Chapitre 4

Par Eyram

Kaelis passa les jours suivants dans une étrange quiétude, entre repos et exploration. Elle flânait dans les couloirs silencieux du palais Velmarn, apprenant à en déchiffrer les ombres, à en apprivoiser les détours. Chaque jour, elle découvrait un recoin nouveau, une pièce oubliée, un jardin intérieur qui semblait apparaître puis disparaître selon l'heure et la lumière.

Elle avait peu vu Vaeren. Elle savait qu'il était occupé, absorbé par les affaires de la Cour. En revanche, elle avait appris à connaître Lira, sa suivante. La jeune femme était discrète, toujours mesurée dans ses gestes comme dans ses mots, mais dotée d'un esprit vif et d'une douceur sincère. Elle n'avait pas la familiarité d'une amie, pas encore, mais Kaelis sentait chez elle une loyauté qui, bien que silencieuse, paraissait réelle. Malgré cela, elle restait prudente. Elle n'oubliait pas où elle se trouvait, ni ce que son père lui avait appris.

L'Éveil du Sang aurait lieu dans trois jours. Rituel sacré et ancestral, il marquait l'entrée véritable dans l'âge adulte des héritiers de lignées pures. À vingt-cinq ans, chaque héritier ou héritière devait se soumettre à ce rite, au cours duquel la magie de son sang, transmise par ses ascendants, se révélait dans son essence la plus profonde. C'était une épreuve autant qu'une consécration, une rencontre entre l'individu et le poids de son héritage.

Kaelis était censée recevoir, en tant que fille unique de la Maison Solmire, le Feu Purificateur - la magie solaire dans sa forme la plus pure. Puissante et redoutée, elle formait le cœur même de l'identité de sa lignée. Une magie éclatante, absolue, impitoyable, née de la lumière et nourrie par la volonté. 

Sur les champs de bataille, les Solmire étaient redoutés pour leur capacité à invoquer des feux incandescents, capables de tout détruire sur leur passage : chair ennemie, maléfices, fortifications. Cette magie permettait de dissiper les illusions, de percer les intentions, de réduire à néant ce qui était jugé impur ou trompeur. Elle était aussi au cœur de nombreux rites religieux et spirituels. Les prêtres de la Maison Solmire l'utilisaient pour brûler les influences corrompues, dissiper les malédictions, purifier les lieux hantés ou infestés de magie impure. Dans de rares cas, la lumière Solmire pouvait être source de force vitale : elle stimulait le corps, accélérait la guérison, éveillait la volonté. Mais ce don avait un prix. Il ne régénérait que ce qui résistait à l'épreuve. Tout ce qui n'était pas prêt à affronter sa brûlure… était consumé.

La magie du Feu Purificateur révélait, oui. Mais dans sa révélation, elle pouvait anéantir. Cette lumière-là ne réchauffait pas. Elle dénudait, déchirait, transperçait, jusqu'à l'os, jusqu'à l'âme.

Parmi les Sept Grandes Maisons, chacune possédait son domaine, son sceau, sa magie. Et chacune veillait jalousement à préserver la pureté de son sang. Les métissages, bien qu'ils aient parfois donné naissance à des formes de magie inédites, étaient jugés instables, impures, moins nobles, et souvent voués à une magie plus chaotique et plus faible. Cependant, lorsqu'une union savamment orchestrée rassemblait deux lignées parfaitement pures, le croisement pouvait donner lieu à une magie nouvelle, redoutablement puissante. Un métissage d'élite, capable de transcender les limites des deux lignées d'origine, en forgeant une magie hybride aussi profonde qu'imprévisible. C'était pour cela que certains mariages étaient si précieusement négociés entre Maisons. 

Kaelis savait tout cela. Elle se sentait prête. Depuis l'enfance, on lui répétait que ce moment serait l'apogée de son identité. Et plus les jours passaient, plus l'impatience se mêlait à une excitation brûlante, presque fiévreuse.

 

Ce soir-là, un banquet devait être donné en l'honneur des jeunes mariés. Kaelis s'y préparait comme à un rite parallèle, une scène où elle devait se montrer, s'inscrire dans ce nouveau monde. Elle voulait que cette soirée - l'une des dernières avant l'Éveil - marque un souvenir éclatant. Elle espérait, aussi, que Vaeren la remarque, même discrètement. Qu'il la regarde avec fierté. Qu'il accepte, dans ce cadre public, de la reconnaître pleinement comme sienne.

Kaelis passa l'après-midi dans ses appartements, en compagnie de Lira, hésitant longuement sur sa tenue. Elle essaya plusieurs robes, en déposa certaines, en reprit d'autres, puis changea encore. Les bijoux passaient de ses mains à son cou, retirés, remplacés, ajustés. Kaelis cherchait l'équilibre parfait : briller sans éclipser, attirer l'attention sans la quémander. Elle voulait une allure élégante, gracieuse, subtile, mais aussi frappante, de celles que l'on retient sans savoir pourquoi. Une présence qui inspire à la fois admiration, respect… et prudence.

Elle opta finalement pour une robe de soie fluide, d'un bordeaux profond, brodée de fils d'or pâle qui dessinaient de fines arabesques solaires courant sur les manches et le corsage. Le tissu venait effleurer ses épaules, qu'il découvrait avec élégance, et se prolongeait en de longues manches fluides qui se resserraient délicatement autour de ses poignets. Le décolleté, subtilement taillé, suggérait les courbes de sa poitrine sans les offrir, jouant sur la frontière parfaite entre l'assurance et la retenue. Autour de son cou, Lira attacha un collier d'or blanc, finement ciselé, orné en son centre d'une goutte d'ambre dorée qui venait tomber dans le creux de ses seins. Ses cheveux furent coiffés à demi relevés, de fines nattes entremêlées s'y dessinant, ponctuées de petites perles d'or pâle. Sur sa peau, Kaelis laissa glisser une touche d'huile parfumée à la figue blanche et au musc doré, un parfum à la fois doux, fruité et légèrement animal, chaud sans être entêtant, qui laissait derrière elle une trace discrète… mais inoubliable.

Lorsqu'elle se contempla dans le grand miroir d'argent, Kaelis sut qu'elle était prête. Elle était sublime. Et elle le savait. C'est avec cette confiance apaisante qu'elle quitta ses appartements pour se rendre à la Salle de Bal, le cœur battant d'un rythme nouveau.

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