Il fallait bien avouer qu’il y était allé un peu fort. Il avait eu toutes les peines du monde à calmer Iruka-sensei. Le seul argument qui avait littéralement stoppé sa fureur était que s’il continuait à hurler de cette façon, il allait attirer tous les enseignants et les élèves de l’Académie et qu’ils seraient forcés de s’expliquer. Cette simple pensée avait suffit à calmer le chûnin, qui l’avait aussitôt prévenu de ne plus jamais oser faire une chose pareille. Mais Kakashi avait eu le dernier mot quand, juste avant de partir, il lui avait soufflé, de sa voix rauque et traînante, « En tout cas, pas à l’Académie... ».
Le ninja-copieur sourit à cette seule pensée. Il ne comprenait toujours pas par quel miracle cet homme avait réussi à se frayer un chemin dans ses pensées, puis, il fallait bien se l’avouer, dans son coeur. Alors que Kakashi s’était juré de fermer ce dernier à tout jamais.
A bien y repenser, il savait exactement quand tout cela avait commencé. Il y a plusieurs semaines, il avait surpris une conversation entre Iruka-sensei et Asuma-sensei au sujet de Shikamaru Nara. Asuma-sensei expliquait que, surpris par l’attitude du jeune homme qui avait intégré son équipe, il lui avait fait passer un test de QI, dont les résultats étaient au-delà de ce qu’il avait pourtant imaginé. Le jeune Nara était un surdoué. Cela n’avait absolument pas étonné Kakashi, qui était dans le même cas. Ils se reconnaissaient entre eux. Ce qui avait étonné le ninja-copieur, ce fut la réponse d’Iruka : « Je m’en doutais et je m’en veux de ne pas avoir fait ce qu’il fallait. L’apparente paresse et l’attitude désinvolte de Shikamaru ne sont qu’un rempart contre l’ennui qui accompagne un tel potentiel. De plus, la sensation de décalage qui doit l’accompagner quotidiennement, l’impossibilité de trouver sa place et son hypersensibilité doit le rendre parfois tellement vulnérable que sa seule réponse est de se protéger émotionnellement, quitte à avoir des attitudes complètement contre-productives. Et, tellement accaparé par Naruto, je suis passé à côté de Shikamaru. Je m’en veux terriblement de ne pas avoir su l’accompagner comme il aurait fallu ».A cet instant, les pensées se bousculèrent dans la tête de Kakashi. Ainsi donc, quelqu’un comprenait ? Quelqu’un savait ce qui se passait dans sa tête, même un tout petit peu ? Le flot incessant de pensées, d’idées, cette sensibilité qui pouvait être à la fois une bénédiction et une malédiction, ce sentiment d’être seul, de ne jamais être à la hauteur….Iruka était connu pour être le meilleur enseignant de Konoha et une personne empathique et bienveillante, mais jamais Kakashi n’aurait imaginé qu’il puisse avoir connaissance de tout cela. Et à la seule idée que quelqu’un puisse le comprendre, un tant soit peu, Kakashi en fut bouleversé.
Shikamaru était peut-être très doué, mais Kakashi le surpassait. Ce dernier avait gravi les échelons de l’Académie avec une rapidité fulgurante, encore non égalée à ce jour. Se sentant malgré tout incompris, jugé, toujours en décalage avec les autres, il n’avait jamais réussi à tisser de liens réels avec ses camarades de classe. Même avec Gai, qui pourtant le suivait sans arrêt en lui lançant des défis ridicules. Cette impression de n’être à sa place nulle part le blessait profondément, plus qu’il n’osait se l’avouer. Puis son père, la seule personne dont il était proche, mourut. Ou plutôt, il se donna la mort. Il était le Croc Blanc de Konoha. Un grand ninja. Un ninja qui avait choisi de sauver ses équipiers plutôt que d’aller au bout d’une mission. Et cela lui avait valu une pluie de reproches, y compris de la part de ses propres équipiers. Incapable d’affronter cela, il préféra en finir. Et ce fût lui, son propre fils, qui le découvrit. Pour le jeune garçon, ce fût une douleur tellement intense qu’il crût qu’il allait en mourir. Et l’attitude de la majorité des gens du village ne fit qu’accentuer la sensation de solitude, de colère et d’amertume.
Alors, pour se prémunir, il commença à ériger savamment une barrière émotionnelle entre lui et les autres. Et puis de toute façon, il était un ninja ? Et les ninjas ne ressentent rien.
Ce ne fût pas aussi simple qu’il le croyait, surtout après son intégration dans l‘équipe de Minato-sensei. Il s’était finalement laissé persuader que tisser certains liens pouvaient être nécessaire, voire agréable, et il s’y autorisa avec prudence pour la première fois depuis la mort de son père. Malheureusement, il les perdit. Tous. Implacablement, l’un après l’autre. Ses équipiers d’abord. Obito. Qui était devenu son ami. Puis Rin. Il n’avait plus envie de rien, faisait des cauchemars atroces toutes les nuits. Il avait à peine 12 ans et était dans l’incapacité de gérer cela tout seul. Et il s’en voulait de ne pas y arriver. Alors, sous l’impulsion de Minato-sensei qui était devenu Hokage, le chef de leur village, il intégra les forces spéciales. C’était dur, mais ce fut d’un certain secours. Pas le temps de penser. Juste s’entraîner, partir en mission et se battre.
Puis Minato, son sensei, sa seule attache, mourut lui aussi en sauvant leur village du démon-renard à neuf queues...Cette fois-ci, il se retrouvait seul. Désespérément seul. La vague de chagrin et de solitude fut tellement immense cette fois-ci qu’il ne put rien faire d’autre que de la laisser le submerger. Non. L’engloutir. Toutes les personnes qui auraient pu lui amener un soutien, le comprendre au moins un peu, étaient parties. Mortes.
Tisser des liens, même un peu, lui était désormais impossible.
Mais les forces spéciales étaient là. L’entraînement était tellement difficile, les missions tellement dangereuses et rapprochées que cela court-circuitait littéralement ses émotions. Chaque neurone de son cerveau était mis à contribution pour faire fonctionner la machine de guerre qu’il était devenu. Tous ses circuits neuronaux étaient tendus vers un seul objectif : réussir les missions. Même pas revenir vivant. Vivre lui était égal. Trop difficile. Juste réussir les missions. Il n’y avait aucune place pour les émotions, et tout était parfait comme cela.
Quant à l’image de pervers qu’il s’était construite ? Peu lui importait. De toute façon, quoi que vous fassiez, vous étiez jugé. Les gens jugent sans comprendre. Personne n’avait jamais essayer de comprendre son père, de le comprendre lui. Personne pour essayer de venir à sa rencontre, de savoir ce qu’il pouvait ressentir après avoir tout perdu. A plusieurs reprises. Alors il avait laissé tomber et s’était construit une personnalité. A la longue, il trouvait cela plutôt marrant de lire ses livres cochons en public. Cela avait outré les gens au départ, mais maintenant cela ne surprenait plus personne. Non content d’être devenu le ninja-copieur, ce fameux ninja aux mille techniques craint de tous, d’être une véritable légende au sein des forces spéciales elles-mêmes, il était également devenu un ninja-pervers. Et cela lui allait très bien. Car plus personne n’osait l’approcher. Oui, cela lui convenait. Car, malgré tout ce que l’on pouvait dire sur lui, malgré tous ses exploits, malgré le fait que la seule vue de son Sharingan puisse mettre en déroute plusieurs dizaine d’ennemis, une seule et unique chose clouait littéralement Kakashi Hatake de peur : les relations humaines.
Seule une personne avait réussi à le réapprivoiser, à faire resurgir le véritable Kakashi. Une seule…. Et maintenant, sa dernière provocation à l’Académie ne lui paraissait plus une aussi bonne idée que ça.
Il fût sorti de ses réflexions par des hurlements et un bruit assourdissant. Quelqu’un semblait vouloir défoncer sa porte…