Comme avait dit son père : Akademia était plus animé. L’extérieur, tout du moins. Des dizaines d’étudiants traînaient dans le grand parc, allongés dans l’herbe grasse ou adossé aux troncs d’arbres tellement disparates qu’ils n’avaient pas dû pousser naturellement.
Gwen et Anselm attirèrent à eux tous les regards, ainsi que des salutations qui lui donnèrent envie de disparaître. En même temps, il ne put s’empêcher d’observer le garçon qui faisait paresseusement pousser des fleurs, celui qui faisait jaillir des sortes de papillons lumineux en claquant des mains ou la fille qui projetait une brume colorée en jouant de la flûte.
Son cœur se mit à battre plus fort, sa Clef à chauffer contre son torse ; tous deux impatients d’essayer à leur tour.
Le parc était coupé en quatre par un chemin de terre, et au centre se tenait une imposante statue. Elle représentait un homme barbu à l’air professoral, habillé d’une toge, tenant un trident dans une main et un livre serré contre son cœur de l’autre. Sur le socle, on pouvait lire : « Argyrie Plátonos – Fondateur d’Akademia », et juste en-dessous : « Le savoir sauvé des flots. Patrie, Histoire, Avenir. »
— Un poil trop patriotique pour moi, commenta Gwen.
— Mon premier soir, on m’a mis au défi de lui allumer une guirlande lumineuse sur la tête.
— Et tu l’as fait ? se marra Gwen.
— Les ampoules ont grillé dans mes mains avant que j’essaye.
Anselm pinça les lèvres.
— Tu m’as pas raconté ça, lui reprocha-t-il.
— Eh ben je te le raconte maintenant, répliqua sa petite sœur avec une pointe de défi.
Elle leva le menton. Elle avait une vie ici, et il allait devoir s’y faire. Il hocha la tête, à contrecœur, et Florence désigna le bâtiment sur leur gauche.
— Là-bas c’est le mathéma. Y a deux amphis, les classes d’art et de musique, le studio de danse, les bureaux des conseillers, celui du directeur et le secrétariat. Tous les mercredis y a un film projeté, on vote en ligne pour choisir lequel. Le soir y a des groupes d’études qui se réunissent, aussi. Ce qu’on aperçoit derrière, c’est le gymnase.
Puis elle tendit le bras sur leur droite. Une longue bâtisse à l’aspect moderne, avec un toit terrasse visiblement végétalisé au lierre débordant presque jusqu’aux fenêtres.
— Ça c’est le self. Mais y a aussi trois cuisines communes, mieux équipées qu’aux dortoirs. Et les dortoirs, c’est ça !
Elle ouvrit grands les bras, et son enthousiasme moucha la pointe de rancœur qui grignotait Anselm. Face à eux, haut de quatre étages, l’entrée à double battants encadrées de colonnes, se dressait ce qui allait être leur maison pour les prochains mois. Plus si le futur conseiller d’Anselm jugeait son pouvoir trop dangereux ou trop mal maîtrisé.
Sur le fronton était gravé le mot « hospition », et une frise aux couleurs passées évoquait des vagues, des coquillages et des poissons. Ils venaient de hisser leurs affaires sur le parvis quand la porte s’ouvrit sur deux garçons. Le premier, très grand et habillé tout en noir, se figea en les voyant, zieutant son camarade qui afficha un sourire aussi large que la grimace qui froissa le visage de Florence.
— Floflo ! s’exclama-t-il.
— M’appelle pas comme ça.
— C’est les nouveaux ? l’ignora-t-il en regardant Gwen et Anselm.
Il parlait fort, avec un fond de moquerie qui gronda quelque part dans l’estomac d’Anselm.
— Finement observé, répliqua Florence. Pousse-toi, maintenant.
— Bienvenue au goulag, les gars, déclara le garçon en croisant les bras, l’air décidé à bloquer l’entrée. La bouffe est pas trop mauvaise, mais qu’est-ce qu’on s’emmerde parfois ! Je m’appelle Matthéo. Toi, t’es le frère de Floflo.
Anselm ne demanda sincèrement si le type attendait des félicitations ; son nom, en tout cas, lui révéla qui il était réellement : le fils du directeur d’Akademia, quelqu’un qui emmerdait sa sœur depuis qu’elle était arrivée.
— Matt, glissa son copain dans le silence gênant, ton père nous attend.
— Faut pas faire attendre papa, lâcha Florence avec acidité. J’espère qu’il te fera récurer les WC pour ce que t’as dit en classe. Dégage, maintenant.
Elle voulut le pousser, mais Matthéo Ballade disparut instantanément ; elle serait tombée si le grand garçon ne l’avait pas retenu. Un tic d’agacement agita son visage.
— Matt, tu fais chier, commenta-t-il. Désolé pour ça, et bienvenue à vous.
— Merci Bastien, marmonna Florence.
Matthéo se rendit visible au bas des marches, attendit Bastien et s’en alla en direction du mathéma.
— Hmm, ça va ? demanda Gwen avec précaution.
Florence se recoiffa nerveusement, les joues rouges. Anselm ne l’avait jamais vu aussi énervée par quelqu’un. Il savait que ce Matthéo l’embêtait et se comportait mal pendant les cours, qu’il prenait apparemment un malin plaisir à provoquer son père le directeur dès que l’occasion se présentait, mais il ne s’était pas attendu à développer une antipathie immédiate à son encontre.
L’état dans lequel il venait de mettre sa petite sœur n’y était pas étranger, bien sûr.
— Ça va, souffla Florence. Je commence à avoir l’habitude. Allez venez !
Elle reprit son sourire, la valise de Gwen, et ouvrit la porte de l’hospition. Anselm décida de chasser Matthéo Ballade de ses pensées, en découvrant le hall.
Les années avaient peu à peu gommé l’antique au profit du nouveau, donnant l’impression d’un vêtement raccommodé sans cohérence des tissus. La lumière d’un lustre électrique tombait sur une statue de Poséidon, mais l’autel qui aurait dû servir aux offrandes avait été remplacé par un distributeur d’eau. On avait laissé quatre colonnes pour le decorum, mais elles étaient lézardées – et taguées, pour au moins l’une d’entre elles. Sous les pieds d’Anselm se déployait une mosaïque trop délavée pour qu’il y discerne autre chose que des nuances de bleus.
Un imposant escalier menait aux étages, flanqué de part et d’autres de fauteuils et sofas aux teintes criardes, ainsi que de distributeurs automatiques. Aux murs, de petites portions de fresques étaient préservées derrière des vitres, et des plantes – possiblement fausses – remplissaient de grands pots noirs et ocres qu’Anselm aurait pu voir dans un musée.
Près de l’entrée, un grand tableau de liège croulait sous des annonces en tous genres, en un patchwork de post-it bleus, feuillets roses ou canson vert : tout était bon pour mettre sa note en valeur. Une seule luisait magiquement : le code wifi de la résidence, qu’il s’empressa de scanner avec son téléphone.
Flo désigna l’escalier.
— Au premier étage, c’est pour les filles, au deuxième les garçons. Le troisième étage est réservé au personnel et aux surveillants. Mais bon, en deux mois je suis pas sûre qu’on ait eu besoin de les prévenir pour quoi que ce soit, et… ah !
Son bras se leva pour héler quelqu’un, un garçon accoudé à la balustrade, qui lui rendit son salut et entreprit de descendre les marches d’un pas rapide. Il semblait de l’âge d’Anselm, mais large d’épaules et de sourire, ses cheveux roux ramenés en chignon.
— Anselm, je te présente Lucas, annonça Florence avec animation. Lucas, c’est mon frère et mon amie d’enfance, Gwenaëlle.
— Enchanté, dit-il avant de se tourner vers Anselm. Florence a dû te prévenir, mais on va être colocataires.
Non, elle ne l’avait pas fait. Mais elle ne semblait pas s’en être rendue compte, alors Anselm se contenta d’acquiescer et de dire qu’il était ravi de faire sa connaissance.
— Je vais t’aider à monter tes valises, proposa Lucas. Tu as son double de clé, Florence ? Parce qu’on me l’a pas filé.
— Oui. Je n’étais pas sûre que tu serais là. C’est cool.
Elle remit ses cheveux en place tout en fouillant dans son sac à main.
Clé en main, il eut un soudain besoin de s’asseoir, de connaître sa chambre et son lit, de s’isoler, voire de prendre une douche. Le regard de Lucas lui pesait, les salutations des inconnus le gênait et la rencontre avec Matthéo Ballade lui avait laissé une traînée acide au fond de la gorge.
— Allons poser vos affaires, déclara Florence. Et on se retrouve un peu plus tard.
Elle le prit dans ses bras, brièvement, avant de poser sur lui un regard compréhensif.
— Je te prends ça, décida Lucas en saisissant une de ses valises. Suis-moi. À plus tard, les filles.
Ils grimpèrent la première volée de marche ensemble, puis Anselm dû se détacher de sa petite sœur et de son amie pour suivre un rouquin étranger, assez sympa pour lui faire craindre de ne pas être à la hauteur, jusqu’au deuxième étage où il traîna ses affaires le long d’une moquette abîmée en l’écoutant commenter :
— Je suis content de récupérer un coloc. Tanguy est parti y a deux semaines. Moi, je suis pas prêt d’avoir mon certificat, je t’avoue… Mais tu risques rien, t’inquiète pas. Tu fais de la guitare aussi, j’ai vu ? On se fera des duos.
Il se retourna, avec un grand sourire auquel Anselm fut bien obligé de répondre.
— Florence m’a dit beaucoup de bien sur toi, ajouta Lucas. J’espère que tu me supporteras.
— Je n’en doute pas.
Il se demanda s’il était possible de faire autrement tant il dégageait chaleur et sympathie. Ils s’arrêtèrent devant une porte où une feuille décorée d’un drapeau pirate disait « Lucas Gauthier ».
— Je vais te laisser t’installer tranquillement, et te filer mon numéro au cas où.
Et en plus de ça, il faisait montre de tact et de prévenance. Anselm se sentit bien nul avec son mal-être.
— Dernière info utile, dit Lucas, la porte là-bas c’est une cuisine. Enfin… une cuisine. Y a une cafetière que j’ai détartré ce matin, une bouilloire électrique et un micro-onde de l’avant-guerre. Avoue que tu rêvais de ça en pensant à Akademia.
Anselm lâcha un rire nerveux.
— Carrément. Mon rêve est total.
Lucas mit les mains dans ses poches, parut hésiter, évalua le couloir désert, puis déclara :
— Les premières nuits ont été compliquées pour moi. Ma petite sœur a beaucoup pleuré quand je suis partie, et ma famille habite loin… Si jamais t’as envie de parler ou d’être tout seul ce soir, n’hésite pas à me demander, d’accord ? Régis a un lit vide dans sa chambre, je peux facilement m’arranger.
— Merci, Lucas, souffla Anselm d’une voix serrée.
Ils se sourirent maladroitement, puis Lucas l’invita à déverrouiller la porte avant de reprendre le chemin du hall.
Anselm tourna la clé, soupira au déclic, et entra.
La pièce à moitié décorée semblait bancale, comme un bateau trop chargé à tribord. Le lit de Lucas était calé entre une armoire – dont la jumelle se trouvait en face, du côté qui appartenait désormais à Anselm – et un bureau manifestement ramené de chez lui, sur lequel trônait un imposant ordinateur. Face à celui-ci, un siège à roulette usé mais assurément confortable, faisait un pied de nez à la chaise raide du côté d’Anselm.
Un poster de film occupait la majeure partie de mur disponible, et Anselm décida d’attendre quelques temps avant d’avouer qu’il n’avait jamais vu « Pirates de l’espace ». Sur l’armoire étaient entassés différentes affaires de cours, un nœud de chargeurs divers, une gourde isotherme et un pot à confitures plein de petite monnaie. Sur les deux rangées du bas, des blue-ray s’alignaient impeccablement.
Entre leurs espaces, un petit frigo croulait sous les magnets, et du côté de Lucas, une porte donnait sur une étroite salle de bain. Lucas y était allé de sa petite touche perso, ici aussi. Il avait collé une tête de mort phosphorescente sur un coin du miroir, et une petite affiche « Visitez Mars » en face du trône.
Une vague de panique s’empara d’Anselm quand il posa les fesses sur son matelas : il n’avait rien pour décorer dans ses bagages. Rien qu’une poignée de photos de sa famille et une housse de couette un peu colorée.
Il espérait devenir quelqu’un, ici, mais il n’y avait peut-être personne à devenir.
**
Assise au bord de son lit, les orteils arrachant des bouloches de son vieux tapis, Lilliane les entendait pouffer. Elle était contente pour Florence. La venue de son amie d’enfance l’avait inquiétée, mais ça semblait bien se passer.
Lilliane les avait écouté entrer dans leur chambre et s’était même préparée à sortir pour rencontrer Gwenaëlle. Mais jaillir comme ça aurait gâché leurs retrouvailles. Alors elle s’était installée à son bureau pour relire une dissertation, puis avait stupidement attendu.
Elle aurait pu sortir et aller se préparer un thé – la kitchenette se trouvait à deux mètres – mais ne devrait-elle pas en apporter aussi aux filles ? Une entrée en scène facile et rassurante : « Je vous ai amené à boire. Bienvenue ici. » Un premier contact qui n’engage à rien : « je n’ai pas mis de sucre, Florence m’a dit que tu n’en prenais jamais. »
Non, ça c’était peut-être un peu bizarre.
Florence était sa première vraie relation amicale depuis la cinquième, elle appréciait sa rigueur spontanée, ses grands sourires encourageants et son franc-parler. Elle appréciait d’avoir encore des aspects de sa personnalité à découvrir et à affiner. En contrepartie, Lilliane devait se débattre avec ses inquiétudes de mal-faire et ses circonvolutions.
Sa montre tinta à l’arrivée d’un message. « Gwen est là ! Tu veux nous rejoindre ? »
Elle répondit « avec plaisir », compta quinze secondes, enfila ses chaussons, arrangea ses cheveux et alla toquer à la porte voisine.
Florence ouvrit quasiment tout de suite.
— Entre ! dit-elle en la tirant par le bras. Lilli, Gwen. Gwen, Lilli.
— Salut, dit Gwen en tirant la couverture sur son lit. Enchantée.
— Moi aussi.
Gwenaëlle avait bien entamé son installation. Sa grosse valise était presque vide, le lit arborait un coussin volumineux et une vieille peluche de lapin, serviette et trousses de toilette attendaient de rejoindre la salle de bain, un attrape-rêve avait été punaisé au-dessus de son lit, ainsi que deux affiches de séries que Lilliane connaissait seulement de nom.
Ses parents n’étaient pas adeptes des productions mainstream.
L’étagère était pleine de livres et de babioles ; l’ordinateur, la tablette et les affaires de cours s’étalaient sur le bureau. Le tapis de Florence – avant au pied de son lit – avait été déplacé au centre de la pièce, et son pouf supportait le poids d’une boîte estampillée « fils et trucs ».
Florence était une personne organisée. C’était étrange de voir un semblant de bazar menacer son côté.
— Tu t’en sors ? s’enquit poliment Lilliane.
Gwenaëlle se redressa et contempla autour d’elle, les joues rouges sous ses épais cheveux.
— Je crois ?
— Je lui ai proposé une pause cappuccino, intervint Florence.
— Désolée, j’aurais dû vous préparer quelque chose…
Florence lui fit les gros yeux.
Elles sortirent de la chambre et remontèrent le couloir après avoir indiqué celle de Lilliane. Florence en profita pour montrer la kitchenette, mais proposa d’utiliser une machine du hall et d’inviter Anselm. Lilliane avait hâte de le rencontrer.
Pour l’instant, Gwenaëlle semblait la personne enthousiaste qui lui avait été décrite. « Parfois trop » avait un jour confié Florence, « et alors on sent qu’elle se force. » Il n’y avait rien de forcé dans le sourire de Gwenaëlle, et il suffisait de voir les deux filles discuter, penchées l’une vers l’autre, pour comprendre à quel point elles étaient proches.
Lilliane voyait une complémentarité touchante entre la silhouette tout en courbes de Gwenaëlle et celle plus masculine de Florence, les cheveux rouges et indomptables et le carré blond aux ondulations contrôlées, les grosses boucles d’oreilles en bois et les créoles argentées.
Sa Clef lui pesa d’une façon qu’elle connaissait bien. Si elle se détendait juste assez, elle pourrait voir son temps. « Essaye de ne pas trop y songer » lui martelait son conseiller. « Ne définies pas quelqu’un sur ça. »
Soudain, Florence se retourna vers elle.
— C’est à quelle heure, déjà, le pot d’accueil ?
— Dix-huit heures trente, répondit Lilliane.
— Ce sera dans la cafète, au sous-sol, indiqua Florence à son amie en descendant les marches. C’est géré par l’association étudiante, et ils font parfois des soirées jeux. Ah, Anelm me dit qu’il fait son lit et qu’il arrive. Venez, on s’assoit là.
Lilliane trouvait adorable sa façon de crépiter de joie. Florence avait beaucoup douté de l’arrivée d’Anselm et Gwenaëlle, mais les choses semblaient s’être arrangée tout naturellement.
Elles tirèrent des fauteuils dans l’ombre de l’escalier pour s’isoler des autres, et Florence tira deux lunch-cards de son porte-monnaie.
— C’est la tienne, dit-elle à Gwenaëlle. Scanne-là sur ton téléphone, au cas où tu l’oublies. Ça marche sur les distributeurs, à la cafétéria et au réfectoire. Tu peux la recharger via ton appli bancaire. Mais aujourd’hui, c’est moi qui offre ! Vous prenez quoi ?
Gwenaëlle et Lilliane se trouvèrent assises l’une en face de l’autre tandis que leur amie s’affairait au distributeur. Le silence était gênant. Lilliane redoubla d’efforts pour maintenir un contact visuel, et il lui semblait que sa nouvelle voisine aussi.
— Tu es contente d’être là ? s’enquit-elle en frottant ses mains moites sur sa jupe.
Les prunelles sombres de la jeune femme s’éclairèrent.
— Oui, ravie !
— Ça a dû être difficile d’être loin de Florence. Je sais que vous êtes proches. Amies d’enfance.
— Depuis la primaire, précisa-t-elle avec prudence, comme pour ne pas trop en dire.
Un rire faux, méchant, éclata tout d’un coup depuis les escaliers au-dessus d’elles. La voix de Matthéo Ballade retentit à sa suite :
— Mais tu te prends pour qui, gars ?
Florence, qui était revenue avec leurs gobelets, fronça les sourcils. Elle posa les boissons sur la table basse et se déplaça avec curiosité pour voir la scène. Gwenaëlle bondit sur ses pieds et Lilliane suivit machinalement.
Matthéo et Bastien se tenaient en bas des escaliers, manifestement empêchés de monter par un garçon d’une vingtaine d’années, aux cheveux très courts et blonds, avec un piercing à l’arcade sourcilière. Même si elle n’avait pas vu de photos, Lilliane aurait reconnu Anselm Nero. Il avait le nez pointu de sa sœur, et la même expression en colère.
Il ne paraissait même pas avoir remarqué que Florence se tenait à quelques pas, concentré qu’il était sur Matthéo. Anselm croisa les bras sur son sweat trop large, et leva le menton. Avec trois marches de décalage, il dominait son interlocuteur.
— T’as bien compris ce que j’ai dit, tu lui fous la paix.
Bastien leva les mains pour s’interposer.
— On se calme, tous les deux.
— On se calme ? s’indigna Matthéo. C’est lui qui me tombe dessus !
Il se mit un peu plus à sa hauteur. Florence disait de Matthéo qu’il n’était qu’un gamin, mais Lilliane trouvait que c’était surtout quelqu’un avec beaucoup de rage en lui. À son avis, c’était pour ça qu’il agissait ainsi. Sans Bastien, il serait peut-être même tout bonnement invivable.
Le fils du directeur appuya un index rageur sur le torse d’Anselm. Il parla fort, pour que tout le monde entende. Matthéo parlait toujours pour se faire entendre.
— Tes menaces à deux balles, tu peux te les mettre où je pense. Ta sœur, elle a pas besoin de toi pour se défendre. Elle fait ça comme une pro et j’ai honte pour elle que tu te sentes obligé d’intervenir le jour de ton arrivée.
Il se tourna alors et accrocha le regard de l’intéressée. Les joues de Florence avaient viré pivoine dans son visage blafard, ses yeux écarquillés étaient ceux d’un lapin prit dans les phares d’une voiture.
— J’ai pas raison, Floflo ?
Anselm remarqua alors sa sœur, et se décomposa. Gwenaëlle eut un geste vers son amie, qui se déroba brusquement, avant de tourner les talons et de quitter l’Hospition.
— Bien joué, frérot, ironisa Matthéo.
— Ferme là, Matt, souffla Bastien. Viens, on monte. Bonjour Lilliane, ajouta-t-il.
Elle fit un geste de salut et les deux garçons grimpèrent dans les étages, non sans que Matthéo adresse un regard noir à Anselm au passage.
Je ne sais pas où tu en es de ce texte, mais en tout cas j'ai beaucoup aimé ce chapitre. C'est la classique arrivée dans l'école magique, avec le début des amitiés et l'ouverture des hostilités. Il y a plein de points de vue intéressants et j'ai hâte de voir ce que ces alchimies vont donner.
J'aime beaucoup tes descriptions de lieux, qui se fondent naturellement dans le mouvement et l'action des scènes.
C'est sympa aussi la représentation de la masculinité positive, avec Lucas qui reconnaît ses émotions et propose à Anselm de lui donner de l'espace ou du réconfort.
Le risque, c'est que plein d'éléments restent proches des archétypes, donc peut-être que ça donnera un côté prévisible au texte, je ne sais pas encore. Je découvrirai au fur et à mesure si tu continues de partager :)