Chapitre 3 - partie 2

Par Ozskcar

« Clavarina » articula El’Dawnarya d’une voix forte, « Pour avoir éveillé un Enfant quand bien même ce dernier avait été condamné pour ses crimes, vous vous êtes rendue coupable de trahison.

L’accusée prit une profonde inspiration et commença, sa voix empreinte d'une fermeté contenue, « Votre Grâce, je suis consciente que la situation actuelle comporte des préoccupations plus pressantes. Ma demande vous semblera hors de propos, et pourtant, si vous le permettez, j’aimerais vous la soumettre, car je la crois dans l’intérêt de l’Empire. »

L'impératrice poussa un soupir, manifestant son agacement. Pourtant elle fit un signe pour l’autoriser à poursuivre.

Clavarina, retrouvant espoir, s’empressa de s’expliquer : « Longtemps, les Enfants et l’Empire travaillèrent de concert pour le bien du peuple. Quand Kholia s’est éloignée de la voie, qu’elle s’est retournée contre les siens, elle a commis l’irréparable : elle a déchiré des familles, séparé des frères et des sœurs, des parents, en embrigadant les plus influençables pour en faire des terroristes. »

L’impératrice s’impatientait. « Abrégez, Clavarina : c’est votre demande que je veux entendre, pas de la sophistique.

– Pardonnez-moi, votre Grâce. C’est simplement que l’Enfant que j’ai éveillé pourrait, je crois, réparer les crimes passés et les blessures que Kholia a infligé à l’Empire. »

Persuadée d’avoir suscité l’intérêt de son auditoire, Clavarina entreprit d’expliquer sa démarche aux nobles qui l’écoutaient, l’air sévère. Elle mentionna le processus qui lui avait permis d'effacer les souvenirs d'une conscience sans pour autant la départir de sa mémoire musculaire : « Ce n’est plus une menace, mais un outil dont vous pourriez disposer pour le bien de votre peuple » conclut-elle.

Les regards de l'assemblée se tournèrent vers elle, partagés entre le scepticisme et la curiosité. Clavarina poursuivit avec détermination : « Vous pourriez l’utiliser comme une taupe, surveiller les leaders terroristes et les démasquer un à un. Et si vous craignez encore que ses convictions passées ne ressurgissent, gardez-la près de vous. Prétendez qu’elle a changé, permettez-lui de parler en public afin qu’elle témoigne de sa position politique nouvelle : de même qu’elle attisa la haine, elle pourra ramener l’harmonie et éteindre peu à peu les convictions des terroristes.

El’Dawnarya allait prendre la parole quand l’empereur se pencha vers elle. Ils échangèrent quelques mots à voix basse. Clavarina attendit avec impatience, épiant leurs expressions et leurs gestes à la recherche du moindre indice qui lui aurait permis de savoir si la situation tournait ou non en sa faveur.

Tandis que l'impératrice écoutait son mari, ses traits se crispèrent, ses prunelles scrutèrent les traits de son époux avec une certaine insistance. Comme le doute perlait sur son visage, l’empereur se baissa davantage, s’appuyant sur l'accoudoir du trône. Son regard, bien que fixé devant lui, semblait parcourir mentalement les différentes possibilités. Un léger sourire en coin se dessina sur ses lèvres, presque imperceptible. El’Dawnarya poussa un soupir, murmura une question, comme si elle scellait entre elle et son mari un muet accord. L’autre acquiesça d'un mouvement de tête, et l’impératrice se tourna de nouveau vers les deux Enfants.

« Clavarina, votre proposition est audacieuse. Bien que je nourrisse quelques réserves, je suis prête à tenter l'expérience que vous suggérez. »

Toute la tension contenue dans les épaules de Clavarina se relâcha. Elle crut un instant qu’elle allait s’effondrer, ses jambes tremblant sous son poids. Ce fut la voix de Gaetano qui la surprit, relançant encore une fois la roue angoissante de ses doutes.

«  Eléa ! Vous ne parlez pas sérieusement ? » s'exclama le noble, sa voix vibrant de frustration contenue.

L'impératrice détourna légèrement son attention de Clavarina pour fixer Gaetano d'un regard glacial. Ce fut son mari, pourtant, qui s’avança, le regard noir, la mâchoire serrée :

« Vous vous oubliez, mon ami » gronda-t-il.

L’attitude de son père fit frémir Li’Dawn. Depuis le début, la princesse observait silencieusement la scène. Son visage exprimait à la fois son intérêt et son étonnement face à la tournure des événements ; elle scrutait tour à tour les visages autour d'elle, captant les nuances d'expression et les postures, fascinée par l’atmosphère et la tension qui régnait dans la salle du trône. L'éclairage tamisé mettait en valeur les vitraux colorés qui surplombaient le trône, jetant des reflets changeants sur les visages et les corps des personnes présentes. Ce fut sur l’Enfant que son regard s’arrêta de longues minutes : il semblait égaré, apeuré, sursautant à chaque fois que la parole passait d’une personne à l’autre. Sa réaction contrastait fortement avec l'image de puissance et de majesté qu'elle avait toujours associée à ces créatures considérées à l’égal d’un dieu.

Quand sa mère reprit la parole, Li’Dawn ramena son attention sur elle. Avec admiration, elle étudia sa posture, son maintien, cette façon qu’elle avait d’avancer sa mâchoire inférieure sur une moue dubitative : les lèvres suspendues sur des paroles à venir, elle fascinait son auditoire qui n’avait plus d’autre choix que de s’accrocher au moindre de ses gestes dans l’espoir qu’il lui soit favorable. Elle imaginait sans mal l’appréhension de Clavarina, et elle compatit un instant à sa situation.

Sa mère demandait des garanties, des précisions concrètes sur la façon dont Clavarina envisageait les choses. Sa principale réserve concernait l’attitude de l’Enfant nouvellement éveillé : incapable de répondre lorsqu’on lui posait une question, tétanisé par la peur, ce dernier semblait pour le moment incapable de se prêter à un plan d’aussi grande envergure.

« Donnez-lui quelques jours et elle sera prête » affirma Clavarina sans aucune hésitation.

Malgré une moue dubitative, l’impératrice acquiesça. Les échanges se poursuivirent, visant à définir peu à peu les détails de la stratégie à venir. Tandis que les paroles de l’impératrice et de Clavarina résonnaient dans la salle du trône, se dessinèrent les contours d’une nouvelle voie à suivre pour réintégrer l’Enfant nouvellement éveillé dans la société impériale. Il fut entendu que l’Enfant resterait encore quelque temps caché dans les ateliers Erlkönig jusqu’à ce qu’il puisse être introduit publiquement aux nobles comme aux citoyens de l’Empire. Tout fut longuement pesé : la façon dont on présenterait son éveil, les moyens qui seraient mis en place pour assurer la publicité d’un message pacifiste à l’intention des rebelles.

La scène toucha finalement à sa fin, laissant présager un avenir incertain, mais teinté d'une lueur d'espoir pour les deux Enfants. Li’Dawnarya poussa un long bâillement lorsque l’audience fut levée. La nuit était déjà bien avancée, et comme la tension s’évaporait, elle se sentit soudain plus légère. Ses épaules se détendirent, les os de sa mâchoire de même. Elle prit conscience que, depuis qu’elle avait aperçu l’Enfant sortir de la cuve des ateliers Erlkönig, un poids s’était figé au creux de sa poitrine. La crise, néanmoins, était passée, et ce fut avec soulagement qu’elle se leva pour rejoindre sa mère.

Derrière elles, les deux Enfants s’éloignaient, escortés par des gardes pour regagner les ateliers. Comme elle leva les yeux, elle vit les traits de sa mère se métamorphoser : son masque impérial et autoritaire disparut au profit d’un sourire tendre :

« Tu as l’air épuisée » fit-elle remarquer en l’ébouriffant. Puis, se tournant vers Ran, elle le pria de ramener sa fille dans ses appartements. Celle-ci s’en offusqua, certaine que sa mère continuerait à discuter avec Gaetano, lequel attendait patiemment, légèrement en retrait.

« Profite des quelques heures qu’il te reste pour te reposer » lui conseilla sa mère. « Le plus dur est à venir : et je vais avoir besoin que tout soit parfait. Toi y compris. »

Li’Dawnarya haussa un sourcil, incertaine de ce que sa mère attendait d'elle. Elle jeta un dernier regard vers l'endroit où les deux Enfants s'étaient éloignés, puis acquiesça. Comme Ran l’invitait à le suivre, elle traversa la salle du trône, ses pas résonnant sur le sol de marbre poli.

À mesure qu’elle approchait de sa chambre, elle sentait la fatigue l'envelopper, alourdissant ses paupières déjà lourdes. La nuit s'était installée ; seules de timides lumières tamisées éclairaient les couloirs, projetaient des ombres dansantes le long des murs.

Elle traversa les vastes corridors du palais, presque déserts à cette heure tardive. Les tapis moelleux amortissaient le bruit de ses pas, créant une atmosphère feutrée et particulière. Enfin, elle atteignit le couloir qui menait à ses appartements. Des gardes assoupis s’éveillèrent sur son passage. Après une révérence, ils lui ouvrirent la porte et s’écartèrent pour la laisser passer.

Les draperies sombres voilaient les fenêtres, ne laissant filtrer qu'une faible lueur de lune. Li'Dawnarya s’approcha de celle qui était restée ouverte et contempla un instant les étoiles qui scintillaient dans le ciel nocturne. Le doux murmure du vent seul bruissait dans le lointain. Perchée au-dessus d’une cotonneuse mer de nuages, elle aurait presque pu croire qu’elle flottait dans l’espace noir et solitaire du ciel.

« Puis-je disposer ? » demanda Ran, derrière elle.

La princesse ramena son attention sur son garde du corps. Sa chambre était située plus bas, dans des appartements offerts à sa famille il y avait de cela plusieurs générations. Depuis la mort de sa mère, il y habitait seul avec sa grand-mère. Sans doute dormirait-elle déjà lorsqu’il arriverait. Après lui avoir souhaité une bonne nuit, elle l’autorisa à s’en aller.

Ruhe avait dû passer, l’attendre quelques heures avant de repartir : en témoignait la présence d’un petit mot invitant la princesse à la faire appeler lorsqu’elle aurait besoin d’elle. Li’Dawn fut étonnée d’une telle attention car elle sous-entendait, chose rare parmi les domestiques, que Ruhe écrivait fort bien. Songeant cependant qu’il était tard, Li’Dawn se défit elle-même de sa tenue de cour, laissa tomber les étoffes soyeuses sur le sol, et enfila une robe plus légère. Elle s'effondra ensuite sur son lit à baldaquin et laissa ses paupières se fermer lentement sans pour autant parvenir à chasser tout à fait les images de la journée.

*

El’Dawnarya aurait souhaité pouvoir en dire autant. À peine sa fille avait-elle quitté la salle du trône que Gaetano, fulminant, s’était approché du trône. Si l’heure tardive faisait peser une chape lourde sur le front de l’impératrice, le noble, lui, y semblait insensible : tendu, la voix tremblante de colère, il accusa El’ d’avoir perdu la tête : « C’est une décision parfaitement déraisonnable » asséna-t-il, ses mots résonnant dans la pièce, lourds de reproche.

El'Dawnarya soutint son regard. Elle refusa de s'emporter, répondant d'une voix digne et calme : « Cette décision découle en grande partie de vos propres négligences, Gaetano. Clavarina était placée sous votre responsabilité, mais vous avez laissé votre ressentiment prendre le dessus sur vos devoirs. Vous l’avez abandonnée dans vos ateliers, et si vous aviez fait preuve de plus de présence et d'attention, nous ne serions pas confrontés à cette situation. »

Gaetano s'apprêtait à répliquer avec véhémence, mais l’empereur, lequel était demeuré en retrait, s’approcha à son tour : « Votre honneur vous commande de vous taire, mon ami. C’est le regret qui sied à celui qui faute, pas la colère. »

Gaetano se tut, lançant un dernier regard chargé d'indignation à El'Dawnarya avant de se détourner, les mâchoires serrées. L'impératrice prit une profonde inspiration. « Vous avez peur » poursuivit-elle d’une voix plus douce à l’intention de Gaetano. « Et je ne vous en blâme pas. Nos deux familles ont suffisamment souffert à cause des Enfants, et croyez-moi bien quand je vous assure que plus jamais je ne les laisserai nous prendre ceux que nous aimons. »

« Mais cette fois, ce sera différent » poursuivit l’empereur. « Il s’agit simplement d’utiliser la situation à notre avantage. Rien de plus. » Il s’interrompit un instant, dévisageant l’expression empreinte de doute de Gaetano. « Vous me faites confiance, n’est-ce pas ? » poursuivit-il comme l’on donnerait une bourrade à un ami de longue date.

Après un court silence, Gaetano parla enfin : « Pensez-vous que les Maart accepteront la naissance d’un nouvel Enfant ? »

El'Dawnarya ne put retenir un léger sourire en coin, mélange de taquinerie et de confiance en l'intelligence de Gaetano. « Rassurez-moi ; commettre une erreur ne vous a pas rendu inapte ? » demanda-t-elle malicieusement. Sa voix s'adoucit alors qu'elle continuait, « Vous trouverez un moyen de les persuader que la décision vient d'eux, ou bien qu'elle est dans leur intérêt. »

L’air toujours renfrogné de Gaetano agaça l’empereur. Consciente de la tension qui gagnait ses épaules, El’Dawnarya le sentit s’impatienter à ses côtés. Son mari, pragmatique et mesuré, supportait toujours avec difficulté les marques de faiblesse ou de doute. La fatigue n’aidant pas, il risquait de réduire à néant leurs efforts mutuels, briser l’esprit de concorde qui commençait à poindre. Aussi s’interposa-t-elle avant qu’il ne s’avance. S’adressant d’apparence à Gaetano, elle ne manqua pas d’apposer une légère pression sur le poignet de son mari, lui faisant de fait comprendre qu’il était tout autant concerné par ses paroles :

« L’Enfant est éveillé ; c’est un fait. Nous ne pourrons pas revenir sur les erreurs ou les décisions du passé. Il nous faut désormais rester unis et travailler de concert. »

El’Dawn fut soulagée de sentir son mari se détendre à ses côtés. En réponse, il lui prit la main et lui adressa un sourire.

En levant les yeux vers lui, elle ne put s’empêcher de remarquer les ridules qui striaient les contours de ses yeux et commençaient à naître à la commissure de ses lèvres. Elle le trouva maigre, les traits creusés, moins pas le passage du temps que par la fatigue et les années de service rendues à la couronne. Vi’II’Dawnayra vieillissait. Elle aussi, sans doute, mais l’on regrette toujours davantage que le temps arrache à nos mains les gens que l’on aime ; aussi n’attachait-elle pas tant d’importance aux quelques rides qu’elle découvrait, le matin, sur son propre visage, car ces signes de vieillesse n’étaient rien face à la peur de devoir un jour régner seule.

El’Dawnarya poussa un soupir. Elle entendit son mari et Gaetano discuter des modalités qui permettraient d’introduire les Enfants à la cour, mais un instant, elle se sentit flotter, s’éloigner des vaines agitations politiques : considérant les deux hommes qui lui faisaient face, une vague de nostalgie la saisit. Elle songea aux années qui s’étaient écoulées : elle pensa aux débuts de sa relation avec Vivian, aux années de rapprochement et de compréhension avec Gaetano.

Elle et Vivian avaient été promis l’un à l’autre dès l’enfance, mais ne se connurent pas avant d’être mariés l’un à l’autre. El’ avait alors 25 ans. Ils se virent, bien sûr, à l’occasion de quelques célébrations officielles, mais toujours en se dévisageant d’un bout à l’autre d’une table où, grandes et fortes étaient la voix des adultes, et peu écoutées celles des enfants impressionnés par le faste et la foule. El’ connut peu ses frères et sœurs, lesquels restèrent avec leur mère aux contrées Dawnarya tandis qu’elle, héritière de la couronne, grandissait au Palais avec son père, trop occupé par la politique pour s’occuper de son éducation. Quand elle atteignit la majorité, elle entreprit un voyage à travers l’Empire. C’est à cette occasion qu’elle rencontra Gaetano. Ils se lièrent rapidement d’amitié, et le garçon, jeune encore, choisit de la suivre, de quitter les siens pour étudier à l’Académie de la Tour. Gaetano et Vivian mirent plusieurs années à s’apprécier. El’ s’était maintes fois tenue entre deux feux, tentant d’atténuer des conflits, de minimiser des griefs ; aujourd’hui, liés par un respect mutuel, les deux hommes travaillaient ensemble, avec la même sagacité, dans l’optique de protéger l’Empire.

« Eléa ? Tout va bien ? » Vi’Dawn s’était tourné vers sa femme, un soupçon d’inquiétude plissait son front. El’ lui adressa un sourire apaisant en retour pour le rassurer : « Normalement, la délégation des Maart arrivera dans trois jours », répondit-elle à la question qu'il venait de poser. « J’espère que d'ici là, l’Enfant sera prêt. L’idéal serait de le présenter à la cour lors de la cérémonie dédiée au jeune Rozen. Avec un peu de chance, le scandale d’un nouvel Enfant sera suffisamment retentissant pour éclipser la crise de succession des Maart. Le gamin aura alors le temps de trouver ses marques.

– En espérant qu’il fasse rapidement ses preuves », soupira l’Empereur, une pointe d'inquiétude dans son ton. « Son ambassade ne lui fera aucun cadeau s'il ne se montre pas à la hauteur. Et nous n’avons certainement pas besoin d’une nouvelle crise politique. Surtout pas chez les Maart.

– Des nouvelles des réfugiés en route pour rejoindre la Tour ? » demanda Gaetano.

– Ils cheminent, répondit El’Dawn. Mais ils sont ralentis par les escales : nombreux sont blessés, traumatisés par la perte de leurs proches. Le comité de biopréservation, avec ses discours alarmistes, n'arrange pas leur situation.

– Ils font leur travail, fit remarquer Vi’ d’un ton apaisant.

– Leur mission consiste à anticiper l'avenir, pas à semer l'anxiété parmi des citoyens déjà figés par la crainte de perdre leurs terres ou leurs proches. Ils accentuent la pression, alors que l'atmosphère est déjà suffisamment anxiogène. »

L'empereur s'apprêtait à répondre, mais Gaetano prit l'initiative : « Avec l’éveil d’un nouvel Enfant, je pourrais facilement saturer les canaux d'information.

– C’est ridicule, s'insurgea Vi. La censure, même indirecte, n'est jamais une solution viable à long terme. Les gens ne sont pas dupes, et n'apprécient pas d'être pris pour des imbéciles.

– La censure se remarque, mais pas la prolifération d’informations : entre la succession des Maart et les migrations des réfugiés jusqu’à la Tour… Il suffirait simplement d’insister sur l’avènement d’un nouvel Enfant pour que les centres de vérification de l’information soient débordés. Je ne dis pas que nous allons nous lancer à l’aveugle » insista l’impératrice en remarquant la moue dubitative de son mari. « Mais c’est une piste. Et elle mérite qu’on l’envisage. »

Vivian allait dire quelque chose, mais il se reprit, le visage fermé. Finalement, il poussa un soupir : « Il est tard. Nous sommes tous exténués. » Comme il proposait de remettre cette discussion à plus tard, les autres hochèrent la tête. Quittant leur rôle et leurs responsabilités, ils s’autorisèrent à redevenir des individus, et la tension autour d’eux s’évapora lentement. Comme ils remontaient les escaliers du grand hall, Gaetano se surprit à rire en repensant à leur soirée :

« Tout de même, fit-il remarquer. Lior ne cessera jamais de m’étonner. »

À ces mots, l’empereur redevint père. On eut pu lire sans mal les complexes nuances de ses émotions se disputer sur ses traits : il affecta d’être exaspéré, et sans doute était-il quelque peu las de constamment devoir encadrer sa fille, celle-ci ayant toujours tendance à fourrer son nez n’importe où, et à agir sans songer aux conséquences.

« Elle grandit si vite, soupira Eléa. Trop vite.

– Quand les Maart seront là, il va falloir l’occuper, fit remarquer son mari.

– J’en parlerai à Zorach, le rassura l’impératrice. C’est bien le seul qui arrive à la garder en place plus d’une heure. »

En remarquant le sourire attendri de Gaetano, Eléa sentit sa poitrine se serrer. Depuis plusieurs années, déjà, Gaetano n’interagissait plus avec Li’Dawn : il se contentait de l’observer, en retrait, dans l’ombre, au point que la princesse ignorait tout du duc, et avait été jusqu’à développer une certaine méfiance à son égard. C’était là une situation déplaisante et douloureuse pour Eléa : son ami avait vu naître et grandir ses deux filles, avait été l’égal d’un oncle pour la plus grande, alors même qu’El’ n’était encore qu’une jeune femme dépassée par son rôle d’impératrice et de mère. Bien qu’ils fussent une famille, Gaetano s’était délibérément éloigné ; il avait rompu le lien suite à la disparition d’Annie – sans doute car il s’en tenait en partie responsable. Depuis lors, et malgré l’amitié qu’elle lui portait, Eléa voyait sa fille considérer Gaetano comme un étranger. Elle en était attristée, et supportait mal le fait que tous semblaient s’en accommoder.

Elle faillit, le cœur pétri par des réflexions mélancoliques, asséner une petite pique à son mari. La tension avait souvent cet effet insidieux car elle énervait, agaçait tel un insecte, ceux qui y étaient soumis. Mais l’expérience lui avait appris à ne plus confondre la fatigue et la colère. Elle laissa sa langueur s’enfoncer dans les tapis et les lattes de parquet qu’elle foulait puis, pour retrouver un peu d’énergie, elle saisit le bras de son mari et l’arrêta. Comme il se retournait vers elle, étonné, elle l’embrassa avant de reprendre sa route, égayée. Gaetano remarqua son geste, et un rire silencieux vint étirer ses lèvres. Un instant, ils redevinrent le jeune trio de toujours, et ils se séparèrent ainsi, liés par une franche amitié renforcée, année après année, par la force du temps.

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Edouard PArle
Posté le 13/11/2023
Coucou Oz !
Excellent chapitre encore. Je t'ai déjà dit que j'appréciais beaucoup cette nouvelle introduction et je le maintiens mais ce qui est à mon avis la plus grande force de cette réécriture, ce sont les personnages. Encore une fois, tu parviens à les rendre attachants très rapidement, alors qu'on ne les avait qu'aperçus jusqu'alors. Même Gaetano qui pourrait avoir le mauvais rôle est vraiment touchant. Le pdv de l'impératrice est excellent, d'une grande richesse. Il saisit les dynamiques d'amitié entre ces personnages, les petites dissensions. Des petits détails comme sa frustration de ne pas voir Gaetano s'intéresser à sa fille aident l'ensemble à vraiment très bien fonctionner. Bref, tu donnes vraiment envie de nous intéresser au destin de tes personnages, et ça donne autant envie de suivre la suite que n'importe quel cliffhanger.
En terme de scénario, on maîtrise bien les enjeux, d'autant plus après ce chapitre. Tu évoques un peu un nouvel acteur, censé s'occuper du changement climatique. Curieux de voir comment tu vas traiter cet enjeu !
Mes remarques :
"Elle aussi, sans doute, mais l’on regrette toujours davantage que le temps arrache à nos mains les gens que l’on aime ; aussi n’attachait-elle pas tant d’importance aux quelques rides qu’elle découvrait, le matin, sur son propre visage, car ces signes de vieillesse n’étaient rien face à la peur de devoir un jour régner seule." très très joli passage !
Un plaisir,
A bientôt !
Ozskcar
Posté le 05/12/2023
Merci pour ton retour super encourageant sur le dernier chapitre. Ça me fait vraiment plaisir de voir que l'intro fonctionne bien et que les personnages continuent de te plaire.

Je suis ravi que les personnages, même ceux qui pourraient sembler avoir le mauvais rôle comme Gaetano, te touchent. C'est vraiment un compliment qui me fait chaud au cœur vu toute l'énergie que je mets à construire mes persos. Je pense que c'est le cas pour beaucoup de personnes, mais à force de les imaginer, ils deviennent un peu autonomes. Et je dois avouer que je les aime bien. ^^'
Avec cette réécriture, je m'efforce de mieux comprendre et de développer certains protagonistes comme l'impératrice, et je prends beaucoup de plaisir à faire enfler tout ce petit univers. Si le plaisir est partagé lors de la lecture, alors je suis ravi ! ^.^

J'espère que la suite répondra à tes attentes.
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