À son arrivée, il trouve stores et volets tirés. Il devine qu’Elyza a dû passer une partie de la nuit debout, à arpenter les rues de son territoire et craint donc qu’elle ne dorme encore. L’écriteau qui pend derrière la porte vitrée le détrompe toutefois, celui-ci indiquant que les bureaux sont ouverts.
Comme la veille, personne n’est là pour l’accueillir. Un peu gêné, il s’essuie les pieds sur le tapis. Une voix s’élève depuis la pièce voisine :
— C’est toi, Jonathan ?
— Heu… désolé, répond-il en s’approchant de la porte entrebâillée qui les sépare encore. J’arrive peut-être trop tôt.
— Au contraire, t’es pile-poil à l’heure ! Viens par ici, j’ai presque terminé.
Il mène donc la main à la poignée et pénètre dans une large pièce, servant à la fois de séjour, de salle à manger et de salon. Ce dernier en occupe l’espace central et se compose d’un tapis, d’un fauteuil, ainsi que d’un canapé usé. Pour compléter le tableau, une table basse encombrée de journaux.
Tout au fond, sur la droite, une porte donnant sur la cour. Face à lui, un couloir sombre et, à sa gauche, une table, près d’une porte close. Elyza, qui termine son petit déjeuner, l’accueille d’un hochement de tête. Entre ses doigts, une cigarette et, près de son coude, un cendrier aux trop nombreux cadavres.
Théodore est également là, assis à la droite d’Elyza. Jonathan le salue, mais n’obtient qu’un regard hostile en réponse.
— Ma parole, t’es tombé du lit ou quoi ? lui lance-t-elle en tirant sur sa cigarette. Faut croire que t’es motivé ! Du café ?
D’un geste du menton, elle lui désigne la chaise qui lui fait face.
— Sans façon, merci, répond-il en s’y installant.
Là-dessus, il baisse les yeux vers l’Ombre de son interlocutrice qui, comme la veille, ne paraît pas beaucoup s’intéresser à lui. Tout juste vient-elle se glisser sous ses pieds l’espace d’une seconde ou deux, ondule, avant de se retirer. Il n’en a pas moins retenu son souffle, mais ne notant aucun changement dans l’expression d’Elyza – qui l’observe sans hostilité –, il se permet de pousser un petit soupir.
Il ne comprend pas bien comment c’est possible, mais il semblerait que l’Ombre de celle-ci ait quelques déficiences…
— Et c’est que tu t’es encore mis sur ton trente-et-un ! lâche-t-elle avec un sourire en coin. T’sais, ton entretien c’était hier. Je t’en voudrai pas si tu reviens à la normale.
— Je pensais avoir fait simple…
— Ah ouais ? Bah purée, on doit pas avoir la même notion de la simplicité. Mais écoute, tu fais comme tu le sens… juste, je dis ça, c’est parce que dans ce métier, ses fringues on les garde jamais bien longtemps… à la première emmerde, on a toutes les chances de les foutre à la benne aussitôt de retour chez soi !
À l’idée d’abîmer ses précieux costumes, Jonathan sent le sang se retirer de son visage. S’il y a une chose de précieuse pour un lycanthrope, c’est bien sa garde-robe. Les siens y tiennent comme à la prunelle de leurs yeux, d’autant plus que celle-ci fait leur réputation – un lycanthrope n’ayant pas les moyens de se vêtir convenablement n’attirant pas facilement le respect de ses pairs.
— Je n’y avais pas pensé… je mettrai quelque chose de plus adapté la prochaine fois.
Bien que l’idée de revêtir l’affreux costume découvert au fond de sa malle lui donne déjà de l’urticaire. Quoiqu’il en dise, il n’est pas certain de pouvoir s’y résigner.
Il remarque que Théodore le fixe avec intensité… de ses yeux noirs… si semblables à ceux d’Elyza. Une similitude qui ne manque pas de le troubler.
… une coïncidence ?
Et parce que l’hostilité de l’autre le met mal à l’aise, il préfère détourner les siens. L’ambiance, déjà lourde, ne tarde pas à devenir étouffante.
Elyza, par contre, paraît tout à fait détendue. Elle termine tranquillement son café et écrase sa cigarette dans le cendrier, où elle continue de produire une longue volute de fumée. Jonathan a presque l’impression qu’elle ignore le vampire.
Comme le silence s’éternise, il revient à celui-ci. Pince les lèvres, avant de questionner dans l’espoir de briser la glace :
— En arrivant, je me demandais pourquoi les volets étaient encore tirés… tu ne dors donc pas la journée ?
Bien qu’il ne soit que neuf-heures du matin, la chose peut se comparer à un début de nuit blanche pour son interlocuteur. Malheureusement, ce dernier ne semble pas décidé à faire le moindre effort. Car si la veille, il a daigné lui adresser la parole, ce matin-là il se contente de l’ignorer avec tout le mépris dont il est capable. Attitude qui ne manque pas d’agacer Jonathan.
Elyza se permet un sourire goguenard.
— On les laisse fermés la plupart du temps… tu sais, des fois qu’il y ait du grabuge ! Déjà qu’il est lent à sortir de son sommeil, alors si en plus il peut pas se défendre… par chez moi, on appelle ça une cible facile. Un coup de barre, un rayon de soleil et paf ! On n’en parle plus. (Et comme Théodore lui adresse un regard noir, son sourire s’élargit, tandis qu’elle porte sa tasse à ses lèvres.) Mais aujourd’hui, c’est spécial : il tenait absolument à t’accueillir !
Le sursaut du vampire la fait ricaner.
— Moi j’dis qu’il y a de l’amour dans l’air, ajoute-t-elle avec un clin d’œil à l’adresse d’un Jonathan perdu.
— Ça suffit Elyza ! s’emporte Théodore. Tu sais parfaitement pourquoi je tenais à l’attendre ! (Pointant un doigt en direction du concerné, il ajoute :) Et je reste convaincu que ce serait une erreur de l’engager. Renonce à cette idée !
Jonathan ouvre la bouche pour protester, mais Elyza se montre plus rapide. Sans délicatesse, elle repose sa tasse et répond :
— Et moi je te dis que je veux d’abord voir ce qu’il vaut.
— Même si nous savons tous les deux que ce sera une perte de temps ?
— Mon pauvre Théo ! Faut vraiment que t’arrêtes de nous croire sur la même longueur d’onde.
Ce qui a au moins pour effet de moucher le vampire. Vexé, celui-ci s’enfonce dans un silence plus hostile que jamais et Jonathan peut presque sentir son agressivité prendre corps pour venir le harceler. Portant la main au nœud de sa cravate, il tire dessus comme s’il manquait brusquement d’air.
Toujours à son aise, Elyza l’informe :
— Sur ce, on va pas trop tarder nous deux. Une petite scène de crime à visiter. J’espère que tu te sens d’attaque ?
En vérité, pas vraiment. Seulement, à cette heure, Elios doit déjà répandre son poison autour de lui et il ignore combien de temps il faudra à la rumeur pour remonter jusqu’aux oreilles d’Elyza.
Comme elle se lève, il l’imite et questionne :
— Les coupables sont des Surnaturels ?
— Il paraît… en tout cas, c’est l’opinion des Brigades.
— Qu’est-ce que je vais avoir à faire ?
— Rien ! Contente-toi de regarder et de ne toucher à rien ! Tu enregistres tout ce que tu vois et si quelque chose te semble pas net, tu me fais signe. (Puis, avec un geste de la main en direction des vestiges de son petit déjeuner :) Je te laisse débarrasser, Théo.
On revient sur le problème des vêtements trempés de Jonathan et son allure à l'embauche. Les relations entre Elyza et Théodore sont piquantes. On devine qu'elles seront la source de problèmes. L'histoire se contruit doucement petit à petit.
Merci pour ce moment
Je sais pas vraiment pourquoi Jonathan s'est attiré la fureur de ce gars, Elios, mais maintenant, non seulement je veux le savoir mais je veux aussi qu'il arrive à accomplir... peu importe ce qu'il cherche en prenant ce job.
Un vraiment bon début d'histoire !
Ce qui m'intéresse avant tout dans l'écriture, ce sont les personnages, du coup effectivement j'aime bien prendre mon temps avec eux. (J'en fait peut-être même un peu trop par moment, ahem.)
Je suis content que ça te plaise, en tout cas, et j'espère qu'il en ira de même pour la suite. :)