Il frappe à la porte puis regarde sa montre. 2h du matin. Dan va le tuer.
Il entend qu’on remue dans l’appartement. Quelqu’un se hisse sur la pointe des pieds pour regarder par le judas. La clé tourne dans la serrure, la porte s’ouvre et une jeune femme d’une trentaine d’année lui chuchote :
-Putain mais c’est toi ! Tu m’as foutu la trouille ! Déjà que je n’aime pas dormir toute seule, si tu t’amuses à sonner en plein milieu de la nuit je me fais des films pas possible.
- Tu dors toute seule ? Dan n’est pas là ?
- Non il a dû aller aider son frère à déménager et il reste là-bas pour la nuit.
- Hm…je peux entrer ?
La jeune femme s’efface.
-Oui bien sûr excuse-moi…tu veux boire quelque chose ? lui demande-t-elle en enfilant une robe de chambre
- A deux heures du mat’ ?
- Parce que c’est pas ton genre c’est ça ? répondit-elle en souriant, aurais-tu enfin muri depuis le temps ?
L’époque à laquelle elle fait référence, c’est la fac. Alors qu’elle était folle de Sol qui n’était déjà pas très pressé de se caser. Léa avait espéré pendant longtemps, puis avait fini par avoir des sentiments pour Dan qui était beaucoup plus posé.
Malgré l’amitié qui lie les deux garçons, la rivalité est toujours présente et Dan ne supporte pas l’idée que la femme de sa vie ait pu craquer pour un type comme Sol.
Léa pose un verre de whiskey pour lui et un verre de vin pour elle.
-Tu n’aimes toujours pas l’alcool fort ?
-Je suis une femme rangée maintenant, le vin suffit pour me tourner la tête. Répond Léa en soutenant le regard de Sol.
Un silence s’installe pendant lequel Léa ne cesse de le dévisager. Elle essaie de se souvenir de la dernière fois où elle s’est trouvée seule avec lui.
-Arrête de me regarder comme ça, murmure Sol.
Léa détourne les yeux et rougit. En s’asseyant sur le canapé, un pan de sa robe de chambre s’est replié sous elle, sa cuisse est presque découverte.
-Si tu me disais plutôt ce qui t’amènes à cette heure-ci ? Dit-elle pour changer de sujet.
-Je voulais discuter avec Dan, c’est à propos du groupe.
En pensant à son futur mari, Léa a un sourire triste. Il serait fou de rage s’il savait que Sol est ici au beau milieu de la nuit avec elle. Elle dévisage Sol qui porte son verre de whiskey à ses lèvres. Les années et son hygiène de vie déplorable laissent leurs marques sur son visage. Mais elle le trouve toujours beau.
-Il m’a dit que tu voulais le virer.
Sol a un petit ricanement. Alors comme ça Dan avait anticipé.
-Ca n’a rien de personnel. Il est très pris par le boulot et il n’a pas le temps de bosser pour les concerts. Ça se ressent, c’est tout.
-Il ne lâchera jamais tu sais, c’est quand même lui qui a créé le groupe !
Ils étaient à 3 en réalité. Mais certains lâchent leurs rêves en cours de route. Ou alors ils n’ont plus le cran de les poursuivre. Sol hausse les épaules. Il saura le convaincre. A nouveau Léa et lui se taisent. L’atmosphère semble se charger d’électricité.
-Tu l’aimes ? Demande Sol. Il te rend heureuse ?
-Bien sûr ! Répond immédiatement Léa.
Comme pour esquiver la tournure que prend la conversation, elle se lève pour aller prendre un verre d’eau. Elle n’a finalement pas touché à son vin. Elle est en train de reposer la carafe quand elle sent des mains se poser sur sa taille. Elle se retourne.
-Sol… soupire-t-elle. Qu’est-ce que tu fais ?
- Rien, je me remémore le bon vieux temps.
Le temps semble ralentir, les mains de Sol se pressent un peu plus sur sa taille. Elle a toujours aimé ses mains. Leur force, leur agilité, leur rugosité aussi, due aux heures de musique, les tatouages de ses avant-bras qui y finissent leur course. Elle panique elle a peur de ne pas résister s’il continue. Elle aime Dan de toutes ses forces, de toute son âme. Mais il est toujours resté cette zone d’ombre concernant Sol. Elle essaie de le repousser mais elle manque de conviction, Sol le sent. Il l’embrasse dans le cou, ses mains la serrent contre lui. Elle se retourne, ses mains à elle posées sur les épaules de Sol comme pour le repousser.
-Je vais me marier tu sais.
Sol s’arrête et la regarde. Il remet une mèche de ses cheveux derrière son oreille.
-Je sais bien… Je n’insisterai pas, dis-moi d’arrêter et je le ferais immédiatement.
Evidement que non, songe Léa. Sol l’embrasse doucement. Il est trop tard. Toutes ses défenses tombent, elle répond à son baiser avec fougue. Il ne faut aucun effort à Sol pour la soulever. Elle enroule ses jambes autour de sa taille et ils vont s’écrouler tous les deux sur le lit des futurs-mariés.
*****
Cela fait des mois, peut-être des années que Farah s’est enfui du palais de Parham. Elle a erré pendant longtemps avant de trouver le petit village dans lequel elle se cache.
Pour survivre elle fait de petits travaux, de la couture, elle s’occupe des bêtes. Personne ne connait son nom, elle leur fait croire qu’elle est muette. Elle a beaucoup de temps pour songer à ce qui est arrivé au harem. Dina avait-elle sciemment empoisonné la femme de Parham ? S’était-elle fait piéger par une autre concubine ?
Farah a du mal à croire que la femme qui a été une mère de substitution pour elle, ait pu faire une chose pareille. Qu’était-elle devenue…Etait-elle seulement encore en vie ?
La vie s’écoule paisiblement et Farah se prend à rêver que tout ceci est derrière elle et qu’elle pourra couler des jours paisibles dans ce village sans craindre d’être attrapée par Parham. Après tout cela fait si longtemps maintenant…
Un matin lorsqu’elle se rend au marché, Farah entend un cri déchirant dans le village. Un attroupement s’est formé sur la place. Comme à chaque fois qu’il y a du monde, Farah rabat sa capuche sur sa tête pour ne pas que l’on voit son visage.
Il y a un petit corps allongé ensanglanté au milieu de la place, un homme sort de la foule pour le serrer dans ses bras en pleurant. Un cavalier est là. Il crie :
« Parham est à la recherche d’une petite servante nommée Farah. Elle a tué le fils et la femme de notre seigneur, on l’a aperçue aux alentours du village. Livrez-lui la fille, ou vos enfants mourront ! »
Il désigne alors le petit cadavre dont le sang tâche la chemise de son père. La foule hurle. Farah profite de la confusion générale et se dépêche de retourner dans sa cachette. Une fois la porte refermée, elle se laisse glisser le long du bois puis s’assoit par terre. La tête dans les mains.
Cet enfant est mort par sa faute…Mais mérite-t-elle aussi de mourir ? Parham la croirait-il si elle lui disait la vérité ? Certainement pas, pense-t-elle.
Elle se dégoute. Comment peut-elle seulement hésiter à se rendre. Ces gens vont tour à tour serrer le cadavre de leurs enfants contre leur cœur, tout ça pour qu’elle puisse rester ici en vie ?
Farah fait les cent pas dans sa cabane. Elle jette un œil par la fenêtre et se fige. Une petite fille regarde dans sa direction. Farah tire les rideaux. Elle sent tout le poids de la culpabilité sur ses épaules. Peut-être que cette petite fille va mourir par sa faute ! Mais elle ne peut pas se rendre. C’est la peur. Plus que de mourir, elle a peur de souffrir et elle sait que c’est ce qui l’attend si elle se livre à Parham.
******
Sol sort de sa torpeur. Le corps chaud et doux de Léa est allongé à côté de lui. Il allume une cigarette puis promène sa main libre le long du dos de la jeune femme. Elle redresse sa tête.
-Tu fais toujours ça, dit-elle en se remémorant les innombrables fois où elle l’avait vu allumer une cigarette après qu’ils aient baisé.
Sol semble réfléchir puis tout à coup il dit calmement.
-Tu vas annoncer à Dan que tu veux quitter la ville…Et vous partirez très loin d’ici.
Le cœur de Léa fait un bond lorsqu’elle réalise ce qu’il est en train de lui dire. Etait-ce son intention depuis le début ? Elle le dévisage, avec des yeux stupéfaits. Sol ne s’en soucie pas, il tapote sa clope contre le bord du cendrier.
Léa est envahie par la colère.
-C’était ça ton plan ? Me sauter pour me faire chanter ? Mais t’es vraiment un monstre !
-D’abord je ne t’ai pas forcée je te signale…et ensuite, c’est pas bien grave, tu t’en vas juste suffisamment loin pour que Dan ne soit plus dans mes pattes.
-Et si je lui raconte tout ? demande Léa d’un air de défi.
-Tu sais très bien qu’il ne te pardonnera jamais…si tu l’aimes, tu fais ce que je te dis et tout se passera bien.
Léa baisse la tête. Elle sait qu’il a raison, Dan ne lui pardonnera jamais cette trahison. Elle-même devra supporter cette idée toute sa vie. L’idée qu’elle est faible et soumise à des instincts primaires alors que son mari est un homme parfait.
-Qu’est ce qui me dit que tu tiendras parole après ça et que tu ne diras rien ?
Sol écrase son mégot.
-Tu sais je suis peut-être un connard, mais j’agis par intérêt, je ne gagnerai rien à ne pas respecter ma promesse.
Léa enfouit sa tête dans ses mains. Elle se sent tellement conne à présent. Elle s’est fait avoir comme une débutante. Elle sait bien que Sol le fera. Si elle ne lui obéit pas, il brisera le cœur de Dan et toute sa vie à elle.
Lorsque Sol reçoit une grosse claque en pleine figure, il est un peu surpris puis il se met à rire.
-Je la mérite, je te l’accorde.
-Sors d’ici ! Hurle Léa. Elle attrape la lampe de chevet et la jette contre le mur pendant que Sol sort de la chambre. Puis elle se met à sangloter sur son lit défait.
Une fois rentré chez lui, Sol se déshabille et prend une douche. Quand il a terminé, il masse ses mains toujours douloureuses. Ses articulations commencent à devenir bleues. Il relève la tête et croise son reflet dans le miroir. « Espèce de connard »
******
Farah épuisée d’avoir passé la journée à réfléchir, a fini par s’endormir la tête sur la table. En se réveillant, elle constate que son choix impossible n’est pas fait. La nuit ne lui a définitivement pas porté conseil. Elle a besoin de prendre l’air. Elle met sa capuche et ouvre la porte…pour la refermer aussitôt. Devant chez elle, la petite fille n’a pas bougé. Elle barricade sa porte puis jette un coup d’œil discret par la fenêtre, cachée derrière le rideau.
Son cœur bat très fort dans sa poitrine. La petite fille a les yeux totalement noirs.
Ah aussi! Les coupures tombent toujours au bon moment ce qui donne envie de continuer à lire
Beau boulot, continue.