Chapitre 3

- Farah, viens un peu par ici, ordonne une femme à la peau brune et aux yeux dorés.

- Me voilà, répond la jeune fille.

- Comme tu as grandi depuis ton arrivée ici mon enfant.

La jeune femme caresse la joue de Farah. Elle lui sourit tendrement, comme le ferait une mère. Dina est la favorite de Parham, leur maitre et mari, et elle a pris Farah sous aile dès son arrivée dans la maison. C’est grâce à Dina que Farah sait lire et écrire. Elle lui a enseigné les choses du monde, la science,  la médecine par les plantes, la musique, la danse et bien sûr, comment satisfaire un homme.

Farah rougit rien qu’au souvenir des soirées passées sur le lit de Dina à la découverte de son corps et des gestes qui font soupirer les hommes de plaisir.  

Dina la regarde intensément. Elle va finir sa formation aujourd’hui. A presque 15 ans, il reste à Farah une chose essentielle à maitriser avant d’être une femme accomplie.

- Farah tu sais que la première épouse de Parham va bientôt accoucher de son enfant, j’aimerais que tu l’assistes pour le mettre au monde.

Farah déglutit, elle avait déjà entendu les hurlements des femmes qui donnaient naissance et n’était pas très emballée à l’idée de devoir assister à ce qui se passait dans ces chambres de tortures. Mais si Dina le demande, elle le fera.

- Va annoncer ma décision à Parham.

- Bien, répondit Farah en baissant la tête.

La perspective de voir Parham ne l’enchante pas, cet homme l’intimide car elle sait trop bien ce dont il est capable. Elle l’a vu battre des femmes, des hommes et même des enfants à mort juste parce qu’il était contrarié.

Elle entre dans le grand hall où Parham trône tel un dieu.

*********

3 jours plus tard, et aucune nouvelle de Coralie. Sol est rentré chez lui. En y repensant il se dit qu’il a sans doute dramatisé, peut-être que ce n’était pas la même fille après tout…

Son téléphone sonne. Il chasse l’image de la blonde sulfureuse de ses pensées.

-Oui ?

-Sol, ici Adrien de la maison de disque SteelRecords, je t’appelle à propos de la démo que tu m’as envoyé…on pourrait se voir ?

Quelques heures plus tard, Sol pénètre dans le bureau d’Adrien, un quinquagénaire en costard-cravate bleu. Ses cheveux poivre et sel plaqués en arrière sur son crâne, il arbore une Rolex au poignet. C’est sans doute un de ces gars qui pensent qu’une vie réussie passe par une grosse montre, une femme de 20 ans de moins que soi et une collection de berlines noires.

Sol a également fait un effort de tenue, il a mis son jean le moins sale.

- Adrien, dit-il d’un ton monotone en tendant la main.

- Sol ! répond Adrien d’une voix  trop enjouée pour être sincère,  ravi de te rencontrer. Je vais rentrer dans le vif du sujet, je n’ai pas beaucoup de temps.

Sol s’assoit dans un des fauteuils qui font face au bureau. Par la baie vitrée on peut apercevoir toutes les tours de la ville.

- J’ai écouté votre démo dit Adrien en laissant la fin de sa phrase en suspens.

Dieu que cette façon de faire agace Sol. Qu’il crache le morceau qu’on en finisse !

-…c’est très bon, reprend-t-il, la chanteuse a une voix exceptionnelle...qui a écrit le morceau ?

Sol se mord la lèvre. Il relève la tête et plonge son regard sombre dans celui d’Adrien.

- C’est moi, dit-il avec un air de défi.

Adrien ne reprend pas tout de suite. Il semble réfléchir, il a l’air un peu gêné. Il pose ses coudes sur son bureau et croise ses doigts.

- Pourquoi tu ne te lances pas en solo ? Finit-il par demander. Si tout ce que tu composes est du même genre, laisse-moi te dire que tu pourrais aller loin. 

Sol sourit d’un air arrogant. Il sait déjà tout ça.

- Je sais. Mais je ne chante pas mes textes, je me contente de les écrire. Et je refuse de laisser des gens arranger mes mélodies pour moi. Je m’en occupe.

Il est hors de question de devenir un de ces chanteurs à la mode et encore pire, de donner de la voix à ses textes qui expriment trop de choses pour lui.

Adrien hoche la tête.

- Ce que je te demande, reprend Sol, c’est de me produire avec ce groupe.

Adrien réfléchit. Le son est bon, le chant est vraiment parfaitement maitrisé mais quelque chose le gène dans la formation. Sol sait parfaitement quel est le problème. Il n’a pas besoin d’un type comme Adrien pour lui apprendre la musique. La rythmique ne tient pas la route car Clément est sans cesse en train rattraper la basse qui n’est pas dans le tempo.  Dan est clairement dépassé, il n’a plus la fougue de ses années d’étudiant.

-Le bassiste va bientôt quitter le groupe, j’ai déjà cherché à le remplacer.

Adrien sourit d’un air cynique. Il en a vu beaucoup des hommes comme Sol prêts à tout sacrifier pour une carrière. La musique est une maitresse exigeante et beaucoup d’amitiés ne lui résistent pas.

-Reviens me voir dès que tu t’es occupé de ça alors, on pourra faire quelque chose.

Sol se lève sans un mot et quitte le bureau.

*******

La femme de Parham est allongée sur son lit, son ventre énorme pointé vers le ciel. Ses cheveux sont trempés de sueur. Une servante lui éponge le front pendant qu’une autre tient la main de la pauvre créature.

Farah entre dans la pièce, portant un bol d’eau chaude contenant des plantes apaisantes que lui a donné Dina. Un hurlement comme elle n’a jamais entendu auparavant déchire ses oreilles.

Elle s’approche de la future maman.

-Tenez buvez, cela vous apaisera.

La femme s’empare du bol et le descend d’une traite. Elle réprime un cri dû à une nouvelle contraction puis regarde Farah.

-Qui es-tu ? demande-t-elle

-Farah, répond humblement la jeune fille. Je suis servante.

La femme pousse de toutes ses forces et sa tête retombe sur l’oreiller.

-Farah…n’ai jamais d’enfant veux-tu ?

Farah sourit. Elle attrape la main de libre.

-Je ne connais même pas votre nom, dans le harem on ne parle pas beaucoup de vous.

Et pour cause, tant que la femme de Parham est présente, aucune des concubines ne peut prendre sa place.

Un air de panique passe alors sur le visage de la femme. Elle saisit le bras de Farah. Elle sent ses mains trembler. Ce n’est pas normal.

-Qui t’as donné le remède que tu m’as donné ?

Farah est prise au dépourvu. Elle balbutie.

-C’est Dina, elle a dit que cela vous apaiserai

La femme du seigneur est agitée de tremblements violents. Autour d’elle les sages-femmes s’agitent et repoussent violement Farah dans le fond de la pièce.

Elle aperçoit le visage crispé de douleur de la femme dont elle ne connaitra jamais le nom. De loin les draps se teintent de rouge sombre. Le visage se tourne vers elle et articule distinctement :

« Fuis »

**********

Dans sa chambre, Sol se réveille en sursaut, il est trempé de sueur. C’est sans doute un cauchemar mais il ne parvient pas à s’en rappeler. Il se lève et se rend dans la salle de bain. Il se passe de l’eau froide sur le visage. Lorsqu’il relève la tête il aperçoit son reflet dans le miroir et a un bref mouvement de recul dû à la surprise : ses yeux sont devenus complétement noirs pendant un bref instant. Il se frotte les yeux et regarde à nouveau. Ses yeux sont redevenus normaux. Ses mains par contre lui font mal, les jointures de ses doigts sont douloureuses comme s’il avait frappé quelque chose dans son sommeil, il y a un peu de sang sur ses articulations.

Il nettoie ses mains, tout cela n’a aucun sens. Il retourne s’allonger sur son lit et essaie de chasser toutes ses questions de son esprit. Il renonce à se rendormir, il enfile un jean noir, un T-shirt gris et s’observe de nouveau dans le miroir. Ses yeux ont repris leur marron habituel. Il passe sa main dans  ses cheveux. Trop longs, se dit-il. Puis il met ses bottes et sort dans la nuit. Il se rend chez Dan, ils doivent discuter.