– Tu vois Evelyn, ceux-ci sont des myosotis. On les reconnaît à leurs pétales bleus ou roses, au milieu, c'est le nectar que produit la fleur pour nourrir les insectes. Tu sais ce qu'elles symbolisent ? Une voix tendre s'adressait en direction de la petite fille qui se tenait aux côtés de son père, émerveillée.
– Non, dis moi papa !
– Elles symbolisent le souvenir et l'amour éternel.
– Ce sont tes fleurs préférées ?
– Oh que oui, elle me rappelle notre famille et tes petits yeux bleus.
Plongés au cœur de la forêt, le père d'Evelyn avait l'habitude d'y emmener sa fille pour découvrir un peu plus la nature qui l'entourait et notamment celle qui pouvait la guérir. Autrefois, médecin, le royaume des vampires se décida à supprimer tous les titres des humains, pour ceux qui détenaient une fonction importante avait pour obligation de servir le Roi. Aether, le père d'Evelyn, effaça son nom de tout le registre de médecin, il ne voulait en aucun cas servir les vampires encore moins les aider. Cela ne les avantageait pas, leur famille ne pouvait pas bénéficier des bienfaits que pouvait leur offrir le royaume comme un logement sûr et de quoi s'approvisionner voire même être retiré du marché humain. Selon Aether, cela signifiait être corrompu, révolutionnaire dans l'âme, il n'accepta pas de se plier au nouveau système ; certains de ses collègues, ne se génèrent pas pour y adhérer tant que cela servait leurs intérêts.
Ainsi, depuis l'arrêt total de sa fonction et l'interdiction d'accès aux études pour les humains, Aether s'était promis d'enseigner les bases des plantes médicinales à Evelyn pour plus tard pouvoir aider à son tour les autres et garder sa famille en bonne santé.
Un matin, alors qu'ils avaient pour habitude à sortir et à se promener en discutant des plantes et fleurs, ils entendirent des bruits au loin. Evelyn, âgée seulement de dix ans, n'y prêtait pas attention tandis que son père eut un mauvais pressentiment.
– Rentrons Evelyn.
– Cela fait à peine quinze minutes que nous sommes sorties ! S'il te plaît, encore cinq minutes.
Aether souriait bêtement en voyant sa fille le supplier avec ses petites perles bleues. Ce bruit pouvait très bien être d'origine animale. Continuant encore un peu, ils en profitèrent pour recueillir des fleurs, Evelyn souhaitait faire un joli bouquet pour le donner à sa mère. Son père ne se sentait toujours pas rassuré, il plaça une main dans le dos de sa fille pour la forcer à avancer.
– Il faut qu'on rentre, nous ne sommes plus très loin.
– J'avais presque fini mon bouquet !
– Excuse-moi mon ange, on le terminera la prochaine fois.
Evelyn arrivait à peine à suivre l'allure de son père, elle ne comprenait pas ce qui le pressait tant. Mais, au loin, un petit lapin blanc traversa le sentier. Elle qui raffolait tant des petits animaux, Evelyn partie à sa poursuite immédiatement.
– Un lapin !
– Evelyn, non !
Hélas, il suffisait d'un instant pour que la situation bascule. Un vampire s'en prit au père d'Evelyn en le saisissant par le cou, il traîna Aether loin d'elle. Tandis que lui, l'implorait de fuir, partir et rentrer vite, il lui répétait sans cesse « Je survivrai, je survivrai... ». Jamais, elle ne pourrait effacer ce visage, des yeux verts et des cheveux blancs courts, et surtout un désir profond de sang ; ses yeux viraient bientôt au rouge alors qu'ils plantaient ses canines dans son cou.
Prise de panique, elle s'enfuyait, hurlant le nom à son frère et sa mère. Ils ne pouvaient pas être bien loin, son père devait être secouru, mais elle n'avait pas le cran de le faire, car elle était simplement faible et minable.
Lors de sa course, un second vampire s'en prit à elle, la plaquant contre le sol, elle n'avait plus d'échappatoire, Evelyn ne savait même pas ce qu'il lui était réservé. Le vampire s'empressa de lui entailler le bras afin de goûter à son sang si précieux. Dégouté, il se plaignit de son mauvais goût, il s'énerva ; fou de rage, il était sur le point d'étriper Evelyn avant de s'écrouler complètement sur elle. Derrière lui, Elros, un poignard en main, il réussit à transpercer son cœur. En larmes, elle ne s'arrêtait pas de pleurer de douleur, d'horreur, quand est-ce que cela allait cesser ? D'abord, elle crut au secours de son père néanmoins lorsqu'elle se rendit compte que c'était son frère. Son monde s'écroula, si innocent, à peine âgé plus qu'elle, il tua un vampire pour la première fois. De même, Evelyn pensa subitement à son père qui avait dû se battre avec cet effroyable vampire.
Elle n'attendait pas une seule seconde pour courir, même si la douleur était là, même si elle avait peur de voir, même si son sang s'écoulait...
Au sol, sa mère, effondrée sur lui, elle éclata en sanglots. Ses mains ensanglantées qui tentaient de le réanimer en parcourant son corps froid, ne croyant pas à cette dure réalité. Sa mère hurlait encore son nom, à côté, le bouquet de fleurs d'Evelyn : des myosotis et des coquelicots. Quant à Elros, il entoura Evelyn dans ses bras en cachant ses yeux avec sa main, elle avait vu assez d'horreur pour cette journée. Plongé dans le noir complet, seul les cris et sanglots de sa mère se faisaient entendre...
Des mois voire même des années, elle avait passé à ne plus pouvoir fermer l'œil de la nuit. Traumatisée, elle s'en voulait. Si ces cinq petites minutes comptaient véritablement, si elle n'avait pas poursuivi ce lapin, peut-être se disait-elle que son père n'était pas mort par sa faute. Chaque fois qu'elle s'endormait un peu, un cauchemar la réveillait pour lui rappeler combien elle a été lâche et faible de n'être pas allée sauver son père. Elle avait promis, promis qu'elle prendrait soin de cette famille, mais elle échoua lamentablement.
De retour à la réalité, les regards baissés et hésitants. Evelyn serra les dents pour s'empêcher de verser quelques larmes. Harlow, indifférent, il comprit leur réponse. Cela n'avait plus aucune utilité de rester ici une minute de plus, il détenait les informations qu'il désirait, elle ne représentait aucun danger pour le moment.
– Bien, nous pouvons donc partir...
– Il est décédé, interrompit Evelyn.
Ah... Il était mort. Quelle chance, si son père pouvait décéder rapidement, dommage qu'il soit immortel. Il n'y avait plus qu'à prier, à moins qu'il ne s'en charge lui-même. Ainsi, il ne fut pas réellement touché par cette nouvelle.
– Mes condoléances, soufflait-il.
Il ne préférait pas regarder leurs visages déconfits trop longtemps, au risque de lever les yeux au ciel. Il haïssait comme il enviait ceux qui avaient une telle relation avec leurs parents.
Il n'avait pas de temps à perdre avec ces futilités, il attendait dehors, cinq minutes et pas une seconde de plus. Voilà ce que c'était d'être laxiste, les humains se permettaient de profiter du système. En attendant, il jeta un coup d'œil au paquet offert par Rose : une robe plutôt simple, sans goût.
Toutefois, il attendit le retour de sa servante qui ne tarda pas.
Ils s'en étaient allé sans avoir à essuyer un torrent de larmes et cela l'arrangeait. Plutôt mal à l'aise à l'idée de côtoyer des personnes tristes, il ne savait jamais quoi faire pour ne pas passer pour un monstre insensible. Il fut étonné par le silence qui régnait entre eux, elle, qui était une pipelette née, ne disait rien.
La journée s'écoulait à toute allure, ils n'avaient donc pas de temps à perdre. Harlow prit les devants cette fois-ci pour emmener Evelyn dans le village des vampires. Sur la route, une espèce de créature sale et minuscule s'accrocha au manteau de Harlow en l'agrippant avec ses petites mains.
– Je ne trouve plus ma maman ! Sanglotait-elle.
Un enfant, il ne lui manquait plus que cela pour l'agacer. À deux doigts de l'envoyer balader, Evelyn s'interposa entre les deux en protégeant la petite fille, lui tournant le dos. Fronçant les sourcils, pour qui, se prenait-elle pour venir les séparer de la sorte ?
– Evelyn, lâchez cet enfant. Nous en avons besoin.
– Je vous en prie ! Ne lui faites pas de mal, ce n'est qu'une enfant ! Elle ne mérite pas de subir ces atrocités...
Il avait lâché la main de l'enfant pour ne pas lui arracher le poignet sur le coup. Cela serait dommage, qu'elle perde son bras, et qu'elle se vide de son sang dans la rue... Il fit quelques pas dans sa direction sans pour autant être agressif.
– Rendez-moi cette jeune fille. C'est notre ticket d'entrée pour rendre une visite de courtoisie à des vampires de la Haute. Je vous promets de ne pas leur donner. C'est le mieux que je puisse vous proposer, le pire serait de vous livrer toutes les deux.
Il serait embêté de se séparer d'une compagnie si joyeuse et vivante. Toutefois, il n'hésitait pas à rappeler leur place, c'est-à-dire, de simples marchandises.
Ainsi, il s'accroupit face à l'enfant, et révéla un visage qu'Evelyn ne croyait jamais voir ; un sourire presque franc, des yeux pétillants et une voix des plus douces :
– Petite-fille, je pense savoir où est ta maman. Tu dois nous suivre, d'accord ?
– Oui monsieur...
Il ne notera pas que l'enfant se trompait sur son statut, même si cela le fit grimacer.
Quant à Evelyn, stupéfaite et dégoûtée à la fois, comment pouvait-il se montrer si affectueux envers un enfant alors que derrière son masque, se cachait un homme qui n'avait aucun scrupule pour ces vies-là ?
Ils reprenaient leur route comme si de rien était sauf qu'Evelyn ne voulait pas en rester là.
– Vous êtes horrible !
– Cela, a-t-il quelque chose d'étonnant ?
– Vous ne pouvez pas simplement vous amuser à jouer avec les sentiments de quelqu'un d'autre pour votre unique intérêt !
– N'est-ce pas ce que font de mieux les humains ? Cracha-t-il en fusillant du regard Evelyn. Vous, par exemple.
– Jamais cela ne me viendrait à l'esprit d'utiliser quelqu'un pour mon intérêt. Et d'abord, tous les humains ne se comportent pas de cette façon.
– Comment expliquez-vous dans ce cas, les nobles déchus ?
Ce genre de débat avait tendance à faire rire Harlow, il savait, quoiqu'elle dise ou fasse, qu'il avait raison.
Quant à Evelyn, elle ne pouvait pas croire ces propos indécents, elle n'espérait pas le convaincre, mais peut-être lui ouvrir les yeux. Tout de même, il marquait un point, les nobles déchus étaient des humains au statut de noble ou bien qui occupaient une fonction importante. À la fin de la guerre, ils avaient deux choix, servir le Royaume des vampires en gardant évidemment des avantages supérieurs aux humains banaux ou choisir de mourir. Aujourd'hui, ces mêmes humains méprisaient leur propre espèce.
– C'est complètement absurde, ils n'avaient pas le choix !
– Pas le choix ? Ils n'avaient qu'à mourir dignement que de finir par être de simples hypocrites.
Trêve de bavardages, leur petit différent pouvait attendre, ils ne mirent pas longtemps à arriver aux portes des Fardell. Face à eux, se dressait un manoir imposant, décoré par diverses sculptures de bois représentant des allégories de la Mort. La petite fille qui se tenait aux côtés de Harlow tremblait de peur, ayant même le réflexe de se cacher dans sa longue cape en s'accrochant comme si elle tenait sa vie en main. Harlow plutôt mal à l'aise à cette idée. Étrangement, les enfants bien qu'il les détestait, il ne pouvait s'empêcher de se projeter à leur place ; lorsqu'il était lui-même enfant, il avait subi le pire, ce qui lui a valu d'être réticent à l'idée de ces petits humains. Cela expliquait aussi pourquoi il ne tenait pas à avoir de descendance. Saisissant la poignée, il entra en premier, suivi de la petite fille et Evelyn.
C'était, il y a seulement neuf ans, elle jurait le reconnaître : ces mêmes cheveux blancs, ses yeux verts et son insupportable regard ; ses canines tranchantes qui dépassaient et surtout ce désir profond de sang...
Soudain, elle se mit à avoir la nausée et la tête qui tournait, Evelyn ne pensait pas revoir ce visage un jour. Tandis que Harlow s'avançait dans la pièce, peu de temps après, il releva une odeur de sang qui régnait entre ses murs comme si ceux-ci en débordaient. À l'entrée du salon, un père et ses trois fils.
– Je viens faire une petite visite d'inspection. Pour vérifier que la marchandise est convenablement traitée, vos commandes sont nombreuses...
– Évidemment Votre Altesse ! Riait nerveusement le père.
Ils paraissaient dérangés par la visite du Second Prince.
Alors qu'il prononçait ses derniers mots, il sentit quelque chose lui enserrer le bras. À sa droite, Evelyn. Sa... Servante ? Avait-elle peur ? Perplexe, il décida de ne rien dire pour l'instant. Il n'était pas là pour traiter les maux de madame. Il n'empêche que son état l'inquiétait plus qu'il l'intriguait.
– C'est que... je ne me sens pas très bien, susurra-t-elle.
Ah, elle ne se sentait pas bien, les femmes toujours si sensibles. Harlow soupira avant de lui chuchoter quelques mots, s'était inquiété pour rien.
–Je ferai respecter la procédure. Vous n'aurez qu'à rester sur le sofa avec la fille.
Il avait besoin d'explorer toute la demeure qui recelait d'étranges secrets, et il allait les débusquer : un à un. Pas question de fuir lorsqu'il pouvait mettre la main sur des criminels. Malgré le comportement étrange du père de famille, les trois hommes semblaient s'amuser, l'un d'eux, remarqua Evelyn se cacher derrière le Prince.
– Et elle, alors, est-elle à vendre ? Je me ferai bien un petit en-cas. S'esclaffa l'homme aux cheveux blancs en croisant le regard de la servante.
Ainsi, il se décida à faire quelques pas en avant pour s'approcher d'Evelyn, la dévorant des yeux. Il tenta de la tirer par la manche afin qu'elle s'avance vers la lumière pour la distinguer plus clairement, toutefois, elle se retira.
– Comment oses-tu ? Petite insolente ! L'homme leva haut sa main, prêt à lui en mettre une.
Ignorant les remarques de ses sauvages, il s'interposa entre l'homme et Evelyn, de quel droit, prenait-il sa servante ? Ignoraient-ils son statut ? À moins qu'ils ne soient tous suicidaires. Saisissant la main de l'homme, il la serra si fort entre ses doigts, qu'il craignait de la réduire en miettes. Il s'en fichait, seulement, s'il pouvait éviter un accident ; fusillant du regard l'homme, il ne relâcha pas un seul instant la pression.
– Chaque coup que vous lui donnerez, je vous le rendrais, moi-même. Mademoiselle Evelyn n'est pas à vendre. La prochaine fois, vous paraîtrez pour non-respect devant Son Altesse que je suis. Inclinez-vous.
Aussitôt, les hommes s'inclinèrent. Ils pourraient aller s'inscrire sur la liste de ses ennemis — s'ils trouvaient le bas de cette liste, un jour —.
Satisfait, il relâcha la main du pauvre homme, pas si innocent que cela en réalité. Il saisit Evelyn par le poignet le temps de l'emmener loin d'eux, laissant la petite fille avec ces vauriens. Harlow la relâcha, tout en s'avançant dans les obscurs couloirs qui n'avaient rien à envier à ceux de son aile.
– Poursuivons Evelyn.
S'enfonçant dans les couloirs, il n'entendait pas les pas des hommes derrière lui.
– Votre Altesse, ces hommes, je les connais...
N'écoutant pas Evelyn, plus il marchait, plus le couloir lui semblait interminable et lorsqu'il ouvrit une porte. Il tomba sur une horreur absolue : un enfant, à trois têtes cousues entre elles, sept bras ensanglantés, trois jambes de différentes tailles ; cette chose était méconnaissable, ils se moquaient complètement de la marchandise pour créer de telles absurdités. Ses yeux s'écarquillèrent comme jamais auparavant devant cette créature dont les paroles étaient incompréhensibles. Instinctivement, il plaça une main pour couvrir les yeux de sa servante, qu'il craignait de traumatiser. Refermant la porte avec son pied, il fit quelques pas terrifiés en arrière, tâchant de le masquer.
– Ne... Ne regardez pas Evelyn.
Le vampire le plus redoutable du royaume retrouvait sa part d'humanité enfouie, même s'il paraissait sur les bords l'être sanguinaire qu'il voulait faire croire, cela ne reflétait pas exactement la réalité. Harlow était humain, c'est bien ce qui le dégoûtait au point de renier ses propres origines.
En une fraction de seconde, elle aperçut un tas de bouillis et peut-être était-ce mieux ainsi ? Cette atmosphère pesante la terrifiait, si le Prince finissait l'inspection, ils pourraient repartir. Evelyn retira sa main avant de le quitter pour rejoindre le salon.
Il voulut la retenir, la chose qu'il venait de voir, l'avait poussé dans un état de méfiance intense. Avait-il rêvé ? Il n'oserait pas ouvrir la porte de nouveau pour vérifier, l'odeur du sang, mélangée à une peur indescriptible. Paralysé, il ne parvenu pas à articuler une seule phrase.
– Je vais chercher la fille ! Plus vite, on sera partis, mieux ça sera. Fit-elle en se dépêchant.
Désormais, tous les événements s'enchaînaient à une vitesse folle, alors que le père de famille rejoignait Harlow, Evelyn se retrouvait face aux monstruosités. Jamais, elle ne pensait pas découvrir un tel spectacle : la malheureuse petite fille qui cherchait les bras de sa mère, demeurait démembrée sur le sol du salon. Sa tête et ses autres membres éparpillés dans la pièce, seul une coulée de sang pouvait rallier les pièces du puzzle ; tandis que ces bêtes lui dévoraient les entrailles, Evelyn ne put s'empêcher de lâcher un cri de stupeur. Se retournant pour s'enfuir, elle fut plaquée contre un mur, écrasée par celui qu'elle redoutait le plus : l'homme aux cheveux blancs.
– Tu pensais que je t'avais oublié ? Comment pouvais-je oublier ce parfum exquis qui se dégage de ta chevelure et j'oublierai encore moins le goût exécrable de ton sang... Souffla-t-il. J'espère qu'il a changé depuis.
De l'autre côté du mur, lorsque le père de famille surgit, sans articuler aucun mot. Il lui adressa un regard meurtrier, enragé par la vision qu'il avait eu. Ils étaient très certainement en danger aussi sûrement que le fait qu'il était un bâtard de première classe. Bouche bée, il se força néanmoins à reprendre le contrôle de lui-même pour interroger très sérieusement cet homme qui déshumanisait la marchandise à leur guise. Harlow le saisit brutalement par le col avant de pointer le bout de son poignard sur la peau de sa gorge. Avant de cracher ses quelques mots avec une froideur et une cruauté implacable. Ses yeux brillaient d'un rouge sang qui aurait fait jalouser le plus beau rubis.
– C'est donc comme cela que vous traitez la marchandise ?
L'homme en face de lui était plutôt grassouillet, il n'avait aucun mal à le maintenir au-dessus du sol.
– Regardez ça, le pouilleux qui retourne à ses origines de sauvage. Vous êtes pathétique ! Un prince ? S'esclaffait-il. UN MONSTRE ! UNE BÊTE-
Harlow ne lui laissa pas le temps de finir sa phrase qu'il éclata son crâne d'ordure contre le mur en rompant chacun de ses os. Une fois, puis deux, jusqu'à ce que son crâne semblât se détacher de sa nuque. Et d'un coup de poignard avisé, il mit fin à cette torture en tranchant le dernier bout qui retenait ces deux partis.
Une fois l'homme mort, il jeta son corps par terre, presque entièrement disloqué, il ressemblait à celui d'une limace difforme. Harlow n'eut pas le temps de le pleurer — ni la moindre envie — essuyant des gouttes de sang qu'avait laissé échapper la bouche de cette ordure. Il oublia durant un instant Evelyn, il se rappela d'elle en entendant les appels de détresse et les battements dans les murs qui résonnaient.
Telle une ombre meurtrière, il fila jusqu'à ce qui s'apparentait à l'odeur d'Evelyn et de sang. Le prince franchit la distance qui séparait Evelyn de son agresseur en une fraction de seconde ; avant de planter la lame de son poignard, en travers de la gorge de l'homme qui avait osé planter ses crocs. Les deux autres hommes, mortifiés par la présence du prince, se tâtaient à fuir, seulement, Harlow ne ferait qu'une bouchée d'eux.
Au sol, ébahie de voir le corps de celui qui avait toujours hanté ses rêves, mort. Ce n'était pas plus mal, cela ne la choquait même pas. Evelyn esquissa un sourire au contraire, un sourire de libération, cela signait peut-être la fin de ses cauchemars. Justice avait été rendue. Hélas, les cris des dernières victimes la frappaient à la réalité. Harlow, il succombait à ses pulsions. Que pouvait-elle bien faire contre cela ?
Evelyn se releva aussi vite qu'elle pu, partant à sa recherche tout en criant son nom. Elle le retrouvait en train d'achever un des derniers survivants.
– Votre Altesse. Cela suffit ! Nous pouvons partir, je vous en prie. Suppliait-elle.
Il avait tellement tiré sur ses yeux qu'il avait crus que les nerfs qui les reliaient au cerveau, allaient faire éclater son crâne. Harlow fut interrompu par sa femme de chambre, reconnaissant sa voix, il lâcha le corps du malheureux qu'il avait trouvé.
C'était toujours comme ça : des crises pareilles, il en avait déjà fait. Sa première, remontait à son enfance contre sa première et seule amie qui l'avait insulté des pires mots, lorsqu'il n'était qu'un petit garçon encore sensible et pur. Il l'avait laissée, lui donner des coups, des heures durant, roulé en boule ; lui, suppliant d'arrêter, il avait fini par céder. Harlow l'avait cruellement décapitée, ses souvenirs étaient d'une telle violence, qu'il n'arrivait même plus à s'en rappeler. La seconde crise eut lieu sur-le-champs de bataille, lorsqu'il se rendit compte que l'armée que lui avait fournie son père, était juste payée pour le conduire à une mort certaine. Assassinant la quasi-totalité des personnes présentes autant celles de son propre camp que celles de l'adversaire, jusqu'à s'écrouler de fatigue. Ainsi, cela s'achevait la plupart du temps. Et puis, il eut la troisième, la quatrième fois, où il faillit être exécuté sur ordre du Conseil. Finalement, banni dans l'aile abandonnée.
Alors que les souvenirs affluaient dans son esprit, il s'approchait progressivement d'Evelyn. Il ne restait qu'un mètre entre eux, manquant de tomber sur elle, il se rattrapa de justesse, une main posée sur son épaule, sa respiration haletante.
Evelyn face à lui, tremblait de peur, sa main n'arrêtait pas de se resserrer alors qu'elle se résignait à fuir.
Harlow parvenu, toutefois, à laisser échapper des bribes de mots dans le creux de son oreille :
– Aidez... Moi... Je... Vous... En... Supplie, marquant des pauses.
La main resserra brutalement sa poigne autour de son épaule avant de lui mettre un coup de pied en plein thorax, l'envoyant voler contre un mur qu'elle frappa violemment à l'arrière de son crâne, lui faisant perdre connaissance.
