Clavarina n’eut aucun mal à imaginer la peur qu’avait suscité un tel éveil. Ses sens devaient être saturés d’informations.

Tout était nouveau, et de fait extraordinaire : ce rayon de lumière doré qui filtrait dans les vapeurs épaisses et violines des encens, cette fragrance sucrée, le contact froid des dalles en pierre... Tout aurait pu susciter en lui de la fascination, mais la nouveauté instable du monde lui avait comme sauté à la gorge. Pour l’aider à se calmer, Clavarina éteignit les lampes les plus vives avant de fermer les tentures au-dessus de la balustrade, espérant ainsi atténuer les bruits et les odeurs qui montaient de la nef en contrebas. Elle s'efforçait de se mouvoir lentement, sans faire le moindre geste brusque. Enfin, elle vint s’asseoir près de l’Enfant.

Du bout des doigts, elle effleura son bras, et aussitôt, son Code carillonna dans son esprit. Le lien se forma instantanément entre Clavarina et l'Enfant. Elle sentit l'Enfant frissonner légèrement sous son toucher, mais au lieu de se débattre ou de résister, il laissa son bras se détendre sous sa main. Les émotions et les souvenirs de ce dernier affluèrent dans l'esprit de la jeune femme, s'entremêlant avec les siens. Une vague d'appréhension et de vulnérabilité déferla sur elle, submergeant ses sens. Chaque couleur, chaque odeur, chaque bruit était un éblouissement ; aveuglée, désorientée, Clavarina se sentit partir à la dérive.

Par instinct, elle claquemura son esprit, et c’est protégée par un voile opaque qu’elle navigua à nouveau, remontant le long des veines de l’Enfant dont la mémoire à peine ébauchée demeurait encore, pour l’instant, une page vierge ; rien n’y avait été écrit, sinon son éveil brumeux et saccadé, seul remous opaque au milieu d’un océan blanc et calme.

C’est alors qu’elle vit l’origine de cette angoisse qui pétrifiait l’Enfant : ce n’était pas tant la réalité que le fait même de son existence. Il n’aurait su dire ce que cela signifiait, mais il sentait non seulement le monde frapper autour de chaque pore de sa peau, tambouriner à la porte de ses sens, mais surtout, il sentait s’agiter en lui une parole continue, une conscience à laquelle il ne savait quel nom donner.

La première fois qu'elle s'était agitée, cette conscience étrange qu'il avait de lui-même, elle l'avait terrifié : de la même manière qu'un enfant ou un animal ne parvient pas à comprendre l'existence de son reflet dans un miroir, persuadé qu'on l'envahissait de l'intérieur, il avait écarquillé les yeux, poussé un cri jusqu'à comprendre que l'une et l'autre des existences – l'une faite de pensées et l'autre de perceptions – étaient semblables, unifiées par la présence d'un corps capable aussi bien de se mouvoir, de ressentir, que de penser. Aucune, pourtant, n'était une évidence : s'il s'habitua au gargouillement continu de sa conscience, son corps lui apparut rapidement comme une masse lourde et étrangère. Bouger un bras, tenter de se relever, même respirer était une épreuve.

Clavarina épousa ces considérations avant de s’en détacher, et le regard qu’elle posa sur l’Enfant n’en fut que plus doux et compréhensif. Elle se sentit soudain investie d’une responsabilité nouvelle envers cet être fragile et dépassé par ses propres sensations. Grâce à la connexion qu’elle avait tissée avec lui, Clavarina s’efforça de le rassurer : comme l’on drape un corps transi de froid, elle lui envoya des ondes apaisantes afin de créer un lien de compréhension et d’acceptation mutuelle. Sécurité et confiance prirent forme dans leur esprit.

Lorsqu’elle rouvrit les yeux, Clavarina plongea son regard dans celui de l’Enfant, tâchant, à mesure qu’elle se retirait de son esprit, de transformer leur lien en une communication d’un autre type. D’une voix lente et douce, elle lui répéta inlassablement que tout allait bien, qu’il n’y avait plus rien à craindre. À force, l’Enfant sembla s’habituer à sa voix, puis aux sonorités des mots qu’elle articulait.

Chaque fois qu’elle parlait, Clavarina réveillait en lui un savoir enfoui tout près, mais dont il ignorait la provenance. Il commença à comprendre certains mots, et bientôt, il acquit la certitude qu’il serait également capable de parler, s’il essayait. Sa langue pâteuse était difficile à contrôler, et sa gorge était sèche et endolorie, mais s’il s’y efforçait, il pourrait dire quelque chose…

La première fois que sa bouche émit un son, l’Enfant écarquilla les yeux. Il ne fit pas tout de suite le lien entre sa tentative et le gargouillis qu’il avait entendu. Sa parole intérieure était trop distincte de celle qu’était capable de produire son corps, aussi fut-il davantage effrayé que ravi de sa réussite. Le grand sourire de Clavarina l’encouragea, et comme elle l’incitait à recommencer, il comprit : cette voix, c’était la sienne. Il se mit à pépier, animé par le simple plaisir de sentir sa langue se mouvoir et de produire des sons.

L’entendre raviva la nostalgie de Clavarina : même si l’Enfant s’exprimait d’une voix rauque et inarticulée, c’était bien le timbre de Kholia. Elle ne put s’empêcher de revoir la jeune femme, assise dans ce même atelier, toute occupée à l’étude de vieux ouvrages. Quelques semaines durant, la présence de Kholia avait rendu le laboratoire plus chaleureux, et les deux jeunes femmes avait pu partager quelques instants de franche camaraderie. Clavarina s’était faite à l’humour franc de sa nouvelle compagne, de même qu’à sa récurrente impatience, laquelle conduisait souvent Kholia à s’énerver contre un microscope ou une ligne de calcul, et Clavarina à tenter de la calmer – sans succès –, de l’aider – pour mieux se faire envoyer sur les roses –, jusqu’à ce que Kholia, consciente de son emportement, finisse par revenir vers elle, désolée et penaude. Elles avaient progressivement tressé ensemble les fils de leurs habitudes, et leurs présences respectives s’étaient ajustées pour que leurs aspérités ni ne les blessent ni ne les dérangent.

Mais Kholia s’était mise à changer : elle avait commencé à manifester de l’animosité, de la colère. Un jour, profitant d’une excursion avec des camarades de l’Académie, elle s’était enfuie, puis avait constitué un groupe de terroristes, dangereux et violents.

Un fragment de culpabilité oublié au creux de la mémoire de Clavarina remonta dans sa gorge, et de nouveau, elle songea à la façon dont elle avait trahi sa sœur, vidé ses souvenirs et détruit sa conscience à la demande de Gaetano.

L’Enfant dut sentir le trouble de Clavarina, car il se tut un instant pour la considérer d’un air surpris. La jeune femme lui répondit par un sourire. Balayant ses doutes et ses regrets d’un revers de la main, elle rasséréna l’Enfant en lui donnant de nouvelles phrases, simples et courtes, à répéter. L’Enfant s’y appliqua. Quoique son élocution fût de plus en plus précise, son ton demeurait terne, monocorde. On eut presque dit qu’il ne saisissait pas le sens de ses propos. Aussi répéta-t-il sans sourciller qu’il s’appelait Clavarina lorsque la jeune femme se présenta. Cela fit rire l’intéressée. « Non » le corrigea-t-elle avec un sourire. « Toi, c’est Kholia. »

L’Enfant haussa un sourcil. Ces quelques syllabes ravivaient en lui une impression étrange.

« Redis ça » l’encouragea Clavarina. « Je m’appelle Kholia. »

Mais l’autre secoua la tête. Un nouveau trouble l’agitait. Il n’aurait pu se l’expliquer, mais l’affirmation de la jeune femme sonnait comme une erreur. Il secoua la tête, et Clavarina eut beau faire, il se désintéressa du jeu pour s’abandonner dans la contemplation des lieux. La jeune femme n’insista pas, suivit son regard et lui présenta tour à tour ses outils de travail. Lorsqu’il fut habitué à son environnement , il se mit à s’y mouvoir pour en explorer les recoins. Tout semblait attiser sa curiosité, et il flâna, fureta, dérangeant les affaires de Clavarina ainsi que les possessions du laboratoire.

Toute la journée durant, elle prit soin de lui. Elle se sentit légère, et elle chérit ce sentiment de plénitude qui émergeait soudain à l’idée que son laboratoire était, pour la première fois depuis longtemps, animé par la présence d’un des siens. La lourde et pesante solitude des fins d’après-midi fut égayée par le babil incessant de l’Enfant. La joie de la jeune femme ne fut altérée, à mesure que le soleil plongeait lentement vers l’horizon, que par l’inquiétude grandissante de voir des gardes débarquer dans son atelier pour lui ravir sa création.

Elle n’eut de cesse de jeter des regards anxieux vers la cage d'escalier chaque fois qu’elle y entendait un bruit. Son cœur battait la chamade, un mélange d'excitation et d'appréhension parcourait ses veines. Elle avait réussi à éveiller l'Enfant, à lui redonner vie contre les ordres impériaux, et bien qu'elle soit animée par une ferveur nouvelle, elle savait aussi qu'elle risquait gros.

La nuit commençait à tomber lorsque des pas, lents et saccadés, grincèrent aux étages inférieurs. Clavarina se retourna, prête à défendre son protégé. Durant une seconde, son instinct lui cria d’ignorer la course du temps : il lui aurait suffi d’un geste, d’une simple impulsion de son Code pour manipuler la mémoire de ceux ou celles qui montaient vers les ateliers. Mais la fatigue et le nombre de garde aurait fini par avoir raison d’elle, et la sanction aurait été d’autant plus rude. Mieux valait agir avec circonspection. Clavarina prit une longue inspiration, et lorsque Gaetano apparut sur le palier, elle plongea son regard dans le sien, les poings serrés, le cœur résolu.

Les gardes encerclèrent rapidement la pièce, créant une barrière imposante entre Clavarina et la sortie. Gaetano se tint devant eux, animé par une froide colère. Quand il aperçut l’Enfant recroquevillé dans un coin de la pièce, il reconnut les traits de Kholia et, furibond, s’approcha, le visage déformé par le dégoût. Ce fut Clavarina qui s’interposa entre eux : « Ne l’effrayez pas davantage » protesta-t-elle. « Elle ne vous reconnaîtra pas et ne comprendra pas votre rancœur. »

Gaetano tressaillit à ces mots. Il observa le regard de l’Enfant qui, protégé par Clavarina, se recroquevillait derrière elle, la tête baissée, les larmes aux yeux.

« Elle ne garde aucun souvenir de ses vies passées » confirma Clavarina. « Je m’en suis assurée. »

La jeune femme s’efforçait de garder un ton posé, mais il lui coûtait de maintenir la façade de sa feinte assurance. Elle ne pouvait ignorer les plis de haine qui ridaient le front du noble, et ce d’autant plus qu’elle n’était pas certaine, en son for intérieur, de n’avoir pas commis une grave erreur. Gaetano ne prêta pas davantage attention à la jeune femme, la contournant, il s’approcha de l’Enfant.

Celui-ci eut un mouvement de recul : il ne souhaitait rien d’autre que de détourner le regard de ce visage pointu, de ces épais sourcils froncés, ce qu’il fit, et après s’être rendu compte qu’il ne pouvait plus reculer – la paillasse, derrière lui, l’empêchait de fuir davantage – refusant de considérer l’homme qui lui faisait face, il tourna la tête de côté, ne jetant que de petits coups d’œil furtifs afin de déterminer si l’inconnu avait fini par le laisser tranquille.

« C’est pour cela que nous n’éveillons jamais un Enfant de la sorte » soupira Gaetano en reculant. « Lui rendre son corps, ce n’était pas lui rendre son existence : c’est une enveloppe de nourrisson qui sied à une conscience encore informe, pas celle d’une femme. »

Une question suscitait la curiosité de Gaetano, cependant. Malgré la présence des gardes, il se tourna vers Clavarina : « Kholia vous méprisait. Je ne crois pas que quelqu’un vous ait déjà haï à ce point. Pourquoi la ramener, après ce que vous lui avez fait ?

– Parce que c’est ma sœur. » répondit la jeune femme sans aucune hésitation.

Gaetano éclata de rire. S’il s’exprima, ce fut sur le ton du mépris, animé par un profond et cynique amusement : « Vous voudriez me faire croire que vous avez éveillé un Enfant par sensiblerie ? Mais vous ne savez pas ce que c’est qu’une sœur ou un parent, Clavarina. Vous ne pouvez pas même aimer. »

La jeune femme garda le silence quelques instants. Les yeux baissés, elle rumina les paroles de Gaetano. Elle eut une pensée pour Kholia, et son regard chercha l’Enfant : elle le trouva recroquevillé contre le pied de la paillasse, la bouche entrouverte. Elle songea aux sentiments qui l’animaient, qu’elle éprouvait à l’égard de celle qu’elle avait toujours, et ce depuis des générations, appelée « sa sœur ». Quel que soit les corps qui avait abrité leur conscience, les Enfants avaient toujours été liés de façon indéfectible. Aux tréfonds de Clavarina s’agitait une foultitude de souvenirs qu’elle possédait sans les avoir pleinement vécus. Il en émanait une chaleur douce à laquelle elle donnait le nom d’amour. Qu’était-ce, cette affection qu’elle sentait pour Kholia, pour toutes les personnes qu’elle avait été et avec qui elle avait vécu, sinon de l’amour ?

Il est des évidences qui sont si fortes qu’elles échappent à la logique. Elles sont aussi rassurantes pour celui qui doute qu’elles peuvent effrayer celui qui cherche des bases solides aux réflexions qui le traversent. De Clavarina, elles semblaient se jouer, la faisant tanguer comme un pendule entre des conclusions contraires. Elle ne pouvait nier qu’elle sentait l’envie de chérir et de protéger ceux qui jalonnaient son existence, mais elle ne pouvait oublier que ces existences avaient été vécues par d’autres corps que le sien, que ces émotions avaient animé d’autres sensibilités que la sienne. C’était là une vérité d’autant plus troublante qu’en songeant aux vies passées, il arrivait que Clavarina ressente du décalage. Certaines de ses réactions, alors vécues comme étant instinctives et évidentes, lui semblaient désormais des aberrations avec lesquelles elle était en désaccord. Pour elle-même, elle était une étrangère.

Loin d’exprimer son trouble, désireuse de persuader Gaetano qu’elle n’était pas un simple condensé insensible d’existences disparates, elle réfuta ses propos : « De l’amour, celle que j’étais en ressentait pour l’enfant que vous étiez. »

S’il n’avait pas reçu l’éducation que l’on donne aux nobles Erlkönig, s’il n’avait été en mesure, en somme, de masquer ses émotions derrière un air placide, Gaëtano aurait tressailli en entendant ces mots.

Dans le paysage brumeux de ses souvenirs, il pouvait apercevoir la silhouette d’une vieille femme qu’il appelait alors Clavarina. Elle avait été l’Enfant des Erlkönig ; aussi avait-elle vécu dans leurs Contrées, animé chacune des célébrations religieuses qui rythmaient la vie des habitants, participé à l’éducation de la jeunesse. En ce temps-là, ses cheveux gris étaient noués en un épais chignon sur le haut de sa nuque et elle allait, de part la demeure des Erlkönig, les mains jointes, l’air sévère. Si elle effrayait les frères de Gaetano, avec lui, Clavarina avait toujours été d’une grande bonté ; c’était elle qui lui avait appris à lire, qui lui avait enseigné l’Histoire et les sciences. Elle hantait nombres de ses souvenirs d’enfance : elle était là, dans la salle d’étude, à le surveiller gratter des feuilles avec sa plume pleine d’encre, là également lors de ses anniversaires, ou des diverses fêtes qui rythmaient la vie de sa famille. Elle était là, enfin, à la mort de ses parents et de ses frères. Pas une fois, elle n’avait essayé de mettre un terme à la tragédie des Erlkönig ; elle n’avait fait qu’observer, sans ciller, les événements s’enchaîner un par un, et ces enfants qu’elle avait presque élevés, qu’elle avait vus grandir, elle les avait laissés sombrer dans l’oubli, et ni leur perte ni leur souffrance n’avait semblé l’ébranler.

Depuis lors, Gaetano était de ceux qui n’ont plus derrière eux le foyer qui les a vu naître, qui aurait dû les accueillir chaque fois qu’ils en auraient eu besoin. Ni le mariage, ni la perspective d’avoir des héritiers ne lui avaient semblé capables de remplir le vide laissé par la mort de ses trois frères. Il vieillissait, seul.

Il ne prit pas la peine de répondre à la jeune femme. Il se contenta de lui lancer un regard méprisant avant d’ordonner aux gardes, d’un signe de la main, d’escorter les deux Enfants jusqu’au palais.

Clavarina s’offusqua d’être ainsi bousculée par les bras musclés des hommes et des femmes qui la saisirent. Elle insista pour avancer seule et garder l’autre Enfant près d’elle. La peur panique qui agitait ce dernier força d’ailleurs les gardes à céder à sa requête. Ainsi s’avança-t-elle à l’extérieur des ateliers Erlkönig, le cœur lourd et humilié à l’idée d’être considérée à l’égal d’un criminel ou d’un prisonnier.

Poussée en avant dans la salle du trône, Clavarina aperçut l'impératrice perchée sur l'estrade, l'observant de loin. À ses côtés, légèrement en retrait, se trouvait l'empereur. Ses cheveux bruns ondulaient autour de ses traits émaciés, tombant juste au-dessus de ses épaules. La princesse et son chevalier étaient également présents, assis sur l'un des bancs de part et d'autre de l'allée centrale. La nuit frappait les vitraux et les dômes de verre qui surplombaient le trône, conférant aux lieux une ambiance secrète et inquiétante. Clavarina pouvait facilement percevoir la fatigue et la lassitude qui marquaient la famille impériale. Elle se sentit soudainement comme une gêne venue perturber l’équilibre politique de l’Empire, un incident qu’on s’efforcerait de régler au plus vite.

La jeune femme serra la main de l'Enfant qu'elle tenait toujours fermement, cherchant du courage. Elle s'approcha et mit un genou à terre pour saluer le couple impérial.

« Clavarina » articula El’Dawnarya d’une voix forte, « Pour avoir éveillé un Enfant quand bien même ce dernier avait été condamné pour ses crimes, vous vous êtes rendue coupable de trahison.

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Edouard PArle
Posté le 09/11/2023
Coucou Ozskcar
Très sympa d'avoir le pdv de Clavarina, qui permet d'éclaircir ses motivations et qui aide vraiment à s'attacher à elle, à comprendre ses buts. Je trouve que l'enchaînement de pdv est extrêmement fluide dans cette réécriture, il y a une vraie logique et c'est super intéressant. On a plein de pdvs différents sur le palais et ses enjeux, qui permettent de rendre un tableau très complexe / intéressant et en même temps introduit assez progressivement pour qu'on ne s'y perde pas.
Le nouvel enfant est aussi assez touchant, on le sent clairement perdu, il faut dire qu'il n'a pas beaucoup de temps pour découvrir son nouvel environnement.
Sacré fin de chapitre, on sent que Clavarina va avoir des ennuis. Autre chose que j'ai aimé dans ce chapitre, c'est la mini exploration du passé de Gaetano, ça rend le personnage encore plus intéressant.
Hâte de découvrir la suite !
A bientôt (=
Ozskcar
Posté le 10/11/2023
Salut !

Je suis ravi que le changement de point de vue te paraisse fluide et logique. La variété des perspectives contribuait à rendre le tableau complexe et parfois déroutant, dans la version précédente. Malgré tout, je tenais à garder cette mécanique, quitte à la peaufiner. Si elle marche, tant mieux !

Je suis content que le nouvel enfant ait suscité de l'empathie. L'idée était effectivement de présenter son expérience avec une certaine urgence et confusion.

La fin du chapitre semble avoir bien retenu ton attention, et je suis ravi que l'exploration du passé de Gaetano ait ajouté de la profondeur à son personnage. Peut-être qu'il attirera la sympathie de quelqu'un !

A bientôt !
Edouard PArle
Posté le 11/11/2023
Toujours le point fort et le problème des pdvs multiples : la complexité xD
Pour l'instant, c'est très bien géré !
MrOriendo
Posté le 31/10/2023
Hello Ozskcar !

Les contours de ton histoire se précisent, et on comprend mieux les objectifs de Clavarina en retrouvant son point de vue. Cette idée de résurrection des Enfants dans de nouveaux corps tout en conservant leur esprit est très bien expliquée, j'ai adoré ce moment où Clavarina touche l'esprit de Kholia et découvre tout ce qu'elle ressent au moment de sa renaissance.
On commence aussi à comprendre un peu mieux l'importance des Enfants et le lien particulier qui les unit, même si je me demande encore quelle sera la finalité de ces évènements.

Au plaisir,
Ori'
Ozskcar
Posté le 10/11/2023
Salut Ori',

Je suis ravi que les contours de l'histoire se précisent sans pour autant que la curiosité ne retombe comme un soufflet. La finalité de ces événements reste encore à être révélée, mais j'espère que la suite de l'histoire continuera à t'intriguer.

Je me suis bien amusé à écrire la connexion entre Clavarina et le nouvel Enfant ainsi que son éveil au monde extérieur. Mais malgré tout, c'est un genre de scène très contemplatif qui pourrait vite devenir confus et lassant. C'est super, donc, de savoir que cela a bien fonctionné.

Merci encore pour tes retours constructifs et positifs. Cela me motive à poursuivre et à affiner l'intrigue.

À bientôt !
Vous lisez