Contrairement à la plus grande qui n'avait pas une seule fois ouvert la bouche devant lui, la petite était intarrissable et lui collait aux basques toute la journée. Sans cesse, elle essayait de le convaincre de son lieu d'origine mais Chris n'y croyait pas. Excédez, il lui avait lancé la veille :
- Si tu viens de l'océan, pourquoi n'es-tu pas une sirène ?
Il était persuadé que la petite, drôlement imaginative, lui affirmerait qu'elle en était une, preuve de ses multiples mensonges. Car en plus de maintenir fermement ses affirmations, elle refusait cependant à livrer plus de détails sur sa vie comme mue par un instinct de méfiance pas assez entretenu et rebondissait aux silences par des questions sur la vie de son sauveur M. John, couverture de Chris.
- Ben, parce que ça n'existe pas voyons, tout le monde sait ça ! Tu serais vraiment bête de croire des histoires pareilles et franchement, ton image en prendrait un sacré coup !
Là, il avait été bouche bée. Elle ne manquait pas de culot cette gamine qui ne voulait pas même dire son nom.
Chris s'était senti obligé de prendre les deux femmes chez lui en attendant que leurs identités soient découvertes et cela faisait maintenant trois jours que l'aînée restait enfermée dans sa chambre, refusant toute communication et que la petite accompagnait le trentenaire partout. Il en avait parlé à Mike, espérant que celui-ci le débarasse de cette encombrante gamine et de sa soeur farouche mais son patron avait trouvé que la présence des deux jeunes filles n'étaient pas compromettante et au contraire intéressante puisque Chris avait commis l'erreur de lui dire que la petite parlait russe ! Mais quelle boulette !
Il attendait patiemment qu'une tempête se lève pour faire un tour en mer. On verrait bien si un gros sous-marin viendrait le sauver lui aussi pour l'emmener Dieu sait où. Mais la mer était calme, un calme désespérant.
- Tu attends quoi ? Je ne sais pas toi, mais je crois que la crème glacée est une des seules inventions humaines qui soient intéressantes !
Chris regarda la petite qui mangeait deux boules chocolat-citron. Elle en avait plein la bouche. Chris lui tendit une serviette.
- Essuie ta bouche, Choupette, tu en as partout.
N'allez pas penser que ce surnom était affectueux, l'agent avait vu le film, gamin et avait trouvé la voiture très exaspérante et aujourd'hui, il avait trouvé la version humaine de la coccinelle pour son plus grand malheur.
- Si ça te dérange, fais-le toi-même. Tu n'as pas répondu à ma question : qu'attends-tu ?
- Personne ne t'a jamais appris à être respecteuse des grandes personnes, petite ? répliqua Chris en lui essuyant la bouche.
Elle rit à gorge déployée de son rire un brin moqueur.
- La Madre essaye mais je suis une bourrique née d'une mûle, elle n'est pas prête d'y arriver.
- Qui est La Madre ? Ta maman ?
La petite reprit tout son sérieux.
- La Madre est La Madre. Tu n'as pas le droit de poser des questions sur elle. Maintenant réponds, M.John, qu'attends-tu ?
Il se décida à lui répondre pour avoir la paix.
- Une tempête, j'attends une tempête.
- Il y en aura une dans deux jours, vers 20h00. Une grande tempête, terrible et puissante.
Les deux yeux bleus fixaient si intensément le jeune homme qu'il ne pensa pas à mettre en doute les dires de l'enfant.
- Comment le sais-tu petite ?
Elle haussa les épaules en regardant la mer.
- Parce que moi aussi je l'attends.