C'est l'histoire du vilain petit canard : deux œufs éclosèrent durant une pluie d'automne. La cane se rendit compte que l'un d'eux ne lui ressemblait pas, il était même étrange. Elle se décida à l'abandonner et de prendre soin de son deuxième petit, un ravissant canard qui brillait sous les rayons du soleil dont toutes les canes se retournaient vers lui. Le petit premier, malheureux, courrait toujours après eux, même si la famille avait tenté de s'en débarrasser rien y faisait. Comme si chaque fois qu'il revenait, il devenait plus robuste. Les années s'écoulèrent et celui qu'on avait surnommé le vilain petit canard était en réalité un majestueux cygne. À partir de cet instant, le véritable canard fut délaissé, oublié, celui-ci devint furieux, il venait de se faire voler sa place de petit prince. À son tour, misérable, il cherchait un moyen de se venger ; le canard lui volait tous ses biens, tout ce qu'il pouvait avoir de plus précieux. Il essayait lui aussi d'être heureux, se voyant en quête d'une femelle plus d'une fois.
Pourtant, son soi-disant égal, se voyait toujours accorder l'attention de ses parents, on lui promettait même une femelle et beaucoup de nourriture pour s'approvisionner l'hiver tandis que le petit dernier... Il n'y avait pas de petit dernier.
Car un jour, il finit par se faire écraser, ses os craquèrent sous la pression et sa tête se crispa pour se réduire en petits morceaux. Un cri. Jaloux, enragé et lamentable, c'est tout ce qu'il restait à lui.
Son sang se déversait, se propageant en une mare de sang autour de son corps qui n'était plus qu'une carcasse. Les corbeaux venaient picorer l'entre de ses yeux tout en se moquant de lui, les vers sortaient de ses tripes et se baladaient dans ses orifices. Un jour, le cygne vint et il apprécia le spectacle d'une merveilleuse histoire.
Jaloux, enragé et lamentable, Harker ne se laisserait pas faire. Il ne deviendra pas cette bête qui tenait à peine sur une patte, Harker valait bien plus que cela.
Frustré par la soirée précédente, il ne comptait pas s'en arrêter là, il attendra patiemment que la prochaine occasion se présente. En attendant, il avait quelques affaires à régler, pour cela, il devait consulter sa mère. Celle qui lui a tout donné, tout fait pour que son petit-fils soit heureux, seulement Léonor, la Reine de Krima, échoua.
– Mère, il entra avec rudesse dans le salon où la Reine prenait son thé. J'ai besoin de vous parler.
– De quoi s'agit-il cette fois-ci ? Répondit-elle sur un ton agacé.
La Reine, si seulement elle avait pu mettre au monde un fils plus intelligent et moins fragile d'esprit pourtant son amour n'en restait pas moins inconditionnel pour lui au contraire de Harlow.
– Pourquoi n'ai-je pas une épouse ? Pourquoi ce bâtard a-t-il droit à une femme et pas moi ? Haussa le ton Harker.
Harker déversait toute sa rage, sa haine et sa jalousie sur sa mère, faisant de grands de gestes avec ses mains ; sa mère qui l'aimais tant devait bien pouvoir faire arranger la situation pour lui.
Son regard s'adoucit, déposant sa tasse de thé, elle se releva pour s'approcher de son fils. Elle l'invita à s'asseoir, se positionnant derrière lui, elle passait sa main dans ses cheveux, lui caressant avec tendresse l'arrière du crâne. Une voix calme et aimante se révéla :
– Mon chéri, tu sais bien que maman ne veut que ton bien. Maman ne veut pas que tu te surcharges de travail, Harlow ne fait que le sale boulot. Tu auras une femme, mais un peu de patience, je te prie.
– Bien...
– Alors, sois patient, ne dit-on pas que la patience est une vertu ? Au fond de toi, tu sais que tu vaux bien mieux que ton frère, tu es tellement bon et généreux mon fils. Je ne voudrais pas te laisser dans les mains d'une femme qui pourrait te manipuler.
La Reine se pencha en avant pour coller ses lèvres à l'oreille de Harker, elle lui susurra :
– C'est bien pour ça que tu possèdes autant de servantes que tu le désires.
– Oui...
– Dans ce cas, arrête de venir me déranger quand je me repose ! Répondit-t-elle d'une voix stridente en lui saisissant brutalement les cheveux, les tirant vers l'arrière.
Harker sursauta en entendant les cris de sa mère, un visage pâle, des gouttes de sueur parcouraient son front. Il se raidit. Le fils à sa maman n'avait qu'à bien se tenir, il déserta le salon.
Quel embarras, Harlow restait assis face à son lit tant il désespérait. Pourtant, il avait fait quelques efforts en attendant dix minutes de plus en espérant qu'elle arrive dans sa chambre.
Il aurait pu reconsidérer qu'elle ait besoin davantage de repos, mais cela serait lui laisser trop de libertés. Le prince se décida enfin à se redresser, raclant sa gorge une première fois : aucun signe de vie de sa femme de chambre.
– Evelyn.
Le silence planait toujours, avait-elle besoin qu'un éléphant s'écrase au-dessus d'elle pour se réveiller ? Une idée sournoise lui vint à l'esprit, s'empressant de la réaliser, Harlow se surprenait à prendre un malin plaisir. Un verre d'eau en main, il n'hésita pas une seconde de plus avant de lui jeter à la figure.
Ce ne fut pas sans surprise qu'Evelyn bondit de son lit, l'eau fraîche la réveilla. Le visage trempé, elle s'apprêtait à se défouler sur son farceur avant de s'apercevoir qu'il s'agissait du Prince Harlow.
– Toi, je vais te... ! Votre Altesse ! Excusez-moi, ce n'est pas pour vous, je veux dire...
– Peu importe, rejoignez moi dans l'arrière-cour. Un conseil, ne prenez pas de vêtements qui seraient susceptibles de s'abîmer.
Evelyn n'eut pas le temps de correctement s'excuser qu'il quitta déjà sa chambre de bonne. Un réveil plutôt brusque, elle se motiva enfin à sortir de son lit. Enfilant comme à son habitude sa robe marron jusqu'aux chevilles, elle retroussa ses manches puis attacha sa chevelure en une queue-de-cheval. La jeune femme s'interrogeait sur ce que le Prince lui réservait ce matin, bien qu'elle ne s'était pas complètement remise de sa blessure, Evelyn espérait que cela ne lui demande pas trop d'efforts.
Elle emprunta les escaliers qui menaient droit sur l'arrière-cour, un raccourci, avant qu'elle ne tombât sur le prince héritier, Harker. Évitant son regard désireux, elle baissa les yeux. Evelyn s'inclina en se pressant pour partir néanmoins, Harker semblait avoir d'autres plans pour le moment, il saisit avec délicatesse le menton de la demoiselle en plaçant son pouce sur sa lèvre inférieure, remontant ainsi son visage pour croiser son regard ; il laissa glisser son doigt pour rejoindre les autres, un sourire toujours si radieux accroché à ses lèvres.
– Evelyn, je venais prendre de vos nouvelles, dit-il sur un ton mielleux.
– C'est gentil à vous. Je vais bien, merci.
Même si elle se retrouvait obligée d'être confrontée à lui, son regard déviait. Evelyn ne pouvait pas supporter l'idée qu'il ait eue un quelconque contact avec elle hier ni même aujourd'hui. Décrochant sa main, le plus rapidement possible, il ne résista pas. Harker fit un pas vers elle, il s'abaissa pour lui souffler quelques mots à l'oreille :
– Cette robe met en valeur tes courbes, tu es vraiment très...
– Son Altesse doit s'impatienter. Je vous souhaite une excellente journée.
Un mot de plus, et elle aurait sûrement repeint l'escalier. Fuir, sa seule préoccupation. Evelyn dévala les escaliers, manquant de trébucher, elle arriva dans l'arrière-cour ; embarrassée par la remarque du prince, elle ne pouvait pas se cacher, seulement se donner encore plus en spectacle.
– Vous êtes en retard, bougonna Harlow.
– Je...
– Je ne veux pas de vos excuses. Désormais, chaque matin, vous allez vous entraîner. J'ai étudié vos capacités, elles sont médiocres mais pas inutiles. Phollen et Isore vont y remédier, j'aurai besoin de vous sur le terrain bientôt.
Deux gardes au côté de Harlow se présentèrent : Isore, un homme d'âge moyen, plutôt robuste, il avait quelques cheveux blancs et rides, mais il semblait avoir encore toute sa tête ; quant à Phollen, il paraissait jeune, il faisait l'âge de Harlow voire un peu moins. Il ressemblait à un petit garçon à qui on a donné une épée au lieu de sa sucette. Les deux gardes avaient l'air de bien s'entendre, Evelyn n'arrivait pas à se retirer l'image d'un père et son fils.
– Vous n'avez pas suivi mes conseils, insistait-il en zieutant son accoutrement.
Il avait beau s'en plaindre, mais Evelyn ne disposait pas d'une garde-robe, seulement de quelques robes de bonnes. Elle ne rétorqua pas, Harlow déguerpilla avant. Les présentations sont faites, place à l'action : Evelyn dut enchaîner en premier lieu, une série d'exercices pour s'échauffer, étant donné l'état de sa cuisse, il ne fallait pas qu'elle se blesse une seconde fois. Puis, les choses se corsaient, elle devait manier différents types d'armes, apprendre à quand et comment s'en servir. Enfin, la mise en pratique, à chaque entraînement, un dernier temps sera consacré à combattre un adversaire. Petit à petit, l'objectif sera d'être capable de maîtriser l'arme et la personne pour y mettre fin.
Au début, l'échauffement ne requérait pas beaucoup d'efforts. Même si déjà épuisée, elle se forçait à aller jusqu'au bout des choses. La seconde étape, moins difficile, faisait travailler sa mémoire, chaque geste et armes devaient être manipulés avec précision. Evelyn n'en voyait plus le bout alors qu'elle approchait de la fin, un combat et elle sera libérée. Sa robe était un désavantage, ample, son adversaire pouvait l'attraper. Le seul problème, c'est que l'hiver ne lui permettait pas d'avoir des vêtements plus légers notamment plus confortables.
– Tu dois apprendre à te battre en toutes circonstances, tu peux le faire Evelyn, encouraga Phollen. Tu as de la chance, tu n'affrontes pas encore Isore ! Je peux te dire qu'il m'a mis une raclée la première fois.
En gardes, trois, deux, un...
Un combat à l'épée, rien de plus délicat quand on ne sait pas parer un coup ni quand on n'est pas très endurant. Phollen était vif, rigoureux dans ses gestes, il ne manquait pas une chance de mettre en difficulté Evelyn. De même, il ne lui accordait aucune pause, il attaquait sans respirer ; quant à la jeune femme, elle se débrouillait, quitte à reculer, c'était son seul moyen d'échapper à sa lame aiguisée qui menaçait un peu plus de couper une mèche de cheveux. Le combat ne tarda pas à s'achever lorsqu'Evelyn chuta au sol sur son postérieur. Grimaçant de douleur, elle sentit que sa plaie s'était ouverte de nouveau. Isore et Phollen se précipitèrent pour l'aider, ils prirent soin de la relever, mettant fin à leur entraînement.
– C'est suffisant pour aujourd'hui, ajouta Isore. Tu t'es bien débrouillée. Il faut que tu te reposes encore un peu, même s'il faut te rappeler que lors d'un combat, la douleur devient mentale. Tu apprendras à te relever.
Evelyn acquiesça avec un sourire, heureuse de pouvoir parler à d'autres personnes. Les autres bonnes gardaient leurs distances. Dès à présent, elle pouvait les ignorer sans problèmes, Evelyn n'avait pas besoin d'être entourée de commères.
C'était plus court que prévu, il attendait au moins de bons résultats. Consultant Isore, cela ne semblait pas si terrible, moins qu'il ne le pensait. Harlow ne décourageait pas, elle apprendra sur le terrain davantage. D'ailleurs, il était temps pour de partir, la visite chez les Fardell n'allait pas se faire toute seule même si avant Harlow prévoyait une autre sortie.
En route, les deux marchaient côte à côte vers le village, en particulier celui des humains. Evelyn n'avait pas la moindre idée où le Prince l'emmenait, elle se demandait s'il ne s'était pas décidée à la renvoyer et qu'il ne faisait que la raccompagner. Toutefois, cela serait trop généreux de sa part maintenant qu'elle y pensait une seconde fois. Elle se tâtait à lui poser la question, le problème étant que les seules fois où elle tenta de poser la moindre question, il l'ignorait ou bien même s'amusait à répondre à tout sauf sa question. Ils s'arrêtèrent.
– Emmenez-moi chez vos parents.
Non pas qu'il adorait rencontrer les parents de ses employés. Cette visite lui permettait de cerner un peu plus Evelyn. Elle restait humaine, il tenait à vérifier sa sincérité, elle jouait avec son esprit en lui chuchotant les mots qu'il souhaitait entendre. Il devait vérifier sa fiabilité. Au moindre doute, il hésitait toujours entre lui retirer tous ses boyaux ou simplement la renvoyer. Il pourrait la chasser jusqu'au fin fond de leur monde s'il le fallait.
Harlow jeta un coup d'œil à sa femme de chambre qui semblait perdue, ne savait-elle plus où elle habitait ? Ces humains, toujours si incompétents...
– D'accord, c'est par ici, marmonna Evelyn en lui indiquant une direction.
Evelyn n'aurait jamais pensé que leur sortie serait en réalité une rencontre avec sa famille. Cela ne la gênait pas, bien au contraire, elle pourrait revoir sa mère et son frère Elros. Plutôt enjouée à cette idée, elle s'impatientait déjà.
Une faveur du Prince peut-être, et elle, n'avait fait que lui causer des ennuis depuis le début de la semaine, elle n'avait pas pris la peine de s'excuser !
– Votre Altesse, bégayait-elle, je tiens à vous présenter mes excuses pour tout l'ennui que je vous ai causé depuis le début.
– Ah, vous parlez du moment où vous vous êtes écroulé sur moi et avez failli abîmer mon costume ?
"S'écrouler sur lui, abîmer son costume", ce que le Prince lui évoquait n'avait aucun sens. Son demi-frère avait pourtant affirmé qu'il l'avait rattrapé. Quel embarras. Cette grosse masse dure n'était autre que le Prince qu'elle servait, elle aurait dû s'en douter vu qu'il paraît dur comme une roche.
Evelyn se confondit en excuses, elle s'était adressée à la mauvaise personne dès le départ. Baissant son regard, Evelyn bafouilla :
– Pour une raison inconnue, j'espérais que ce soit vous...
Cette raison ne demeurait pas si secrète, les quelques entrevues avec le Prince Harker avait suffit à la dégoûter, ne voulant plus croire à la réalité des choses. Entendre le Prince énonçait la vérité la rassurait au fond d'elle, tout n'était peut-être pas perdu.
Savait-elle que son ouïe était plus aiguisée que la sienne ? Les mots n'arrivaient pas à franchir ses lèvres, il ne trouvait plus ses mots. Harlow lui rétorqua de manière très directe, sans penser à ce qu'il lui disait :
– Je... Oui. Ce n'est rien, vous étiez blessée... Et vu votre faible constitution, mon habit a été taché par autre chose que votre sang. Sinon, je vous l'aurai fait laver jusqu'à ce que le vampire qui possède le meilleur odorat du royaume, ne sente plus une once de sang.
Evelyn gloussait en entendant ces paroles, cela sonnait si absurde et réconfortant à la fois. Contrairement à Harlow, qui ne voyait pas ce qu'il y avait d'amusant dans ce qu'il a dit. Il la fusilla du regard, le prenait-elle pour le bouffon du roi pour qu'elle se moque comme une sauvageonne ?
Une fois les moqueries cessées, Harlow et sa servante arrivèrent face à ce que devrait être l'habitat naturel de cette fille. Il n'espérait pas grand-chose seulement cette dite maison était bien loin de ces attentes, cette chose tenait à peine debout, manquant de s'effondrer au moindre coup de vent.
Elle s'arrêta un instant pour observer la maison de son enfance, celle qui la protégeait du froid de l'hiver et qui la réjouissait toujours en rentrant d'y retrouver sa famille. Evelyn ne saurait pas l'expliquer, mais elle appréhendait cette entrevue, cela n'avait pourtant rien d'officiel toutefois la dernière fois qu'un vampire a pénétré leur famille, la situation a mal tourné. Elle prit une grande inspiration avant de s'élancer sur le pas de la porte, une main sur la poignée, elle ouvrit grand la porte.
Un miracle, Evelyn était encore vivante. Les visages émerveillés d'Elros et sa mère ne passaient pas inaperçus, Elros se jeta dans les bras de sa petite sœur pour la serrer. Sa mère les contemplait, jamais elle ne s'était faite autant d'inquiétudes.
Derrière ces visages enjoués, Harlow demeurait imposant et rendait l'atmosphère pesante, leur contentement se dissipait. Un silence planait entre eux, Elros et sa mère se reculèrent afin de faire place au prince. Les deux s'inclinèrent sans broncher.
– Je ne m'attendais pas à votre venue Votre Altesse, expliqua Rose — la mère de Evelyn —, entrez, je vous prie, asseyez vous.
– À vrai dire, j'envisageais plutôt une discussion avec vous. Seuls.
Evelyn et Elros se jetèrent des regards furtifs, ils s'éclipsèrent aussitôt en prenant l'air. Son frère bien que plus vieux, avait à peine deux ans de plus qu'elle. Pour s'occuper, il aidait sa mère avec les récoltes et veillait aux besoins de leur mère. Tombée malade depuis quelques années, le froid n'améliorait pas sa condition, ce fut un miracle lorsqu'elle survécut au premier hiver. Ainsi, Evelyn et Elros prirent les choses en main, l'un en travaillant et l'autre en prenant soin d'elle.
– Alors... c'est comment la vie au château ? Est-ce que tu manges bien ? S'inquiétait son frère.
– Ne t'en fais pas Elros, tout va pour le mieux.
Elle ne pouvait pas lui avouer qu'en réalité, depuis le début, les choses ne tournaient pas rond. Cette drôle de créature et puis Harker, elle ne pouvait pas inquiéter son grand frère.
– Je mange à ma faim, c'est plutôt moi qui devrais te poser la question. Dès que je reçois ma première bourse, je vous donnerai l'entièreté, fit-elle en ébouriffant les cheveux d'Elros.
– Evelyn ! Gardes en pour toi.
– Maman a besoin d'être soigné... Je ne peux pas profiter de ces quelques pièces alors qu'il y a plus important. Je veux qu'elle guérisse.
– Moi aussi, je ne veux juste pas que tu te négliges.
– Je te l'assure, tout va bien pour moi.
De l'autre côté, la conversation était plus tendue, moins calme. Harlow, assis, bras croisés, il scrutait cette femme d'un âge moyen, rongée par la fatigue et dévorée par la maladie. Ses cheveux roux perdaient de leur couleur chatoyante au fur et à mesure, elles se ressemblaient. Avec quelques années de moins, ils auraient pu croire qu'elles étaient jumelles.
– Bien, commençons. À quel point tenez-vous à votre fille ? C'est-à-dire que dans un contexte où elle périt, seriez-vous heureuse de l'apprendre ?
– Oh que non ! S'exclama la femme, outrée par ses propos. Jamais, cela ne me viendrait à l'idée de me réjouir de la mort d'un de mes enfants. Evelyn et Elros me sont précieux.
Rose complètement horrifiée par ces questions qu'elle ne savait pas si elles devaient les qualifier de stupides ou insensées. Elle n'imaginait pas l'horreur des interrogations suivantes.
Elle subissait un interrogatoire qui n'en finissait plus ! Chaque demande était plus effroyable et terrible que la précédente. Cela n'avait pas de sens pour elle, pourquoi s'acharner sur une pauvre femme qui pourrait bien mourir d'ici quelques années ? Ne souffrait-elle pas assez ?
– Votre Altesse, pardonnez-moi de vous interrompre, j'aimerais que vous m'accordiez une faveur, je vous prie.
Une faveur, voilà que cinq minutes s'étaient écoulés et cette femme croyait qu'elle pouvait se permettre de lui demander plus que ce qu'il donnait déjà. Harlow soupira, et entendit sa requête jusqu'au bout.
– Il y a quelque temps déjà, je voulais offrir ceci à ma fille et j'aimerais vous le confier.
Rose se pressa de chercher une boîte plutôt légère qu'elle tendit au prince. Harlow effaré, il était prince pas facteur.
– Vous n'avez qu'à le faire vous-même, elle est dehors.
– Votre Altesse... Je vois bien dans vos yeux que vous ne ferez pas de mal à ma fille. Donnez-lui cette robe quand vous jugerez que le moment sera venu. Je suis mère, faites tomber le masque avec moi.
Cette femme nageait en plein délire, pas étonnant qu'elles se ressemblaient, elles étaient toutes les deux aussi crédules et naïves. Après courte réflexion, ce paquet ne lui sera pas si inutile, si cela pouvait payer un salaire à sa servante, il ne s'en gênerait pas. Et puis les humains cherchaient toujours des stupides récompenses sans arrêt suite à un effort, peut-être que l'entraînement qu'elle suivait la motivera davantage à poursuivre.
Désormais, il ne restait plus qu'un dernier membre de la famille, le plus redoutable d'entre tous : le père. Harlow ne le remarquait pas, peut-être, était-il sénile et malade aussi ? Naturellement, Evelyn et Elros firent leur apparition de nouveau dans la pièce de vie.
– Où est votre père ?
